
La France est le pays des Droits de l'homme. Pourtant, tous les jours, des citoyens sont victimes de propos racistes, de discriminations dans l'emploi, dans le logement, dans leurs recherches de stage. Pire, des élus de la République s'illustrent de plus en plus souvent dans ce qu'on considère comme de simples dérapages, mais qui stigmatisent encore plus certaines populations. Et cela dans l'impunité totale.
De Brice Hortefeux sur «les Arabes» à Nadine Morano sur «les jeunes musulmans» en passant par André Valentin, maire UMP du village de Goussainville (Meuse), sans oublier la récente sortie d'Eric Zemmour choqué par nos prénoms ou encore l'affaire Ali Soumaré pris pour «un joueur de réserve du PSG» avant d'être accusé -à tort- d'être «un délinquant multirécidiviste chevronné».
Chacun a donc sa manière de s'illustrer dans l'agression et la calomnie. Ce qui ne fait que renforcer les a priori négatifs sur les minorités. Ces événements récents m'amènent à me demander: «et si Marie NDiaye avait raison?» L'écrivaine avait, en août 2009, jugée «monstrueuse» la France de Nicolas Sarkozy. «Nous sommes partis à Berlin juste après l'élection présidentielle en grande partie à cause de Sarkozy (...). Je trouve détestable cette atmosphère de flicage, de vulgarité...», a-t-elle affirmé. Des propos «insultants», a jugé le député UMP Éric Raoult.
Si Albert Camus était encore parmi nous, essaierait-il d'«élever son pays en élevant son langage»? Comment, citoyens ordinaires, vivons-nous ces agressions quotidiennes? En voici la réponse à travers notre vécu et des anecdotes d'autres citoyens.
Réponse à Éric Zemmour choqué par nos prénoms
Dans certaines cultures, les prénoms sont choisis selon les envies ou la mode du moment. Dans d'autres cultures, en Afrique notamment, il est de tradition de donner comme prénom à son enfant celui d'une personne chère: un ami d'enfance, un collègue de travail, une personne de la famille, père, mère, tante ou autres. De ce fait, si M. Zemmour trouve les prénoms à consonance étrangère dérangeants, qu'il prenne son mal en patience : ce n'est pas près de changer.
La même chose peut être dite à tous ceux qui jettent des C.V. à la poubelle rien qu'en apercevant un prénom. Un exemple : un jour, dans une réponse à une demande de stage, je reçois en réponse un gracieux «mademoiselle». Pourtant, n'importe quelle personne africaine, ayant fait des études, serait capable de distinguer une Cécile d'un Victor. Et quand bien même, la concordance des temps dans une lettre de motivation peut informer du genre de la personne, si toutefois l'on prend la peine d'étudier le dossier.
Quant au gouvernement, qui demande aujourd'hui de mettre une «cagoule» sur les C.V., avec son «C.V. anonyme», il ne fait que masquer nos origines à tous. Ce, en plein débat sur l'identité nationale. N'y-a-t-il pas contradiction ? Nos origines construisent notre identité. Or, je suis fier de mon identité, qui est pleine d'Histoire. Autre contradiction d'une République qui, d'un autre côté, promulgue une loi interdisant aux femmes qui le souhaitent de se masquer le visage.
Pour conclure, M. Zemmour, les Français vivant aux quatre coins du monde appellent-ils pour autant leurs enfants Mohamed ou conservent-ils leurs pratiques culturelles d'origine? Juste une question: que pensez-vous du prénom de Barack Hussein Obama? Vous choque-t-il aussi?
Le racisme : une expérience personnelle
Être noir aujourd'hui en France est devenu un crime. Les anecdotes pleuvent: par exemple, cette agression me concernant dont «La Marseillaise» parle dans un article du 13 janvier 2010: «un groupe d'étudiants en journalisme, dont le prof est un des intervenants du débat, passe sans problème le sas, après une fouille minutieuse des sacs. L'un d'eux, un grand jeune homme noir, se dirige alors vers l'amphithéâtre. Un homme âgé, au pas alerte, l'aborde: "Vous êtes content d'être dans un pays qui n'est pas le vôtre?" L'étudiant lui répond gentiment. L'autre reprend agressivement: "Vous respectez les règles de la France?"» Le problème majeur est que, lorsqu'on est noir, on doit toujours rendre des comptes, et être toujours coupable de quelque chose. Pour certains, si on est noir, on est forcément étranger et pas français. Mustapha Kessous, journaliste au Monde, témoigne aussi de son quotidien dans un article paru dans son journal.
