
Dressées sur le sable, des tentes blanches, presque aveuglantes sous le soleil, accueillent, tout près du village de Medina Salam, neuf familles mauritaniennes. Tamsir N'Diaye, 34 ans, peut le prouver : d'une petite poche de plastique nouée avec soin, il tire des imprimés jaunes qui attestent sa condition de " réfugié mauritanien rapatrié du Sénégal ".
Première étape avant de récupérer sa nationalité, perdue il y a plus de vingt ans. Avec sa femme et leurs cinq enfants, il fait partie du " groupe test " de 121 personnes qui ont été acheminées le 18 octobre par le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) depuis le Sénégal, de l'autre côté du fleuve, jusqu'ici, en Mauritanie, dans la région du Trarza, à 35 km de la ville de Rosso.
D'autres vont suivre. Mardi 26 octobre, après dix mois d'interruption, le programme de rapatriement des Nations unies pour les Mauritaniens, en majorité peuls et wolofs, expulsés vers le Sénégal en 1989 lors de violents affrontements ethniques avec les Maures, reprend. A raison d'un convoi par semaine jusqu'en décembre, 2 484 personnes, identifiées comme Mauritaniens réfugiés au Sénégal, devraient retrouver leur terre.
Il a fallu parfois la constitution de commissions de sages pour rétablir les états civils, avant de prendre le chemin du retour. " Cela a été un génocide car une communauté a été délibérément visée par un Etat. Nous continuons à nous battre pour une commission vérité et réconciliation ", déclare Ibrahima Moctar Sarr, président de l'Alliance pour la justice et la démocratie-Mouvement pour la rénovation (AJD-MR) et ancien candidat à l'élection présidentielle mauritanienne.
Alors que le pays va fêter le 28 novembre le 50e anniversaire de son indépendance, l'AJD-MR a suscité l'émoi en suggérant, dans un mémorandum, de rebaptiser la Mauritanie, " qui n'évoque que l'appartenance à une seule communauté ". Le programme de retour, cependant, est porté par les autorités. " L'impulsion politique est là ", dit Elise Villechalane, chargée de mission au HCR à Nouakchott.
Tamsir N'Diaye avait 14 ans quand il a été forcé de quitter, avec sa famille, le territoire mauritanien, Fatou M'Baye quelques mois à peine. " Là-bas, dit cette jeune mère en désignant du menton la direction du Sénégal, je faisais de la couture, ici, je ne sais pas... "
Les derniers arrivés sont désemparés. Le robinet d'eau est un peu loin. Ils voudraient revoir un médecin parce qu'un enfant s'est blessé. Ils s'inquiètent des récentes pluies diluviennes qui ont transformé les terrains alentour en boue épaisse. Ils voudraient pouvoir s'installer dans une habitation comme celles situées à quelques centaines de mètres de Medina Salam, un village de rapatriés plus ancien dirigé par Yacoub Diop, 56 ans, un ex-officier de gendarmerie. " J'ai été déporté comme tout le monde, mais je suis revenu en 1998 parce qu'on ne peut pas rester réfugié toute sa vie ", dit-il. Toutes ses demandes pour réintégrer la fonction publique n'ont jamais abouti. Il rit. " Je n'ai pas de pension mais je suis quand même trésorier de l'association des retraités de la gendarmerie de la région... " Comme la plupart des rapatriés, il est devenu agriculteur.
Depuis janvier 2008, en application de l'accord tripartite passé entre le HCR, le Sénégal et la Mauritanie, 19 048 Mauritaniens sont déjà rentrés. Mais la seconde phase qui commence implique davantage le gouvernement mauritanien à travers l'Agence nationale d'appui et d'insertion des réfugiés (Anair) qui prend entièrement en charge, sur son territoire, l'aide au retour.
