
‘’La position ostentatoirement partisane du président de l’Union Africaine (UA), mandaté par la communauté internationale pour trouver un agenda consensuel entre les différentes parties de la crise mauritanienne, signe l’échec de cette médiation’’
Farouchement opposé au coup d’Etat du 6 août dernier ayant renversé le pouvoir du président élu, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, qu’il a soutenu, lors du deuxième tour des présidentielles de 2007 – occasion d’un tollé, général, des opposants au régime d’Ould Taya, avec, en tête, Ahmed Ould Daddah, ultime challenger, désigné par les urnes, de Sidioca – le président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir garde, tout entier, verve et franc-parler…L’homme reste convaincu que le coup d’Etat du général Aziz échouera et que la démocratie triomphera.
Le Calame : Le président Kadhafi, désigné par le groupe consultatif de Paris, pour trouver un consensus entre les différentes parties, vient de passer quelques jours, en Mauritanie, après avoir reçu, chez lui, les protagonistes. Dans son discours, le président de l’UA a donné une espèce de quitus à l’agenda de la junte, au pouvoir depuis le 6 août 2008. Considérez-vous cette médiation comme un échec? Ce quitus arrêterait-il, comme il l’a dit, le processus des sanctions ciblées, décrétées par l’UA, contre la junte et ses soutiens?
Messaoud Ould Boulkheir : Oui, à mon niveau personnel et je pense, aussi, que c’est le cas au niveau du FNDD, nous considérons que c’est un échec. La position, ostentatoirement partisane, du président de l’Union Africaine (UA), mandaté par la communauté internationale pour, comme vous l’avez dit, trouver un agenda consensuel entre les différentes parties de la crise mauritanienne, signe l’échec de cette médiation.
Je crois que notre réaction le démontre clairement. Il appartient, maintenant, à la communauté internationale, au groupe de contact qui ont mandaté le président de l’UA, de prendre la décision finale, de déterminer une position officielle, par rapport à ce qui s’est passé à Nouakchott. Pour notre part, nous n’avons ménagé aucun effort, malgré certaines réserves, émises, ici et là, par certains, et qui ont fini par se vérifier, sur le terrain, quant à l’implication du guide libyen dans la crise mauritanienne. Nous avons dit, dès le départ, qu’il fallait être bon joueur, éviter d’émettre un jugement sur l’arbitre avant le coup d’envoi du match. Et nous avions de solides arguments : l’UA n’a-t-elle pas, elle-même, pris position contre le coup d’Etat? Son Conseil de Paix et de Sécurité (CPS), comité de pilotage en cette affaire, n’a-t-il pas, déjà, initié des sanctions ciblées, contre les membres de la junte et ses soutiens? Ne démarchait-elle pas le groupe de contact, afin, justement, que celui-ci lui emboîte le pas? N’a-t-elle pas saisi le Conseil de Sécurité de l’ONU, pour donner un caractère obligatoire et international à d’éventuelles sanctions? Aussi disons-nous qu’avec tous ces éléments, le président de cette institution ne pouvait pas aller à contre-courant de ce qu’elle a, elle-même, décidé. Le deuxième type d’arguments, qui a plaidé contre toute réserve vis-à-vis de la médiation libyenne, c’est que Kadhafi est un leader d’un pays-membre du Maghreb Arabe, de la Ligue Arabe, dont nous sommes, nous aussi, membres, que c’est un voisin, un leader d’un pays qui a, toujours, accordé une certaine importance aux problèmes mauritaniens et que nous connaissons, enfin, beaucoup de bonnes choses, réalisées par nos frères libyens pour la Mauritanie, dans sa marche vers le progrès. Par conséquent, nous pouvions, légitimement, douter que cette médiation entérine des positions qui n’aillent pas dans le sens du progrès et du développement de notre pays, de cette marche universelle vers la liberté, vers la démocratie. Voilà pourquoi avons-nous ignoré toutes les réserves exprimées, ici et là. Nous avons, également, tu les propos que nous avait tenus, en Libye, le président de l’UA, propos dans le même sens de ce qu’il a dit ici. En gros, il nous avait fait comprendre que le coup d’Etat était un fait accompli, qu’il fallait faire avec, que le retour à la situation d’avant le 6 août était irréaliste, qu’en Afrique, il y a plus de quarante pays gouvernés par les militaires, que les militaires sont partie intégrante de la société, ce ne sont pas des israéliens, encore moins des ennemis étrangers, que ce sont des Mauritaniens, comme tous les autres, et qu’à l’instar des Turcs ou des Egyptiens, ils veulent le bien de leur peuple. J’ai eu, très sincèrement, le sentiment que c’était, même, sa propre position, plutôt que celle du HCE. Mais nous avons, pourtant, tu tout cela, nous avons continué à espérer qu’il ne s’agissait, là, que de simples pressions exercées sur une partie des protagonistes de la crise et qu’il exerçait des pressions, contraires, sur la junte. Tout le monde s’est dit qu’il ne pouvait pas afficher, de manière aussi claire, une position aussi partisane. Tactique de négociation, en somme. Mais, hélas, lors de l’huis-clos qui a précédé la plénière, il a réitéré ses propos, s’exprimant, sans équivoque, en faveur des militaires. Le constat s’avérait donc : Kadhafi appuyait, ouvertement, l’agenda des putschistes et leurs parlementaires présents, disant que le retour du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi était inenvisageable, qu’il occasionnerait des troubles dans le pays. Que le général Ould Abdel Aziz allait démissionner, le moment venu, qu’il y aura des élections. Nous pensions que ce que disait le guide libyen allait rester dans le cadre de l’huis-clos, mais, quand il s’est exprimé, publiquement, dans la même veine, tout fut entendu et avons, aussitôt, marqué, nettement, notre désaccord. Dans son approche, Kadhafi considérait la Mauritanie et les mauritaniens comme quantité négligeable, pas du tout intéressante, nous le regrettons profondément, très sincèrement. Nous avons essayé de patienter, autant que faire se peut, parce que c’était notre hôte, qu’il était là, en tant que président de l’UA, qu’il fallait faire preuve de tolérance et de mesure, mais lorsque nous avons constaté qu’il persistait, nous avons dû nous retirer, pour marquer notre plus totale désapprobation. Le FNDD a, d’ailleurs, publié un communiqué pour expliquer sa position.
Vous l’avez rencontré, après cet incident et peu avant son départ. Qu’est-ce que vous vous êtes dit?
C’est vrai, nous nous sommes rencontrés, avant son départ. A sa demande. J’y ai répondu favorablement, en tant que président de l’Assemblée nationale mauritanienne légale, bien qu’au niveau du FNDD, la décision avait été prise de ne plus le rencontrer, sauf excuses officielles de sa part. J’ai considéré qu’il ne m’appartenait pas d’appliquer cette consigne au président de l’Assemblée nationale, et c’est donc sous cette étiquette que je l’ai rencontré. Il m’a reçu et m’a dit, mot à mot, ceci : «toi, tu m’invites et tu m’abandonnes, seul sous ton toit ». Et effectivement : en me rendant en Libye, je lui avais transmis une invitation de l’Assemblée nationale. J’ai, alors, exprimé mon regret pour le geste que j’aurais dû éviter, mais auquel ses propres déclarations m’avaient contraint. A ma manière, franche et directe, de lui dire tout ce qui me passait par la tête ; lui rappelant que, dès le départ, certains avaient émis des réserves sur sa médiation, mais qu’après consultations, tout le monde avait accueilli, favorablement, son implication ; qu’avant de nous convoquer en Libye, il avait, deux jours auparavant, accrédité l’ambassadeur de la junte ; que lui et certains de ses proches avaient fait des déclarations qui n’allaient pas dans le sens de la neutralité ; qu’une fois celles-ci affichées publiquement, nous ne pouvions que quitter le débat ; qu’il s’était, lui-même, disqualifié, se révélant incapable de conduire la médiation, dans la neutralité. Dans leur réponse, lui et ses collaborateurs ont tenté de me faire croire qu’on avait mal compris, qu’on n’avait pas attendu la fin de l’exposé du guide; qu’il parlait dans un cadre général et non dans le contexte mauritanien. Et, puisque toutes les parties mauritaniennes évoquaient une élection dans leurs propositions de sortie de crise, il a pensé qu’il fallait envisager la Mauritanie, au lendemain de celle-ci. Qu’il ne défendait, bien évidemment, aucune partie. Que son seul parti, c’est la Mauritanie qu’il veut défendre contre toute «somalisation». Ses collaborateurs ont justifié cette assertion en relevant que le guide n’avait apporté, avec lui, aucune proposition de sortie de crise. Je leur ai répondu qu’ils n’en avaient pas besoin, puisqu’ils avaient adopté celle des putschistes.