Le jour où un enfant de 4 ans m'a traité de «nègre» dans un parc
Un jour, accompagné d'un ami, je filmais notre visite accompagnée au zoo de Lunaret à Montpellier. C'est ainsi que nous avons rencontré une famille, a priori sympathique: un couple accompagné d'un garçon à peine âgé de 4 ans. Son papa essayait de le faire parler pour qu'il nous dise bonjour. Après avoir refusé, il est soudain sorti de son mutisme par miracle, et a crié de toutes ses forces: «les nègres!». Après un rire quelque peu nerveux, s'en est suivi un malaise pesant, et une honte indescriptible des parents qui tentaient, coûte que coûte, de réparer l'irréparable. Diplomates, nous avons quitté cette famille avec respect. De la responsabilité des parents et de l'importance de l'éducation, pour vaincre les préjugés. Un enfant est innocent et ne naît pas raciste ou plein de préjugés. Chaque enfant devrait avoir la chance de partir sur de bonnes bases dans la vie. Mais, hélas, certains parents irresponsables empoisonnent leurs enfants par leurs conversations de salon, leur comportement de tous les jours.
Je conserve encore aujourd'hui cet incident sur vidéo. On devrait le montrer dans les écoles pour sensibiliser les enfants.
Un senior m'insulte au cinéma: «sale nègre, rentre chez toi!»
On ne naît pas raciste, mais quand on le devient, on le reste. Fin novembre 2004, autre exemple. Accompagné, je suis au cinéma. Nous avions pris place dans un coin qui semblait tranquille. A deux sièges à gauche devant nous, était assise une personne âgée. Soudain, au milieu du film, ce senior se lève, essaye de me frapper, tout en criant «oh! sale nègre tu te crois où...». A la surprise de l'assistance concentrée sur le film. Suit un vif échange où, lorsque les insultes pleuvent, je réponds au monsieur: «vous savez, heureusement pour vous que vous n'avez pas le même âge que moi et que je respecte les personnes de votre âge... » Effectivement, dans la culture africaine et l'éducation que j'ai reçue, les personnes âgées sont intouchables et méritent tout le respect.
À la fin de la séance, il recommence. Il me bouscule, s'acharne sur moi et me traite encore de «nègre». Je me suis alors posé des questions sur sa santé mentale. Me défendant face à sa violence, je lui réponds: «je suis nègre et alors? Qu'avez-vous de plus que moi monsieur? Une éducation, de l'argent, du respect, des diplômes...? Une dignité? Apparemment aucune. Je suis très fier de ce que je suis et de mon éducation. Continuez votre chemin, monsieur, un jour vous tomberez sur plus violent et moins respectueux des anciens que moi.» Les personnes autour interviennent en disant au senior qu'il «abuse» car, selon l'assistance, je lui réponds «avec respect». D'autres personnes sont totalement sidérées par de tels propos.
Eté 2008, un ancien camarade de classe et sous-préfet de Dakar est en vacances chez moi. Le week-end, nous décidons de sortir, histoire de lui montrer Montpellier. Mais d'endroit en endroit, et même accompagnés, on nous refoule. Mon ami choqué me dit «mais c'est quoi ces pratiques?». Je lui réponds «Bienvenue au pays des droits de l'homme!», tout en ayant honte au fond de moi de lui avoir réservé cet accueil. Après plusieurs tentatives, nous avons enfin été acceptés.
Là encore, ayant vécu dans mon Sénégal natal, je pense aussitôt à l'accueil chaleureux et ouvert qu'on réserve à tout le monde, même aux inconnus. On ne peut pas séjourner dans un lieu sans être de suite adopté. Ici, en tant que noir on vous regarde de travers, là-bas on vous invitera à partager le thé ou le repas.
Dans toutes ces situations, je pense aux individus qui n'ont pas la chance de vivre autre chose pour relativiser cette situation. A partir de là, on a même pitié pour certaines personnes qui ont de telles mentalités. Si un inconnu me manque de respect à cause de son ignorance, mon rêve serait d'avoir une baguette magique pour le sortir des ténèbres car, dit-on, «l'ennemi de la vérité, ce n'est pas le mensonge mais la conviction». Ces personnes me font penser aux autres ennemis de nos temps modernes, les terroristes. Ils partagent leur fausse conviction qui les maintient dans leur éternel enfermement.