Les familles reçoivent une assistance pour leurs démarches, un peu de matériel pour bâtir une habitation, un lopin de terre, une vache et son petit ou plus. " Chacun peut revenir où il le souhaite. Mais ce choix-là nous a posé des problèmes avec une prolifération de villages, aujourd'hui au nombre de 117, explique son directeur Bâ Madine, à Nouakchott. On ne peut pas toujours faire un dispensaire ou une école pour cinq familles mais malgré tout, les besoins de base, notamment pour l'approvisionnement en eau, sont partout assurés. "
Les autorités mauritaniennes ont déployé de réels efforts. " A Medina Salam, 57 hectares ont été aménagés en riziculture, et la production, cette année, a été exceptionnelle ", se réjouit Souleymane Ould Brahim, responsable de l'Anair dans le Trarza. " On est mieux ici, opine Boubacar Bâ, un rapatrié de 58 ans. Mieux que dans les camps de réfugiés. " Mais les problèmes restent importants. Les écoles manquent de moyens pour accueillir les enfants nés au Sénégal, qui ne parlent pas un mot d'hassanya (arabe dialectal). Les papiers d'identité définitifs tardent à venir. Ceux qui choisissent les villes s'entassent dans les bidonvilles.
Ailleurs, les litiges fonciers persistent. Bien peu de familles récupèrent les terres qu'elles occupaient avant 1989, exploitées, après vingt ans d'absence, par d'autres. Les compensations offertes par le gouvernement ne suffisent pas. " Dans la majorité des cas, nous privilégions les solutions consensuelles, la justice doit rester le recours ultime car alors il y a un gagnant et un perdant et cela ne favorise pas l'unité nationale ", souligne Bâ Madine.
" On nous a prêté ou loué 8 hectares, dont 4 seulement sont aménagés, pour 74 familles ; avant, on avait 14 hectares pour 35 familles ", proteste Aliou Moussa Sow, chef du village PK6. Les terres, que son groupe revendique, se situent juste de l'autre côté du " goudron ", comme on dit ici pour désigner une route.
Entre les villages dits d'accueil, et les nouveaux, formés par les rapatriés, les conflits éclatent. -L'Anair finance des projets pour y remédier, un marché, un puits, une coopérative, dont la gestion est confiée aux deux parties. Les habitants de PK6 vivent du petit commerce, le " touche-à-tout ", mais surtout d'élevage, de maraîchage et de la culture du maïs.
La Mauritanie, qui importe la majorité des produits qu'elle consomme, a bien compris l'intérêt que le pays pouvait avoir à développer son agriculture. Mais alors que de nouvelles familles sont attendues, d'autres, découragées, retraversent le fleuve. Avec leur nationalité retrouvée.
Isabelle Mandraud
L'unité nationale à l'épreuve des tensions ethniques
L'unité nationale est un thème cher à la Mauritanie, qui fêtera, le 28 novembre, le 50e anniversaire de son indépendance. Un thème toujours sensible aussi.
Entre 1989 et 1991, le long du fleuve Sénégal, le conflit sénégalo-mauritanien a opposé les deux pays. Entre 60 000 et 100 000 négro-mauritaniens ont alors été chassés de chez eux. Beaucoup ont été également expulsés de la fonction publique et de l'armée.
Le 28 novembre 1987, date anniversaire de l'indépendance, plusieurs officiers négro-mauritaniens, soupçonnés de préparer un coup d'Etat, ont été condamnés à mort.
La frontière entre la Mauritanie et le Sénégal n'est rouverte que le 2 mai 1992. Mais il faut attendre quinze ans pour qu'un accord entérine, officiellement, le retour des rapatriés. Dans la petite République islamique de Mauritanie, le conflit ne porte pas sur la religion musulmane, partagée par la quasi-totalité de ses 3,3 millions d'habitants, mais sur la coexistence de plusieurs ethnies dans un pays considéré comme le trait d'union entre le Maghreb et l'Afrique.
Majoritairement peuls (ou pulaars), wolofs ou soninké, les habitants noirs de la vallée du fleuve (par opposition à ceux du désert, au nord et à l'est de la Mauritanie) s'estiment toujours victimes de racisme de la part des arabo-berbères et dénoncent l'arabisation de l'enseignement qui les défavorise. Les Haratines, anciens esclaves, sont aussi une composante importante de la société.