Sur le plan protocolaire, je me suis présenté, effectivement, en tant qu’ami de la Libye, comme un ami du guide, leur rappelant que tout ce que j’ai fait, c’était dans but de le leur faciliter la tâche, mais que je ne pouvais rien faire, s’ils ne voulaient pas s’aider, eux-mêmes, à accomplir une vraie mission de médiation, et que personne ne pouvait les soutenir dans la position qu’ils avaient choisie. J’ai, enfin, conseillé, à Kadhafi, de rencontrer, avant son départ, les responsables du FNDD pour leur donner les explications qu’il venait de me fournir, parce qu’au niveau de celui-ci, il resterait, sans cela, disqualifié. Nous nous sommes séparés sur ce conseil.
Si cette médiation est considérée comme un échec de l’UA, de quelle stratégie le front anti-putsch dispose-t-il, au plan intérieur, pour combattre le HCE, déterminé qu’il est, désormais, à conduire unilatéralement sa feuille de route?
Ce qui a échoué, au niveau de notre entendement, en tout cas, c’est la médiation du président de l’UA. Il n’y a eu, de fait, aucune négociation. Si l’on se réfère à la proposition du groupe de contact, vous constaterez que le groupe est, lui-même, partie intégrante de ces négociations. Or, tout le monde constate, aujourd’hui, que la recommandation de se réunir pour trouver un compromis n’a pas été respectée, que le groupe qui devrait prendre part aux négociations n’y a pas été. La médiation a échoué, mais le processus lui, continue. Il a commencé, d’abord, par la position de l’UA, vis-à-vis de la junte, puis le pilotage du positionnement du groupe de contact, confié à l’UA, la position du CPS et sa saisine, tout ceci est en mouvement. Je pense qu’une fois les conclusions tirées, au niveau du groupe de contact et au niveau de l’UA, sur cette médiation, le processus devrait poursuivre son cours, d’une manière ou d’une autre. Soit, le plus normalement du monde, dans l’harmonie des différentes parties avec l’UA, ou dans l’attente de la réaction de l’UE. Si l’UE et l’UA estiment qu’il ne faut pas fermer la porte du dialogue, ils vont chercher un autre médiateur, pour lui transférer la mission. Nous n’avons pas d’autre stratégie que de suivre tout ce processus, d’une part, et, d’autre part, de continuer, nous-mêmes, sur le plan interne, à expliquer, à sensibiliser et à organiser la résistance. Nous continuons le combat, sereins et pacifiques ; nous nous rendrons, également, à l’extérieur, pour expliquer, éventuellement, ce qui vient de se passer chez nous.
Le porte-parole du gouvernement vient de déclarer que le président Kadhafi n’a fait que constater une réalité, que le pouvoir reste disponible pour un dialogue, si tant est qu’une partie mauritanienne souhaite discuter. Pensez-vous encore possible un dialogue entre les protagonistes de la crise? Sur quelle base?
Moi, je suis un croyant, je suis un musulman. Le refus du dialogue, le refus de la discussion est, quelque part, le refus de l’espoir. Or, la religion est espérance. Aussi, même le combat est espérance. On mène des combats dont on n’est pas sûr de l’issue. Nous, a priori, nous sommes ouverts au dialogue, d’autant plus que nous considérons, très sincèrement, que le combat militant que nous devons mener, que nous sommes tenus, de mener, au plan national et au niveau international, ce combat n’est pas plus le nôtre que celui de la communauté internationale, que celui de l’UA dont nous sommes membres. Notre combat est celui de l’UE, avec laquelle nous avons signé les accords UE-ACP de Cotonou. C’est aussi celui des Nations-Unies, qui œuvrent pour l’application de ses principes. Nous, nous combattons pour la démocratie, c’est pour elle que nous bougeons, ce n’est ni pour la personne du président de la République, ni pour la personne du général Ould Abdel Aziz. Pas pour celui-là ou contre celui-ci. Nous nous mobilisons, parce que nous estimons que c’est un devoir, nous bougeons pour le devenir de la Mauritanie qui, de notre point de vue, passe par l’application de la démocratie. C’est un combat pour la démocratie, pour la vie, dont il ne faut, jamais, désespérer. Pour cela, il faut continuer à dialoguer, même si, comme je l’ai dit, haut et fort, nos positions sont diamétralement opposées. Le général lui, tient, par tous moyens légaux et illégaux, à rester au pouvoir, nous, nous pensons qu’il faut l’en bouter dehors. Nous pensons qu’il n’y a aucune raison de composer avec lui, que le retour à la normale passe, nécessairement et obligatoirement, par le retour à l’ordre constitutionnel, et le retour du président élu, qui s’est engagé, lui-même, pour une solution de sortie de crise, négociée avec la communauté internationale, à organiser des élections présidentielles, législatives et municipales anticipées, sous la supervision d’un gouvernement d’union nationale. Je pense que c’est la plus honorable sortie de crise, pour notre pays, qui ne lui ferait perdre nul crédit, si bien acquis, auprès de la communauté internationale, lors de la transition de 2005 et des élections, libres et transparentes, de 2007. C’est, pour nous, demander le minimum. Nous, les légalistes, qui avons fait le maximum de concessions possibles et imaginables, tandis que, de l’autre côté, on se borne à appliquer la feuille de route tracée par la junte.
D’aucuns ont dit que vous étiez contre la dissolution du Parlement, que le président Sidi avait brandie, lors de son retour du Caire. Si tel était le cas, est-ce que, quelque part, vous ne porteriez pas une certaine part de responsabilité de ce qui est arrivé, le 6 août dernier?
Vraiment, je ne comprends pas le sens de cette question. Je ne pense porter aucune responsabilité dans ce qui est arrivé le 6 août. Et ce que vous m’attribuez n’est pas fondé. Je n’ai jamais été contre la dissolution de l’Assemblée nationale : bien au contraire. Le mardi, avant le coup d’Etat, j’étais au campement, quand le président m’a appelé pour me dire qu’à l’Assemblée nationale, certains députés avaient demandé une session extraordinaire, c’est alors ce moment que j’ai appris ce qui se tramait. Tout avait été mené, par en-dessous, en cachette. Normalement, dans toute démocratie digne de ce nom, lorsque des députés souhaitent une session extraordinaire, c’est, d’abord, à leur président qu’ils s’adressent. Alors, évoquer un soi-disant blocage de cette session extraordinaire… Il y a des règles à respecter, même si cela implique des discussions orageuses. Nous avions connu des sessions-marathons, on était tous stressés, avec cette affaire de motion de censure.