Les nombreuses plaisanteries de mauvais goût
2006. En cours, j'emprunte le «Monde» d'un camarade de classe. Le journal évoque les bateaux d'immigrés clandestins africains en direction de l'Espagne. Il est question de morts. À côté de la Une, un commentaire écrit par la main dudit camarade de classe. Cynique ou déplacé, il a écrit: «la croisière s'amuse!» Sans broncher, je poursuis la lecture du journal et je le rends à mes «chers camarades de classe». Pensant au vieux dicton: «Celui qui n'a pas encore gagné l'autre rive ne doit jamais se moquer de celui qui se noie ».
Un jour, alors que j'étais cuisinier, je prépare à manger à la femme d'un de mes employeurs. Professionnellement, je lui signifie que je viens de recevoir de la semoule fine à la place de la semoule moyenne, qui est meilleure car ne collant pas après la préparation. En effet, je tiens à lui expliquer les raisons d'éventuels défauts dans mon plat. Elle me répond alors, sourire aux lèvres: «ah, si ce n'est pas bon, je vais t'attacher et te fouetter comme à l'époque de l'esclavage». Faire de l'humour sur ce fait tragique de l'Histoire n'est pas du goût de tout le monde. Et certes pas du mien. Chose que je lui fais remarquer sur le coup. Ce n'est pas une personne que je qualifierais de raciste. Mais, comme d'autres, elle trouve drôle les remarques de ce genre. On ne peut pas rire de tout. C'est comme si une personne se permettait de faire des blagues à un Juif du style «je vais te gazer comme à l'époque avec les nazis» et de penser que ce dernier doit accepter ce genre de propos ignobles.
Autres exemples, me voilà dire devant un groupe d'adolescents dans le cadre de mon travail: «Je préfère profiter de ce beau soleil en ce mois de février qu'être dans l'ombre sous le froid». Une jeune fille me lance alors : «vous n'êtes pas assez bronzé comme ça?» Il y a aussi le fils d'un ancien employeur qui, lorsque je passe, me sort : «ah le noir!». Ils ne sont pas les seuls. J'ai alors envie de leur répondre par une chanson de James Brown : I'm black and proud !
Certains Arabes utilisent le terme «karlouche» qui signifie «noir» et, de façon péjorative, «nègre» ou «singe». Exemple. Un jour, à l'occasion du contrôle technique de ma voiture, le garagiste (qui est maghrébin) m'appelle par ce terme dès mon arrivée. Il trouve cela normal. Son collègue se permet aussi les mêmes blagues, mais devant mes exigences de respect, notre relation devient froide.
L'image de l'esclave dans l'inconscient collectif.
Ce que je retire de tous ces exemples est que, pour tous, noir égale esclave. Il est vrai que le peuple noir a vécu l'esclavage. Mais, c'est une histoire révolue. Il est dommage que l'Histoire du peuple noir soit résumée à l'esclavage: on ne parle de ça que dans les livres et dans les sites historiques.
Je constate qu'on ne respecte pas les Noirs des siècles suivants à cause de l'esclavage. Pourtant et heureusement, on ne déteste pas et on ne manque pas de respect aux Allemands qui ont eu dans leur passé des nazis. Pourquoi ne pas faire de même avec d'autres événements tragiques de l'Histoire de l'humanité ? Pire, aujourd'hui encore, dès qu'on dénonce ce fait, on est vite accusé de victimisation.
Ce sont des constructions qui aboutissent toujours sur des préjugés, sur des a priori qui fondent les pensées de chaque époque et qui en justifient les pratiques. À l'époque de l'esclavage, on a construit l'image d'un Noir fort, capable de travailler dans de dures conditions. Le Noir n'était pas considéré comme un être humain. Cela justifiait le fait qu'on n'hésitait pas à jeter à la mer des femmes enceintes, des enfants, que l'on coupait les mains des esclaves en cas de refus... Aujourd'hui, ce même homme noir récolte notamment les attributs d'un homme paresseux qui ne travaille pas, et que l'on peut discriminer sans état d'âme dans un emploi ou pour n'importe quel droit.
Alors, à Eric Zemmour, à tous ceux pleins de préjugés et de racisme, je réponds avec les mots d'Aimé Césaire: «le nègre vous emmerde!»
