
Wal Fadjri : Quel est l’état actuel de la pratique journalistique en Afrique ?
Lanciné CAMARA : Dans la pratique journalistique en Afrique, il y a des hauts et des bas. Il y en a qui sont des journalistes incendiaires, provocateurs. Malheureusement, ils ne respectent pas souvent la déontologie. Ces journalistes qui désinforment, ont intérêt dans un continent qui est à feu et à sang par les guerres ethniques, à informer sans rajouter de l’huile sur le feu.
Heureusement, ici au Sénégal, vous avez des journalistes qui sont très responsables et sérieux dans leur métier. Il faut que la presse africaine soit de bonne qualité et que les journalistes soient de très bonne formation. C’est une exigence morale et déontologique. Il y a partout de très bons journalistes. Mais, évidemment, on en trouve aussi de très mauvais.
Vous mettez l’accent sur la formation. Mais où se situe la faille ?
Il faut des écoles de journalisme de bonne qualité. Je sais qu’à Dakar, vous avez des centres où vous êtes formés par de grands professionnels qui vous disent que la rigueur est de mise et qu’il ne faut rien faire ni dire à la légère. Mais il y a des pays africains où ce type de centre de formation de journalisme n’existe pas ou, en tout cas, existe peu. La faille, c’est cela. Parce que c’est dès l’école de journalisme qu’il faut apprendre à être rigoureux, responsable, à être compétitif, rentable intellectuellement et journalistiquement, mais aussi à être un communicateur qui apporte un plus à la communication et non pas être un journaliste alimentaire. C’est vrai qu’il faut que les journalistes soient payés, mais la presse, c’est une entreprise comme les autres, ce sont les meilleurs qui gagnent. C’est cela la vérité, et plus il y a de meilleurs, plus la presse se porte bien.
Le respect de la profession de journaliste se pose-t-il en Afrique ?
Ah si ! Quand je crée un journal, au départ, c’est une entreprise dans laquelle je mets de l’argent. Si je veux que cette entreprise prospère, je ne peux que travailler avec des journalistes compétents. Le ‘Devoir Africain, c’est simple, je prends des journalistes qui savent écrire, lire et qui savent apporter la bonne nouvelle. Mais il faut qu’au départ, les journalistes soient payés en fonction de leur qualité, de leurs articles, cela coule de source.
Quels sont les défis de la presse africaine, cinquante ans après les indépendances ?
Les défis sont colossaux. Ce sont des défis énormes. D’abord, il y a que les populations africaines sont sous informées. Sinon, comment est-ce que vous pouvez expliquer que, dans un continent assis sur des mines d’or, de diamant et parfois sur des puits de pétrole, les gens meurent de faim ? C’est parce qu’il y a la sous-information d’une part, et d’autre part, il y a des dirigeants qui n’en valent pas la peine. Un bon dirigeant que ce soit au Sénégal, en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Nigeria, c’est d’abord s’entourer de cadres compétents, de gens qui créent, qui inventent, qui innovent. Ce sont ces gens-là qui créent la richesse. Ce sont ces gens qui font qu’on peut transformer sur le terrain à Dakar, à Bamako, etc., nos matières premières pour que nos populations puissent en bénéficier. Malheureusement, ce n’est pas le cas. On vient prendre nos matières premières avec des dirigeants complaisants, on va les transformer à Paris, à Londres, aux Etats-Unis, et l’on vient nous les revendre au prix fort. Mais il faut sortir de là et le journaliste, en informant les populations, doit faire prendre conscience à nos dirigeants ces lacunes.
Il y en a qui le font, mais qui sont traqués par les pouvoirs publics...
S’ils sont traqués par les pouvoirs publics ou par des régimes au pouvoir, il faut qu’ils s’adressent à toutes les agences internationales pour dire que ce n’est pas normal qu’un journaliste qui dénonce nos défauts, particulièrement ceux de nos dirigeants soit persécuté. Si un jour, un journaliste sérieux qui dénonce nos tares, est traqué, l’Union internationale des journalistes africains est là pour le soutenir.
Combien de journalistes sont-ils détenteurs de la carte de presse de l’union que vous dirigez ?
Nous faisons cent soixante journalistes africains, dont soixante-dix sont basés en Afrique, le reste étant éparpillé aux Etats-Unis et en Europe.
Comment ce rôle de défenseur des droits des journalistes peut-il impacter positivement sur un jeune reporter au Sénégal qui croupit sous le poids de la misère ?
