
De source généralement bien informée, le général Mohamed Ould Abdel Aziz qui débarque dans la capitale régionale du Gorgol le 25 mars 2009, met pied à terre le lendemain à Boghé où il passe la journée avant de regagner Nouakchott.
Du coup, acteurs politiques locaux, notabilités, victimes de la dictature sanglante du régime de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya (1986-2005), se mobilisent pour réserver un accueil chaleureux et populaire au tombeur de leur bourreau des années de plomb. A Kaédi où son discours est très attendu, le général Mohamed Ould Abdel Aziz, entouré de tous les corps constitués assistera à la prière dite Prière de l’absent. Dans le rite musulman, cette prière est célébrée en mémoire des disparus dont on a pas retrouvé les corps. Après la prière, le raïs s’adressera aux ayants droits afin de leur présenter les excuses de la Nation. Par la suite, une Diya Moughalladha (dédommagement pécuniaire) sera versé à tous les ayants droits. Ainsi, par ces gestes forts, le général président du HCE compte réussir là où tous ses prédécesseurs ont été incapables d’apporter une solution au dossier du passif humanitaire pour des raisons qui restent encore inexpliquées.
Le gouvernement de transition du CMJD avait en effet refusé de se pencher sur cette question, arguant de ce qu’elle devait être réglée par le gouvernement légalement élu. Tous les candidats ont fait à ce sujet des promesses demeurées assez vagues. Ils ont également évoqué l’unité nationale, toujours difficile en Mauritanie, rendant nécessaire tant le rééquilibrage des pouvoirs que le partage de la richesse entre les différentes composantes du pays. Force est de reconnaître que le dernier discours développé par le général Aziz, tout au long de sa tournée dans l’Aftout, tend à accréditer l’idée selon laquelle, l’écart entre riches et pauvres étant trop abruptes et ayant été accentué -surtout durant le règne de Ould Taya- par le développement des trafics illicites, de la corruption et du clientélisme, il convient désormais de renverser la tendance. Un discours qui semble avoir fait mouche dans le milieu des laissés-pour-compte (négro-mauritaniens, Haratines et même maures castés ou non.
Mais le passif humanitaire ne concerne pas que les hommes de tenu, certes militaires, policiers, gendarmes, douaniers et gardes sont concernés tout comme les tas de fonctionnaires radiés de la fonction publique ou des établissements publics tels que la CNSS, l’OPT avant la séparation de la poste et les télécommunications ainsi que d’autres entités relevant du privé. Et ces Mauritaniens, sans salaire, ni domicile fixe encore moins un boulot, risquent de sombrer dans les oubliettes par la faute des Ong des droits de l’homme qui se sont ligués contre le pouvoir militaire, du moins pour celles qui comptent véritablement. L’attitude de ces organisations est incompréhensible, car ce dossier n’a strictement rien à voir avec des points de vue politique. Pour une fois que ces victimes ont un interlocuteur, rien ne devrait lier leur affaire à la situation politique institutionnelle du pays ou à l’ancrage politique des uns et des autres.
Le président déchu n’a pas démérité
Le 29 juin 2007, lors d’une allocution télévisée, le nouveau Président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdellahi fraîchement élu en mars, invitait tous les réfugiés restants à rentrer dans leur pays, conformément à l'engagement de réconciliation nationale pris pendant sa campagne électorale. Il présentait des excuses officielles aux réfugiés et déportés pour les souffrances qui leurs avaient été infligées à la fin des années 1980 et au début des années 1990, et appelé ses concitoyens à "organiser une cérémonie de réception populaire pour leurs compatriotes déportés à leur retour dans leur patrie". « Je voudrais dire à chaque veuve, à chaque orphelin, à chaque réfugié, à chaque opprimé blessé dans sa dignité que je partage l'intimité de sa souffrance", avait-il lancé.