" Aujourd'hui, nous, les négro-mauritaniens, sommes totalement absents du domaine culturel, de la radio et de la télévision ", dénonce Ibrahima Moctar Sarr, président du parti AJD-MR, qui se dit partisan, dans un mémorandum rédigé pour la célébration de l'indépendance, d'une " politique de quotas ". " Chaque tribu, dit-il, doit avoir sa place au gouvernement. "
I. M.
Le Monde
Source: AJD/MR
Première étape avant de récupérer sa nationalité, perdue il y a plus de vingt ans. Avec sa femme et leurs cinq enfants, il fait partie du " groupe test " de 121 personnes qui ont été acheminées le 18 octobre par le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) depuis le Sénégal, de l'autre côté du fleuve, jusqu'ici, en Mauritanie, dans la région du Trarza, à 35 km de la ville de Rosso.
D'autres vont suivre. Mardi 26 octobre, après dix mois d'interruption, le programme de rapatriement des Nations unies pour les Mauritaniens, en majorité peuls et wolofs, expulsés vers le Sénégal en 1989 lors de violents affrontements ethniques avec les Maures, reprend. A raison d'un convoi par semaine jusqu'en décembre, 2 484 personnes, identifiées comme Mauritaniens réfugiés au Sénégal, devraient retrouver leur terre.
Il a fallu parfois la constitution de commissions de sages pour rétablir les états civils, avant de prendre le chemin du retour. " Cela a été un génocide car une communauté a été délibérément visée par un Etat. Nous continuons à nous battre pour une commission vérité et réconciliation ", déclare Ibrahima Moctar Sarr, président de l'Alliance pour la justice et la démocratie-Mouvement pour la rénovation (AJD-MR) et ancien candidat à l'élection présidentielle mauritanienne.
Alors que le pays va fêter le 28 novembre le 50e anniversaire de son indépendance, l'AJD-MR a suscité l'émoi en suggérant, dans un mémorandum, de rebaptiser la Mauritanie, " qui n'évoque que l'appartenance à une seule communauté ". Le programme de retour, cependant, est porté par les autorités. " L'impulsion politique est là ", dit Elise Villechalane, chargée de mission au HCR à Nouakchott.
Tamsir N'Diaye avait 14 ans quand il a été forcé de quitter, avec sa famille, le territoire mauritanien, Fatou M'Baye quelques mois à peine. " Là-bas, dit cette jeune mère en désignant du menton la direction du Sénégal, je faisais de la couture, ici, je ne sais pas... "
Les derniers arrivés sont désemparés. Le robinet d'eau est un peu loin. Ils voudraient revoir un médecin parce qu'un enfant s'est blessé. Ils s'inquiètent des récentes pluies diluviennes qui ont transformé les terrains alentour en boue épaisse. Ils voudraient pouvoir s'installer dans une habitation comme celles situées à quelques centaines de mètres de Medina Salam, un village de rapatriés plus ancien dirigé par Yacoub Diop, 56 ans, un ex-officier de gendarmerie. " J'ai été déporté comme tout le monde, mais je suis revenu en 1998 parce qu'on ne peut pas rester réfugié toute sa vie ", dit-il. Toutes ses demandes pour réintégrer la fonction publique n'ont jamais abouti. Il rit. " Je n'ai pas de pension mais je suis quand même trésorier de l'association des retraités de la gendarmerie de la région... " Comme la plupart des rapatriés, il est devenu agriculteur.
Depuis janvier 2008, en application de l'accord tripartite passé entre le HCR, le Sénégal et la Mauritanie, 19 048 Mauritaniens sont déjà rentrés. Mais la seconde phase qui commence implique davantage le gouvernement mauritanien à travers l'Agence nationale d'appui et d'insertion des réfugiés (Anair) qui prend entièrement en charge, sur son territoire, l'aide au retour.