Il faut, à ce moment-là, des états généraux de la presse pour que les journalistes sénégalais s’en sortent. Faire la part des choses, voir ce qui n'a pas marché et ce qu’il faut maintenir comme déjà acquis. Ce seront des décisions que vous allez soumettre aux autorités. Je sais que le gouvernement sénégalais a toujours contribué, d’une façon ou d’une autre, à la promotion de la presse. Il vous verse une certaine somme et c’est à vous de bien partager ce qu’on vous donne. Il faut que cet argent ait un impact positif sur les journalistes pour qu’ils ne croupissent pas dans la misère. Ceci n’est pas normal, c’est à corriger.
Mais cette subvention ne peut-elle pas servir d’arguments à l’Etat pour étrangler la presse ?
Non ! La subvention, c’est quelque chose de normal. Les entreprises de presse sont des entreprises privées que l’Etat assiste selon ses moyens. Que l’Etat accorde cette subvention à la presse, c’est tout à fait normal. C’est une règle universelle. Mais, les agences de presse doivent, en fonction de cela, s’organiser pour avoir des sponsors autres que l’Etat, et puis faire en sorte que les investisseurs viennent vers eux dans le cadre de leur promotion, tout en restant dans le cadre de la déontologie. C’est comme cela que la presse elle-même pourra tenir debout financièrement, payer ses journalistes et avancer dans la bonne direction. Ce n’est pas du tout incompatible.
Mais, dans ce cas, l’organe partenaire n’est-il pas tenté d’étouffer une information qui ne plaît ?
Mais, que non ! Je vous donne mon propre cas. Quand j’ai dit au président Omar Bongo (paix à son âme) que ce qui est arrivé à Mobutu, à Bokassa peut lui arriver, il ne me croyait pas. Je lui ai dit que la françafrique avait fait croire à Bokassa que c’était un empereur, mais c’étaient les diamants qui intéressaient Giscard. De la même manière, quand Mobutu était encensé par une certaine presse française et européenne en disant que c’était le meilleur, j’ai dit non, que tout cela n’est pas bon. A l’époque, quand les journalistes allaient les voir, ils essayaient même de vous soudoyer. Je leur ai dit que je ne suis pas là pour me faire soudoyer, mais pour vous donner de bons conseils. Quand j’ai dit cela à Bongo, qu’il allait se faire avoir par la Françafrique, que finalement, les biens mal acquis qu’il donnait - les voitures de luxe, les appartements achetés à Paris - que tôt ou tard, la même Françafrique va les lui reprendre, il ne me croyait pas. Deux ans avant sa mort, alors que Bongo ne m’avait jamais écouté, quand les journaux français l’ont lâché, ils ont dit que c’était quelqu’un qui a volé de l’argent de son pays, qui est venu acheter des appartements à Paris, qu’il faut absolument poursuivre devant les tribunaux, il était complètement décontenancé lorsqu’il m’a appelé. En fin de compte, ces gens-là ne nous aiment pas, ils aiment nos dirigeants à travers le pétrole ou à travers le bois ou les diamants qu’ils peuvent exploiter, mais au fond, ils se foutent de nous. C’est cela aussi le rôle d’un journaliste, faire de la prévention sans se laisser soudoyer, sans se laisser intimider, informer sans provoquer.
Il se pose souvent le débat sur l’acceptation des per diem par les journalistes. Dans quelle circonstance, cet argent ne devrait-il pas être accepté ?
Cette question se pose partout. Mais, c’est une question de morale. Si le journaliste est pigiste, n’a pas les moyens, il est tout à fait normal que quelqu’un lui donne généreusement de l’argent. Je dis bien un journaliste pigiste qui n’a pas les moyens. Maintenant, si c’est un journaliste qui a tout ce qu’il faut, à ce moment-là, cela devient de la corruption. Il faut faire la part des choses. Faites la différence entre les deux. Entre celui qui est dans la misère et celui qui n’est pas dans la misère. Vous n’allez pas reprocher à ces journalistes qui sont dans la misère de prendre des perdiems, il faut comprendre que c’est par nécessité qu’ils ont pris ça. Cela révèle des non-dits. Cela est à prendre avec énormément de pincettes, ce ne saurait être de la corruption.
Comment doit s’établir la relation entre pouvoir et presse en Afrique ?
