
C’est en analysant ce qui se passe sur la scène mauritanienne de Paris que l’idée d’écrire cet article nous est venue à l’esprit.
En observant et en écoutant de nombreux Mauritaniens, nous nous sommes rendu compte de la faiblesse de la place qu’occupe la réflexion dans leur espace. L’émotionnel, le subjectif sont au cœur des rencontres, des comportements et des pensées, des relations. Ainsi, les passions polluent toutes les tentatives de construction sereine. Ce qui est désespérant est que, même ceux qui sont supposés constituer l’élite d’aujourd’hui et de demain n’y échappent pas.
En de nombreux lieux et circonstances, au sein des espaces mauritaniens, ce ne sont ni les valeurs, ni les idées qui comptent, mais la personne qui parle, les appartenances ethnique, sociale, les relations, parfois, traficotées, négociées dans l’obscurité de l'opaque nuit des esprits malfaisants, du diable qui ruine et envenimine. Par conséquent, ce ne sont ni le projet d’un futur meilleur, la justice, la paix qui sont au centre des préoccupations de la plupart des Mauritaniens mais l’expression de leur subjectif ego.
Nous pensons avoir une explication à ce comportement. La société mauritanienne est, traditionnellement, une société où le groupe a toujours pesé sur les individus. Ainsi, dans le subconscient des Mauritaniens, il y a cette tendance au rattachement au corps : je suis du côté de telle personne, j’appartiens donc à tel corps. Ce corps me permet de me sentir exister, d’être protégé, ainsi je peux rester l’idiot qui mange, protégé, à qui on fait semblant d’accorder une considération mais qui a renoncé à sa liberté.
En fait, accepter de penser, c’est prendre le risque de la solitude, de se tromper, de se perdre ; c’est aussi assumer sa liberté. Cette démarche fait peur à de nombreux Mauritaniens, habitués à leur dissolution dans le groupe. Ils préfèrent donc faire partie de tel ou tel autre troupeau, marqué au fer rouge de Puular, Toroodé, Boghééen, Oulad, tel, proche de tel, ainsi de suite, larguant aux oubliettes leur esprit qui leur a été donné pour être utilisé.
Une des conséquences très grave des pesanteurs sociales en Mauritanie est que des personnes instruites et parfois même très cultivées, ce qui ne se trouve pas en abondance dans ce pays, renoncent à leur conscience, leurs convictions intimes, de peur de ne pas être acceptées.
Dans une société où les gens marchent comme des hordes et n’ont pas appris à ouvrir leurs yeux et à utiliser leur esprit pour se déterminer en fonction de critères objectifs et de leur conscience, la vie collective ne peut être que d’un niveau médiocre. L’esprit critique est à la base de tout progrès.
Dans ce type de société où l’on pense, essentiellement, en fonction des appartenances figées par la naissance, de la stratification sociale moyenâgeuse, les relations interindividuelles et collectives sont parasitées par des éléments négatifs qui entrainent des injustices.
Sur le plan purement individuel, d’une part, des personnes ne sont pas reconnues pour leurs qualités, leur travail, leur mérite, leur intégrité. Cela peut faire naître chez de nombreux individus une frustration, une révolte ou une perte de confiance. D’autre part, des êtres ayant peu de mérite sont valorisés.
Nous donnons un exemple simple pour nous faire comprendre. Dans de nombreuses situations, les personnes issues de la féodalité négro-africaine auront le droit d’avoir des positons qu’elles ne doivent normalement pas occuper alors que celles issues des basses couches, quels que soient leur mérite et compétences, ne peuvent accéder à certaines fonctions (mairie de village, par exemple). Ce même problème se retrouve aussi au sein des associations villageoises en France. Nombreuses parmi elles sont celles où ce qui compte n’est pas ce que la personne propose, mais qui le propose. Dans ce contexte, on aura tendance à plus tenir compte des propos d’un Camara ou d’un Kane, issu des familles dirigeantes, quel que soit son degré d’intelligence, que d’un Traoré, Diarra, Coulibaly ou Barry, issu des familles d’esclaves.
Chez les Arabo-berbères, on retrouve ce travers, assez marqué, au sein de la société mauritanienne qui consiste à ne pas mettre en avant la valeur intrinsèque de la personne. A titre d’exemple, l’homme ou la femme issu de la noblesse maure sera toujours considéré comme étant au-dessus de celui ou celle issu des basses couches, sans prendre en compte le mérite respectif de chacun d’entre eux. Cette manière de voir des Maures privilégiés se reflète sur la scène politique mauritanienne.