Personnellement, j’avais essayé de rapprocher les positions du président de la République et du général Ould Abdel Aziz, et j’avais besoin d’un mois de repos pour souffler. Et je ne suis parti, en vacances, qu’après m’être entendu, avec le Premier ministre, sur la date de la prochaine session extraordinaire, pour le 5 septembre, je crois. Il n’y avait pas de blocage. C’est alors que le président m’a téléphoné, en m’informant qu’il avait été saisi, irrégulièrement, par certains députés, après mon départ, qu’il leur avait répondu que les vice-présidents, de par le règlement de l’Assemblée, n’avaient pas pouvoir de saisine du gouvernement et qu’il fallait passer, impérativement, par moi. Le président m’a également parlé des points que les députés voulaient inscrire à l’ordre du jour de cette fameuse session extraordinaire. Or, pour qu’un point soit inscrit à l’ordre du jour, il faut qu’il passe par tout un processus d’adoption : saisine du président de l’Assemblée, qui le soumet à la conférence des présidents, qui le discute, l’approuve ou le rejette. Dans le premier cas, il serait soumis à une session plénière, pour adoption. C’est seulement après, qu’il serait opposable au gouvernement, comme proposition de loi ou de point à discuter. Le président m’a demandé si je pouvais rentrer, pour discuter de ces questions à inscrire à l’ordre du jour. Et c’est à travers ce coup de fil, que j’ai, expressément, demandé au président de la République s’il entendait continuer à travailler avec cette Assemblée nationale. Cela signifie que je lui suggérais, implicitement, la dissolution de celle-ci. Il m’a répondu que oui, parce qu’il y disposait d’une majorité. Je lui ai dit alors : dans ce cas, il n’y a aucune raison de la dissoudre. Le lendemain, c’était le putsch. Donc, je n’ai jamais été contre la dissolution. Je l’avais, au contraire, suggéré, compte tenu de la situation. Mais nous avions eu, effectivement, quelque divergence quant à la présentation de cette éventuelle mesure. De retour de Charm El Cheikh, il m’avait appelé, le matin, pour me dire qu’il allait parler à la Nation. Il voulait m’entretenir des thèmes qu’il allait aborder. Il avait, alors, évoqué, de manière très cool, la dissolution de l’Assemblée, qu’il comptait brandir, au cas où l’on entraverait son action. Je lui ai dit que j’approuvais tout ce qu’il allait dire, sauf le fait de brandir, publiquement, cette menace. Je lui ai suggéré de rencontrer, plutôt, les députés auteurs de la motion, pour leur parler, entre quatre murs, de l’éventualité d’une dissolution. Il m’a répondu que le caractère public de son propos ne susciterait aucune hostilité. Je n’étais pas convaincu, mais c’était sa décision. Il se trouve que je n’ai pas entendu son discours, en direct, et c’est dans mon bureau que certains sont venus m’en informer, les uns, très mécontents, les autres, satisfaits, parce que, disaient-ils, «le président a, enfin, décidé de prendre ses responsabilités». Quelle part de responsabilité voudriez-vous, donc, me faire porter? Je n’ai pas été pris à témoin pour avouer la réalité des choses, que j’aurais niées ou cachées. Je me suis investi, personnellement, pour rapprocher les positions du président de la République et du général et je n’ai jamais rencontré le général que durant cette période là, et à ma demande. Il sait combien je l’ai mis en garde, contre tout ce que nous vivons, aujourd’hui. Je lui ait fait, clairement, savoir qu’il n’en tirerait que malheur.
Vous avez été menacé par une motion de destitution, venue des députés qui soutiennent le HCE. A votre avis, pourquoi ses initiateurs ne sont pas allés au bout de leur logique? Considérez-vous, aujourd’hui, que cette menace est désormais derrière nous?
Vraiment, vous me posez une question à laquelle il m’est fort difficile de répondre. Quand on entame, contre vous, une procédure de destitution et que vous ne faites rien pour l’empêcher, vous ne saisissez aucune institution pour l’arrêter ou l’infléchir, que dire, de la suite des évènements? Ladite motion a été engagée ou initiée, je ne sais si c’est par les députés, eux-mêmes, ou s’ils furent poussés à le faire. Certains députés légalistes sont venus me voir pour me demander d’intercéder auprès de certains députés auxquels je suis lié par des liens tribaux et régionaux. J’ai, catégoriquement, refusé. Pour moi, face à cette atmosphère malsaine, face à ce qui se tramait, ma première réaction aura été de démissionner, purement et simplement, plutôt que d’accepter une espèce de cohabitation qui fait, du Parlement, un appendice du HCE, des militaires ou du BASEP, je ne saurais dire. Mais je prends mes décisions après mûre réflexion, et, dans une telle situation, très inconfortable, j’avoue que celle-ci fut, particulièrement, difficile. Au-delà de tout orgueil, dépassant ma première réaction, j’ai accepté le raisonnement des autres parties opposées au putsch qui m’ont convaincu de rester, arguant de ce que je pourrais, peut-être, en conservant mes fonctions, aider plus le mouvement de résistance qu’en jetant l’éponge. Ça m’a paru, effectivement, jouable, et j’ai alors accepté de rester. Mais, mon éventuelle destitution ne me fait ni chaud, ni froid, je n’ai pas, pour cela, levé le petit doigt. J’ai appris, qu’au niveau du Conseil constitutionnel, on a, d’abord, donné une réponse évasive, du genre «oui, mais», donnant l’impression d’une orientation pour me destituer, mais lorsque la cour a reçu une version claire, elle a opposé son refus. Selon les rumeurs qui me sont parvenues, on a même mis en doute mon intégrité morale. Pour certains, le fait que je ne sois pas destitué résulterait d’un accord signé avec la junte, c'est-à-dire que ce serait sur ordre du général que la cour se serait appuyée, pour dire la loi. Il n’en fallait pas plus pour que certains, dans mon propre camp, me soupçonnent d’avoir noué un accord sur leur dos. Que voulez-vous que je vous dise? S’il y a eu combines ou concertations entre le Conseil et le président du HCE, seul Dieu et eux le savent. En tout cas, je n’ai pas remué le petit doigt, je n’ai signé aucun accord secret avec le pouvoir, ce n’est pas mon genre, tout le monde me connaît, depuis que je me suis investi, en politique, je fais ce qui me paraît être juste, loin des combines. S’il y avait, pour moi, une possibilité de quelque nature que ce soit pour cautionner ce coup d’Etat, je l’aurais fait, ouvertement et très sincèrement. Il se trouve que je n’en vois aucune, je ne vois pas, vraiment pas, comment, moi, démocrate que je suis, pourrais-je cautionner un coup d’Etat militaire contre la démocratie.
Lors du dernier meeting du FNDD, vous avez affirmé que Ould Abdel Aziz ne sera jamais président de la République. Comment pourriez-vous l’en empêcher?
Par le combat politique que nous continuons à mener, nous le pensons, et je l’ai dit, très haut et fort, il n’est interdit ni d’espérer ni de rêver. Pour moi, il peut être un dictateur, mais jamais un président légitime de la République, ni jamais s’enorgueillir, parce qu’il ne sera pas élu par le peuple mauritanien, en toute transparence. Il peut faire comme si, s’imposer en tant que dictateur, chef d’une junte, le temps que ça durera, mais il ne sera pas l’élu du peuple.
Contrairement au FNDD, le RFD n’a pas condamné le putsch du 6 août, mieux – ou pire, si vous préférez – il a participé aux EGD organisés par le HCE. Que pensez-vous de cette position? Avez-vous rencontré, depuis, Ould Daddah? Pourriez-vous, aujourd’hui, après l’échec de la médiation libyenne et la candidature du général Ould Abdel Aziz, faire, à nouveau, un petit bout de chemin ensemble ?
Vous savez, les gens font de la politique, chacun suit son chemin. Je suis en porte à faux avec leur position, comme eux, ils sont en porte à faux avec la mienne. Je ne suis ni juge ni censeur des uns et des autres. Quand à la possibilité de travailler ensemble, je dois vous dire que nous n’avons jamais fermé la porte du dialogue, ni sur le plan individuel, ni sur le plan, général, entre nos partis. Pas plus tard qu’hier, nous nous sommes retrouvés – par hasard, il le préciser – chez Abdallahi Ould Bah, Dieu ait son âme, pour présenter nos condoléances, et nous avons discuté de la nécessité de coordonner notre action, face à ce qui vient de se passer, nous nous retrouvons, sur ce sujet précis et sur beaucoup d’autres points. En tout, du moins en ce qui concerne le FNDD, des instructions ont été données pour accélérer le processus de rencontres avec le RFD. Ahmed a, pour sa part, donné, devant moi, des instructions pour la rencontre avec le front. Il n’est, d’ailleurs, pas exclu que les deux parties se rencontrent, aujourd’hui (Vendredi 13 mars, NDLR), pour discuter de l’unification des actions à entreprendre, face à l’attitude du guide libyen.
Lors du dernier meeting du FNDD, vous avez affirmé que le front restait uni, fort comme une barre de fer, apportant ainsi un démenti, cinglant, à tous ceux qui avaient prédit, un peu vite, sa dislocation, juste au lendemain de sa fondation. Ne craignez-vous pas, aujourd’hui, avec une présidentielle en perspective, la politique du ventre, caractéristique principale de certains de nos cadres et hommes politiques, aidant, que le front connaisse une hémorragie, pour ne pas dire une implosion, comme a failli le connaître le RFD, il y a peu?