Le rapport doit être cordial, intelligent et incorruptible. Je vous donne un exemple : j’ai appris chez le président Wade trois grandes idées. La première, je le dis sans complexe et sans honte, c’est le fait de mettre fin à l’existence de la base militaire française ici au Sénégal. Je pense que c’est un pas en avant. Avant lui, Senghor et Diouf étaient bien placés pour le faire, mais ne l’ont pas fait. Votre souveraineté vous revient définitivement. Je dis que tout journaliste, écrivain, penseur qui ne soutiendrait pas ce comportement de Wade est un mauvais journaliste, un mauvais écrivain, un mauvais penseur. Quand Wade, malgré la misère au Sénégal, fait le Monument de la Renaissance, c’est un pas en avant, parce qu’il y a des pays comme le Nigeria, la Côte d’Ivoire, le Cameroun, comme chez moi en Guinée qui ont beaucoup plus de moyens que les Sénégalais, mais où les populations meurent de faim.
Mais, au Sénégal, l’opinion se pose des questions sur son opportunité...
Attendez, ces pays sont beaucoup plus riches que le Sénégal. Non seulement les populations y meurent de faim, mais il n’y a ni Monument de la Renaissance ni Festival mondial des arts nègres. Le Sénégal, avec peu de moyens, essaie de faire ce festival, de faire ce monument à la gloire de notre passé, mais en luttant contre la misère dans le pays. Un bon dirigeant, c’est celui qui a des idées pertinentes, qui avance tout en combattant les difficultés.
Des éditeurs de presse africaine ont primé des chefs d’Etats africains qui se sont le plus illustrés dans les rapports de bon voisinage entre presse et pouvoir. Quels ont été les critères à cet effet ?
Il ne faut pas faire de la complaisance. Il y a quand même des chefs d’Etats comme Amadou Toumani Touré du Mali, comme Nelson Mandela de l’Afrique du Sud qui font du bon boulot dans ce sens. Pour Mandela, il est tout à fait normal.
Mais, le président Wade a été zappé...
Attendez, il y a des chefs d’Etat qui font du bon travail. C’est le cas de Mandela quand il s’agit de rechercher la paix. Att fait de son mieux. Avant d’être chef d’Etat du Mali, il a été un peu partout, à l’époque en République démocratique du Congo, uniquement dans le cadre de la recherche de paix. Mais, on a beau dire, Wade aussi fait de son mieux. On ne peut pas reprocher à Wade quand il va voir Moussa Dadis Camara en Guinée, en lui disant, je te prends sur mes ailes, mais en même temps il faut que tu sois capable d’organiser des élections et de t’en aller. Je trouve que tout cela entre dans le cadre de la recherche de la paix. Un chef d’Etat qui fait ça, mérite d’être cité en exemple. Ce n’est pas de la complaisance.
Ce zapping n’est-il dû au fait qu’au Sénégal, les rapports entre presse et pouvoirs publics sont souvent mouvementés ?
La presse sénégalaise a le droit de dénoncer ce qui est mauvais, tout en disant ce qui est bon, mais sans tomber dans la provocation. La provocation n’a jamais été du côté de la déontologie. Quand j’ai parlé à Bokassa, c’était avec beaucoup de courtoisie, c’est cela qu’il faut, c’est dire la vérité. Qu’on vous écoute ou pas, dès lors que vous le faites de la manière la plus sincère, il n’y a aucun problème. Quand en France le journal Libération critique Nicolas Sarkozy, mais il met en même temps en avant certains bons points de sa politique, il est respecté. Une bonne presse est toujours respectée.
Parlons de l’organisation interne de la corporation. Existe-t-il une synergie d’actions autour des grands axes de combats que mènent les différentes entités organisées de journalistes en Afrique ?
Comme toute corporation, les journalistes ont le droit de rayonner, de se défendre, mais cela ne dépend que d’eux. Toutes ces organisations ont une responsabilité en ce qui concerne une vision normale, utile de l’Afrique qui est toujours sous informée.
Où en sont les discussions avec l’Etat du Sénégal pour l’implantation à Dakar du nouveau siège de la Fédération africaine de journalistes ?
Il y aura une réponse assez rapidement, d’autant plus que cette fédération sera certainement invitée au Festival mondial des arts nègres à l’occasion duquel il y aura beaucoup de débats sur le rôle de la presse dans une Afrique mal informée. Je pense que cette fédération nous dira si son siège peut être à Dakar et dans quelles conditions.
