Après des mois de bras de fer, plusieurs Etats affichent leur volonté de renouer avec les autorités de transition.
Les militaires au pouvoir à Niamey sont de moins en moins isolés. Alors que les derniers soldats français ont quitté le Niger vendredi 22 décembre, plusieurs Etats affichent leur volonté de resserrer leurs liens avec les autorités de transition. Dernier en date, le Maroc, qui samedi 23 décembre a reçu à Marrakech le chef de la diplomatie nigérienne Bakary Yaou Sangaré, ainsi que ses homologues du Mali, du Burkina Faso et du Tchad. Une initiative rare depuis que ces quatre pays ont connu un changement de dirigeant, notamment pour Bamako, Ouagadougou et Niamey, mis au ban de la communauté internationale depuis qu’ils sont dirigés par des putschistes.
L’objectif du Maroc : lancer une initiative Atlantique « pour favoriser l’accès des Etats du Sahel à l’océan Atlantique, Nous proposons le lancement d’une initiative à l’échelle internationale », ajoutant que « le Maroc est prêt à mettre à leur disposition ses infrastructures routières, portuaires et ferroviaires pour soutenir cette initiative », explique un communiqué de l’agence marocaine de presse, la MAP. Interrogé par la télévision Medi1 TV, le ministre nigérien des affaires étrangères a ajouté que cela serait accompagné de « facilités » en matière de taxes « à l’importation et à l’exportation ». Bakary Yaou Sangaré s’est félicité de l’attitude du royaume : « Le Maroc ne veut pas faire les choses à notre place, ce n’est pas comme tous les autres pays qui viennent avec des projets tout faits. » Une allusion à peine voilée aux aides au développement fournies par les Occidentaux, et en particulier français.
Agissant à l’opposé de Paris – avec lequel Rabat entretient d’ailleurs des relations tumultueuses –, mais aussi de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), le Maroc mène une diplomatie aussi discrète qu’active vis-à-vis des Etats putschistes, alors qu’il ne cesse d’accroître ses investissements en Afrique subsaharienne. Comme il l’avait fait avec le Mali en 2021 et le Burkina Faso en 2022, il s’est abstenu de condamner le coup d’Etat de juillet 2023.
Même des Etats qui s’étaient montrés parmi les plus fermes lors du putsch d’Abdourahamane Tiani se font désormais conciliants envers Niamey. Le président béninois, Patrice Talon, a fait part, jeudi, de sa « volonté de voir se rétablir rapidement les relations entre le Bénin et les pays où des coups d’Etat sont intervenus ». « Il y a un temps pour condamner, un temps pour exiger et un temps pour faire le point et prendre acte », a affirmé le chef de l’Etat béninois.
Ces déclarations interviennent après le sommet de la Cedeao, le 10 décembre, lors duquel les pays membres ont acté que le président Mohamed Bazoum a « été effectivement renversé », une première depuis le putsch du 26 juillet. Ils ont aussi renoncé à demander le rétablissement du dirigeant déchu dans ses fonctions, tout en continuant à exiger sa libération.
Realpolitik
Le ton s’est considérablement adouci après des mois d’un bras de fer comme jamais la Cedeao n’en avait engagé ces dernières années avec des putschistes. Plus sévère encore qu’avec Assimi Goïta au Mali ou Ibrahim Traoré au Burkina Faso, l’organisation sous-régionale avait menacé Abdourahamane Tiani d’une intervention militaire. Une initiative qui a fini par être abandonnée tant elle divisait l’Afrique de l’Ouest.
Un consensus semble désormais se dégager au sein de la Cedeao : celui de la mise en œuvre d’une realpolitik. « A un moment, il faut prendre acte de la nouvelle donne », reconnaît un conseiller du président ivoirien Alassane Ouattara, qui figurait partout parmi les tenants de la ligne la plus sévère.
Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Au Niger, Mohamed Bazoum, l’inflexible captif de la junte
L’enjeu est tout autant politique que sécuritaire, dans une région gangrenée par les groupes djihadistes, et économique. Les déclarations du président béninois ont lieu alors qu’en janvier 2024 la junte nigérienne doit débuter la commercialisation à l’international de son pétrole, via un oléoduc de 2 000 kilomètres qui débouche sur le port béninois de Sèmè-Podji.
Une aubaine pour les deux pays, dont les économies ont pâti de la fermeture de la frontière. En 2022, les autorités nigériennes estimaient que les exportations devraient « générer le quart du PIB du pays » (plus de 13,6 milliards de dollars [12,36 milliards d’euros] en 2020 selon la Banque mondiale) et « à peu près 50 % des recettes fiscales du Niger ». Le Bénin a prévu quant à lui de bénéficier de plus de 300 milliards de francs CFA (460 millions d’euros) de droits de transit et recettes fiscales pour les vingt premières années d’exploitation du pipeline.
