Trouver de l’argent. Et vite. Confrontées à une situation économique périlleuse, les autorités sénégalaises sont lancées dans une course contre la montre pour renflouer les caisses de l’Etat. A la manœuvre, le premier ministre, Ousmane Sonko, promoteur d’un « plan de redressement » annoncé en août, fait feu de tout bois. Parmi les sources potentielles de financement figure la diaspora sénégalaise, qui représente plus de 700 000 personnes et contribuait à 12 % du produit intérieur brut (PIB) en 2023, selon les données de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO)
Samedi 13 septembre, à Monza, en Italie, devant 8 000 Sénégalais établis en Europe, Ousmane Sonko a tenté de remettre ces derniers au centre du jeu. « L’Etat veut innover pour trouver davantage de ressources afin de remplir ses obligations, a-t-il lancé sous les hourras. Nous comptons sur vous, la diaspora. » Chantres du souverainisme, le chef du gouvernement et le président, Bassirou Diomaye Faye, misent sur l’espoir d’un nouvel élan au-delà des frontières nationales. Jeudi, Dakar va ainsi lancer des « titres patriotes et citoyens », a indiqué M. Sonko en Italie, sans préciser s’ils financeraient de la dette ou des projets d’infrastructures.
Le Sénégal souhaite faire de ces « diaspora bonds » un pilier de sa souveraineté financière. Selon les autorités, la levée attendue de 1 800 milliards de francs CFA (2,7 milliards d’euros) à travers ces obligations alternatives est censée financer sur les trois prochaines années près de 30 % de la première étape du plan de redressement, afin de relever autant l’Etat, asphyxié par la crise de la dette (119 % du PIB fin 2024), qu’un Sénégal meurtri par une crise économique dont le dernier signal alarmant concerne le recul du PIB (– 1,2 %) au premier trimestre, d’après les chiffres du ministère des finances.
« Injustice fiscale »
Adopté le 30 juillet pour « redresser les finances publiques », « corriger les déséquilibres structurels » et « relancer l’économie », ce plan a de nouveau été au cœur du plaidoyer d’Ousmane Sonko en Italie pour tenter de désamorcer les mécontentements qui menacent. Car l’une de ses mesures phares – une surtaxe de 0,5 % sur les transferts d’argent et de 1,5 % sur les transactions financières via des applications mobiles – est un pari à hauts risques pour le pouvoir.
Plébiscités par les Sénégalais, ces échanges monétaires se sont imposés dans la vie quotidienne, atteignant 12 011 milliards de francs CFA en 2023, d’après la BCEAO. Autant débattue dans les travées de l’arena de Monza que dans les ruelles sablonneuses de Dakar, la mesure, très décriée d’un point de vue économique, risque d’être perçue comme une « injustice fiscale », a prévenu l’Union nationale des consommateurs du Sénégal, surtout pour les ménages les plus pauvres, exclus d’un système bancaire trop onéreux et dépendants du « mobile money » pour vivre.
Controversé, le plan de redressement n’a pas non plus levé les inquiétudes des investisseurs étrangers. Avant l’étape italienne, Ousmane Sonko a opéré un circuit diplomatique qui l’aura vu à Pékin fin juin, à Ankara début août, puis à Dubaï et Abou Dhabi entre le 8 et le 12 septembre. « Ce n’est pas une surprise de le voir se rendre en Chine, en Turquie et aux Emirats arabes unis », note Ayrton Aubry, directeur scientifique au Laboratoire d’analyse des sociétés et pouvoirs/Afrique-Diasporas (Laspad) de l’université Gaston-Berger, à Saint-Louis : « Cette diplomatie économique tournée vers des alliés traditionnels du Sénégal vise à rechercher de nouveaux partenaires économiques et financiers. »
« Tourner la page »
Pour l’instant, ces efforts sont couronnés de maigres succès. A l’issue de ces rencontres avec les dirigeants chinois et émiratis, aucun plan massif de nouveaux investissements étrangers n’a été dévoilé. Après son entretien avec le président turc, Recep Tayyip Erdogan, Ousmane Sonko a déclaré que « l’objectif était d’atteindre 1 milliard de dollars » entre les deux pays – un but déjà affiché par l’ancien président Macky Sall… il y a quatre ans.
Au-delà de potentiels contrats, cette tournée diplomatique a d’abord visé à « rassurer les groupes étrangers et les banques de développement », remarque Ibrahima Niang, de l’université Cheikh-Anta-Diop, à Dakar. Ce spécialiste des relations sino-sénégalaises rappelle que les audits lancés par les nouvelles autorités ont « conduit à la suspension de certains projets chinois, comme l’autoroute Mbour-Fatick-Kaolack par la China Road and Bridge Corporation, ou au gel de l’étude de faisabilité des Autoroutes de l’eau [un projet d’irrigation et d’approvisionnement en eau potable] ». Du côté de la Turquie, les déboires fiscaux de l’un de ses fleurons dans le BTP, Summa, ont été évoqués par les deux parties.
« Turcs ou Chinois, tout le monde regarde les mêmes indicateurs et attend le feu vert du FMI [Fonds monétaire international], dont le prêt de 1,8 milliard de dollars [environ 1,5 milliard d’euros] reste suspendu en raison de la dette odieuse, ironise un banquier d’affaires sénégalais. Tant qu’un deal ne sera pas acté, Dakar n’aura en réalité aucune marge de manœuvre. » Le sort du Sénégal va donc se jouer aux assemblées annuelles des institutions de Bretton Woods, du 13 au 18 octobre à Washington. A l’approche de ce rendez-vous, une source au FMI assure qu’il y a une « volonté générale de tourner la page », alors qu’un rapport très attendu du cabinet Forvis Mazars, chargé d’auditer la dette réelle du Sénégal, n’a toujours pas été publié.