Je ne condamne pas votre manière de faire, mais je pense que vous en faites, quand même, un peu trop. Vous savez, les partis politiques, chez nous, sont comme des ONGs. Et les journaux, comme vous dites, [éclats de rires]. Enfin, moi, je n’ai rien dit. Je reconnais que nombre de fondateurs de partis politiques n’ont d’autres choix que de graviter autour du pouvoir, autour du plus fort, mais cela devrait passer inaperçu, et non noyer, systématiquement, les quelques partis politiques nantis de principes, disposant d’une base populaire plus ou moins importante et menant, comme ils peuvent, un combat d’idées, afin de conquérir, un jour, le pouvoir par les urnes. Ceci est aussi vrai pour notre Parlement et je ne vise personne. Nous sommes 150 députés élus, comme les conseillers municipaux, choisis pour défendre les intérêts des populations. Vous pouvez affirmer, vous, que tous mènent la politique du ventre? Pour ma part, ma préoccupation, c’est un FNDD uni, pour combattre un coup d’Etat contre la démocratie. Ici, les gens sont unis autour de principes, ils sont unis parce qu’ils veulent engager la Mauritanie, dans la voie du progrès. Sortir leur pays du cycle infernal des coups d’Etat. Je reste convaincu que, tant ce ciment demeure, il n’y a rien à craindre. Mais, si ce ciment-là disparaît demain, peut-être que chacun voudra voler de ses propres ailes, comme cela s’est passé, en d’autres temps et d’autres lieux. En tout cas, ce que j’entends dans les coulisses me rassure, chacun privilégie l’unité. Se disperser serait, vraiment, dommage et dommageable.
Certains caciques du pouvoir d’Ould Taya, qui continuent à graviter autour du HCE, viennent de déposer les statuts et le règlement intérieur d’un nouveau parti, l’UPR. Quel commentaire vous inspire la naissance d’un nouveau parti politique, dans le contexte politique actuel ?
Selon mes informations, ceux qui veulent fonder ce parti gravitent, effectivement, autour du général. C’est aussi vrai qu’ils étaient des caciques du PRDS. Cela démontre que nos hommes politiques ne tirent pas de leçons des expériences vécues, il y a si peu. L’exemple du parti Adil, fondé par des élus, épars, et si vite autodétruit, devrait faire méditer ceux qui veulent concocter un parti politique de ce genre. L’expérience ne semble pas constructive pour les mauritaniens, chacun fait comme ces femmes qui acceptent tel conjoint qui divorce, à tour de main et se remarie, le lendemain, excusez l’allégorie, chacune se persuadant qu’avec elle, cela n’arrivera jamais. Tous les mauritaniens raisonnent comme ça, ce qui est arrivé à Adil n’arrivera pas à l’Union Pour la République. Et pourquoi pas? C’est la même construction, le même échafaudage. Preuve, s’il était encore besoin, de ce que le général s’accroche, plus que jamais, au pouvoir, en se dotant d’un instrument de conquête ou de maintien, avec un parti à sa dévotion, qui jouera le rôle du PRDS, en son temps, Adil n’ayant même pas eu le temps de jouer un quelconque rôle, sinon celui de se détruire. Ma position, à ce sujet, fut, d’ailleurs, affichée très tôt. Alors membre de la majorité, j’ai été, le premier, je crois bien, à désapprouver, publiquement, l’illusion Adil, au cours d’un meeting populaire, tout le monde le sait. Quant à l’UPR, sa fondation ne me dérange pas outre mesure, il ne me concerne pas. Je suis, plutôt, content de sa reconnaissance par les autorités, cela contribuera à sa propre destruction, comme cela fut avec Adil. On ne change pas du jour au lendemain, ce sont les rapports de forces qui évoluent, nécessairement, et ceux qui se constituent, aujourd’hui, en parti seront, demain, dans le camp de ceux qui se seront substitués au général, légalement ou illégalement.
Il y a d’autres, par contre, à qui l’on prête l’intention de former un véritable parti politique, loin de moi l’idée de mépriser leur position, je considère que c’est une position courageuse, parce qu’ils ont osé s’exprimer, exprimer, dans l’euphorie baignant le général, au moins un certain sens du devoir, une certaine sensibilité, jugeant anormal que des gens, investis en politique depuis l’indépendance de la Mauritanie, renoncent, du jour au lendemain, à tout ce qu’ils ont incarné, jusqu’ici, pour suivre un général qui n’a jamais fait de la politique, obéir à ses ordres comme le dernier des bidasses. Je pense que commencer à s’affranchir de cette tutelle est de bon augure. En tout cas, en ce qui nous concerne, nous encourageons cette initiative, et nous n’excluons pas que nous puissions nous rejoindre, sur le chemin de l’honneur, de la dignité et de la démocratie.
Mais ils se réclament, d’emblée, de la majorité !
C’est un faux-problème. Combien de gens se sont réclamés de la majorité? Certains qui s’y référaient, travaillaient pour la motion de censure et continuaient à m’affirmer qu’ils appartenaient à la majorité, au parti Adil, qu’ils n’avaient rien contre le président, mais qu’ils ne voulaient pas d’un gouvernement avec des Roumouzz El Vassad. Cela jusqu’au jour où le chef de l’Etat fut renversé. Se réclamer de la majorité, par les temps qui courent, en Mauritanie, ne signifie pas grand-chose.
Certains membres du FNDD sont embastillés, depuis plusieurs mois. Ils sont accusés de malversations. Que pensez-vous de cette campagne de lutte contre la gabegie menée par le général?
Ce que j’en pense? Ce que j’en ai déjà dit au général, les yeux dans les yeux, lorsque je l’ai rencontré la dernière fois, exceptée notre brève poignée de mains, à l’occasion de la prière dirigée par Kadhafi, au stade. Je lui avais, alors, explicitement parlé de l’alibi dont il se servait pour emprisonner ses opposants. Vous ne convaincrez personne, ai-je affirmé, parce que ces gens ne sont pas les seuls à avoir dirigé Air Mauritanie et que le tri opèré prouve, à l’évidence, le règlement de compte politique. Je lui ai fait observer que la Mauritanie est trop petite, qu’on s’y connaît presque tous, qu’il est vraiment inutile d’essayer de mener en bateau, et de susciter des problèmes tordus d’avance. Ou bien on s’investit dans le combat contre la gabegie, auquel cas il ne doit y avoir aucune exception, et je ne vois pas pourquoi commencerait-on par ces malheureux, au lieu de s’attaquer à tous ceux qui ont eu à gérer les deniers publics. Libérez ces hommes, ce que vous voulez accréditer ne convainc personne, lui ai-je dit.
Comme je l’avais conseillé auparavant, lorsque j’ai constaté des excès de langage ou de zèle, de certains de ses ministres, à l’égard de la personne du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Qu’il le destitue est une chose, qu’il permette à ses gens de s’attaquer, de manière vulgaire et éhontée, à la personne du président, au travers de telles parodies, n’est pas du tout de bonne augure pour le général, qui ne restera, de toute manière, pas éternellement au pouvoir. Ce n’est vraiment pas bon, de tels dérapages, pour quelqu’un qui entend présider aux destinées de la Mauritanie. Je lui ai demandé d’arrêter cela, parce que tout le monde considère, aujourd’hui, que tout ce qui se fait émane de ses ordres. Tout cela m’a beaucoup touché, bouleversé, même, je l’ai rappelé lors du dernier meeting. Vraiment, je voudrais qu’aucun mauritanien ne se révèle capable de tels actes, ce n’est pas dans nos coutumes, dans nos valeurs, que de s’attaquer à une personne en situation de faiblesse. Ce général qui parle de «sacrifice» en «consentant» à un coup d’Etat, alors qu’il savait, pertinemment, n’avoir personne pour le contrarier, lui qui disposait de toute la force. S’il avait eu, face à lui, des unités armées ou des chefs décidés à en découdre, il aurait risqué sa vie, auquel cas l’emploi du terme «sacrifice» aurait eu quelque valeur. Peut-être aurais-je dû me taire mais je suis, de nature, comme cela, je m’élève contre l’injustice, d’où qu’elle vienne. Si je demande au général de cesser ses abus, par rapport à ceci ou à cela, ce n’est pas que je recherche son intérêt – je pourrais, à la limite, ne pas m’en préoccuper – mais c’est, plus prosaïquement, pour atténuer la souffrance des victimes ou de ceux qui pourraient, éventuellement, en souffrir.