Cette mansuétude inédite vis-à-vis des militaires nigériens s’étend au-delà de l’Afrique de l’Ouest. Le 18 décembre, le gouvernement de transition se félicitait d’avoir été reconnu par la commission de vérification de l’Assemblée générale de l’ONU comme « unique et légitime représentant du Niger aux Nations unies ». Et le lendemain, le ministre allemand de la défense, Boris Pistorius, arrivait à Niamey pour « poursuivre » et « renforcer » la coopération avec le Niger.
Coopération avec l’Allemagne et les Etats-Unis
Alors qu’au début du mois, Niamey a mis fin au partenariat de sécurité de défense avec l’Union européenne qui lui impose des sanctions, M. Pistorius a affiché sa volonté de poursuivre le partenariat avec le pays sahélien. « Les deux pays sont déterminés à donner une nouvelle impulsion à leur coopération militaire dans l’intérêt mutuel et le plein respect de l’indépendance de leur choix politique et stratégique », lui a répondu le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) depuis son compte X (anciennement Twitter).
Parmi les points en suspens pour Berlin, l’avenir de sa base militaire de Niamey et de ses 120 soldats. « Nous allons continuer les discussions en janvier-février », a indiqué Boris Pistorius, qui avance que les Nigériens pourraient être ouverts à son maintien. En renouant ainsi avec le Niger, l’Allemagne succède aux Etats-Unis qui ont annoncé, le 13 décembre, être prêts à collaborer à nouveau avec Niamey à condition que le régime militaire s’engage à une transition courte. La nouvelle ambassadrice américaine a d’ailleurs présenté ses lettres de créance aux autorités nigériennes début décembre.
Le Niger « n’est l’ennemi d’aucune puissance du moment qu’il y a un respect mutuel », explique Abboulaye Tiemogo, conseiller spécial du CNSP, tout en disant ne pas voir « en quoi les troupes étrangères pourraient les aider à vaincre le terrorisme. Il y a eu je ne sais combien de puissances et ça n’a pas marché ».
Autant d’Etats désireux de sauvegarder leurs intérêts au Niger mais aussi de ne pas laisser le champ libre à la Russie qui, après avoir noué un partenariat avec le Mali, s’est désormais alliée avec le Burkina Faso voisin. Début décembre, le vice-ministre russe de la défense, Yunus-Bek Yevkurov, s’est rendu dans le pays. Face à la volonté de coopération de nombreux Etats, la diplomatie française, qui a fermé son ambassade à Niamey vendredi, paraît plus que jamais isolée.
Sophie Eyegue
Source : Le Monde
Les militaires au pouvoir à Niamey sont de moins en moins isolés. Alors que les derniers soldats français ont quitté le Niger vendredi 22 décembre, plusieurs Etats affichent leur volonté de resserrer leurs liens avec les autorités de transition. Dernier en date, le Maroc, qui samedi 23 décembre a reçu à Marrakech le chef de la diplomatie nigérienne Bakary Yaou Sangaré, ainsi que ses homologues du Mali, du Burkina Faso et du Tchad. Une initiative rare depuis que ces quatre pays ont connu un changement de dirigeant, notamment pour Bamako, Ouagadougou et Niamey, mis au ban de la communauté internationale depuis qu’ils sont dirigés par des putschistes.
L’objectif du Maroc : lancer une initiative Atlantique « pour favoriser l’accès des Etats du Sahel à l’océan Atlantique, Nous proposons le lancement d’une initiative à l’échelle internationale », ajoutant que « le Maroc est prêt à mettre à leur disposition ses infrastructures routières, portuaires et ferroviaires pour soutenir cette initiative », explique un communiqué de l’agence marocaine de presse, la MAP. Interrogé par la télévision Medi1 TV, le ministre nigérien des affaires étrangères a ajouté que cela serait accompagné de « facilités » en matière de taxes « à l’importation et à l’exportation ». Bakary Yaou Sangaré s’est félicité de l’attitude du royaume : « Le Maroc ne veut pas faire les choses à notre place, ce n’est pas comme tous les autres pays qui viennent avec des projets tout faits. » Une allusion à peine voilée aux aides au développement fournies par les Occidentaux, et en particulier français.
Agissant à l’opposé de Paris – avec lequel Rabat entretient d’ailleurs des relations tumultueuses –, mais aussi de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), le Maroc mène une diplomatie aussi discrète qu’active vis-à-vis des Etats putschistes, alors qu’il ne cesse d’accroître ses investissements en Afrique subsaharienne. Comme il l’avait fait avec le Mali en 2021 et le Burkina Faso en 2022, il s’est abstenu de condamner le coup d’Etat de juillet 2023.
Même des Etats qui s’étaient montrés parmi les plus fermes lors du putsch d’Abdourahamane Tiani se font désormais conciliants envers Niamey. Le président béninois, Patrice Talon, a fait part, jeudi, de sa « volonté de voir se rétablir rapidement les relations entre le Bénin et les pays où des coups d’Etat sont intervenus ». « Il y a un temps pour condamner, un temps pour exiger et un temps pour faire le point et prendre acte », a affirmé le chef de l’Etat béninois.
