
Sa Maserati est garée à trois pas de ses bureaux, dans le 16e arrondissement de Paris. Lorsque Robert Bourgi se rend en Afrique, c'est presque toujours dans un avion privé affrété par une grande entreprise intéressée par son carnet d'adresses au Gabon, au Congo-Brazzaville, en Côte d'Ivoire ou par un chef d'Etat africain auquel il vend la promesse de contacts politiques de haut niveau en France. Cet entregent est manifestement la source de cette vie confortable, bien plus que son statut officiel d'avocat, lui qui avoue en rian t : "C'est ma femme, Catherine, qui traite les dossiers et plaide. Moi, j'apporte les affaires. D'ailleurs, je n'ai passé la robe que le jour de ma prestation de serment."
A table, il est volubile, amusant, grand amateur de chablis bien qu'il s'affirme "musulman chiite" et plus encore de femmes "sauf des Africaines avec lesquelles (il n'a) même jamais dansé". Du vivant d'Omar Bongo, il régnait sur l'Hôtel Meurice, le palace parisien où le président gabonais recevait lors de ses séjours en France. Les hommes d'affaires de toutes sortes faisaient antichambre. Pas lui. Bongo était tout à la fois son client, peut-être son ami, et en tout cas le parrain de la petite fille qu'il a eue, tardivement, d'une liaison adultérine assumée, y compris par son épouse- Bourgi étant lui-même le parrain de l'un des fils de Bongo.
Robert Bourgi a toujours appelé Omar Bongo, à l'africaine, "papa". Le secrétaire d'Etat français chargé de la coopération, Alain Joyandet, se souvient de l'avoir vu entrer sans frapper dans la suite du président pour s'introduire sans façon au milieu de leur conversation.
Autant dire que la mort du chef d'Etat gabonais et l'élection présidentielle du dimanche 30 août sont un enjeu majeur pour celui qui se targue d'être le fils spirituel de Jacques Foccart - grand ordonnateur du gaullisme en Afrique et des réseaux qui s'assurèrent après les indépendances de la soumission des anciennes colonies africaines aux intérêts de la France.
C'est Robert Bourgi qui a laissé filtrer, le 7 juin, d'un coup de fil au Point, la nouvelle de la mort d'Omar Bongo. "Ce soir-là, il était mort cliniquement. Je ne sais même pas s'il n'était pas parti avant", glisse-t-il tranquillement. Quelques heures plus tard, malgré les démentis farouches de l'Etat gabonais, l'AFP confirmait la mort du doyen de la Françafrique, citant "une source proche du gouvernement français", qui, à en croire Bourgi, n'était autre que... lui-même.
Existe-t-il plus haut attribut du pouvoir que de décider de l'heure de la mort d'autrui ? Ce fut, en tout cas, la façon la plus efficace de signifier au plus haut sommet des Etats français et gabonais un message clair : il faudrait compter avec lui pour gérer la succession.
Depuis l'élection de Nicolas Sarkozy, le franc-tireur Robert Bourgi est partie prenante de la politique africaine de l'Etat. Dans la galaxie foisonnante des intermédiaires et des communicants qui vendent leur influence aux dirigeants africains, il occupe une place à part. "Je suis un ami très écouté de Nicolas Sarkozy", insiste-t-il.
Cet été, il a mis toute son énergie au service de l'élection de son poulain, Ali Ben Bongo, fils et héritier du président défunt qu'il présente comme "le meilleur défenseur des intérêts français dans tous les domaines". Mais son candidat est aussi son client : "Si Ali Bongo n'est pas élu, Bourgi perd l'un de ses derniers gros marchés", résume un haut diplomate.
D'où vient que ce sexagénaire chaleureux, né à Dakar dans une famille de grands commerçants libanais et "initié à l'Afrique par M. Foccart", ait gardé tant d'influence à droite, notamment auprès d'un Nicolas Sarkozy qui, lors de sa campagne, promettait d'en finir avec ces réseaux parallèles à la diplomatie ?