Sur le plan collectif, ce mode de fonctionnement constitue une sérieuse entrave au progrès. « Le progrès est l'action d'aller vers l'avant, de s'accroître, d'être meilleur.
Pour une société ou pour l'humanité, le progrès est l'évolution dans le sens d'une amélioration, sa transformation progressive vers plus de connaissance et de bonheur.
La notion de progrès est une idée moderne qui s'oppose à celle de stabilité qui dominait dans le passé. Les anthropologues constatent la difficulté qu'ont eues les sociétés primitives et les anciennes civilisations à appréhender cette idée. Même les grecs n'en avaient qu'une perception limitée. C'est surtout au XIXe siècle que le progrès est devenu une notion économique ou scientifique. »1
Sur la scène politique mauritanienne à Paris, les considérations d’ordre subjectif, passionnel, racial, ethnique, tribal, de caste, etc. prennent souvent le dessus sur les idées de progrès. Il en est de même à Nouakchott, à Rosso, Sélibaby, etc. Inconsciemment, c’est encore le corps qui fonctionne. Avec un tel état d’esprit, l’individu se confond facilement avec ses idées, les passions deviennent sous-jacentes, les personnes se haïssent, refusent de débattre ensemble, en viennent aux mains, parce que, simplement, ils ne sont pas d’accord. Tu es de mon camp, sinon, nous sommes ennemis. Je dois t’abattre par la calomnie, le mensonge, etc.
Dans les pays développés, on trouve des inégalités fondées sur les origines sociales, sexuelles, etc. Elles font l’objet de vives critiques de la part d’intellectuels, de militants, de la masse, au nom d’idéaux et non d’appartenances particulières, etc. C’est cette masse qu’il faut avoir en Afrique en général et en Mauritanie, en particulier, ce qui permettra de faire avancer les choses peu à peu.
Dans des pays comme la Mauritanie, le manque d’ancrage de l’idée d’égalité entre les hommes, de la notion de citoyenneté, empêchent le développement de luttes collectives pour faire progresser d’une manière significative le pays dans l’intérêt de tous.
Une société dans laquelle tous les individus sont d’accord, ne peut-être que médiocre et dangereuse, car il s’agit d’une collectivité où l’on ne pense pas, où l’on est dissous dans le ON heideggérien de la déchéance. On assiste à un commerce affectif qui n’apporte rien à l’avenir. Pour cette raison, nous demeurons très sceptiques quant à l’avenir proche du pays. Le changement des mentalités est une nécessité absolue. Il ne se fera que grâce à l’éducation
Un autre problème qui nous paraît grave est celui de la difficulté, même à Paris, que ce soit dans le milieu étudiant ou celui du militantisme, de faire travailler ensemble, sur la base d’idéaux, des Maures, des Négro-africains, des Harratines. Les associations sont, essentiellement, négro-africaines, arabo-berbères ou harratines. Nous nous trouvons dans une situation où le mode de fonctionnement environnant et le niveau d’éducation n’influencent guère la manière d’agir et de penser.
Les soupçons sont toujours là. Un nombre important de Maures se croient, au moins inconsciemment, toujours plus rusés que les Noirs ou supérieurs à eux. De nombreux Négro-africains ne peuvent faire confiance à un Maure. Des Harratines soupçonnent les Négro-africains de vouloir les utiliser. Des Négro-africains ne considèrent pas les Harratines comme des êtres humains égaux, victimes de l’esclavage. Des Harratines voient en tout Maure un manque de sincérité. Le Maure méprise le Harratine.
A l’intérieur de chaque communauté, existent des discriminations. Chez les Négro-africains, les descendants des anciens esclaves continuent à faire l’objet de mépris. On trouve par exemple chez les Soninkés, des pratiques ignobles : « Au niveau social, ils ne sont jamais associés aux décisions du village et se contentent plutôt de les exécuter. Au niveau politique, les dernières élections municipales et législatives ont mis à nu le système social au Guidimakha. Le pouvoir politique se confond avec la chefferie traditionnelle. Ne peuvent être maires ou députés que les candidats issus de familles régnantes. Les descendants d’esclaves et les artisans sont exclus du jeu politique.
Cette logique a engendré des situations conflictuelles dans plusieurs localités notamment à Sélibaby, Bouanze, Boully et Diadié Biné où des descendants d’esclaves et des artisans ont brigué les différents postes électifs. Le pouvoir politique, en l’occurrence celui de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, qui a toujours nié l’existence de l’esclavage, s’est fortement appuyé sur cette hiérarchie sociale esclavagiste pour promouvoir les cadres de la société soninké.
