
Depuis un certain temps, je m’interroge sur la portée de ce que l’on pourrait appeler la lutte pour l’égalité des Noirs de Mauritanie.
En effet, la valeur d’une lutte se mesure à la portée de ses résultats. De nombreuses actions sont menées par-ci et par-là par des mouvements noirs, mais quelle est véritablement leur impact sur le sort de leurs semblables et sur les dirigeants mauritaniens.
Je peine à trouver un angle d’attaque du sujet, car je pars d’un sentiment que je vais tenter de percer.
Il serait exagéré de dire que toutes les actions entamées n’ont abouti à rien. A titre d’exemple, la sensibilisation faite sur la Mauritanie à l’étranger dans les années quatre vingt dix ont eu un résultat, même si elles n’ont pas conduit au départ de l’ancien chef de l’Etat, Muawiya Ould Sid Ahmed Taya (1984-1995). Elles ont, au moins, permis de sensibiliser l’opinion internationale sur la situation des négro-mauritaniens et ont largement gêné les déplacements du chef de l’Etat et ses relations avec les dirigeants étrangers. Ainsi, on peut dire qu’elles ont participé à un relatif isolement de Taya.
En ce qui concerne l’esclavage, une action de sensibilisation internationale s’est ajoutée à une lutte interne qui a commencé depuis les années 1970 et a permis de mieux faire connaître le problème hors des frontières mauritaniennes. Il existe aujourd’hui une législation qui interdit l’esclavage. Il reste que les pratiques esclavagistes demeurent.
A l’intérieur du pays, des voix se sont élevées pour dénoncer la discrimination, l’esclavage et le racisme. Mais d’une manière générale, on peut dire que la lutte menée sur place, comme à l’étranger, n’a pas été à la hauteur des défis. Il a fallu un coup d’état mené par des militaires pour débarquer Ould Taya. Ce coup d’Etat a été commandité et dirigé par des maures. En plus, jusqu’à ce jour, l’ancien président n’est pas poursuivi pour crime contre l’humanité. Tout cela montre les limites du grouillement noir.
Aujourd’hui, en Mauritanie, malgré le départ de Ould Taya, le racisme, l‘esclavage, les discriminations sont des phénomènes sociaux vivants.
La lutte noire est encore très peu porteuse, du fait qu’elle n’a pas été capable de créer un élan de masse bien ancré. Elle a souvent été le fait d’une minorité qui, par ailleurs s’entredéchire, plus pour des problèmes d’égo ou d’opportunisme que pour des questions de fond ou d’efficacité.
De nombreux Noirs mauritaniens croient qu’il suffit d’avoir son nom sur Internet pour agir sur le destin du pays. Certains articles ou messages ne sont d’ailleurs que des défouloirs où les uns et les autres règlent leurs comptes. Quel triste spectacle !
D’autres pensent qu’organiser une manifestation à Paris fait d’eux de grands militants qui vont changer le destin de leurs semblables. De nombreux manifestants défilent pour être vus ou dans l’espoir d’avoir des papiers. Certains mauritaniens vont même jusqu’à s’impliquer dans des organisations ou en créer dans le seul but d’être régularisés. Une fois leur situation réglée, ils disparaissent dans la nature ou dévoilent leur vraie nature.
La question de l’inégalité est sérieuse et dramatique. De nombreux mauritaniens sont esclaves ou affranchis. En plus, même affranchis, ils restent des êtres inférieurs aux Maures et aux Négro-mauritaniens. Les Négro-mauritaniens ont connu la déportation, l’assassinat et sont considérés par de nombreux Maures comme des êtres inférieurs. Il s’agit d’une réalité tragique. On ne peut pas jouer avec des choses d’une telle cruauté ni les utiliser juste pour satisfaire son ego.
Face à un problème dramatique, les actions menées pour l’éradiquer doivent être à la hauteur de sa gravité.
On aurait espéré que la chute de Muawiya ouvrirait une nouvelle ère ou toutes les discriminations seraient bannies. On aurait pu penser que Maures et Noirs lutteraient aujourd’hui ensemble pour le développement du pays, les libertés publiques, l’éducation etc. Mais voilà que le racisme et l’esclavage demeurent et les communautés sont séparées.
Il est désolant de voir à l’université de Nouakchott Maures et Noirs s’affronter. L’université est un haut lieu où se dessine l’avenir d’un pays. Les combats ne devaient pas y tourner autour des appartenances particulières, mais autour de sujets relatifs à l’éducation, l’avenir. Mais en Mauritanie, les préoccupations se posent en termes d’appartenance.