Propos recueillis par Abdoulaye SIDY
Source: walfadjiri
Lanciné CAMARA : Dans la pratique journalistique en Afrique, il y a des hauts et des bas. Il y en a qui sont des journalistes incendiaires, provocateurs. Malheureusement, ils ne respectent pas souvent la déontologie. Ces journalistes qui désinforment, ont intérêt dans un continent qui est à feu et à sang par les guerres ethniques, à informer sans rajouter de l’huile sur le feu.
Heureusement, ici au Sénégal, vous avez des journalistes qui sont très responsables et sérieux dans leur métier. Il faut que la presse africaine soit de bonne qualité et que les journalistes soient de très bonne formation. C’est une exigence morale et déontologique. Il y a partout de très bons journalistes. Mais, évidemment, on en trouve aussi de très mauvais.
Vous mettez l’accent sur la formation. Mais où se situe la faille ?
Il faut des écoles de journalisme de bonne qualité. Je sais qu’à Dakar, vous avez des centres où vous êtes formés par de grands professionnels qui vous disent que la rigueur est de mise et qu’il ne faut rien faire ni dire à la légère. Mais il y a des pays africains où ce type de centre de formation de journalisme n’existe pas ou, en tout cas, existe peu. La faille, c’est cela. Parce que c’est dès l’école de journalisme qu’il faut apprendre à être rigoureux, responsable, à être compétitif, rentable intellectuellement et journalistiquement, mais aussi à être un communicateur qui apporte un plus à la communication et non pas être un journaliste alimentaire. C’est vrai qu’il faut que les journalistes soient payés, mais la presse, c’est une entreprise comme les autres, ce sont les meilleurs qui gagnent. C’est cela la vérité, et plus il y a de meilleurs, plus la presse se porte bien.
Le respect de la profession de journaliste se pose-t-il en Afrique ?
Ah si ! Quand je crée un journal, au départ, c’est une entreprise dans laquelle je mets de l’argent. Si je veux que cette entreprise prospère, je ne peux que travailler avec des journalistes compétents. Le ‘Devoir Africain, c’est simple, je prends des journalistes qui savent écrire, lire et qui savent apporter la bonne nouvelle. Mais il faut qu’au départ, les journalistes soient payés en fonction de leur qualité, de leurs articles, cela coule de source.
Quels sont les défis de la presse africaine, cinquante ans après les indépendances ?
Les défis sont colossaux. Ce sont des défis énormes. D’abord, il y a que les populations africaines sont sous informées. Sinon, comment est-ce que vous pouvez expliquer que, dans un continent assis sur des mines d’or, de diamant et parfois sur des puits de pétrole, les gens meurent de faim ? C’est parce qu’il y a la sous-information d’une part, et d’autre part, il y a des dirigeants qui n’en valent pas la peine. Un bon dirigeant que ce soit au Sénégal, en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Nigeria, c’est d’abord s’entourer de cadres compétents, de gens qui créent, qui inventent, qui innovent. Ce sont ces gens-là qui créent la richesse. Ce sont ces gens qui font qu’on peut transformer sur le terrain à Dakar, à Bamako, etc., nos matières premières pour que nos populations puissent en bénéficier. Malheureusement, ce n’est pas le cas. On vient prendre nos matières premières avec des dirigeants complaisants, on va les transformer à Paris, à Londres, aux Etats-Unis, et l’on vient nous les revendre au prix fort. Mais il faut sortir de là et le journaliste, en informant les populations, doit faire prendre conscience à nos dirigeants ces lacunes.
Il y en a qui le font, mais qui sont traqués par les pouvoirs publics...
S’ils sont traqués par les pouvoirs publics ou par des régimes au pouvoir, il faut qu’ils s’adressent à toutes les agences internationales pour dire que ce n’est pas normal qu’un journaliste qui dénonce nos défauts, particulièrement ceux de nos dirigeants soit persécuté. Si un jour, un journaliste sérieux qui dénonce nos tares, est traqué, l’Union internationale des journalistes africains est là pour le soutenir.
Combien de journalistes sont-ils détenteurs de la carte de presse de l’union que vous dirigez ?
Nous faisons cent soixante journalistes africains, dont soixante-dix sont basés en Afrique, le reste étant éparpillé aux Etats-Unis et en Europe.
Comment ce rôle de défenseur des droits des journalistes peut-il impacter positivement sur un jeune reporter au Sénégal qui croupit sous le poids de la misère ?
