
La France célèbre aujourd'hui, comme tous les 10 mai, l'abolition de l'esclavage. Des esclaves, il y en a pourtant encore beaucoup dans le monde, comme Yahia Ould Brahim, qui s'est enfui de Mauritanie.
Il est libre. Mais avec son air perdu, sa voix à peine audible, il semble toujours captif. Il y a quelques années, Yahia Ould Brahim, la trentaine, était esclave dans son pays, la Mauritanie. Vers l'âge de 5 ans, il a été arraché à sa famille. « Mes parents étaient esclaves d'un maître maure, raconte-t-il, les yeux rivés sur la forêt de tours que lui offre cet étage élevé d'un immeuble de Clichy-sous-Bois, à des années-lumière des déserts de Mauritanie. Ils vivaient au sud-est du pays, à Ouidimagha. Ils cultivaient, le maître venait chercher les récoltes. »
Un jour, c'est lui que le maître vient chercher. « Je gardais les chèvres, et je vivais avec elles. Il me bastonnait, me disait de ne pas le regarder dans les yeux, de ne pas crier ! Il a pris ma soeur, mon frère. » Ould Brahim n'aurait jamais eu l'idée de se révolter. Mais un jour, il perd des chèvres. « Je n'ai pas osé retourner chez le maître. » Le jeune homme s'enfuit à Nouadhibou en 1999.
Il est libre, mais ne s'en rend pas compte. « J'avais peur que le maître me reprenne ! Des associations aident les esclaves mais il faut porter plainte. Et les gendarmes peuvent vous ramener... Je suis parti en Europe en bateau. Tout valait mieux que cette vie-là. »
Yahia Ould Brahim, qui tente d'obtenir le statut de réfugié, a laissé derrière lui des centaines de milliers de frères et soeurs d'infortune. L'esclavage colle à la peau de la Mauritanie. Pendant des siècles, les Maures, ou Arabo-Berbères, qui dominent le pays, se sont servis en esclaves noirs. L'esclavage a été aboli en 1905, au temps de la colonisation française, et de nouveau en 1980, sous la pression internationale. Mais les traditions, l'illettrisme, la misère, les croyances religieuses lient les anciens esclaves aux maîtres plus solidement que des chaînes. « Certains, que l'on appelle Haratine, ont été affranchis, d'autres non. De toute façon ça ne change rien, s'indigne Mohamed Yahia Ould Cire, président de l'Association des Haratine de Mauritanie en Europe. Les maîtres disent aux Haratine qu'ils ont une dette devant Dieu, puisqu'ils les ont affranchis. Alors les Haratine leur versent de l'argent, travaillent pour eux. » La moitié des 3,5 millions de Mauritaniens seraient esclaves ou Haratine.
Ancré dans les mentalités
Les Haratine, sans papiers prouvant qu'ils sont libres, reproduisent la domination qu'ils ont toujours vécue. L'esclavage reste ancré dans les mentalités. Mohamed Yahia Ould Cire, 59 ans, le sait. Lui est allé à l'école pendant la colonisation. Il est devenu diplomate. « À l'ambassade, je faisais le travail dont les Maures ne voulaient pas ! Mon statut d'ancien esclave me suivait. » Il a dû fuir en 1998, parce qu'il tentait de faire appliquer les lois anti-esclavagistes. « Les Haratine n'ont jamais raison devant la justice. » Pour que la situation évolue, il faudrait que les esclavagistes arrêtent d'instrumentaliser l'Islam, et que le gouvernement cesse de mettre la tête dans le sable. « Sinon, déplore Ould Cire, nous serons éternellement considérés comme des sous-hommes. »
Florence PITARD.
Ouest France
Il est libre. Mais avec son air perdu, sa voix à peine audible, il semble toujours captif. Il y a quelques années, Yahia Ould Brahim, la trentaine, était esclave dans son pays, la Mauritanie. Vers l'âge de 5 ans, il a été arraché à sa famille. « Mes parents étaient esclaves d'un maître maure, raconte-t-il, les yeux rivés sur la forêt de tours que lui offre cet étage élevé d'un immeuble de Clichy-sous-Bois, à des années-lumière des déserts de Mauritanie. Ils vivaient au sud-est du pays, à Ouidimagha. Ils cultivaient, le maître venait chercher les récoltes. »
Un jour, c'est lui que le maître vient chercher. « Je gardais les chèvres, et je vivais avec elles. Il me bastonnait, me disait de ne pas le regarder dans les yeux, de ne pas crier ! Il a pris ma soeur, mon frère. » Ould Brahim n'aurait jamais eu l'idée de se révolter. Mais un jour, il perd des chèvres. « Je n'ai pas osé retourner chez le maître. » Le jeune homme s'enfuit à Nouadhibou en 1999.
Il est libre, mais ne s'en rend pas compte. « J'avais peur que le maître me reprenne ! Des associations aident les esclaves mais il faut porter plainte. Et les gendarmes peuvent vous ramener... Je suis parti en Europe en bateau. Tout valait mieux que cette vie-là. »
Yahia Ould Brahim, qui tente d'obtenir le statut de réfugié, a laissé derrière lui des centaines de milliers de frères et soeurs d'infortune. L'esclavage colle à la peau de la Mauritanie. Pendant des siècles, les Maures, ou Arabo-Berbères, qui dominent le pays, se sont servis en esclaves noirs. L'esclavage a été aboli en 1905, au temps de la colonisation française, et de nouveau en 1980, sous la pression internationale. Mais les traditions, l'illettrisme, la misère, les croyances religieuses lient les anciens esclaves aux maîtres plus solidement que des chaînes. « Certains, que l'on appelle Haratine, ont été affranchis, d'autres non. De toute façon ça ne change rien, s'indigne Mohamed Yahia Ould Cire, président de l'Association des Haratine de Mauritanie en Europe. Les maîtres disent aux Haratine qu'ils ont une dette devant Dieu, puisqu'ils les ont affranchis. Alors les Haratine leur versent de l'argent, travaillent pour eux. » La moitié des 3,5 millions de Mauritaniens seraient esclaves ou Haratine.
Ancré dans les mentalités
Les Haratine, sans papiers prouvant qu'ils sont libres, reproduisent la domination qu'ils ont toujours vécue. L'esclavage reste ancré dans les mentalités. Mohamed Yahia Ould Cire, 59 ans, le sait. Lui est allé à l'école pendant la colonisation. Il est devenu diplomate. « À l'ambassade, je faisais le travail dont les Maures ne voulaient pas ! Mon statut d'ancien esclave me suivait. » Il a dû fuir en 1998, parce qu'il tentait de faire appliquer les lois anti-esclavagistes. « Les Haratine n'ont jamais raison devant la justice. » Pour que la situation évolue, il faudrait que les esclavagistes arrêtent d'instrumentaliser l'Islam, et que le gouvernement cesse de mettre la tête dans le sable. « Sinon, déplore Ould Cire, nous serons éternellement considérés comme des sous-hommes. »
Florence PITARD.
Ouest France