A l’Université de Nouakchott, il y a eu récemment des heurts communautaires. « Ces événements que l’IMEJ déplore, étaient pourtant prévisibles eu égard à l’attitude très souvent raciste et partisane de l’administration universitaire, elle-même reflet du racisme d’Etat qui sévit contre les populations noires de Mauritanie.
En se faisant complice de fraudes en faveur des syndicats d’étudiants maures contre les syndicats des étudiants négro-africains, l’administration de l’Université de Nouakchott a prouvé comme à ses habitudes qu’elle était administrée par un groupe nassero-bathiste qui profite de toutes les occasions pour marginaliser voire opprimer les étudiants noirs de Mauritanie. »1
J’ai toujours été choqué, ces dernières années, contrairement à ce qui se passaient dans les années 70, par la difficulté de rassembler Maures et Noirs autour d’idéaux. Après des années d’observation, en dehors de certains extrémistes noirs, je peux dire que, par expérience, le problème vient surtout des Maures.
Je vais m’en expliquer car il s’agit d’un vécu.
Quand je suis arrivé en France, j’ai tout de suite été frappé par les conflits de personnes au sein des mouvements mauritaniens qui d’ailleurs n’étaient composés que de Noirs. J’ai donc pris ma distance. Mon travail de sensibilisation, je l’ai commencé avec des Français. Nous sommes parvenus, grâce à un travail méthodique, à de merveilleux résultats. Notre action a eu un large écho. Nous avons eu le soutien de personnalités comme Monseigneur Gaillot, Med Hondo, Idir, Tshalamouana, de personnalités de différents ministères, des anonymes influents.
Il arriva un temps ou nous nous dîmes qu’il était nécessaire de rassembler l’ensemble des mauritaniens qui luttent contre le régime de Ould Taya pour plus d’efficacité. C’est ainsi que fut créé le premier Collectif de Défense Droits de l’Homme en Mauritanie en France, que j’ai dirigé. Mais très tôt, les questions de personnes et d’appartenance à des mouvements, de récupération se posèrent. Mes amis français voyant la nature tragique de la scène, s’éclipsèrent.
Ce qui m’a le plus marqué, c’est quand s’est posé la question d’intégrer des Maures dans le collectif. Sous l’influence de certains extrémistes, les membres des associations négro-mauritaniennes ne voulaient pas de maures au sein du collectif. Je me suis battu contre vents et marées pour que le collectif soit ouvert à tous les Mauritaniens, quelle que soit leur race ou ethnie. Mais, au fur et à mesure, je me suis rendu compte pourquoi il y avait une certaine résistance de la part des Négro-mauritaniens.
En effet, les Maures qui étaient membres du collectif se croyaient supérieurs et plus intelligents que les Noirs. Il s’évertuaient à manipuler les Noirs, les uns contre les autres avec des facultés de mensonge et d’illusionnisme incommensurables, pour assurer leur domination. Quand je compris ce qui se passait j’eus des clashs avec certains maures avec lesquels je pensais sincèrement travailler dans un esprit d’honnêteté, d'égalité et de respect. J’étais tellement désespéré que je finis par claquer la porte pour cette raison et pour d’autres car, du côté négro-mauritanien, il y avait d’autres problèmes liés à la féodalité, l’ignorance, l’égocentrisme.
Il ne s’agit que d’une expérience. Je sais que tous les Maures ne sont pas comme cela qu’il y a des exceptions mais qu’il s’agit là d’un phénomène culturel facilement observable. Ensuite, les mentalités changent. Une bonne éducation pourrait faire évoluer rapidement les états d’esprit.
La Mauritanie ne pourra se faire sans que Maures et Noirs travaillent dans un respect mutuel, dépassant leurs catégories d’origine, pour des idéaux justes. Aujourd’hui, la grande difficulté vient de là.
Les étudiants mauritaniens sont divisés, en Mauritanie, en France et ailleurs, sur des bases ethniques. Cela donne peu d’espoir. Il reste que les Noirs doivent savoir que pour être respectés, il faudrait d’abord qu’ils se respectent eux-mêmes. Si n’importe quel Maure peu les duper, c’est qu’ils ont un problème quelque part. Ensuite, il faudra une rigueur dans leurs actions. Je suis alarmé par la folklorisation de la lutte des Noirs. Ce n’est pas par des fanfaronnades que les Sud-Africains et les Afro-américains ont gagné leur liberté. Ces peuples étaient déterminés et sérieux, prêts à des sacrifices. Les Noirs de Mauritanie ont de sérieux problèmes par rapport à eux–mêmes. Il s’agit d’une question de conscience grave, sur laquelle chacun doit méditer.
