
Contexte
La fin des années 80 et le début des années 90 ont été marqués par des violations massives des droits humains - assassinats politiques, " disparitions " et tortures notamment. Parmi les victimes figuraient des opposants présumés issus des communautés noire et arabo-berbère, ainsi que des fonctionnaires, des fermiers et des gardiens de troupeaux originaires du Sud.
Entre 1989 et 1991, des villageois négro-mauritaniens, en particulier ceux vivant dans la vallée du fleuve Sénégal, ont été pris pour cibles par les autorités mauritaniennes, où les membres de l'ethnie beidane (Maures blancs) sont prédominants. Plus de 500 Mauritaniens noirs détenus par les militaires en 1990 et en 1991 auraient été victimes d'exécutions extrajudiciaires. Parmi les multiples méthodes de torture utilisées, citons celles consistant à infliger à la victime des décharges électriques, à la brûler avec des braises, ou à la suspendre la tête en bas à une barre en métal puis à la frapper sur la plante des pieds - méthode dite du " jaguar".
Des dizaines de milliers de personnes, Mauritaniens noirs pour la plupart, ont été expulsées ou ont fui vers le Sénégal ou d'autres pays limitrophes. Les autorités mauritaniennes se refusaient toujours à ouvrir des enquêtes sur les violations des droits humains perpétrées dans le passé.Les organisations de défense des droits fondamentaux ont poursuivi leurs activités sans pour autant être reconnues par le gouvernement.
La législation mauritanienne interdisant d'" administrer des associations fonctionnant sans autorisation ", leurs militants étaient harcelés. En 1998, un certain nombre de défenseurs des droits humains bien connus du public ont été arrêtés, jugés, reconnus coupables et condamnés à des peines d'emprisonnement au titre de ladite législation.
En octobre, après que la Mauritanie eut établi des relations diplomatiques avec Israël, des manifestations d'étudiants à Nouakchott et dans d'autres villes du pays ont été dispersées par la police. De nouvelles manifestations, en novembre, ont conduit à l'arrestation pour une brève période de plus d'une dizaine de personnes. Quelques jours plus tard, les autorités mauritaniennes décidaient d'interdire le Parti de l'avant-garde nationale, accusant les dirigeants de ce parti d'opposition d'attiser les mécontentements. La police a relâché un responsable du Parti Baas irakien peu de temps après l'avoir arrêté, mais a conservé son passeport.
Prisonniers d'opinion
Trois militants de l'opposition ont été détenus sans inculpation ni jugement pendant plus d'un mois. Il s'agit d'Ahmed Ould Daddah, président du Front des partis d'opposition (FPO, une coalition de formations d'opposition) et secrétaire général de l'Union des forces démocratiques-Ère nouvelle (UFD-EN, l'un des quatre partis constituant le FPO), de Mohameden Ould Babah, membre du bureau exécutif de l'UFD-EN, et de Me Mohameden Ould Ichiddou, avocat spécialisé dans la défense des droits humains et sympathisant de l'UFD-EN. Les trois hommes ont été appréhendés le 16 décembre 1998 à Nouakchott à l'issue, semble-t-il, d'une réunion du FPO au cours de laquelle le gouvernement aurait été accusé de vouloir accepter de stocker des déchets nucléaires israéliens. Des allégations semblables avaient déjà été publiées dans la presse marocaine.
Le lendemain, le ministre de l'Intérieur a annoncé que les trois personnes arrêtées allaient être poursuivies pour " atteinte aux intérêts du pays et à son image de marque à travers des accusations non fondées ". Aucune inculpation n'a toutefois été prononcée. Les trois militants de l'opposition, gardés par des hommes en armes, ont été détenus dans la ville de Boumdeid, située à plus de 500 kilomètres de la capitale. Selon certaines informations, ils étaient enfermés dans une pièce si exiguë qu'il leur était impossible de s'allonger tous les trois en même temps. Entre le 16 décembre 1998 et le 3 janvier 1999, ils n'ont eu droit qu'une seule fois à sortir de leur cellule pour prendre un peu d'exercice.
Au bout de dix-sept jours de détention au secret, chacun d'eux a été autorisé à recevoir la visite d'un seul membre de sa famille, mais il leur était toujours interdit de contacter un avocat ou les médias. De nombreuses manifestations ont eu lieu à Nouakchott pour réclamer la libération des trois prisonniers. Ces manifestations ont été brutalement dispersées par les forces de sécurité, qui auraient blessé plusieurs femmes. Les trois hommes ont été libérés le 17 janvier, jour de la fin du ramadan.