Propos recueillis par Ahmed Ould Cheikh et Dalay Lam
Source: lecalame
Farouchement opposé au coup d’Etat du 6 août dernier ayant renversé le pouvoir du président élu, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, qu’il a soutenu, lors du deuxième tour des présidentielles de 2007 – occasion d’un tollé, général, des opposants au régime d’Ould Taya, avec, en tête, Ahmed Ould Daddah, ultime challenger, désigné par les urnes, de Sidioca – le président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir garde, tout entier, verve et franc-parler…L’homme reste convaincu que le coup d’Etat du général Aziz échouera et que la démocratie triomphera.
Le Calame : Le président Kadhafi, désigné par le groupe consultatif de Paris, pour trouver un consensus entre les différentes parties, vient de passer quelques jours, en Mauritanie, après avoir reçu, chez lui, les protagonistes. Dans son discours, le président de l’UA a donné une espèce de quitus à l’agenda de la junte, au pouvoir depuis le 6 août 2008. Considérez-vous cette médiation comme un échec? Ce quitus arrêterait-il, comme il l’a dit, le processus des sanctions ciblées, décrétées par l’UA, contre la junte et ses soutiens?
Messaoud Ould Boulkheir : Oui, à mon niveau personnel et je pense, aussi, que c’est le cas au niveau du FNDD, nous considérons que c’est un échec. La position, ostentatoirement partisane, du président de l’Union Africaine (UA), mandaté par la communauté internationale pour, comme vous l’avez dit, trouver un agenda consensuel entre les différentes parties de la crise mauritanienne, signe l’échec de cette médiation.
Je crois que notre réaction le démontre clairement. Il appartient, maintenant, à la communauté internationale, au groupe de contact qui ont mandaté le président de l’UA, de prendre la décision finale, de déterminer une position officielle, par rapport à ce qui s’est passé à Nouakchott. Pour notre part, nous n’avons ménagé aucun effort, malgré certaines réserves, émises, ici et là, par certains, et qui ont fini par se vérifier, sur le terrain, quant à l’implication du guide libyen dans la crise mauritanienne. Nous avons dit, dès le départ, qu’il fallait être bon joueur, éviter d’émettre un jugement sur l’arbitre avant le coup d’envoi du match. Et nous avions de solides arguments : l’UA n’a-t-elle pas, elle-même, pris position contre le coup d’Etat? Son Conseil de Paix et de Sécurité (CPS), comité de pilotage en cette affaire, n’a-t-il pas, déjà, initié des sanctions ciblées, contre les membres de la junte et ses soutiens? Ne démarchait-elle pas le groupe de contact, afin, justement, que celui-ci lui emboîte le pas? N’a-t-elle pas saisi le Conseil de Sécurité de l’ONU, pour donner un caractère obligatoire et international à d’éventuelles sanctions? Aussi disons-nous qu’avec tous ces éléments, le président de cette institution ne pouvait pas aller à contre-courant de ce qu’elle a, elle-même, décidé. Le deuxième type d’arguments, qui a plaidé contre toute réserve vis-à-vis de la médiation libyenne, c’est que Kadhafi est un leader d’un pays-membre du Maghreb Arabe, de la Ligue Arabe, dont nous sommes, nous aussi, membres, que c’est un voisin, un leader d’un pays qui a, toujours, accordé une certaine importance aux problèmes mauritaniens et que nous connaissons, enfin, beaucoup de bonnes choses, réalisées par nos frères libyens pour la Mauritanie, dans sa marche vers le progrès. Par conséquent, nous pouvions, légitimement, douter que cette médiation entérine des positions qui n’aillent pas dans le sens du progrès et du développement de notre pays, de cette marche universelle vers la liberté, vers la démocratie. Voilà pourquoi avons-nous ignoré toutes les réserves exprimées, ici et là. Nous avons, également, tu les propos que nous avait tenus, en Libye, le président de l’UA, propos dans le même sens de ce qu’il a dit ici. En gros, il nous avait fait comprendre que le coup d’Etat était un fait accompli, qu’il fallait faire avec, que le retour à la situation d’avant le 6 août était irréaliste, qu’en Afrique, il y a plus de quarante pays gouvernés par les militaires, que les militaires sont partie intégrante de la société, ce ne sont pas des israéliens, encore moins des ennemis étrangers, que ce sont des Mauritaniens, comme tous les autres, et qu’à l’instar des Turcs ou des Egyptiens, ils veulent le bien de leur peuple. J’ai eu, très sincèrement, le sentiment que c’était, même, sa propre position, plutôt que celle du HCE. Mais nous avons, pourtant, tu tout cela, nous avons continué à espérer qu’il ne s’agissait, là, que de simples pressions exercées sur une partie des protagonistes de la crise et qu’il exerçait des pressions, contraires, sur la junte. Tout le monde s’est dit qu’il ne pouvait pas afficher, de manière aussi claire, une position aussi partisane. Tactique de négociation, en somme. Mais, hélas, lors de l’huis-clos qui a précédé la plénière, il a réitéré ses propos, s’exprimant, sans équivoque, en faveur des militaires. Le constat s’avérait donc : Kadhafi appuyait, ouvertement, l’agenda des putschistes et leurs parlementaires présents, disant que le retour du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi était inenvisageable, qu’il occasionnerait des troubles dans le pays. Que le général Ould Abdel Aziz allait démissionner, le moment venu, qu’il y aura des élections. Nous pensions que ce que disait le guide libyen allait rester dans le cadre de l’huis-clos, mais, quand il s’est exprimé, publiquement, dans la même veine, tout fut entendu et avons, aussitôt, marqué, nettement, notre désaccord. Dans son approche, Kadhafi considérait la Mauritanie et les mauritaniens comme quantité négligeable, pas du tout intéressante, nous le regrettons profondément, très sincèrement. Nous avons essayé de patienter, autant que faire se peut, parce que c’était notre hôte, qu’il était là, en tant que président de l’UA, qu’il fallait faire preuve de tolérance et de mesure, mais lorsque nous avons constaté qu’il persistait, nous avons dû nous retirer, pour marquer notre plus totale désapprobation. Le FNDD a, d’ailleurs, publié un communiqué pour expliquer sa position.
Vous l’avez rencontré, après cet incident et peu avant son départ. Qu’est-ce que vous vous êtes dit?
C’est vrai, nous nous sommes rencontrés, avant son départ. A sa demande. J’y ai répondu favorablement, en tant que président de l’Assemblée nationale mauritanienne légale, bien qu’au niveau du FNDD, la décision avait été prise de ne plus le rencontrer, sauf excuses officielles de sa part. J’ai considéré qu’il ne m’appartenait pas d’appliquer cette consigne au président de l’Assemblée nationale, et c’est donc sous cette étiquette que je l’ai rencontré. Il m’a reçu et m’a dit, mot à mot, ceci : «toi, tu m’invites et tu m’abandonnes, seul sous ton toit ». Et effectivement : en me rendant en Libye, je lui avais transmis une invitation de l’Assemblée nationale. J’ai, alors, exprimé mon regret pour le geste que j’aurais dû éviter, mais auquel ses propres déclarations m’avaient contraint. A ma manière, franche et directe, de lui dire tout ce qui me passait par la tête ; lui rappelant que, dès le départ, certains avaient émis des réserves sur sa médiation, mais qu’après consultations, tout le monde avait accueilli, favorablement, son implication ; qu’avant de nous convoquer en Libye, il avait, deux jours auparavant, accrédité l’ambassadeur de la junte ; que lui et certains de ses proches avaient fait des déclarations qui n’allaient pas dans le sens de la neutralité ; qu’une fois celles-ci affichées publiquement, nous ne pouvions que quitter le débat ; qu’il s’était, lui-même, disqualifié, se révélant incapable de conduire la médiation, dans la neutralité. Dans leur réponse, lui et ses collaborateurs ont tenté de me faire croire qu’on avait mal compris, qu’on n’avait pas attendu la fin de l’exposé du guide; qu’il parlait dans un cadre général et non dans le contexte mauritanien. Et, puisque toutes les parties mauritaniennes évoquaient une élection dans leurs propositions de sortie de crise, il a pensé qu’il fallait envisager la Mauritanie, au lendemain de celle-ci. Qu’il ne défendait, bien évidemment, aucune partie. Que son seul parti, c’est la Mauritanie qu’il veut défendre contre toute «somalisation». Ses collaborateurs ont justifié cette assertion en relevant que le guide n’avait apporté, avec lui, aucune proposition de sortie de crise. Je leur ai répondu qu’ils n’en avaient pas besoin, puisqu’ils avaient adopté celle des putschistes.