Abbas Asamaan (Dakar, correspondance)
Source : Le Monde - (Le 17 septembre 2025)
Samedi 13 septembre, à Monza, en Italie, devant 8 000 Sénégalais établis en Europe, Ousmane Sonko a tenté de remettre ces derniers au centre du jeu. « L’Etat veut innover pour trouver davantage de ressources afin de remplir ses obligations, a-t-il lancé sous les hourras. Nous comptons sur vous, la diaspora. » Chantres du souverainisme, le chef du gouvernement et le président, Bassirou Diomaye Faye, misent sur l’espoir d’un nouvel élan au-delà des frontières nationales. Jeudi, Dakar va ainsi lancer des « titres patriotes et citoyens », a indiqué M. Sonko en Italie, sans préciser s’ils financeraient de la dette ou des projets d’infrastructures.
Le Sénégal souhaite faire de ces « diaspora bonds » un pilier de sa souveraineté financière. Selon les autorités, la levée attendue de 1 800 milliards de francs CFA (2,7 milliards d’euros) à travers ces obligations alternatives est censée financer sur les trois prochaines années près de 30 % de la première étape du plan de redressement, afin de relever autant l’Etat, asphyxié par la crise de la dette (119 % du PIB fin 2024), qu’un Sénégal meurtri par une crise économique dont le dernier signal alarmant concerne le recul du PIB (– 1,2 %) au premier trimestre, d’après les chiffres du ministère des finances.
« Injustice fiscale »
Adopté le 30 juillet pour « redresser les finances publiques », « corriger les déséquilibres structurels » et « relancer l’économie », ce plan a de nouveau été au cœur du plaidoyer d’Ousmane Sonko en Italie pour tenter de désamorcer les mécontentements qui menacent. Car l’une de ses mesures phares – une surtaxe de 0,5 % sur les transferts d’argent et de 1,5 % sur les transactions financières via des applications mobiles – est un pari à hauts risques pour le pouvoir.
Plébiscités par les Sénégalais, ces échanges monétaires se sont imposés dans la vie quotidienne, atteignant 12 011 milliards de francs CFA en 2023, d’après la BCEAO. Autant débattue dans les travées de l’arena de Monza que dans les ruelles sablonneuses de Dakar, la mesure, très décriée d’un point de vue économique, risque d’être perçue comme une « injustice fiscale », a prévenu l’Union nationale des consommateurs du Sénégal, surtout pour les ménages les plus pauvres, exclus d’un système bancaire trop onéreux et dépendants du « mobile money » pour vivre.
Controversé, le plan de redressement n’a pas non plus levé les inquiétudes des investisseurs étrangers. Avant l’étape italienne, Ousmane Sonko a opéré un circuit diplomatique qui l’aura vu à Pékin fin juin, à Ankara début août, puis à Dubaï et Abou Dhabi entre le 8 et le 12 septembre. « Ce n’est pas une surprise de le voir se rendre en Chine, en Turquie et aux Emirats arabes unis », note Ayrton Aubry, directeur scientifique au Laboratoire d’analyse des sociétés et pouvoirs/Afrique-Diasporas (Laspad) de l’université Gaston-Berger, à Saint-Louis : « Cette diplomatie économique tournée vers des alliés traditionnels du Sénégal vise à rechercher de nouveaux partenaires économiques et financiers. »
« Tourner la page »
Pour l’instant, ces efforts sont couronnés de maigres succès. A l’issue de ces rencontres avec les dirigeants chinois et émiratis, aucun plan massif de nouveaux investissements étrangers n’a été dévoilé. Après son entretien avec le président turc, Recep Tayyip Erdogan, Ousmane Sonko a déclaré que « l’objectif était d’atteindre 1 milliard de dollars » entre les deux pays – un but déjà affiché par l’ancien président Macky Sall… il y a quatre ans.
Au-delà de potentiels contrats, cette tournée diplomatique a d’abord visé à « rassurer les groupes étrangers et les banques de développement », remarque Ibrahima Niang, de l’université Cheikh-Anta-Diop, à Dakar. Ce spécialiste des relations sino-sénégalaises rappelle que les audits lancés par les nouvelles autorités ont « conduit à la suspension de certains projets chinois, comme l’autoroute Mbour-Fatick-Kaolack par la China Road and Bridge Corporation, ou au gel de l’étude de faisabilité des Autoroutes de l’eau [un projet d’irrigation et d’approvisionnement en eau potable] ». Du côté de la Turquie, les déboires fiscaux de l’un de ses fleurons dans le BTP, Summa, ont été évoqués par les deux parties.
« Turcs ou Chinois, tout le monde regarde les mêmes indicateurs et attend le feu vert du FMI [Fonds monétaire international], dont le prêt de 1,8 milliard de dollars [environ 1,5 milliard d’euros] reste suspendu en raison de la dette odieuse, ironise un banquier d’affaires sénégalais. Tant qu’un deal ne sera pas acté, Dakar n’aura en réalité aucune marge de manœuvre. » Le sort du Sénégal va donc se jouer aux assemblées annuelles des institutions de Bretton Woods, du 13 au 18 octobre à Washington. A l’approche de ce rendez-vous, une source au FMI assure qu’il y a une « volonté générale de tourner la page », alors qu’un rapport très attendu du cabinet Forvis Mazars, chargé d’auditer la dette réelle du Sénégal, n’a toujours pas été publié.
Abbas Asamaan (Dakar, correspondance)
Source : Le Monde - (Le 17 septembre 2025)