Action internationale contre l'impunité En juillet, un officier de l'armée mauritanienne soupçonné de crimes de torture, Ely Ould Dha, a été arrêté dans le sud de la France. Interpellé alors qu'il suivait un stage organisé par l'armée française dans une école militaire de Montpellier, il a été placé en détention et interrogé par les autorités judiciaires de la ville. En septembre, un tribunal français a ordonné sa mise en liberté provisoire, assortie de l'obligation de ne pas quitter la région jusqu'à la fin de l'enquête menée à son sujet.
Les autorités ont décidé d'agir après que plusieurs organisations de défense des droits humains, dont la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) et la Ligue des droits de l'homme (LDH), eurent déposé une plainte auprès de la police de Montpellier. Ely Ould Dha était accusé d'avoir torturé au moins deux personnes, en 1990 et 1991, dans une prison située non loin de Nouakchott. Les deux victimes présumées coopéraient avec les autorités judiciaires.
Amnesty International a salué l'ouverture de cette enquête comme une initiative positive visant à faire en sorte que les victimes des violations graves commises en Mauritanie au fil des années puissent obtenir justice. L'Organisation a instamment invité les autorités françaises à envisager la possibilité d'enquêter sur tout responsable mauritanien qui, pénétrant sur le territoire français, serait soupçonné d'avoir commis de graves atteintes aux droits fondamentaux.
Quelque temps auparavant, un cas similaire avait été porté à l'attention des autorités judiciaires parisiennes. Cependant, la personne visée - un officier de l'armée mauritanienne du nom d'Ould Hmeid Salem, venu à Paris pour y être soigné par des spécialistes - avait été informée par les autorités françaises des poursuites qui seraient prochainement engagées contre elle, et elle s'était enfuie aux Canaries. Les tribunaux français s'étaient déclarés compétents pour connaître du dossier de cet homme, sur la base des dispositions figurant dans la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
AMNESTY INTERNATIONAL SECTION FRANCAISE 76 bd de la Villette 75940 Paris cedex 19 La version originale a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 0DW, Royaume-Uni.
Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée par les Éditions Francophones d'Amnesty International - ÉFAI.
La fin des années 80 et le début des années 90 ont été marqués par des violations massives des droits humains - assassinats politiques, " disparitions " et tortures notamment. Parmi les victimes figuraient des opposants présumés issus des communautés noire et arabo-berbère, ainsi que des fonctionnaires, des fermiers et des gardiens de troupeaux originaires du Sud.
Entre 1989 et 1991, des villageois négro-mauritaniens, en particulier ceux vivant dans la vallée du fleuve Sénégal, ont été pris pour cibles par les autorités mauritaniennes, où les membres de l'ethnie beidane (Maures blancs) sont prédominants. Plus de 500 Mauritaniens noirs détenus par les militaires en 1990 et en 1991 auraient été victimes d'exécutions extrajudiciaires. Parmi les multiples méthodes de torture utilisées, citons celles consistant à infliger à la victime des décharges électriques, à la brûler avec des braises, ou à la suspendre la tête en bas à une barre en métal puis à la frapper sur la plante des pieds - méthode dite du " jaguar".
Des dizaines de milliers de personnes, Mauritaniens noirs pour la plupart, ont été expulsées ou ont fui vers le Sénégal ou d'autres pays limitrophes. Les autorités mauritaniennes se refusaient toujours à ouvrir des enquêtes sur les violations des droits humains perpétrées dans le passé.Les organisations de défense des droits fondamentaux ont poursuivi leurs activités sans pour autant être reconnues par le gouvernement.
La législation mauritanienne interdisant d'" administrer des associations fonctionnant sans autorisation ", leurs militants étaient harcelés. En 1998, un certain nombre de défenseurs des droits humains bien connus du public ont été arrêtés, jugés, reconnus coupables et condamnés à des peines d'emprisonnement au titre de ladite législation.
En octobre, après que la Mauritanie eut établi des relations diplomatiques avec Israël, des manifestations d'étudiants à Nouakchott et dans d'autres villes du pays ont été dispersées par la police. De nouvelles manifestations, en novembre, ont conduit à l'arrestation pour une brève période de plus d'une dizaine de personnes. Quelques jours plus tard, les autorités mauritaniennes décidaient d'interdire le Parti de l'avant-garde nationale, accusant les dirigeants de ce parti d'opposition d'attiser les mécontentements. La police a relâché un responsable du Parti Baas irakien peu de temps après l'avoir arrêté, mais a conservé son passeport.