Le monde est une comédie pour qui le regarde du dehors : toutes les discriminations ou propos violents peuvent paraître irréels lorsque l'on n'est pas concerné. Lorsque les femmes subissent des violences ou des inégalités de salaires, lorsque les handicapés parlent de leur traitement et du regard de la société, lorsque les homosexuels se battent contre les discriminations, tout ceci peut ne paraître pas si grave, si l'on n'est pas directement concerné.
source:Mediapart
http://www.hautcourant.com/N-allez-pas-le-repeter-mais-le,1147
De Brice Hortefeux sur «les Arabes» à Nadine Morano sur «les jeunes musulmans» en passant par André Valentin, maire UMP du village de Goussainville (Meuse), sans oublier la récente sortie d'Eric Zemmour choqué par nos prénoms ou encore l'affaire Ali Soumaré pris pour «un joueur de réserve du PSG» avant d'être accusé -à tort- d'être «un délinquant multirécidiviste chevronné».
Chacun a donc sa manière de s'illustrer dans l'agression et la calomnie. Ce qui ne fait que renforcer les a priori négatifs sur les minorités. Ces événements récents m'amènent à me demander: «et si Marie NDiaye avait raison?» L'écrivaine avait, en août 2009, jugée «monstrueuse» la France de Nicolas Sarkozy. «Nous sommes partis à Berlin juste après l'élection présidentielle en grande partie à cause de Sarkozy (...). Je trouve détestable cette atmosphère de flicage, de vulgarité...», a-t-elle affirmé. Des propos «insultants», a jugé le député UMP Éric Raoult.
Si Albert Camus était encore parmi nous, essaierait-il d'«élever son pays en élevant son langage»? Comment, citoyens ordinaires, vivons-nous ces agressions quotidiennes? En voici la réponse à travers notre vécu et des anecdotes d'autres citoyens.
Réponse à Éric Zemmour choqué par nos prénoms
Dans certaines cultures, les prénoms sont choisis selon les envies ou la mode du moment. Dans d'autres cultures, en Afrique notamment, il est de tradition de donner comme prénom à son enfant celui d'une personne chère: un ami d'enfance, un collègue de travail, une personne de la famille, père, mère, tante ou autres. De ce fait, si M. Zemmour trouve les prénoms à consonance étrangère dérangeants, qu'il prenne son mal en patience : ce n'est pas près de changer.
La même chose peut être dite à tous ceux qui jettent des C.V. à la poubelle rien qu'en apercevant un prénom. Un exemple : un jour, dans une réponse à une demande de stage, je reçois en réponse un gracieux «mademoiselle». Pourtant, n'importe quelle personne africaine, ayant fait des études, serait capable de distinguer une Cécile d'un Victor. Et quand bien même, la concordance des temps dans une lettre de motivation peut informer du genre de la personne, si toutefois l'on prend la peine d'étudier le dossier.
Quant au gouvernement, qui demande aujourd'hui de mettre une «cagoule» sur les C.V., avec son «C.V. anonyme», il ne fait que masquer nos origines à tous. Ce, en plein débat sur l'identité nationale. N'y-a-t-il pas contradiction ? Nos origines construisent notre identité. Or, je suis fier de mon identité, qui est pleine d'Histoire. Autre contradiction d'une République qui, d'un autre côté, promulgue une loi interdisant aux femmes qui le souhaitent de se masquer le visage.
Pour conclure, M. Zemmour, les Français vivant aux quatre coins du monde appellent-ils pour autant leurs enfants Mohamed ou conservent-ils leurs pratiques culturelles d'origine? Juste une question: que pensez-vous du prénom de Barack Hussein Obama? Vous choque-t-il aussi?
Le racisme : une expérience personnelle
Être noir aujourd'hui en France est devenu un crime. Les anecdotes pleuvent: par exemple, cette agression me concernant dont «La Marseillaise» parle dans un article du 13 janvier 2010: «un groupe d'étudiants en journalisme, dont le prof est un des intervenants du débat, passe sans problème le sas, après une fouille minutieuse des sacs. L'un d'eux, un grand jeune homme noir, se dirige alors vers l'amphithéâtre. Un homme âgé, au pas alerte, l'aborde: "Vous êtes content d'être dans un pays qui n'est pas le vôtre?" L'étudiant lui répond gentiment. L'autre reprend agressivement: "Vous respectez les règles de la France?"» Le problème majeur est que, lorsqu'on est noir, on doit toujours rendre des comptes, et être toujours coupable de quelque chose. Pour certains, si on est noir, on est forcément étranger et pas français. Mustapha Kessous, journaliste au Monde, témoigne aussi de son quotidien dans un article paru dans son journal.
