Du combat à l'homme, Saidou Kane ou l'exceptionnalité d'une dimension

A la place d’anecdotes, certes révélatrices de ce qui a été son itinéraire, qu’il nous soit permis de ne revenir que globalement sur l’exceptionnalité de la dimension nationale de l’homme et les qualités humaines hors pair qui la fondent. Nous avons connu Saidou dans les circonstances de son retour au pays, en 1978. Depuis, nous avons puisé de son savoir immense et gardé, même dans la contradiction, de très bonnes relations jusqu'à sa tragique disparition par accident.

A cette époque, pour les jeunes de notre génération, comme par un concours de circonstances, il avait été mis à notre disposition des hommes de valeur: Saidou Kane, Mamadou Samba Diop dit Murtudo, Ibrahima Sarr, Ibrahima Abou Sall, Ibrahima Kassoum BA et tant d’autres lesquels on fait de nous politiquement, en fonction des affinités et des moments, ce que nous somme ou furent pour ce qui ont été rappelés très tôt (pour leur mémoire, on peut citer Moussa Kebe et Jules Sow représentatifs de tous par l’exemplarité de leur militantisme).

Pour le cercle d’initiés qui va devenir l’ossature du Mouvement des Elèves et Etudiants Noirs (MEEN), ses camarades de l’époque comme de ses adversaire de tous les temps, cette disparition sera synonyme de souvenirs poignants, lesquels dénotent du parcours de ce combattant. Des premières réunions de chez Sao Aly Saidou, à la Médina R où il habitait en passant par des joutes a l’occasion des grèves de 1979, des péripéties du Club Unesco, de L’Union Nationale des Etudiants et Stagiaires de Mauritanie (UNESM) ou encore du long processus de la création des Forces de libération Africaines de Mauritanie(FLAM) comme de tous les événements marquant de la vie nationale, l’image de Saidou Kane, toujours égale a lui-même, va être submergeante du fait sa présence, de sa disponibilité tant sur le terrain, par ses moyens que par son efficient apport au plan intellectuel et idéologique. Ces images choc ne seront pas sans croiser Murtudo dont la contribution a été aussi colossale et parce qu’ils étaient si proches.

Saidou Kane vient s’ajouter aussi à la longue listes des martyrs connus ou anonymes.

Cette tragédie qui nous afflige est ressentie comme une perte immense même au delà de la sous- région. Pour que le sacrifice consenti par lui et tant d’autres ne soit pas vain, sa disparition doit être aussi une occasion pour tous, au delà des divergences et de l’appartenance ethnique, de se ressaisir, de méditer et s’inscrire conséquemment dans l’achèvement de leur oeuvre de construction nationale.

En effet, au plan de son engagement, Saidou a laissé à la postérité l’image d’un homme constant. Constance d’un engagement désintéressé pour une Mauritanie debarassee de sa question nationale et sociale, qu’il a choisi dans des circonstances ou tout portait à la compromission et à l’opportunisme. Renonçant aux opportunités qu’offrait l’Europe, Saidou kane rentra au pays où malgré les sollicitations, les contraintes ou la répression, il resta fidèle à cette conviction et mena une lutte sans merci sur tous les fronts et relevant tous les défis.

Les Forces de Libération Africaines de Mauritanie (FLAM) qu’il a contribué à créer, en tant que cadre, vaste mouvement national et démocratique, creuset d’une unité d’action de toutes nos composantes nationales sans exclusive dans la difficile quête de la construction nationale, atteste de la vision qu’il avait du pays. Il ne transigera jamais à cette conception des organisations politiques et en parlait encore, lors de son récent séjour aux USA, avec la même passion, la même conviction.

La perspective historique qu’il avait du combat, confortée par une connaissance profonde de la communauté Arabo-Berbere (dont il revendiquait l’appartenance) comme de la Negro- Africaine, faisait de cet érudit un des meilleurs théoriciens, un accoucheur de conscience remarquablement efficace. Courageux et ayant le courage de ses opinions, ce polyglotte possédait une éloquence inégalée qu’il mettait efficacement au service de toutes les initiatives, lesquelles étaient toujours pour lui une occasion de dénoncer, de conscientiser et d’éduquer. Son impact sur toutes ces générations qui le lui restituent aujourd’hui en constitue la preuve éclatante.

Cet engagement sans faille, son implication dans tous les combats (politique, culturel, sociale, syndicale..), sa contribution inestimable dans la construction nationale, son acceptation par l’ensemble de toutes nos communautés attestent de l’exceptionnalité de la dimension nationale de l’homme. Malheureusement, Saidou n’échappa pas à cette vérité simple, laquelle veut que les œuvres des héros ne soient reconnus qu’a titre posthume. Cette dimension de l’homme se fonde dans son cas sur un don de qualités humaines hors pair. L’unanimité qu’il a réussi à faire autour de sa personne des l’annonce de sa disparition en est une _expression conséquente, éloquemment manifestée a travers la spontanéité des réactions des ses amis comme de ses adversaires. La compassion témoignée et l’immensité de la perte ressentie par tous montrent que l’on pouvait avoir des divergences avec lui, mais que l’on ne pouvait être indifférent à l’homme. Son sens élevé des relations humaines, le respect de l’autre dans toutes les circonstances, sa courtoisie légendaire, son credo de l’autorité de l’argument faisaient, entre autres, que l’on ne pouvait aussi s’aliéner la personne.

Cette qualité, tout en conférant à ce débatteur redoutable l’estime et le respect tant de la classe politique Arabo-Berbere que Negro- Africaine à l’intérieur, justifiait son large réseau relationnel à l’extérieur.

A cela s’ajoutait le caractère intégrateur de l’homme, transcendant tant nos communautés ethniques que les générations, lequel n’avait d’égale que sa générosité. Saidou partageait dans l’opulence comme dans les moments les plus difficiles. L’ensemble de ces qualités, liées la dimension exceptionnelle de ce rassembleur d’hommes, montrent qu’il reste un symbole. Saidou Kane, ravi à la Mauritanie et à ses amis de toutes les luttes de principe à travers le monde, n’est pas un géant qui s’est écroulé mais un monument dressé pour rappeler et baliser un devoir de mémoire, l’assumation d’un projet inachevé, l’achèvement d’une difficile construction nationale.

Saidou Kane a réussi le pari d’une vie remplie pour la nation à laquelle il croyait, pourrions nous, au delà de l’émotion et autrement que par la vaine agitation, être à la hauteur des enjeux réels de l’héritage ?

ADIEU COMPAGNON ET REPOSE EN PAIX !!!!!!!!!

Par Amar Abdoulaye BA
(Membre fondateur du MEEN, des FLAM et ancien Secrétaire aux Relations Extérieures de l’UNESM.) et
Oumar Sileye BA (Membre fondateur du MEEN, des FLAM et ancien Secrétaire Général de l’UNESM).