Les familles reçoivent une assistance pour leurs démarches, un peu de matériel pour bâtir une habitation, un lopin de terre, une vache et son petit ou plus. " Chacun peut revenir où il le souhaite. Mais ce choix-là nous a posé des problèmes avec une prolifération de villages, aujourd'hui au nombre de 117, explique son directeur Bâ Madine, à Nouakchott. On ne peut pas toujours faire un dispensaire ou une école pour cinq familles mais malgré tout, les besoins de base, notamment pour l'approvisionnement en eau, sont partout assurés. "
Les autorités mauritaniennes ont déployé de réels efforts. " A Medina Salam, 57 hectares ont été aménagés en riziculture, et la production, cette année, a été exceptionnelle ", se réjouit Souleymane Ould Brahim, responsable de l'Anair dans le Trarza. " On est mieux ici, opine Boubacar Bâ, un rapatrié de 58 ans. Mieux que dans les camps de réfugiés. " Mais les problèmes restent importants. Les écoles manquent de moyens pour accueillir les enfants nés au Sénégal, qui ne parlent pas un mot d'hassanya (arabe dialectal). Les papiers d'identité définitifs tardent à venir. Ceux qui choisissent les villes s'entassent dans les bidonvilles.
Ailleurs, les litiges fonciers persistent. Bien peu de familles récupèrent les terres qu'elles occupaient avant 1989, exploitées, après vingt ans d'absence, par d'autres. Les compensations offertes par le gouvernement ne suffisent pas. " Dans la majorité des cas, nous privilégions les solutions consensuelles, la justice doit rester le recours ultime car alors il y a un gagnant et un perdant et cela ne favorise pas l'unité nationale ", souligne Bâ Madine.
" On nous a prêté ou loué 8 hectares, dont 4 seulement sont aménagés, pour 74 familles ; avant, on avait 14 hectares pour 35 familles ", proteste Aliou Moussa Sow, chef du village PK6. Les terres, que son groupe revendique, se situent juste de l'autre côté du " goudron ", comme on dit ici pour désigner une route.
Entre les villages dits d'accueil, et les nouveaux, formés par les rapatriés, les conflits éclatent. -L'Anair finance des projets pour y remédier, un marché, un puits, une coopérative, dont la gestion est confiée aux deux parties. Les habitants de PK6 vivent du petit commerce, le " touche-à-tout ", mais surtout d'élevage, de maraîchage et de la culture du maïs.
La Mauritanie, qui importe la majorité des produits qu'elle consomme, a bien compris l'intérêt que le pays pouvait avoir à développer son agriculture. Mais alors que de nouvelles familles sont attendues, d'autres, découragées, retraversent le fleuve. Avec leur nationalité retrouvée.
Isabelle Mandraud
L'unité nationale à l'épreuve des tensions ethniques
L'unité nationale est un thème cher à la Mauritanie, qui fêtera, le 28 novembre, le 50e anniversaire de son indépendance. Un thème toujours sensible aussi.
Entre 1989 et 1991, le long du fleuve Sénégal, le conflit sénégalo-mauritanien a opposé les deux pays. Entre 60 000 et 100 000 négro-mauritaniens ont alors été chassés de chez eux. Beaucoup ont été également expulsés de la fonction publique et de l'armée.
Le 28 novembre 1987, date anniversaire de l'indépendance, plusieurs officiers négro-mauritaniens, soupçonnés de préparer un coup d'Etat, ont été condamnés à mort.
La frontière entre la Mauritanie et le Sénégal n'est rouverte que le 2 mai 1992. Mais il faut attendre quinze ans pour qu'un accord entérine, officiellement, le retour des rapatriés. Dans la petite République islamique de Mauritanie, le conflit ne porte pas sur la religion musulmane, partagée par la quasi-totalité de ses 3,3 millions d'habitants, mais sur la coexistence de plusieurs ethnies dans un pays considéré comme le trait d'union entre le Maghreb et l'Afrique.
Majoritairement peuls (ou pulaars), wolofs ou soninké, les habitants noirs de la vallée du fleuve (par opposition à ceux du désert, au nord et à l'est de la Mauritanie) s'estiment toujours victimes de racisme de la part des arabo-berbères et dénoncent l'arabisation de l'enseignement qui les défavorise. Les Haratines, anciens esclaves, sont aussi une composante importante de la société.
" Aujourd'hui, nous, les négro-mauritaniens, sommes totalement absents du domaine culturel, de la radio et de la télévision ", dénonce Ibrahima Moctar Sarr, président du parti AJD-MR, qui se dit partisan, dans un mémorandum rédigé pour la célébration de l'indépendance, d'une " politique de quotas ". " Chaque tribu, dit-il, doit avoir sa place au gouvernement. "
I. M.
Le Monde
Source: AJD/MR