L’investiture de Mohamed Ould Abdelaziz, le 5 août, a sonné l’heure du départ pour Ba M’Baré. Un départ sans tambour ni trompette, à l’image de cet homme de 62 ans qui fut, pendant près de cent jours, un président p ar intérim très discret. Et pour cause : chef de l’État autoproclamé depuis son putsch du 6 août 2008, « Aziz » a démissionné le 15 avril pour être candidat à la présidentielle du 18 juillet ; en tant que président du Sénat, Ba M’Baré l’a remplacé. Mais sur le papier seulement, le général n’ayant pas lâché les commandes.
Si furtif soit-il, l’épisode Ba M’Baré a néanmoins valeur de symbole : originaire de Maghama, dans le Gorgol, région frontalière du Sénégal, il est le premier Négro-Mauritanien à avoir été chef de l’État. Depuis l’indépendance, la fonction est restée le monopole des Arabo-Berbères, qui détiennent la quasi-totalité du pouvoir économique et politique. Ba M’Baré tirant sa révérence, les Négro-Mauritaniens vont-ils de nouveau être mis à l’écart ? Abdelaziz leur doit en partie son élection au premier tour, avec 52,47 % des voix (résultat qui a fait l’objet d’une demande d’enquête par deux candidats défaits). Dans la vallée du fleuve Sénégal, il a même raflé certains bastions à l’un de leurs principaux leaders, Ibrahima Sarr, militant du partage du pouvoir entre communautés et cofondateur, dans les années 1980, des Forces de libération des Africains de Mauritanie (Flam).
Blessures vives
Exemple dans la ville de Kaédi, baignée par les eaux du Sénégal : à la présidentielle de mars 2007, Ibrahima Sarr y arrive en tête, avec 36,26 % des voix ; le 18 juillet, il doit se contenter d’un petit 12,93 %, quand le futur vainqueur l’emporte haut la main avec 43,93 % des suffrages. Même scénario à Boghé, une cinquantaine de kilomètres plus loin : 37,18 % pour Aziz, contre 18,86 % pour Sarr, qui, deux ans plus tôt, dépassait la barre des 35 %. Au final, Sarr, arrivé quatrième à l’issue du premier tour de mars 2007, avec 7,94 % des voix, a vu son score national chuter à 4,59 %. « Vu ce qu’Aziz nous a pris, ce résultat, on l’a arraché de haute lutte », commente-t-il. Assis sur un canapé en cuir blanc assorti à son boubou, il réfléchit à son échec dans un salon de son siège de campagne : « Ce qui a donné à Aziz son aura dans la vallée, c’est le rapatriement des réfugiés et ce qu’il a commencé à faire avec les victimes des exactions », conclut-il.
Deux références aux pages sombres de l’histoire nationale : au tournant des années 1980, sous le régime de Maaouiya Ould Taya (au pouvoir de 1984 à 2005), le racisme se généralise jusqu’au sein de l’État. Des dizaines de milliers de Négro-Mauritaniens sont contraints de fuir au Sénégal et au Mali pendant que des centaines d’autres, surtout dans l’armée et l’administration, subissent des exactions cruelles – et souvent mortelles. Pendant près de quinze ans, le pouvoir a ignoré, voire caché, ces blessures encore vives. L’histoire officielle n’en faisait que pudiquement mention, utilisant l’euphémisme de « passif humanitaire ». Un tabou qu’Aziz s’est employé à briser. Avant lui, Sidi Ould Cheikh Abdallahi (renversé par le putsch du 6 août 2008) avait commencé à faire de même, tenant sa promesse de campagne : le rapatriement en Mauritanie des « déguerpis », qui, souvent privés de papiers d’identité, spoliés de leurs terres et de leurs biens, s’étaient exilés au Sénégal, avec le statut de « réfugié international ». Aujourd’hui, 13 000 réfugiés sont rentrés au pays.
