
La Côte d'Ivoire, enfant chérie de la France, fit son bonheur en Afrique. Elle y devient son plus gros chagrin. Vous ne trouverez pas le pourquoi de ce désastre dans la chute finale de la maison Gbagbo. Dernier acte d'une tragédie annoncée !
Ses deux ressorts étaient tendus de longue date. D'abord dans cette relation si étroite, si "filiale", de la Côte d'Ivoire avec la France et dont l'idylle vire à la tragédie. Par quelle malédiction ? Disons celle d'OEdipe ! Car tout commence sous Houphouët-Boigny dans l'"inceste" politique de la France et de la Côte d'Ivoire, et tout finit, sous Gbagbo, dans le parricide.
Quant à l'autre ressort du désastre, vous le trouvez dans la dissolution d'une Nation héritée du pattern colonial, Babel écartelée par ses peuples entre un Nord sableux, pauvre, musulman et un Sud verdoyant, riche et chrétien.
Houphouët, Gbagbo, voilà les deux figures emblématiques du drame ! Houphouët - de Gaulle ivoirien - fut le grand enchanteur d'une indépendance couvée dans le giron de Paris, d'une "Françafrique" dont il inventa la nature et le nom. Gbagbo, de quarante ans son cadet, rêva, lui, d'une indépendance sinon hostile à la France, du moins délivrée de sa tutelle postcoloniale. La mémoire d'Houphouët s'estompe, aujourd'hui, dans la nostalgie. Et Gbagbo, professeur d'histoire, voit l'Histoire quitter sa bibliothèque et le jeter aux pieds de son rival, disciple d'Houphouët. Gbagbo, OEdipe noir aveuglé puis écrasé par son destin !
Jeune syndicaliste, de teinture marxiste, il a grandi en politique dans l'amitié généreuse de socialistes français. Et en Afrique sous l'ombre épaisse du "grand baobab" Houphouët. Combatif puis subversif, Gbagbo horripile le grand homme, qui le jette en prison, puis le libère,"car l'arbre pardonne à l'oiseau". Mais l'oiseau s'égosille tant à Paris qu'à Abidjan et se voit à nouveau encagé par Ouattara - déjà ! -, alors Premier ministre d'Houphouët.
Ce que veut Gbagbo, ce n'est pas une rupture radicale avec Paris, mais la fin d'une tutelle postcoloniale insidieuse. Il abhorre le rôle ambigu d'Houphouët,"père dénaturé de la Nation", ministre dans quatre gouvernements français avant de présider, en despote éclairé, son propre pays durant plus de trente ans. Et jusqu'à devenir, avec Foccart, le grand manitou post-colonial de l'Afrique francophone. N'Krumah, grand visionnaire, m'aura, le premier, prédit que la liaison incestueuse franco-africaine ferait, un jour, le malheur de ses descendants...
La Côte d'Ivoire, outre son café, est le premier exportateur mondial de cacao. C'était, en Afrique, un pays riche de près de 20 millions d'habitants, avec une enviable classe moyenne de planteurs. Sa richesse s'épanouit dans un Sud peu à peu débordé par les migrations d'un Nord ivoirien prévoltaïque et de ses frères du Burkina et du Mali. Contre leur déferlement, Abidjan réagit avec le concept d'"ivoirité". Après maints désordres, assassinats, émeutes, voici, pour finir, qu'une forte rébellion armée du Nord impose, en 2002, à la Nation que préside Gbagbo une fracture décisive. Entre le Nord et le Sud, un contingent onusiaque et une force militaire française, la Licorne, feront tampon. Mais les accords dits d'union nationale ne seront que chiffons de papier.
L'élection présidentielle de 2010 accouchera de deux présidents. L'un du Nord, Ouattara, reconnu par l'Onu, le ban et l'arrière-ban des Nations. Et face à lui, mauvais perdant, le président sortant, Laurent Gbagbo, élu du Sud. Lequel, ne l'oublions pas, abrite la tête et le coeur de la Nation.
Entre la France et Gbagbo, tout alla de mal en pis. Dans leur guérilla contre la rébellion du Nord, des pilotes ukrainiens enrôlés par Gbagbo tueront par méprise, à Bouaké, neuf soldats de la force française. Sous Chirac, Paris se presse d'en accuser Gbagbo, qui devient sa bête noire. Les grands intérêts français prospéraient encore à Abidjan, mais Gbagbo, obsédé, voit partout la guérilla sourde d'une France animée par la "vindicte chiraquienne". Contre Houphouët, et à la fin contre la France, il porte en vain les derniers coups du parricide.
Voici donc l'épilogue ! Ouattara, économiste de haut vol, gentleman conciliant, adoubé par l'oecuménisme démocrate, va donc diriger un pays exsangue. Ses vraies troupes fidèles sont venues du Nord, et les coeurs du Sud restent, pour lui, à conquérir. Il s'installe dans les fourgons de l'Onu. Et - dernier venin de son rival ! - sous les faisceaux de la France...
Gbagbo, enferré dans sa dénégation, illuminé par son épouse et un quarteron d'évangélistes, s'engloutit, broyé par la tragédie. Un peuple assommé titube vers une hypothétique réconciliation. Une page se tourne de l'histoire d'Afrique ! Avec, dans sa marge, griffé à l'encre rouge, le paraphe du professeur Gbagbo.