Sur le plan protocolaire, je me suis présenté, effectivement, en tant qu’ami de la Libye, comme un ami du guide, leur rappelant que tout ce que j’ai fait, c’était dans but de le leur faciliter la tâche, mais que je ne pouvais rien faire, s’ils ne voulaient pas s’aider, eux-mêmes, à accomplir une vraie mission de médiation, et que personne ne pouvait les soutenir dans la position qu’ils avaient choisie. J’ai, enfin, conseillé, à Kadhafi, de rencontrer, avant son départ, les responsables du FNDD pour leur donner les explications qu’il venait de me fournir, parce qu’au niveau de celui-ci, il resterait, sans cela, disqualifié. Nous nous sommes séparés sur ce conseil.
Si cette médiation est considérée comme un échec de l’UA, de quelle stratégie le front anti-putsch dispose-t-il, au plan intérieur, pour combattre le HCE, déterminé qu’il est, désormais, à conduire unilatéralement sa feuille de route?
Ce qui a échoué, au niveau de notre entendement, en tout cas, c’est la médiation du président de l’UA. Il n’y a eu, de fait, aucune négociation. Si l’on se réfère à la proposition du groupe de contact, vous constaterez que le groupe est, lui-même, partie intégrante de ces négociations. Or, tout le monde constate, aujourd’hui, que la recommandation de se réunir pour trouver un compromis n’a pas été respectée, que le groupe qui devrait prendre part aux négociations n’y a pas été. La médiation a échoué, mais le processus lui, continue. Il a commencé, d’abord, par la position de l’UA, vis-à-vis de la junte, puis le pilotage du positionnement du groupe de contact, confié à l’UA, la position du CPS et sa saisine, tout ceci est en mouvement. Je pense qu’une fois les conclusions tirées, au niveau du groupe de contact et au niveau de l’UA, sur cette médiation, le processus devrait poursuivre son cours, d’une manière ou d’une autre. Soit, le plus normalement du monde, dans l’harmonie des différentes parties avec l’UA, ou dans l’attente de la réaction de l’UE. Si l’UE et l’UA estiment qu’il ne faut pas fermer la porte du dialogue, ils vont chercher un autre médiateur, pour lui transférer la mission. Nous n’avons pas d’autre stratégie que de suivre tout ce processus, d’une part, et, d’autre part, de continuer, nous-mêmes, sur le plan interne, à expliquer, à sensibiliser et à organiser la résistance. Nous continuons le combat, sereins et pacifiques ; nous nous rendrons, également, à l’extérieur, pour expliquer, éventuellement, ce qui vient de se passer chez nous.
Le porte-parole du gouvernement vient de déclarer que le président Kadhafi n’a fait que constater une réalité, que le pouvoir reste disponible pour un dialogue, si tant est qu’une partie mauritanienne souhaite discuter. Pensez-vous encore possible un dialogue entre les protagonistes de la crise? Sur quelle base?
Moi, je suis un croyant, je suis un musulman. Le refus du dialogue, le refus de la discussion est, quelque part, le refus de l’espoir. Or, la religion est espérance. Aussi, même le combat est espérance. On mène des combats dont on n’est pas sûr de l’issue. Nous, a priori, nous sommes ouverts au dialogue, d’autant plus que nous considérons, très sincèrement, que le combat militant que nous devons mener, que nous sommes tenus, de mener, au plan national et au niveau international, ce combat n’est pas plus le nôtre que celui de la communauté internationale, que celui de l’UA dont nous sommes membres. Notre combat est celui de l’UE, avec laquelle nous avons signé les accords UE-ACP de Cotonou. C’est aussi celui des Nations-Unies, qui œuvrent pour l’application de ses principes. Nous, nous combattons pour la démocratie, c’est pour elle que nous bougeons, ce n’est ni pour la personne du président de la République, ni pour la personne du général Ould Abdel Aziz. Pas pour celui-là ou contre celui-ci. Nous nous mobilisons, parce que nous estimons que c’est un devoir, nous bougeons pour le devenir de la Mauritanie qui, de notre point de vue, passe par l’application de la démocratie. C’est un combat pour la démocratie, pour la vie, dont il ne faut, jamais, désespérer. Pour cela, il faut continuer à dialoguer, même si, comme je l’ai dit, haut et fort, nos positions sont diamétralement opposées. Le général lui, tient, par tous moyens légaux et illégaux, à rester au pouvoir, nous, nous pensons qu’il faut l’en bouter dehors. Nous pensons qu’il n’y a aucune raison de composer avec lui, que le retour à la normale passe, nécessairement et obligatoirement, par le retour à l’ordre constitutionnel, et le retour du président élu, qui s’est engagé, lui-même, pour une solution de sortie de crise, négociée avec la communauté internationale, à organiser des élections présidentielles, législatives et municipales anticipées, sous la supervision d’un gouvernement d’union nationale. Je pense que c’est la plus honorable sortie de crise, pour notre pays, qui ne lui ferait perdre nul crédit, si bien acquis, auprès de la communauté internationale, lors de la transition de 2005 et des élections, libres et transparentes, de 2007. C’est, pour nous, demander le minimum. Nous, les légalistes, qui avons fait le maximum de concessions possibles et imaginables, tandis que, de l’autre côté, on se borne à appliquer la feuille de route tracée par la junte.
D’aucuns ont dit que vous étiez contre la dissolution du Parlement, que le président Sidi avait brandie, lors de son retour du Caire. Si tel était le cas, est-ce que, quelque part, vous ne porteriez pas une certaine part de responsabilité de ce qui est arrivé, le 6 août dernier?
Vraiment, je ne comprends pas le sens de cette question. Je ne pense porter aucune responsabilité dans ce qui est arrivé le 6 août. Et ce que vous m’attribuez n’est pas fondé. Je n’ai jamais été contre la dissolution de l’Assemblée nationale : bien au contraire. Le mardi, avant le coup d’Etat, j’étais au campement, quand le président m’a appelé pour me dire qu’à l’Assemblée nationale, certains députés avaient demandé une session extraordinaire, c’est alors ce moment que j’ai appris ce qui se tramait. Tout avait été mené, par en-dessous, en cachette. Normalement, dans toute démocratie digne de ce nom, lorsque des députés souhaitent une session extraordinaire, c’est, d’abord, à leur président qu’ils s’adressent. Alors, évoquer un soi-disant blocage de cette session extraordinaire… Il y a des règles à respecter, même si cela implique des discussions orageuses. Nous avions connu des sessions-marathons, on était tous stressés, avec cette affaire de motion de censure.