Le jour où un enfant de 4 ans m'a traité de «nègre» dans un parc
Un jour, accompagné d'un ami, je filmais notre visite accompagnée au zoo de Lunaret à Montpellier. C'est ainsi que nous avons rencontré une famille, a priori sympathique: un couple accompagné d'un garçon à peine âgé de 4 ans. Son papa essayait de le faire parler pour qu'il nous dise bonjour. Après avoir refusé, il est soudain sorti de son mutisme par miracle, et a crié de toutes ses forces: «les nègres!». Après un rire quelque peu nerveux, s'en est suivi un malaise pesant, et une honte indescriptible des parents qui tentaient, coûte que coûte, de réparer l'irréparable. Diplomates, nous avons quitté cette famille avec respect. De la responsabilité des parents et de l'importance de l'éducation, pour vaincre les préjugés. Un enfant est innocent et ne naît pas raciste ou plein de préjugés. Chaque enfant devrait avoir la chance de partir sur de bonnes bases dans la vie. Mais, hélas, certains parents irresponsables empoisonnent leurs enfants par leurs conversations de salon, leur comportement de tous les jours.
Je conserve encore aujourd'hui cet incident sur vidéo. On devrait le montrer dans les écoles pour sensibiliser les enfants.
Un senior m'insulte au cinéma: «sale nègre, rentre chez toi!»
On ne naît pas raciste, mais quand on le devient, on le reste. Fin novembre 2004, autre exemple. Accompagné, je suis au cinéma. Nous avions pris place dans un coin qui semblait tranquille. A deux sièges à gauche devant nous, était assise une personne âgée. Soudain, au milieu du film, ce senior se lève, essaye de me frapper, tout en criant «oh! sale nègre tu te crois où...». A la surprise de l'assistance concentrée sur le film. Suit un vif échange où, lorsque les insultes pleuvent, je réponds au monsieur: «vous savez, heureusement pour vous que vous n'avez pas le même âge que moi et que je respecte les personnes de votre âge... » Effectivement, dans la culture africaine et l'éducation que j'ai reçue, les personnes âgées sont intouchables et méritent tout le respect.
À la fin de la séance, il recommence. Il me bouscule, s'acharne sur moi et me traite encore de «nègre». Je me suis alors posé des questions sur sa santé mentale. Me défendant face à sa violence, je lui réponds: «je suis nègre et alors? Qu'avez-vous de plus que moi monsieur? Une éducation, de l'argent, du respect, des diplômes...? Une dignité? Apparemment aucune. Je suis très fier de ce que je suis et de mon éducation. Continuez votre chemin, monsieur, un jour vous tomberez sur plus violent et moins respectueux des anciens que moi.» Les personnes autour interviennent en disant au senior qu'il «abuse» car, selon l'assistance, je lui réponds «avec respect». D'autres personnes sont totalement sidérées par de tels propos.
Eté 2008, un ancien camarade de classe et sous-préfet de Dakar est en vacances chez moi. Le week-end, nous décidons de sortir, histoire de lui montrer Montpellier. Mais d'endroit en endroit, et même accompagnés, on nous refoule. Mon ami choqué me dit «mais c'est quoi ces pratiques?». Je lui réponds «Bienvenue au pays des droits de l'homme!», tout en ayant honte au fond de moi de lui avoir réservé cet accueil. Après plusieurs tentatives, nous avons enfin été acceptés.
Là encore, ayant vécu dans mon Sénégal natal, je pense aussitôt à l'accueil chaleureux et ouvert qu'on réserve à tout le monde, même aux inconnus. On ne peut pas séjourner dans un lieu sans être de suite adopté. Ici, en tant que noir on vous regarde de travers, là-bas on vous invitera à partager le thé ou le repas.
Dans toutes ces situations, je pense aux individus qui n'ont pas la chance de vivre autre chose pour relativiser cette situation. A partir de là, on a même pitié pour certaines personnes qui ont de telles mentalités. Si un inconnu me manque de respect à cause de son ignorance, mon rêve serait d'avoir une baguette magique pour le sortir des ténèbres car, dit-on, «l'ennemi de la vérité, ce n'est pas le mensonge mais la conviction». Ces personnes me font penser aux autres ennemis de nos temps modernes, les terroristes. Ils partagent leur fausse conviction qui les maintient dans leur éternel enfermement.