D'un sens aigu de la psychologie du pouvoir. D'un charme à la fois viril et désuet. D'un goût affirmé de la discrétion. Et d'un très solide réseau. Car Robert Bourgi, fils d'un riche importateur de textile, a su faire fructifier ses connaissances. Son père a noué des relations d'affaires avec Jacques Foccart. Le conseiller de De Gaulle, puis de Georges Pompidou, dirige alors une société d'import-export de tissu, la Safiex, "en relation d'affaires avec papa, un richissime importateur de textile" à Dakar.
Mahmoud Bourgi, gaulliste de la première heure, est l'un des premiers inscrits au Rassemblement du peuple français (RPF). Son fils écrit donc à Foccart, lorsque, après des études de droit en France, il cherche une situation. Sa thèse de doctorat d'Etat a porté sur "Le général de Gaulle et l'Afrique noire". Il enseigne le droit comme coopérant à Cotonou, Nouackchott puis Abidjan. Il rêve de mieux.
A la faculté d'Abidjan, il a rencontré Laurent Gbagbo, alors professeur d'histoire, qui deviendra en 2000 président de la Côte d'Ivoire. Jacques Foccart n'a pas de successeur. Mais il introduit Bourgi auprès de Jacques Chirac. et surtout, en 1978, auprès de l'homme-clé de l'Afrique de l'époque, l'inventeur du concept de Françafrique, le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny. Les relations avec le président du Congo, Denis Sassou Nguesso, puis avec Omar Bongo suivront.
Avec tous, Robert Bourgi copie ce mélange de déférence apparente et de familiarité propre à Foccart et y ajoute son humour et sa chaleur orientale. En France, il s'est immiscé avec le même entregent dans les milieux politiques, auprès de Jacques Chirac, de Charles Pasqua - avec lequel il se fâchera - et de Nicolas Sarkozy, rencontré en 1983 au siège du RPR, "un gamin brillantissime", dit-il.
En 1997, la mort de Jacques Foccart menace soudain de le fragiliser. Il va jouer son coup de maître. Le jour de l'enterrement, alors qu'il pleure comme un enfant la mort de ce "second père", Chirac le prend dans ses bras et le convie à passer le soir même à l'Elysée. Il y a là son secrétaire général Dominique de Villepin. Et Jacques Chirac adoube Robert Bourgi : "Vous allez travailler ensemble, Dominique et vous. Si je ne suis pas disponible, c'est lui qui vous recevra." Désormais, Bourgi initiera Villepin à l'Afrique.
Raphaëlle Bacqué
Source : Le Monde
A table, il est volubile, amusant, grand amateur de chablis bien qu'il s'affirme "musulman chiite" et plus encore de femmes "sauf des Africaines avec lesquelles (il n'a) même jamais dansé". Du vivant d'Omar Bongo, il régnait sur l'Hôtel Meurice, le palace parisien où le président gabonais recevait lors de ses séjours en France. Les hommes d'affaires de toutes sortes faisaient antichambre. Pas lui. Bongo était tout à la fois son client, peut-être son ami, et en tout cas le parrain de la petite fille qu'il a eue, tardivement, d'une liaison adultérine assumée, y compris par son épouse- Bourgi étant lui-même le parrain de l'un des fils de Bongo.
Robert Bourgi a toujours appelé Omar Bongo, à l'africaine, "papa". Le secrétaire d'Etat français chargé de la coopération, Alain Joyandet, se souvient de l'avoir vu entrer sans frapper dans la suite du président pour s'introduire sans façon au milieu de leur conversation.
Autant dire que la mort du chef d'Etat gabonais et l'élection présidentielle du dimanche 30 août sont un enjeu majeur pour celui qui se targue d'être le fils spirituel de Jacques Foccart - grand ordonnateur du gaullisme en Afrique et des réseaux qui s'assurèrent après les indépendances de la soumission des anciennes colonies africaines aux intérêts de la France.
C'est Robert Bourgi qui a laissé filtrer, le 7 juin, d'un coup de fil au Point, la nouvelle de la mort d'Omar Bongo. "Ce soir-là, il était mort cliniquement. Je ne sais même pas s'il n'était pas parti avant", glisse-t-il tranquillement. Quelques heures plus tard, malgré les démentis farouches de l'Etat gabonais, l'AFP confirmait la mort du doyen de la Françafrique, citant "une source proche du gouvernement français", qui, à en croire Bourgi, n'était autre que... lui-même.