Personnellement, j’avais essayé de rapprocher les positions du président de la République et du général Ould Abdel Aziz, et j’avais besoin d’un mois de repos pour souffler. Et je ne suis parti, en vacances, qu’après m’être entendu, avec le Premier ministre, sur la date de la prochaine session extraordinaire, pour le 5 septembre, je crois. Il n’y avait pas de blocage. C’est alors que le président m’a téléphoné, en m’informant qu’il avait été saisi, irrégulièrement, par certains députés, après mon départ, qu’il leur avait répondu que les vice-présidents, de par le règlement de l’Assemblée, n’avaient pas pouvoir de saisine du gouvernement et qu’il fallait passer, impérativement, par moi. Le président m’a également parlé des points que les députés voulaient inscrire à l’ordre du jour de cette fameuse session extraordinaire. Or, pour qu’un point soit inscrit à l’ordre du jour, il faut qu’il passe par tout un processus d’adoption : saisine du président de l’Assemblée, qui le soumet à la conférence des présidents, qui le discute, l’approuve ou le rejette. Dans le premier cas, il serait soumis à une session plénière, pour adoption. C’est seulement après, qu’il serait opposable au gouvernement, comme proposition de loi ou de point à discuter. Le président m’a demandé si je pouvais rentrer, pour discuter de ces questions à inscrire à l’ordre du jour. Et c’est à travers ce coup de fil, que j’ai, expressément, demandé au président de la République s’il entendait continuer à travailler avec cette Assemblée nationale. Cela signifie que je lui suggérais, implicitement, la dissolution de celle-ci. Il m’a répondu que oui, parce qu’il y disposait d’une majorité. Je lui ai dit alors : dans ce cas, il n’y a aucune raison de la dissoudre. Le lendemain, c’était le putsch. Donc, je n’ai jamais été contre la dissolution. Je l’avais, au contraire, suggéré, compte tenu de la situation. Mais nous avions eu, effectivement, quelque divergence quant à la présentation de cette éventuelle mesure. De retour de Charm El Cheikh, il m’avait appelé, le matin, pour me dire qu’il allait parler à la Nation. Il voulait m’entretenir des thèmes qu’il allait aborder. Il avait, alors, évoqué, de manière très cool, la dissolution de l’Assemblée, qu’il comptait brandir, au cas où l’on entraverait son action. Je lui ai dit que j’approuvais tout ce qu’il allait dire, sauf le fait de brandir, publiquement, cette menace. Je lui ai suggéré de rencontrer, plutôt, les députés auteurs de la motion, pour leur parler, entre quatre murs, de l’éventualité d’une dissolution. Il m’a répondu que le caractère public de son propos ne susciterait aucune hostilité. Je n’étais pas convaincu, mais c’était sa décision. Il se trouve que je n’ai pas entendu son discours, en direct, et c’est dans mon bureau que certains sont venus m’en informer, les uns, très mécontents, les autres, satisfaits, parce que, disaient-ils, «le président a, enfin, décidé de prendre ses responsabilités». Quelle part de responsabilité voudriez-vous, donc, me faire porter? Je n’ai pas été pris à témoin pour avouer la réalité des choses, que j’aurais niées ou cachées. Je me suis investi, personnellement, pour rapprocher les positions du président de la République et du général et je n’ai jamais rencontré le général que durant cette période là, et à ma demande. Il sait combien je l’ai mis en garde, contre tout ce que nous vivons, aujourd’hui. Je lui ait fait, clairement, savoir qu’il n’en tirerait que malheur.
Vous avez été menacé par une motion de destitution, venue des députés qui soutiennent le HCE. A votre avis, pourquoi ses initiateurs ne sont pas allés au bout de leur logique? Considérez-vous, aujourd’hui, que cette menace est désormais derrière nous?
Vraiment, vous me posez une question à laquelle il m’est fort difficile de répondre. Quand on entame, contre vous, une procédure de destitution et que vous ne faites rien pour l’empêcher, vous ne saisissez aucune institution pour l’arrêter ou l’infléchir, que dire, de la suite des évènements? Ladite motion a été engagée ou initiée, je ne sais si c’est par les députés, eux-mêmes, ou s’ils furent poussés à le faire. Certains députés légalistes sont venus me voir pour me demander d’intercéder auprès de certains députés auxquels je suis lié par des liens tribaux et régionaux. J’ai, catégoriquement, refusé. Pour moi, face à cette atmosphère malsaine, face à ce qui se tramait, ma première réaction aura été de démissionner, purement et simplement, plutôt que d’accepter une espèce de cohabitation qui fait, du Parlement, un appendice du HCE, des militaires ou du BASEP, je ne saurais dire. Mais je prends mes décisions après mûre réflexion, et, dans une telle situation, très inconfortable, j’avoue que celle-ci fut, particulièrement, difficile. Au-delà de tout orgueil, dépassant ma première réaction, j’ai accepté le raisonnement des autres parties opposées au putsch qui m’ont convaincu de rester, arguant de ce que je pourrais, peut-être, en conservant mes fonctions, aider plus le mouvement de résistance qu’en jetant l’éponge. Ça m’a paru, effectivement, jouable, et j’ai alors accepté de rester. Mais, mon éventuelle destitution ne me fait ni chaud, ni froid, je n’ai pas, pour cela, levé le petit doigt. J’ai appris, qu’au niveau du Conseil constitutionnel, on a, d’abord, donné une réponse évasive, du genre «oui, mais», donnant l’impression d’une orientation pour me destituer, mais lorsque la cour a reçu une version claire, elle a opposé son refus. Selon les rumeurs qui me sont parvenues, on a même mis en doute mon intégrité morale. Pour certains, le fait que je ne sois pas destitué résulterait d’un accord signé avec la junte, c'est-à-dire que ce serait sur ordre du général que la cour se serait appuyée, pour dire la loi. Il n’en fallait pas plus pour que certains, dans mon propre camp, me soupçonnent d’avoir noué un accord sur leur dos. Que voulez-vous que je vous dise? S’il y a eu combines ou concertations entre le Conseil et le président du HCE, seul Dieu et eux le savent. En tout cas, je n’ai pas remué le petit doigt, je n’ai signé aucun accord secret avec le pouvoir, ce n’est pas mon genre, tout le monde me connaît, depuis que je me suis investi, en politique, je fais ce qui me paraît être juste, loin des combines. S’il y avait, pour moi, une possibilité de quelque nature que ce soit pour cautionner ce coup d’Etat, je l’aurais fait, ouvertement et très sincèrement. Il se trouve que je n’en vois aucune, je ne vois pas, vraiment pas, comment, moi, démocrate que je suis, pourrais-je cautionner un coup d’Etat militaire contre la démocratie.
Lors du dernier meeting du FNDD, vous avez affirmé que Ould Abdel Aziz ne sera jamais président de la République. Comment pourriez-vous l’en empêcher?
Par le combat politique que nous continuons à mener, nous le pensons, et je l’ai dit, très haut et fort, il n’est interdit ni d’espérer ni de rêver. Pour moi, il peut être un dictateur, mais jamais un président légitime de la République, ni jamais s’enorgueillir, parce qu’il ne sera pas élu par le peuple mauritanien, en toute transparence. Il peut faire comme si, s’imposer en tant que dictateur, chef d’une junte, le temps que ça durera, mais il ne sera pas l’élu du peuple.
Contrairement au FNDD, le RFD n’a pas condamné le putsch du 6 août, mieux – ou pire, si vous préférez – il a participé aux EGD organisés par le HCE. Que pensez-vous de cette position? Avez-vous rencontré, depuis, Ould Daddah? Pourriez-vous, aujourd’hui, après l’échec de la médiation libyenne et la candidature du général Ould Abdel Aziz, faire, à nouveau, un petit bout de chemin ensemble ?
Vous savez, les gens font de la politique, chacun suit son chemin. Je suis en porte à faux avec leur position, comme eux, ils sont en porte à faux avec la mienne. Je ne suis ni juge ni censeur des uns et des autres. Quand à la possibilité de travailler ensemble, je dois vous dire que nous n’avons jamais fermé la porte du dialogue, ni sur le plan individuel, ni sur le plan, général, entre nos partis. Pas plus tard qu’hier, nous nous sommes retrouvés – par hasard, il le préciser – chez Abdallahi Ould Bah, Dieu ait son âme, pour présenter nos condoléances, et nous avons discuté de la nécessité de coordonner notre action, face à ce qui vient de se passer, nous nous retrouvons, sur ce sujet précis et sur beaucoup d’autres points. En tout, du moins en ce qui concerne le FNDD, des instructions ont été données pour accélérer le processus de rencontres avec le RFD. Ahmed a, pour sa part, donné, devant moi, des instructions pour la rencontre avec le front. Il n’est, d’ailleurs, pas exclu que les deux parties se rencontrent, aujourd’hui (Vendredi 13 mars, NDLR), pour discuter de l’unification des actions à entreprendre, face à l’attitude du guide libyen.
Lors du dernier meeting du FNDD, vous avez affirmé que le front restait uni, fort comme une barre de fer, apportant ainsi un démenti, cinglant, à tous ceux qui avaient prédit, un peu vite, sa dislocation, juste au lendemain de sa fondation. Ne craignez-vous pas, aujourd’hui, avec une présidentielle en perspective, la politique du ventre, caractéristique principale de certains de nos cadres et hommes politiques, aidant, que le front connaisse une hémorragie, pour ne pas dire une implosion, comme a failli le connaître le RFD, il y a peu?