Prisonniers d'opinion
Trois militants de l'opposition ont été détenus sans inculpation ni jugement pendant plus d'un mois. Il s'agit d'Ahmed Ould Daddah, président du Front des partis d'opposition (FPO, une coalition de formations d'opposition) et secrétaire général de l'Union des forces démocratiques-Ère nouvelle (UFD-EN, l'un des quatre partis constituant le FPO), de Mohameden Ould Babah, membre du bureau exécutif de l'UFD-EN, et de Me Mohameden Ould Ichiddou, avocat spécialisé dans la défense des droits humains et sympathisant de l'UFD-EN. Les trois hommes ont été appréhendés le 16 décembre 1998 à Nouakchott à l'issue, semble-t-il, d'une réunion du FPO au cours de laquelle le gouvernement aurait été accusé de vouloir accepter de stocker des déchets nucléaires israéliens. Des allégations semblables avaient déjà été publiées dans la presse marocaine.
Le lendemain, le ministre de l'Intérieur a annoncé que les trois personnes arrêtées allaient être poursuivies pour " atteinte aux intérêts du pays et à son image de marque à travers des accusations non fondées ". Aucune inculpation n'a toutefois été prononcée. Les trois militants de l'opposition, gardés par des hommes en armes, ont été détenus dans la ville de Boumdeid, située à plus de 500 kilomètres de la capitale. Selon certaines informations, ils étaient enfermés dans une pièce si exiguë qu'il leur était impossible de s'allonger tous les trois en même temps. Entre le 16 décembre 1998 et le 3 janvier 1999, ils n'ont eu droit qu'une seule fois à sortir de leur cellule pour prendre un peu d'exercice.
Au bout de dix-sept jours de détention au secret, chacun d'eux a été autorisé à recevoir la visite d'un seul membre de sa famille, mais il leur était toujours interdit de contacter un avocat ou les médias. De nombreuses manifestations ont eu lieu à Nouakchott pour réclamer la libération des trois prisonniers. Ces manifestations ont été brutalement dispersées par les forces de sécurité, qui auraient blessé plusieurs femmes. Les trois hommes ont été libérés le 17 janvier, jour de la fin du ramadan.
Action internationale contre l'impunité En juillet, un officier de l'armée mauritanienne soupçonné de crimes de torture, Ely Ould Dha, a été arrêté dans le sud de la France. Interpellé alors qu'il suivait un stage organisé par l'armée française dans une école militaire de Montpellier, il a été placé en détention et interrogé par les autorités judiciaires de la ville. En septembre, un tribunal français a ordonné sa mise en liberté provisoire, assortie de l'obligation de ne pas quitter la région jusqu'à la fin de l'enquête menée à son sujet.
Les autorités ont décidé d'agir après que plusieurs organisations de défense des droits humains, dont la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) et la Ligue des droits de l'homme (LDH), eurent déposé une plainte auprès de la police de Montpellier. Ely Ould Dha était accusé d'avoir torturé au moins deux personnes, en 1990 et 1991, dans une prison située non loin de Nouakchott. Les deux victimes présumées coopéraient avec les autorités judiciaires.
Amnesty International a salué l'ouverture de cette enquête comme une initiative positive visant à faire en sorte que les victimes des violations graves commises en Mauritanie au fil des années puissent obtenir justice. L'Organisation a instamment invité les autorités françaises à envisager la possibilité d'enquêter sur tout responsable mauritanien qui, pénétrant sur le territoire français, serait soupçonné d'avoir commis de graves atteintes aux droits fondamentaux.
Quelque temps auparavant, un cas similaire avait été porté à l'attention des autorités judiciaires parisiennes. Cependant, la personne visée - un officier de l'armée mauritanienne du nom d'Ould Hmeid Salem, venu à Paris pour y être soigné par des spécialistes - avait été informée par les autorités françaises des poursuites qui seraient prochainement engagées contre elle, et elle s'était enfuie aux Canaries. Les tribunaux français s'étaient déclarés compétents pour connaître du dossier de cet homme, sur la base des dispositions figurant dans la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
AMNESTY INTERNATIONAL SECTION FRANCAISE 76 bd de la Villette 75940 Paris cedex 19 La version originale a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 0DW, Royaume-Uni.
Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée par les Éditions Francophones d'Amnesty International - ÉFAI.