Ces déclarations interviennent après le sommet de la Cedeao, le 10 décembre, lors duquel les pays membres ont acté que le président Mohamed Bazoum a « été effectivement renversé », une première depuis le putsch du 26 juillet. Ils ont aussi renoncé à demander le rétablissement du dirigeant déchu dans ses fonctions, tout en continuant à exiger sa libération.
Realpolitik
Le ton s’est considérablement adouci après des mois d’un bras de fer comme jamais la Cedeao n’en avait engagé ces dernières années avec des putschistes. Plus sévère encore qu’avec Assimi Goïta au Mali ou Ibrahim Traoré au Burkina Faso, l’organisation sous-régionale avait menacé Abdourahamane Tiani d’une intervention militaire. Une initiative qui a fini par être abandonnée tant elle divisait l’Afrique de l’Ouest.
Un consensus semble désormais se dégager au sein de la Cedeao : celui de la mise en œuvre d’une realpolitik. « A un moment, il faut prendre acte de la nouvelle donne », reconnaît un conseiller du président ivoirien Alassane Ouattara, qui figurait partout parmi les tenants de la ligne la plus sévère.
Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Au Niger, Mohamed Bazoum, l’inflexible captif de la junte
L’enjeu est tout autant politique que sécuritaire, dans une région gangrenée par les groupes djihadistes, et économique. Les déclarations du président béninois ont lieu alors qu’en janvier 2024 la junte nigérienne doit débuter la commercialisation à l’international de son pétrole, via un oléoduc de 2 000 kilomètres qui débouche sur le port béninois de Sèmè-Podji.
Une aubaine pour les deux pays, dont les économies ont pâti de la fermeture de la frontière. En 2022, les autorités nigériennes estimaient que les exportations devraient « générer le quart du PIB du pays » (plus de 13,6 milliards de dollars [12,36 milliards d’euros] en 2020 selon la Banque mondiale) et « à peu près 50 % des recettes fiscales du Niger ». Le Bénin a prévu quant à lui de bénéficier de plus de 300 milliards de francs CFA (460 millions d’euros) de droits de transit et recettes fiscales pour les vingt premières années d’exploitation du pipeline.
Cette mansuétude inédite vis-à-vis des militaires nigériens s’étend au-delà de l’Afrique de l’Ouest. Le 18 décembre, le gouvernement de transition se félicitait d’avoir été reconnu par la commission de vérification de l’Assemblée générale de l’ONU comme « unique et légitime représentant du Niger aux Nations unies ». Et le lendemain, le ministre allemand de la défense, Boris Pistorius, arrivait à Niamey pour « poursuivre » et « renforcer » la coopération avec le Niger.
Coopération avec l’Allemagne et les Etats-Unis
Alors qu’au début du mois, Niamey a mis fin au partenariat de sécurité de défense avec l’Union européenne qui lui impose des sanctions, M. Pistorius a affiché sa volonté de poursuivre le partenariat avec le pays sahélien. « Les deux pays sont déterminés à donner une nouvelle impulsion à leur coopération militaire dans l’intérêt mutuel et le plein respect de l’indépendance de leur choix politique et stratégique », lui a répondu le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) depuis son compte X (anciennement Twitter).
Parmi les points en suspens pour Berlin, l’avenir de sa base militaire de Niamey et de ses 120 soldats. « Nous allons continuer les discussions en janvier-février », a indiqué Boris Pistorius, qui avance que les Nigériens pourraient être ouverts à son maintien. En renouant ainsi avec le Niger, l’Allemagne succède aux Etats-Unis qui ont annoncé, le 13 décembre, être prêts à collaborer à nouveau avec Niamey à condition que le régime militaire s’engage à une transition courte. La nouvelle ambassadrice américaine a d’ailleurs présenté ses lettres de créance aux autorités nigériennes début décembre.
Le Niger « n’est l’ennemi d’aucune puissance du moment qu’il y a un respect mutuel », explique Abboulaye Tiemogo, conseiller spécial du CNSP, tout en disant ne pas voir « en quoi les troupes étrangères pourraient les aider à vaincre le terrorisme. Il y a eu je ne sais combien de puissances et ça n’a pas marché ».
Autant d’Etats désireux de sauvegarder leurs intérêts au Niger mais aussi de ne pas laisser le champ libre à la Russie qui, après avoir noué un partenariat avec le Mali, s’est désormais alliée avec le Burkina Faso voisin. Début décembre, le vice-ministre russe de la défense, Yunus-Bek Yevkurov, s’est rendu dans le pays. Face à la volonté de coopération de nombreux Etats, la diplomatie française, qui a fermé son ambassade à Niamey vendredi, paraît plus que jamais isolée.
Sophie Eyegue
Source : Le Monde