Je ne condamne pas votre manière de faire, mais je pense que vous en faites, quand même, un peu trop. Vous savez, les partis politiques, chez nous, sont comme des ONGs. Et les journaux, comme vous dites, [éclats de rires]. Enfin, moi, je n’ai rien dit. Je reconnais que nombre de fondateurs de partis politiques n’ont d’autres choix que de graviter autour du pouvoir, autour du plus fort, mais cela devrait passer inaperçu, et non noyer, systématiquement, les quelques partis politiques nantis de principes, disposant d’une base populaire plus ou moins importante et menant, comme ils peuvent, un combat d’idées, afin de conquérir, un jour, le pouvoir par les urnes. Ceci est aussi vrai pour notre Parlement et je ne vise personne. Nous sommes 150 députés élus, comme les conseillers municipaux, choisis pour défendre les intérêts des populations. Vous pouvez affirmer, vous, que tous mènent la politique du ventre? Pour ma part, ma préoccupation, c’est un FNDD uni, pour combattre un coup d’Etat contre la démocratie. Ici, les gens sont unis autour de principes, ils sont unis parce qu’ils veulent engager la Mauritanie, dans la voie du progrès. Sortir leur pays du cycle infernal des coups d’Etat. Je reste convaincu que, tant ce ciment demeure, il n’y a rien à craindre. Mais, si ce ciment-là disparaît demain, peut-être que chacun voudra voler de ses propres ailes, comme cela s’est passé, en d’autres temps et d’autres lieux. En tout cas, ce que j’entends dans les coulisses me rassure, chacun privilégie l’unité. Se disperser serait, vraiment, dommage et dommageable.
Certains caciques du pouvoir d’Ould Taya, qui continuent à graviter autour du HCE, viennent de déposer les statuts et le règlement intérieur d’un nouveau parti, l’UPR. Quel commentaire vous inspire la naissance d’un nouveau parti politique, dans le contexte politique actuel ?
Selon mes informations, ceux qui veulent fonder ce parti gravitent, effectivement, autour du général. C’est aussi vrai qu’ils étaient des caciques du PRDS. Cela démontre que nos hommes politiques ne tirent pas de leçons des expériences vécues, il y a si peu. L’exemple du parti Adil, fondé par des élus, épars, et si vite autodétruit, devrait faire méditer ceux qui veulent concocter un parti politique de ce genre. L’expérience ne semble pas constructive pour les mauritaniens, chacun fait comme ces femmes qui acceptent tel conjoint qui divorce, à tour de main et se remarie, le lendemain, excusez l’allégorie, chacune se persuadant qu’avec elle, cela n’arrivera jamais. Tous les mauritaniens raisonnent comme ça, ce qui est arrivé à Adil n’arrivera pas à l’Union Pour la République. Et pourquoi pas? C’est la même construction, le même échafaudage. Preuve, s’il était encore besoin, de ce que le général s’accroche, plus que jamais, au pouvoir, en se dotant d’un instrument de conquête ou de maintien, avec un parti à sa dévotion, qui jouera le rôle du PRDS, en son temps, Adil n’ayant même pas eu le temps de jouer un quelconque rôle, sinon celui de se détruire. Ma position, à ce sujet, fut, d’ailleurs, affichée très tôt. Alors membre de la majorité, j’ai été, le premier, je crois bien, à désapprouver, publiquement, l’illusion Adil, au cours d’un meeting populaire, tout le monde le sait. Quant à l’UPR, sa fondation ne me dérange pas outre mesure, il ne me concerne pas. Je suis, plutôt, content de sa reconnaissance par les autorités, cela contribuera à sa propre destruction, comme cela fut avec Adil. On ne change pas du jour au lendemain, ce sont les rapports de forces qui évoluent, nécessairement, et ceux qui se constituent, aujourd’hui, en parti seront, demain, dans le camp de ceux qui se seront substitués au général, légalement ou illégalement.
Il y a d’autres, par contre, à qui l’on prête l’intention de former un véritable parti politique, loin de moi l’idée de mépriser leur position, je considère que c’est une position courageuse, parce qu’ils ont osé s’exprimer, exprimer, dans l’euphorie baignant le général, au moins un certain sens du devoir, une certaine sensibilité, jugeant anormal que des gens, investis en politique depuis l’indépendance de la Mauritanie, renoncent, du jour au lendemain, à tout ce qu’ils ont incarné, jusqu’ici, pour suivre un général qui n’a jamais fait de la politique, obéir à ses ordres comme le dernier des bidasses. Je pense que commencer à s’affranchir de cette tutelle est de bon augure. En tout cas, en ce qui nous concerne, nous encourageons cette initiative, et nous n’excluons pas que nous puissions nous rejoindre, sur le chemin de l’honneur, de la dignité et de la démocratie.
Mais ils se réclament, d’emblée, de la majorité !
C’est un faux-problème. Combien de gens se sont réclamés de la majorité? Certains qui s’y référaient, travaillaient pour la motion de censure et continuaient à m’affirmer qu’ils appartenaient à la majorité, au parti Adil, qu’ils n’avaient rien contre le président, mais qu’ils ne voulaient pas d’un gouvernement avec des Roumouzz El Vassad. Cela jusqu’au jour où le chef de l’Etat fut renversé. Se réclamer de la majorité, par les temps qui courent, en Mauritanie, ne signifie pas grand-chose.
Certains membres du FNDD sont embastillés, depuis plusieurs mois. Ils sont accusés de malversations. Que pensez-vous de cette campagne de lutte contre la gabegie menée par le général?
Ce que j’en pense? Ce que j’en ai déjà dit au général, les yeux dans les yeux, lorsque je l’ai rencontré la dernière fois, exceptée notre brève poignée de mains, à l’occasion de la prière dirigée par Kadhafi, au stade. Je lui avais, alors, explicitement parlé de l’alibi dont il se servait pour emprisonner ses opposants. Vous ne convaincrez personne, ai-je affirmé, parce que ces gens ne sont pas les seuls à avoir dirigé Air Mauritanie et que le tri opèré prouve, à l’évidence, le règlement de compte politique. Je lui ai fait observer que la Mauritanie est trop petite, qu’on s’y connaît presque tous, qu’il est vraiment inutile d’essayer de mener en bateau, et de susciter des problèmes tordus d’avance. Ou bien on s’investit dans le combat contre la gabegie, auquel cas il ne doit y avoir aucune exception, et je ne vois pas pourquoi commencerait-on par ces malheureux, au lieu de s’attaquer à tous ceux qui ont eu à gérer les deniers publics. Libérez ces hommes, ce que vous voulez accréditer ne convainc personne, lui ai-je dit.
Comme je l’avais conseillé auparavant, lorsque j’ai constaté des excès de langage ou de zèle, de certains de ses ministres, à l’égard de la personne du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Qu’il le destitue est une chose, qu’il permette à ses gens de s’attaquer, de manière vulgaire et éhontée, à la personne du président, au travers de telles parodies, n’est pas du tout de bonne augure pour le général, qui ne restera, de toute manière, pas éternellement au pouvoir. Ce n’est vraiment pas bon, de tels dérapages, pour quelqu’un qui entend présider aux destinées de la Mauritanie. Je lui ai demandé d’arrêter cela, parce que tout le monde considère, aujourd’hui, que tout ce qui se fait émane de ses ordres. Tout cela m’a beaucoup touché, bouleversé, même, je l’ai rappelé lors du dernier meeting. Vraiment, je voudrais qu’aucun mauritanien ne se révèle capable de tels actes, ce n’est pas dans nos coutumes, dans nos valeurs, que de s’attaquer à une personne en situation de faiblesse. Ce général qui parle de «sacrifice» en «consentant» à un coup d’Etat, alors qu’il savait, pertinemment, n’avoir personne pour le contrarier, lui qui disposait de toute la force. S’il avait eu, face à lui, des unités armées ou des chefs décidés à en découdre, il aurait risqué sa vie, auquel cas l’emploi du terme «sacrifice» aurait eu quelque valeur. Peut-être aurais-je dû me taire mais je suis, de nature, comme cela, je m’élève contre l’injustice, d’où qu’elle vienne. Si je demande au général de cesser ses abus, par rapport à ceci ou à cela, ce n’est pas que je recherche son intérêt – je pourrais, à la limite, ne pas m’en préoccuper – mais c’est, plus prosaïquement, pour atténuer la souffrance des victimes ou de ceux qui pourraient, éventuellement, en souffrir.
Propos recueillis par Ahmed Ould Cheikh et Dalay Lam
Source: lecalame