L'Etat "se tiendra aux côtés de toutes les victimes et ayant droit pour réparer équitablement les injustices subies et permettre à tous de participer dans la dignité et l'égalité à la construction de notre avenir commun", avait-t-il promis. Ould Cheikh Abdellahi avait parlé d'"exactions graves et injustifiées" qui ont touché au cours de ces années de braises les populations négro-mauritaniennes sous le régime de Ould Taya. Il appelait ses concitoyens à "faire preuve de tolérance et d'ouvrir une nouvelle page de notre histoire où plus jamais ce genre de pratique absurde et d'un autre âge ne pourra se reproduire", estimant que le processus qui sera engagé dans ce sens doit commencer par "rétablir la confiance propice à une véritable réconciliation des esprits et des coeurs" entre les différentes "composantes nationales", affirmant que l'Etat "assumera entièrement ses responsabilités pour assurer le retour des réfugiés dans la dignité".
Six mois plus tard, des représentants mauritaniens et sénégalais s'étaient rassemblés sous les auspices du HCR et avaient approuvé un calendrier pour le retour de ces réfugiés. Puis ensuite, une délégation de haut niveau conduite l’ancien premier ministre, Yahya Ould Ahmed El Waghef accompagné du ministre de l’intérieur de l’époque, Yall Zakaria Alassane se rend au Sénégal pour rencontrer les représentants des réfugiés encore éparpillés dans plus de 200 camps. « Les souffrances que vous avez endurées pendant ces longues années doivent prendre fin », déclarait le chef du gouvernement de l’époque et ministre secrétaire général de la présidence. Ainsi, en janvier 2008, les cent un premiers réfugiés étaient rentrés en terre natale, suivie d’un second groupe le 13 mars de la même année.
Depuis, le processus de rapatriement se poursuit à un rythme soutenu. Selon les chiffres communiqués par l’ANAIR, sur 12.600 réfugiés candidats au retour, 9675 ont été rapatriés. Sinon on y ajoute ceux revenus par la politique du « Mooyto Koota » de Ould Taya, il en restera toujours quelques 10.000 réfugiés qui végètent dans le pays d’accueil. Des statistiques qui laissent entrevoir une lenteur dans ces opérations de retour depuis qu’elles ont commencé en janvier 2008. Reste à savoir le sort réservé à ceux qui sont au Mali voisin, notamment leur nombre et la date de leur retour. Par ailleurs, il faut le signaler, un 41ème convoi de 298 personnes issues de 87 familles est arrivé vendredi 20 Mars 2009, en fin d’après-midi, à Boghé, pour être relogés dans les villages de Dar Es-Salam, Houdallaye, Boynguel Tchilé, Hamdallaye et dans les sites de Beylane et Amdo au Brakna. Deux nouveaux convois d’environ 400 candidats au retour sont attendus sous peu. En tout, ils seraient 24.000 Mauritaniens réfugiés et déportés, à vivre dans le nord du Sénégal
Oublier reste difficile mais pardonner est possible
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts au sujet du passif humanitaire. Il est vrai que l'impunité est un obstacle à la mémoire, à la justice et à la réconciliation. Pour autant, il ne s’agit pas d’oublier quelque soit l’issue du règlement. Parce que c'est non seulement de mémoires d'hommes qu'il s'agit, mais aussi de mémoire de peuple, de mémoire de nation, de mémoire d'humanité. Raison pour laquelle, ni pour les illustres Tène Youssouf Guèye, Djigo Tafsirou, Bâ Abdoul Goudouss, Sarr Amadou,Sy Saidou et Ba Seidy, ni pour les moins illustres Paysan de Ganki ou simple " citoyen " de Boynguel Tchilé ; Tous sont nés mauritaniens, sont morts sur le sol mauritanien. La tombe du cultivateur inconnu, celle du paysan inconnu, celle du pêcheur inconnu doivent être enfin construits et un mémorial leur doit plusieurs lectures du Coran. La belle plume de Tène Youssouf Guèye ne décrivait-elle pas ces beaux clairs de lune de notre pays ? « Les armes de nos militaires brûlaient d'impatience de percer les fronts des ennemis de notre pays, la houe du paysan raclait énergiquement le sol pour donner à manger aux enfants du pays et le bâton du berger, dans sa course effrénée autour de son troupeau, semblait rassembler ses ouailles (les enfants du pays) pour les amener dans une même direction, là où se trouve le pâturage ».
Moussa Diop
Source: quotidiennouak. via AJD/MR