Existe-t-il plus haut attribut du pouvoir que de décider de l'heure de la mort d'autrui ? Ce fut, en tout cas, la façon la plus efficace de signifier au plus haut sommet des Etats français et gabonais un message clair : il faudrait compter avec lui pour gérer la succession.
Depuis l'élection de Nicolas Sarkozy, le franc-tireur Robert Bourgi est partie prenante de la politique africaine de l'Etat. Dans la galaxie foisonnante des intermédiaires et des communicants qui vendent leur influence aux dirigeants africains, il occupe une place à part. "Je suis un ami très écouté de Nicolas Sarkozy", insiste-t-il.
Cet été, il a mis toute son énergie au service de l'élection de son poulain, Ali Ben Bongo, fils et héritier du président défunt qu'il présente comme "le meilleur défenseur des intérêts français dans tous les domaines". Mais son candidat est aussi son client : "Si Ali Bongo n'est pas élu, Bourgi perd l'un de ses derniers gros marchés", résume un haut diplomate.
D'où vient que ce sexagénaire chaleureux, né à Dakar dans une famille de grands commerçants libanais et "initié à l'Afrique par M. Foccart", ait gardé tant d'influence à droite, notamment auprès d'un Nicolas Sarkozy qui, lors de sa campagne, promettait d'en finir avec ces réseaux parallèles à la diplomatie ?
D'un sens aigu de la psychologie du pouvoir. D'un charme à la fois viril et désuet. D'un goût affirmé de la discrétion. Et d'un très solide réseau. Car Robert Bourgi, fils d'un riche importateur de textile, a su faire fructifier ses connaissances. Son père a noué des relations d'affaires avec Jacques Foccart. Le conseiller de De Gaulle, puis de Georges Pompidou, dirige alors une société d'import-export de tissu, la Safiex, "en relation d'affaires avec papa, un richissime importateur de textile" à Dakar.
Mahmoud Bourgi, gaulliste de la première heure, est l'un des premiers inscrits au Rassemblement du peuple français (RPF). Son fils écrit donc à Foccart, lorsque, après des études de droit en France, il cherche une situation. Sa thèse de doctorat d'Etat a porté sur "Le général de Gaulle et l'Afrique noire". Il enseigne le droit comme coopérant à Cotonou, Nouackchott puis Abidjan. Il rêve de mieux.
A la faculté d'Abidjan, il a rencontré Laurent Gbagbo, alors professeur d'histoire, qui deviendra en 2000 président de la Côte d'Ivoire. Jacques Foccart n'a pas de successeur. Mais il introduit Bourgi auprès de Jacques Chirac. et surtout, en 1978, auprès de l'homme-clé de l'Afrique de l'époque, l'inventeur du concept de Françafrique, le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny. Les relations avec le président du Congo, Denis Sassou Nguesso, puis avec Omar Bongo suivront.
Avec tous, Robert Bourgi copie ce mélange de déférence apparente et de familiarité propre à Foccart et y ajoute son humour et sa chaleur orientale. En France, il s'est immiscé avec le même entregent dans les milieux politiques, auprès de Jacques Chirac, de Charles Pasqua - avec lequel il se fâchera - et de Nicolas Sarkozy, rencontré en 1983 au siège du RPR, "un gamin brillantissime", dit-il.
En 1997, la mort de Jacques Foccart menace soudain de le fragiliser. Il va jouer son coup de maître. Le jour de l'enterrement, alors qu'il pleure comme un enfant la mort de ce "second père", Chirac le prend dans ses bras et le convie à passer le soir même à l'Elysée. Il y a là son secrétaire général Dominique de Villepin. Et Jacques Chirac adoube Robert Bourgi : "Vous allez travailler ensemble, Dominique et vous. Si je ne suis pas disponible, c'est lui qui vous recevra." Désormais, Bourgi initiera Villepin à l'Afrique.
Raphaëlle Bacqué
Source : Le Monde