Les nombreuses plaisanteries de mauvais goût
2006. En cours, j'emprunte le «Monde» d'un camarade de classe. Le journal évoque les bateaux d'immigrés clandestins africains en direction de l'Espagne. Il est question de morts. À côté de la Une, un commentaire écrit par la main dudit camarade de classe. Cynique ou déplacé, il a écrit: «la croisière s'amuse!» Sans broncher, je poursuis la lecture du journal et je le rends à mes «chers camarades de classe». Pensant au vieux dicton: «Celui qui n'a pas encore gagné l'autre rive ne doit jamais se moquer de celui qui se noie ».
Un jour, alors que j'étais cuisinier, je prépare à manger à la femme d'un de mes employeurs. Professionnellement, je lui signifie que je viens de recevoir de la semoule fine à la place de la semoule moyenne, qui est meilleure car ne collant pas après la préparation. En effet, je tiens à lui expliquer les raisons d'éventuels défauts dans mon plat. Elle me répond alors, sourire aux lèvres: «ah, si ce n'est pas bon, je vais t'attacher et te fouetter comme à l'époque de l'esclavage». Faire de l'humour sur ce fait tragique de l'Histoire n'est pas du goût de tout le monde. Et certes pas du mien. Chose que je lui fais remarquer sur le coup. Ce n'est pas une personne que je qualifierais de raciste. Mais, comme d'autres, elle trouve drôle les remarques de ce genre. On ne peut pas rire de tout. C'est comme si une personne se permettait de faire des blagues à un Juif du style «je vais te gazer comme à l'époque avec les nazis» et de penser que ce dernier doit accepter ce genre de propos ignobles.
Autres exemples, me voilà dire devant un groupe d'adolescents dans le cadre de mon travail: «Je préfère profiter de ce beau soleil en ce mois de février qu'être dans l'ombre sous le froid». Une jeune fille me lance alors : «vous n'êtes pas assez bronzé comme ça?» Il y a aussi le fils d'un ancien employeur qui, lorsque je passe, me sort : «ah le noir!». Ils ne sont pas les seuls. J'ai alors envie de leur répondre par une chanson de James Brown : I'm black and proud !
Certains Arabes utilisent le terme «karlouche» qui signifie «noir» et, de façon péjorative, «nègre» ou «singe». Exemple. Un jour, à l'occasion du contrôle technique de ma voiture, le garagiste (qui est maghrébin) m'appelle par ce terme dès mon arrivée. Il trouve cela normal. Son collègue se permet aussi les mêmes blagues, mais devant mes exigences de respect, notre relation devient froide.
L'image de l'esclave dans l'inconscient collectif.
Ce que je retire de tous ces exemples est que, pour tous, noir égale esclave. Il est vrai que le peuple noir a vécu l'esclavage. Mais, c'est une histoire révolue. Il est dommage que l'Histoire du peuple noir soit résumée à l'esclavage: on ne parle de ça que dans les livres et dans les sites historiques.
Je constate qu'on ne respecte pas les Noirs des siècles suivants à cause de l'esclavage. Pourtant et heureusement, on ne déteste pas et on ne manque pas de respect aux Allemands qui ont eu dans leur passé des nazis. Pourquoi ne pas faire de même avec d'autres événements tragiques de l'Histoire de l'humanité ? Pire, aujourd'hui encore, dès qu'on dénonce ce fait, on est vite accusé de victimisation.
Ce sont des constructions qui aboutissent toujours sur des préjugés, sur des a priori qui fondent les pensées de chaque époque et qui en justifient les pratiques. À l'époque de l'esclavage, on a construit l'image d'un Noir fort, capable de travailler dans de dures conditions. Le Noir n'était pas considéré comme un être humain. Cela justifiait le fait qu'on n'hésitait pas à jeter à la mer des femmes enceintes, des enfants, que l'on coupait les mains des esclaves en cas de refus... Aujourd'hui, ce même homme noir récolte notamment les attributs d'un homme paresseux qui ne travaille pas, et que l'on peut discriminer sans état d'âme dans un emploi ou pour n'importe quel droit.
Alors, à Eric Zemmour, à tous ceux pleins de préjugés et de racisme, je réponds avec les mots d'Aimé Césaire: «le nègre vous emmerde!»
Le monde est une comédie pour qui le regarde du dehors : toutes les discriminations ou propos violents peuvent paraître irréels lorsque l'on n'est pas concerné. Lorsque les femmes subissent des violences ou des inégalités de salaires, lorsque les handicapés parlent de leur traitement et du regard de la société, lorsque les homosexuels se battent contre les discriminations, tout ceci peut ne paraître pas si grave, si l'on n'est pas directement concerné.
source:Mediapart
http://www.hautcourant.com/N-allez-pas-le-repeter-mais-le,1147