Oumar Diagne
Ecrivain
Source: Oumar Diagne
En effet, la valeur d’une lutte se mesure à la portée de ses résultats. De nombreuses actions sont menées par-ci et par-là par des mouvements noirs, mais quelle est véritablement leur impact sur le sort de leurs semblables et sur les dirigeants mauritaniens.
Je peine à trouver un angle d’attaque du sujet, car je pars d’un sentiment que je vais tenter de percer.
Il serait exagéré de dire que toutes les actions entamées n’ont abouti à rien. A titre d’exemple, la sensibilisation faite sur la Mauritanie à l’étranger dans les années quatre vingt dix ont eu un résultat, même si elles n’ont pas conduit au départ de l’ancien chef de l’Etat, Muawiya Ould Sid Ahmed Taya (1984-1995). Elles ont, au moins, permis de sensibiliser l’opinion internationale sur la situation des négro-mauritaniens et ont largement gêné les déplacements du chef de l’Etat et ses relations avec les dirigeants étrangers. Ainsi, on peut dire qu’elles ont participé à un relatif isolement de Taya.
En ce qui concerne l’esclavage, une action de sensibilisation internationale s’est ajoutée à une lutte interne qui a commencé depuis les années 1970 et a permis de mieux faire connaître le problème hors des frontières mauritaniennes. Il existe aujourd’hui une législation qui interdit l’esclavage. Il reste que les pratiques esclavagistes demeurent.
A l’intérieur du pays, des voix se sont élevées pour dénoncer la discrimination, l’esclavage et le racisme. Mais d’une manière générale, on peut dire que la lutte menée sur place, comme à l’étranger, n’a pas été à la hauteur des défis. Il a fallu un coup d’état mené par des militaires pour débarquer Ould Taya. Ce coup d’Etat a été commandité et dirigé par des maures. En plus, jusqu’à ce jour, l’ancien président n’est pas poursuivi pour crime contre l’humanité. Tout cela montre les limites du grouillement noir.
Aujourd’hui, en Mauritanie, malgré le départ de Ould Taya, le racisme, l‘esclavage, les discriminations sont des phénomènes sociaux vivants.
La lutte noire est encore très peu porteuse, du fait qu’elle n’a pas été capable de créer un élan de masse bien ancré. Elle a souvent été le fait d’une minorité qui, par ailleurs s’entredéchire, plus pour des problèmes d’égo ou d’opportunisme que pour des questions de fond ou d’efficacité.
De nombreux Noirs mauritaniens croient qu’il suffit d’avoir son nom sur Internet pour agir sur le destin du pays. Certains articles ou messages ne sont d’ailleurs que des défouloirs où les uns et les autres règlent leurs comptes. Quel triste spectacle !
D’autres pensent qu’organiser une manifestation à Paris fait d’eux de grands militants qui vont changer le destin de leurs semblables. De nombreux manifestants défilent pour être vus ou dans l’espoir d’avoir des papiers. Certains mauritaniens vont même jusqu’à s’impliquer dans des organisations ou en créer dans le seul but d’être régularisés. Une fois leur situation réglée, ils disparaissent dans la nature ou dévoilent leur vraie nature.
La question de l’inégalité est sérieuse et dramatique. De nombreux mauritaniens sont esclaves ou affranchis. En plus, même affranchis, ils restent des êtres inférieurs aux Maures et aux Négro-mauritaniens. Les Négro-mauritaniens ont connu la déportation, l’assassinat et sont considérés par de nombreux Maures comme des êtres inférieurs. Il s’agit d’une réalité tragique. On ne peut pas jouer avec des choses d’une telle cruauté ni les utiliser juste pour satisfaire son ego.
Face à un problème dramatique, les actions menées pour l’éradiquer doivent être à la hauteur de sa gravité.
On aurait espéré que la chute de Muawiya ouvrirait une nouvelle ère ou toutes les discriminations seraient bannies. On aurait pu penser que Maures et Noirs lutteraient aujourd’hui ensemble pour le développement du pays, les libertés publiques, l’éducation etc. Mais voilà que le racisme et l’esclavage demeurent et les communautés sont séparées.
Il est désolant de voir à l’université de Nouakchott Maures et Noirs s’affronter. L’université est un haut lieu où se dessine l’avenir d’un pays. Les combats ne devaient pas y tourner autour des appartenances particulières, mais autour de sujets relatifs à l’éducation, l’avenir. Mais en Mauritanie, les préoccupations se posent en termes d’appartenance.