Au niveau religieux, un descendant d’esclave ou un artisan ne peut prétendre être imam ou simplement diriger une prière même s’il est un érudit. Par contre, un descendant de marabout même s’il est analphabète a le droit de diriger la prière. La ségrégation dans l’espace villageois est flagrante. L’un des goulots d’étranglement en milieu soninké est l’existence dans tous les villages de quartiers pour nobles (au centre du village) et de quartiers pour esclaves (à la périphérie), de mosquées pour nobles et de mosquées pour esclaves et jusqu’à très récemment de cimetières pour nobles et cimetières pour esclaves.
»2
Cette situation nous rend très peu optimiste quant à un avenir immédiat. A notre humble avis, le vrai problème de la Mauritanie est celui de la rareté de son élite. L’élite, comme le dit Joseph Ki-Zerbo, « devrait être au-dessus du commun des gens du point de vue juridique, mais aussi au plan éthique et morale qui fonde la légitimité. »3
La plupart de ceux qui sont allés à l’école reproduisent le système féodal. Les militants, les politiques sont parmi les plus dangereux, car ils manipulent les populations, jouent un jeu pervers de division, de fragmentation, de séparation, s’appuyant souvent sur les valeurs féodales. Tout cela donne peu d’espoir, relativement à des changements à court et à moyen terme.
Ce n’est donc pas l’instruction qui fonde l’appartenance à l’élite, mais le fait d’être porteur de valeurs qui font avancer l’humanité.
En l’état actuel, il nous semble donc difficile de rêver à une Mauritanie où les appartenances seraient secondaires, où les uns et les autres travailleraient ensemble pour réfléchir à un avenir commun juste et solidaire. La Mauritanie a besoin d’une masse de personnes qui se détachent de leurs appartenances particulières et qui défendent des valeurs de justice et d’égalité, d’une masse qui défende le droit de chaque citoyen lésé dans ses droits. Le chemin sera long mais, mais toutes les démocraties on pu fonctionner grâce à des individus qui défendent des valeurs d’égalité de justice.
Oumar Diagne, Ecrivain
Ouvrages déjà publiés :
Le soleil s’est couché sur mon continent, poésie, Edition A3, épuisé
Le chant des Nénuphars suivi de La montagne vaporeuse, poésie, Editions Panafrika/ Silex Nouvelles du Sud, 2008, disponible à Présence et à l’Harmattan
Serengeti à l’ombre du mal, Roman, Dianoïa, 2008 (diffusion Presses Universitaires), disponible aussi à Présence et à l’Harmattan
A Paraître : Les pouvoirs en Afrique, essai
Notes :
1 Définition du dictionnaire la Toupie
2 Joseph Ki-Zerbo, A quand l’Afrique, entretien avec René Holenstien, Editions l’aube 2003, p. 74
3 Esclavage en milieu soninké : Des pratiques qui ont la peau dure signé Bakari Gueye. L’article peut être trouvé dans le site de soninkara.
source/ OCVIDH
En observant et en écoutant de nombreux Mauritaniens, nous nous sommes rendu compte de la faiblesse de la place qu’occupe la réflexion dans leur espace. L’émotionnel, le subjectif sont au cœur des rencontres, des comportements et des pensées, des relations. Ainsi, les passions polluent toutes les tentatives de construction sereine. Ce qui est désespérant est que, même ceux qui sont supposés constituer l’élite d’aujourd’hui et de demain n’y échappent pas.
En de nombreux lieux et circonstances, au sein des espaces mauritaniens, ce ne sont ni les valeurs, ni les idées qui comptent, mais la personne qui parle, les appartenances ethnique, sociale, les relations, parfois, traficotées, négociées dans l’obscurité de l'opaque nuit des esprits malfaisants, du diable qui ruine et envenimine. Par conséquent, ce ne sont ni le projet d’un futur meilleur, la justice, la paix qui sont au centre des préoccupations de la plupart des Mauritaniens mais l’expression de leur subjectif ego.
Nous pensons avoir une explication à ce comportement. La société mauritanienne est, traditionnellement, une société où le groupe a toujours pesé sur les individus. Ainsi, dans le subconscient des Mauritaniens, il y a cette tendance au rattachement au corps : je suis du côté de telle personne, j’appartiens donc à tel corps. Ce corps me permet de me sentir exister, d’être protégé, ainsi je peux rester l’idiot qui mange, protégé, à qui on fait semblant d’accorder une considération mais qui a renoncé à sa liberté.
En fait, accepter de penser, c’est prendre le risque de la solitude, de se tromper, de se perdre ; c’est aussi assumer sa liberté. Cette démarche fait peur à de nombreux Mauritaniens, habitués à leur dissolution dans le groupe. Ils préfèrent donc faire partie de tel ou tel autre troupeau, marqué au fer rouge de Puular, Toroodé, Boghééen, Oulad, tel, proche de tel, ainsi de suite, larguant aux oubliettes leur esprit qui leur a été donné pour être utilisé.