Il faut, à ce moment-là, des états généraux de la presse pour que les journalistes sénégalais s’en sortent. Faire la part des choses, voir ce qui n'a pas marché et ce qu’il faut maintenir comme déjà acquis. Ce seront des décisions que vous allez soumettre aux autorités. Je sais que le gouvernement sénégalais a toujours contribué, d’une façon ou d’une autre, à la promotion de la presse. Il vous verse une certaine somme et c’est à vous de bien partager ce qu’on vous donne. Il faut que cet argent ait un impact positif sur les journalistes pour qu’ils ne croupissent pas dans la misère. Ceci n’est pas normal, c’est à corriger.
Mais cette subvention ne peut-elle pas servir d’arguments à l’Etat pour étrangler la presse ?
Non ! La subvention, c’est quelque chose de normal. Les entreprises de presse sont des entreprises privées que l’Etat assiste selon ses moyens. Que l’Etat accorde cette subvention à la presse, c’est tout à fait normal. C’est une règle universelle. Mais, les agences de presse doivent, en fonction de cela, s’organiser pour avoir des sponsors autres que l’Etat, et puis faire en sorte que les investisseurs viennent vers eux dans le cadre de leur promotion, tout en restant dans le cadre de la déontologie. C’est comme cela que la presse elle-même pourra tenir debout financièrement, payer ses journalistes et avancer dans la bonne direction. Ce n’est pas du tout incompatible.
Mais, dans ce cas, l’organe partenaire n’est-il pas tenté d’étouffer une information qui ne plaît ?
Mais, que non ! Je vous donne mon propre cas. Quand j’ai dit au président Omar Bongo (paix à son âme) que ce qui est arrivé à Mobutu, à Bokassa peut lui arriver, il ne me croyait pas. Je lui ai dit que la françafrique avait fait croire à Bokassa que c’était un empereur, mais c’étaient les diamants qui intéressaient Giscard. De la même manière, quand Mobutu était encensé par une certaine presse française et européenne en disant que c’était le meilleur, j’ai dit non, que tout cela n’est pas bon. A l’époque, quand les journalistes allaient les voir, ils essayaient même de vous soudoyer. Je leur ai dit que je ne suis pas là pour me faire soudoyer, mais pour vous donner de bons conseils. Quand j’ai dit cela à Bongo, qu’il allait se faire avoir par la Françafrique, que finalement, les biens mal acquis qu’il donnait - les voitures de luxe, les appartements achetés à Paris - que tôt ou tard, la même Françafrique va les lui reprendre, il ne me croyait pas. Deux ans avant sa mort, alors que Bongo ne m’avait jamais écouté, quand les journaux français l’ont lâché, ils ont dit que c’était quelqu’un qui a volé de l’argent de son pays, qui est venu acheter des appartements à Paris, qu’il faut absolument poursuivre devant les tribunaux, il était complètement décontenancé lorsqu’il m’a appelé. En fin de compte, ces gens-là ne nous aiment pas, ils aiment nos dirigeants à travers le pétrole ou à travers le bois ou les diamants qu’ils peuvent exploiter, mais au fond, ils se foutent de nous. C’est cela aussi le rôle d’un journaliste, faire de la prévention sans se laisser soudoyer, sans se laisser intimider, informer sans provoquer.
Il se pose souvent le débat sur l’acceptation des per diem par les journalistes. Dans quelle circonstance, cet argent ne devrait-il pas être accepté ?
Cette question se pose partout. Mais, c’est une question de morale. Si le journaliste est pigiste, n’a pas les moyens, il est tout à fait normal que quelqu’un lui donne généreusement de l’argent. Je dis bien un journaliste pigiste qui n’a pas les moyens. Maintenant, si c’est un journaliste qui a tout ce qu’il faut, à ce moment-là, cela devient de la corruption. Il faut faire la part des choses. Faites la différence entre les deux. Entre celui qui est dans la misère et celui qui n’est pas dans la misère. Vous n’allez pas reprocher à ces journalistes qui sont dans la misère de prendre des perdiems, il faut comprendre que c’est par nécessité qu’ils ont pris ça. Cela révèle des non-dits. Cela est à prendre avec énormément de pincettes, ce ne saurait être de la corruption.
Comment doit s’établir la relation entre pouvoir et presse en Afrique ?