A l’Université de Nouakchott, il y a eu récemment des heurts communautaires. « Ces événements que l’IMEJ déplore, étaient pourtant prévisibles eu égard à l’attitude très souvent raciste et partisane de l’administration universitaire, elle-même reflet du racisme d’Etat qui sévit contre les populations noires de Mauritanie.
En se faisant complice de fraudes en faveur des syndicats d’étudiants maures contre les syndicats des étudiants négro-africains, l’administration de l’Université de Nouakchott a prouvé comme à ses habitudes qu’elle était administrée par un groupe nassero-bathiste qui profite de toutes les occasions pour marginaliser voire opprimer les étudiants noirs de Mauritanie. »1
J’ai toujours été choqué, ces dernières années, contrairement à ce qui se passaient dans les années 70, par la difficulté de rassembler Maures et Noirs autour d’idéaux. Après des années d’observation, en dehors de certains extrémistes noirs, je peux dire que, par expérience, le problème vient surtout des Maures.
Je vais m’en expliquer car il s’agit d’un vécu.
Quand je suis arrivé en France, j’ai tout de suite été frappé par les conflits de personnes au sein des mouvements mauritaniens qui d’ailleurs n’étaient composés que de Noirs. J’ai donc pris ma distance. Mon travail de sensibilisation, je l’ai commencé avec des Français. Nous sommes parvenus, grâce à un travail méthodique, à de merveilleux résultats. Notre action a eu un large écho. Nous avons eu le soutien de personnalités comme Monseigneur Gaillot, Med Hondo, Idir, Tshalamouana, de personnalités de différents ministères, des anonymes influents.
Il arriva un temps ou nous nous dîmes qu’il était nécessaire de rassembler l’ensemble des mauritaniens qui luttent contre le régime de Ould Taya pour plus d’efficacité. C’est ainsi que fut créé le premier Collectif de Défense Droits de l’Homme en Mauritanie en France, que j’ai dirigé. Mais très tôt, les questions de personnes et d’appartenance à des mouvements, de récupération se posèrent. Mes amis français voyant la nature tragique de la scène, s’éclipsèrent.
Ce qui m’a le plus marqué, c’est quand s’est posé la question d’intégrer des Maures dans le collectif. Sous l’influence de certains extrémistes, les membres des associations négro-mauritaniennes ne voulaient pas de maures au sein du collectif. Je me suis battu contre vents et marées pour que le collectif soit ouvert à tous les Mauritaniens, quelle que soit leur race ou ethnie. Mais, au fur et à mesure, je me suis rendu compte pourquoi il y avait une certaine résistance de la part des Négro-mauritaniens.
En effet, les Maures qui étaient membres du collectif se croyaient supérieurs et plus intelligents que les Noirs. Il s’évertuaient à manipuler les Noirs, les uns contre les autres avec des facultés de mensonge et d’illusionnisme incommensurables, pour assurer leur domination. Quand je compris ce qui se passait j’eus des clashs avec certains maures avec lesquels je pensais sincèrement travailler dans un esprit d’honnêteté, d'égalité et de respect. J’étais tellement désespéré que je finis par claquer la porte pour cette raison et pour d’autres car, du côté négro-mauritanien, il y avait d’autres problèmes liés à la féodalité, l’ignorance, l’égocentrisme.
Il ne s’agit que d’une expérience. Je sais que tous les Maures ne sont pas comme cela qu’il y a des exceptions mais qu’il s’agit là d’un phénomène culturel facilement observable. Ensuite, les mentalités changent. Une bonne éducation pourrait faire évoluer rapidement les états d’esprit.
La Mauritanie ne pourra se faire sans que Maures et Noirs travaillent dans un respect mutuel, dépassant leurs catégories d’origine, pour des idéaux justes. Aujourd’hui, la grande difficulté vient de là.
Les étudiants mauritaniens sont divisés, en Mauritanie, en France et ailleurs, sur des bases ethniques. Cela donne peu d’espoir. Il reste que les Noirs doivent savoir que pour être respectés, il faudrait d’abord qu’ils se respectent eux-mêmes. Si n’importe quel Maure peu les duper, c’est qu’ils ont un problème quelque part. Ensuite, il faudra une rigueur dans leurs actions. Je suis alarmé par la folklorisation de la lutte des Noirs. Ce n’est pas par des fanfaronnades que les Sud-Africains et les Afro-américains ont gagné leur liberté. Ces peuples étaient déterminés et sérieux, prêts à des sacrifices. Les Noirs de Mauritanie ont de sérieux problèmes par rapport à eux–mêmes. Il s’agit d’une question de conscience grave, sur laquelle chacun doit méditer.
Oumar Diagne
Ecrivain
Source: Oumar Diagne