CLAUDE IMBERT
Source: lepoint
Ses deux ressorts étaient tendus de longue date. D'abord dans cette relation si étroite, si "filiale", de la Côte d'Ivoire avec la France et dont l'idylle vire à la tragédie. Par quelle malédiction ? Disons celle d'OEdipe ! Car tout commence sous Houphouët-Boigny dans l'"inceste" politique de la France et de la Côte d'Ivoire, et tout finit, sous Gbagbo, dans le parricide.
Quant à l'autre ressort du désastre, vous le trouvez dans la dissolution d'une Nation héritée du pattern colonial, Babel écartelée par ses peuples entre un Nord sableux, pauvre, musulman et un Sud verdoyant, riche et chrétien.
Houphouët, Gbagbo, voilà les deux figures emblématiques du drame ! Houphouët - de Gaulle ivoirien - fut le grand enchanteur d'une indépendance couvée dans le giron de Paris, d'une "Françafrique" dont il inventa la nature et le nom. Gbagbo, de quarante ans son cadet, rêva, lui, d'une indépendance sinon hostile à la France, du moins délivrée de sa tutelle postcoloniale. La mémoire d'Houphouët s'estompe, aujourd'hui, dans la nostalgie. Et Gbagbo, professeur d'histoire, voit l'Histoire quitter sa bibliothèque et le jeter aux pieds de son rival, disciple d'Houphouët. Gbagbo, OEdipe noir aveuglé puis écrasé par son destin !
Jeune syndicaliste, de teinture marxiste, il a grandi en politique dans l'amitié généreuse de socialistes français. Et en Afrique sous l'ombre épaisse du "grand baobab" Houphouët. Combatif puis subversif, Gbagbo horripile le grand homme, qui le jette en prison, puis le libère,"car l'arbre pardonne à l'oiseau". Mais l'oiseau s'égosille tant à Paris qu'à Abidjan et se voit à nouveau encagé par Ouattara - déjà ! -, alors Premier ministre d'Houphouët.
Ce que veut Gbagbo, ce n'est pas une rupture radicale avec Paris, mais la fin d'une tutelle postcoloniale insidieuse. Il abhorre le rôle ambigu d'Houphouët,"père dénaturé de la Nation", ministre dans quatre gouvernements français avant de présider, en despote éclairé, son propre pays durant plus de trente ans. Et jusqu'à devenir, avec Foccart, le grand manitou post-colonial de l'Afrique francophone. N'Krumah, grand visionnaire, m'aura, le premier, prédit que la liaison incestueuse franco-africaine ferait, un jour, le malheur de ses descendants...
La Côte d'Ivoire, outre son café, est le premier exportateur mondial de cacao. C'était, en Afrique, un pays riche de près de 20 millions d'habitants, avec une enviable classe moyenne de planteurs. Sa richesse s'épanouit dans un Sud peu à peu débordé par les migrations d'un Nord ivoirien prévoltaïque et de ses frères du Burkina et du Mali. Contre leur déferlement, Abidjan réagit avec le concept d'"ivoirité". Après maints désordres, assassinats, émeutes, voici, pour finir, qu'une forte rébellion armée du Nord impose, en 2002, à la Nation que préside Gbagbo une fracture décisive. Entre le Nord et le Sud, un contingent onusiaque et une force militaire française, la Licorne, feront tampon. Mais les accords dits d'union nationale ne seront que chiffons de papier.
L'élection présidentielle de 2010 accouchera de deux présidents. L'un du Nord, Ouattara, reconnu par l'Onu, le ban et l'arrière-ban des Nations. Et face à lui, mauvais perdant, le président sortant, Laurent Gbagbo, élu du Sud. Lequel, ne l'oublions pas, abrite la tête et le coeur de la Nation.
Entre la France et Gbagbo, tout alla de mal en pis. Dans leur guérilla contre la rébellion du Nord, des pilotes ukrainiens enrôlés par Gbagbo tueront par méprise, à Bouaké, neuf soldats de la force française. Sous Chirac, Paris se presse d'en accuser Gbagbo, qui devient sa bête noire. Les grands intérêts français prospéraient encore à Abidjan, mais Gbagbo, obsédé, voit partout la guérilla sourde d'une France animée par la "vindicte chiraquienne". Contre Houphouët, et à la fin contre la France, il porte en vain les derniers coups du parricide.
Voici donc l'épilogue ! Ouattara, économiste de haut vol, gentleman conciliant, adoubé par l'oecuménisme démocrate, va donc diriger un pays exsangue. Ses vraies troupes fidèles sont venues du Nord, et les coeurs du Sud restent, pour lui, à conquérir. Il s'installe dans les fourgons de l'Onu. Et - dernier venin de son rival ! - sous les faisceaux de la France...
Gbagbo, enferré dans sa dénégation, illuminé par son épouse et un quarteron d'évangélistes, s'engloutit, broyé par la tragédie. Un peuple assommé titube vers une hypothétique réconciliation. Une page se tourne de l'histoire d'Afrique ! Avec, dans sa marge, griffé à l'encre rouge, le paraphe du professeur Gbagbo.
CLAUDE IMBERT
Source: lepoint