Discours « historique »
Autre versant du passif humanitaire : les exactions. Le 25 mars, alors qu’il était encore chef de la junte, Aziz s’est rendu à Kaédi pour un discours que certains Négro-Mauritaniens ont qualifié d’« historique ». Le visage grave, il a évoqué « l’affliction causée à des dizaines de familles par l’ignorance et la barbarie de l’homme » et, dans la foulée, a assisté à une grande prière à la mémoire des victimes des années Ould Taya. Pour finalement accéder à une revendication que les familles des victimes des « années de braise » s’échinaient à défendre depuis des années : l’indemnisation des veuves et des orphelins.
Officielle, publique, sans ambiguïté : une telle commémoration est inédite en Mauritanie. Jamais un homme politique n’avait pris ainsi le risque de s’aliéner une partie de l’élite arabo-berbère. Le geste est d’autant plus surprenant que son auteur est un ancien afffidé de Maaouiya Ould Taya, celui qui, pendant près de vingt ans, à la tête du Bataillon de la sécurité présidentielle, lui a accordé une protection de tous les instants.
Calcul politique ou non – Aziz était à l’époque en campagne pour la présidentielle –, l’initiative a payé. Contrairement à d’autres militaires en service durant les « années de braise » – notamment le colonel Ely Ould Mohamed Vall, directeur de la Sûreté à l’époque et candidat le 18 juillet –, il ne suscite pas la rancœur chez les Négro-Mauritaniens. « Chacun sait qu’il n’est pas impliqué dans le passif humanitaire, reconnaît Kane Hamidou Baba, vice-président du Rassemblement des forces démocratiques (RFD), premier parti du pays, et originaire de la vallée. On ne lui connaît pas de positions racistes. » Plus généralement, l’homme a réussi le tour de force de passer pour le candidat anti-Ould Taya, figure honnie des Négro-Mauritaniens, et de présenter ses principaux adversaires comme des continuateurs de ce système, en faisant notamment remarquer que parmi leurs soutiens se trouvaient des auteurs du « pillage à ciel ouvert » du pays. Désormais investi, Aziz aura-t-il les coudées franches pour être ce président du changement espéré par les Négro-Mauritaniens ? Certains parmi eux exigent que les responsables des « années de braise » soient jugés. « Aziz marche sur des œufs », prévient l’un d’entre eux.
jeune afrique
Si furtif soit-il, l’épisode Ba M’Baré a néanmoins valeur de symbole : originaire de Maghama, dans le Gorgol, région frontalière du Sénégal, il est le premier Négro-Mauritanien à avoir été chef de l’État. Depuis l’indépendance, la fonction est restée le monopole des Arabo-Berbères, qui détiennent la quasi-totalité du pouvoir économique et politique. Ba M’Baré tirant sa révérence, les Négro-Mauritaniens vont-ils de nouveau être mis à l’écart ? Abdelaziz leur doit en partie son élection au premier tour, avec 52,47 % des voix (résultat qui a fait l’objet d’une demande d’enquête par deux candidats défaits). Dans la vallée du fleuve Sénégal, il a même raflé certains bastions à l’un de leurs principaux leaders, Ibrahima Sarr, militant du partage du pouvoir entre communautés et cofondateur, dans les années 1980, des Forces de libération des Africains de Mauritanie (Flam).
Blessures vives
Exemple dans la ville de Kaédi, baignée par les eaux du Sénégal : à la présidentielle de mars 2007, Ibrahima Sarr y arrive en tête, avec 36,26 % des voix ; le 18 juillet, il doit se contenter d’un petit 12,93 %, quand le futur vainqueur l’emporte haut la main avec 43,93 % des suffrages. Même scénario à Boghé, une cinquantaine de kilomètres plus loin : 37,18 % pour Aziz, contre 18,86 % pour Sarr, qui, deux ans plus tôt, dépassait la barre des 35 %. Au final, Sarr, arrivé quatrième à l’issue du premier tour de mars 2007, avec 7,94 % des voix, a vu son score national chuter à 4,59 %. « Vu ce qu’Aziz nous a pris, ce résultat, on l’a arraché de haute lutte », commente-t-il. Assis sur un canapé en cuir blanc assorti à son boubou, il réfléchit à son échec dans un salon de son siège de campagne : « Ce qui a donné à Aziz son aura dans la vallée, c’est le rapatriement des réfugiés et ce qu’il a commencé à faire avec les victimes des exactions », conclut-il.