Le rapport doit être cordial, intelligent et incorruptible. Je vous donne un exemple : j’ai appris chez le président Wade trois grandes idées. La première, je le dis sans complexe et sans honte, c’est le fait de mettre fin à l’existence de la base militaire française ici au Sénégal. Je pense que c’est un pas en avant. Avant lui, Senghor et Diouf étaient bien placés pour le faire, mais ne l’ont pas fait. Votre souveraineté vous revient définitivement. Je dis que tout journaliste, écrivain, penseur qui ne soutiendrait pas ce comportement de Wade est un mauvais journaliste, un mauvais écrivain, un mauvais penseur. Quand Wade, malgré la misère au Sénégal, fait le Monument de la Renaissance, c’est un pas en avant, parce qu’il y a des pays comme le Nigeria, la Côte d’Ivoire, le Cameroun, comme chez moi en Guinée qui ont beaucoup plus de moyens que les Sénégalais, mais où les populations meurent de faim.
Mais, au Sénégal, l’opinion se pose des questions sur son opportunité...
Attendez, ces pays sont beaucoup plus riches que le Sénégal. Non seulement les populations y meurent de faim, mais il n’y a ni Monument de la Renaissance ni Festival mondial des arts nègres. Le Sénégal, avec peu de moyens, essaie de faire ce festival, de faire ce monument à la gloire de notre passé, mais en luttant contre la misère dans le pays. Un bon dirigeant, c’est celui qui a des idées pertinentes, qui avance tout en combattant les difficultés.
Des éditeurs de presse africaine ont primé des chefs d’Etats africains qui se sont le plus illustrés dans les rapports de bon voisinage entre presse et pouvoir. Quels ont été les critères à cet effet ?
Il ne faut pas faire de la complaisance. Il y a quand même des chefs d’Etats comme Amadou Toumani Touré du Mali, comme Nelson Mandela de l’Afrique du Sud qui font du bon boulot dans ce sens. Pour Mandela, il est tout à fait normal.
Mais, le président Wade a été zappé...
Attendez, il y a des chefs d’Etat qui font du bon travail. C’est le cas de Mandela quand il s’agit de rechercher la paix. Att fait de son mieux. Avant d’être chef d’Etat du Mali, il a été un peu partout, à l’époque en République démocratique du Congo, uniquement dans le cadre de la recherche de paix. Mais, on a beau dire, Wade aussi fait de son mieux. On ne peut pas reprocher à Wade quand il va voir Moussa Dadis Camara en Guinée, en lui disant, je te prends sur mes ailes, mais en même temps il faut que tu sois capable d’organiser des élections et de t’en aller. Je trouve que tout cela entre dans le cadre de la recherche de la paix. Un chef d’Etat qui fait ça, mérite d’être cité en exemple. Ce n’est pas de la complaisance.
Ce zapping n’est-il dû au fait qu’au Sénégal, les rapports entre presse et pouvoirs publics sont souvent mouvementés ?
La presse sénégalaise a le droit de dénoncer ce qui est mauvais, tout en disant ce qui est bon, mais sans tomber dans la provocation. La provocation n’a jamais été du côté de la déontologie. Quand j’ai parlé à Bokassa, c’était avec beaucoup de courtoisie, c’est cela qu’il faut, c’est dire la vérité. Qu’on vous écoute ou pas, dès lors que vous le faites de la manière la plus sincère, il n’y a aucun problème. Quand en France le journal Libération critique Nicolas Sarkozy, mais il met en même temps en avant certains bons points de sa politique, il est respecté. Une bonne presse est toujours respectée.
Parlons de l’organisation interne de la corporation. Existe-t-il une synergie d’actions autour des grands axes de combats que mènent les différentes entités organisées de journalistes en Afrique ?
Comme toute corporation, les journalistes ont le droit de rayonner, de se défendre, mais cela ne dépend que d’eux. Toutes ces organisations ont une responsabilité en ce qui concerne une vision normale, utile de l’Afrique qui est toujours sous informée.
Où en sont les discussions avec l’Etat du Sénégal pour l’implantation à Dakar du nouveau siège de la Fédération africaine de journalistes ?
Il y aura une réponse assez rapidement, d’autant plus que cette fédération sera certainement invitée au Festival mondial des arts nègres à l’occasion duquel il y aura beaucoup de débats sur le rôle de la presse dans une Afrique mal informée. Je pense que cette fédération nous dira si son siège peut être à Dakar et dans quelles conditions.
Propos recueillis par Abdoulaye SIDY
Source: walfadjiri