Deux références aux pages sombres de l’histoire nationale : au tournant des années 1980, sous le régime de Maaouiya Ould Taya (au pouvoir de 1984 à 2005), le racisme se généralise jusqu’au sein de l’État. Des dizaines de milliers de Négro-Mauritaniens sont contraints de fuir au Sénégal et au Mali pendant que des centaines d’autres, surtout dans l’armée et l’administration, subissent des exactions cruelles – et souvent mortelles. Pendant près de quinze ans, le pouvoir a ignoré, voire caché, ces blessures encore vives. L’histoire officielle n’en faisait que pudiquement mention, utilisant l’euphémisme de « passif humanitaire ». Un tabou qu’Aziz s’est employé à briser. Avant lui, Sidi Ould Cheikh Abdallahi (renversé par le putsch du 6 août 2008) avait commencé à faire de même, tenant sa promesse de campagne : le rapatriement en Mauritanie des « déguerpis », qui, souvent privés de papiers d’identité, spoliés de leurs terres et de leurs biens, s’étaient exilés au Sénégal, avec le statut de « réfugié international ». Aujourd’hui, 13 000 réfugiés sont rentrés au pays.
Discours « historique »
Autre versant du passif humanitaire : les exactions. Le 25 mars, alors qu’il était encore chef de la junte, Aziz s’est rendu à Kaédi pour un discours que certains Négro-Mauritaniens ont qualifié d’« historique ». Le visage grave, il a évoqué « l’affliction causée à des dizaines de familles par l’ignorance et la barbarie de l’homme » et, dans la foulée, a assisté à une grande prière à la mémoire des victimes des années Ould Taya. Pour finalement accéder à une revendication que les familles des victimes des « années de braise » s’échinaient à défendre depuis des années : l’indemnisation des veuves et des orphelins.
Officielle, publique, sans ambiguïté : une telle commémoration est inédite en Mauritanie. Jamais un homme politique n’avait pris ainsi le risque de s’aliéner une partie de l’élite arabo-berbère. Le geste est d’autant plus surprenant que son auteur est un ancien afffidé de Maaouiya Ould Taya, celui qui, pendant près de vingt ans, à la tête du Bataillon de la sécurité présidentielle, lui a accordé une protection de tous les instants.
Calcul politique ou non – Aziz était à l’époque en campagne pour la présidentielle –, l’initiative a payé. Contrairement à d’autres militaires en service durant les « années de braise » – notamment le colonel Ely Ould Mohamed Vall, directeur de la Sûreté à l’époque et candidat le 18 juillet –, il ne suscite pas la rancœur chez les Négro-Mauritaniens. « Chacun sait qu’il n’est pas impliqué dans le passif humanitaire, reconnaît Kane Hamidou Baba, vice-président du Rassemblement des forces démocratiques (RFD), premier parti du pays, et originaire de la vallée. On ne lui connaît pas de positions racistes. » Plus généralement, l’homme a réussi le tour de force de passer pour le candidat anti-Ould Taya, figure honnie des Négro-Mauritaniens, et de présenter ses principaux adversaires comme des continuateurs de ce système, en faisant notamment remarquer que parmi leurs soutiens se trouvaient des auteurs du « pillage à ciel ouvert » du pays. Désormais investi, Aziz aura-t-il les coudées franches pour être ce président du changement espéré par les Négro-Mauritaniens ? Certains parmi eux exigent que les responsables des « années de braise » soient jugés. « Aziz marche sur des œufs », prévient l’un d’entre eux.
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