Une des conséquences très grave des pesanteurs sociales en Mauritanie est que des personnes instruites et parfois même très cultivées, ce qui ne se trouve pas en abondance dans ce pays, renoncent à leur conscience, leurs convictions intimes, de peur de ne pas être acceptées.
Dans une société où les gens marchent comme des hordes et n’ont pas appris à ouvrir leurs yeux et à utiliser leur esprit pour se déterminer en fonction de critères objectifs et de leur conscience, la vie collective ne peut être que d’un niveau médiocre. L’esprit critique est à la base de tout progrès.
Dans ce type de société où l’on pense, essentiellement, en fonction des appartenances figées par la naissance, de la stratification sociale moyenâgeuse, les relations interindividuelles et collectives sont parasitées par des éléments négatifs qui entrainent des injustices.
Sur le plan purement individuel, d’une part, des personnes ne sont pas reconnues pour leurs qualités, leur travail, leur mérite, leur intégrité. Cela peut faire naître chez de nombreux individus une frustration, une révolte ou une perte de confiance. D’autre part, des êtres ayant peu de mérite sont valorisés.
Nous donnons un exemple simple pour nous faire comprendre. Dans de nombreuses situations, les personnes issues de la féodalité négro-africaine auront le droit d’avoir des positons qu’elles ne doivent normalement pas occuper alors que celles issues des basses couches, quels que soient leur mérite et compétences, ne peuvent accéder à certaines fonctions (mairie de village, par exemple). Ce même problème se retrouve aussi au sein des associations villageoises en France. Nombreuses parmi elles sont celles où ce qui compte n’est pas ce que la personne propose, mais qui le propose. Dans ce contexte, on aura tendance à plus tenir compte des propos d’un Camara ou d’un Kane, issu des familles dirigeantes, quel que soit son degré d’intelligence, que d’un Traoré, Diarra, Coulibaly ou Barry, issu des familles d’esclaves.
Chez les Arabo-berbères, on retrouve ce travers, assez marqué, au sein de la société mauritanienne qui consiste à ne pas mettre en avant la valeur intrinsèque de la personne. A titre d’exemple, l’homme ou la femme issu de la noblesse maure sera toujours considéré comme étant au-dessus de celui ou celle issu des basses couches, sans prendre en compte le mérite respectif de chacun d’entre eux. Cette manière de voir des Maures privilégiés se reflète sur la scène politique mauritanienne.
Sur le plan collectif, ce mode de fonctionnement constitue une sérieuse entrave au progrès. « Le progrès est l'action d'aller vers l'avant, de s'accroître, d'être meilleur.
Pour une société ou pour l'humanité, le progrès est l'évolution dans le sens d'une amélioration, sa transformation progressive vers plus de connaissance et de bonheur.
La notion de progrès est une idée moderne qui s'oppose à celle de stabilité qui dominait dans le passé. Les anthropologues constatent la difficulté qu'ont eues les sociétés primitives et les anciennes civilisations à appréhender cette idée. Même les grecs n'en avaient qu'une perception limitée. C'est surtout au XIXe siècle que le progrès est devenu une notion économique ou scientifique. »1
Sur la scène politique mauritanienne à Paris, les considérations d’ordre subjectif, passionnel, racial, ethnique, tribal, de caste, etc. prennent souvent le dessus sur les idées de progrès. Il en est de même à Nouakchott, à Rosso, Sélibaby, etc. Inconsciemment, c’est encore le corps qui fonctionne. Avec un tel état d’esprit, l’individu se confond facilement avec ses idées, les passions deviennent sous-jacentes, les personnes se haïssent, refusent de débattre ensemble, en viennent aux mains, parce que, simplement, ils ne sont pas d’accord. Tu es de mon camp, sinon, nous sommes ennemis. Je dois t’abattre par la calomnie, le mensonge, etc.
Dans les pays développés, on trouve des inégalités fondées sur les origines sociales, sexuelles, etc. Elles font l’objet de vives critiques de la part d’intellectuels, de militants, de la masse, au nom d’idéaux et non d’appartenances particulières, etc. C’est cette masse qu’il faut avoir en Afrique en général et en Mauritanie, en particulier, ce qui permettra de faire avancer les choses peu à peu.
Dans des pays comme la Mauritanie, le manque d’ancrage de l’idée d’égalité entre les hommes, de la notion de citoyenneté, empêchent le développement de luttes collectives pour faire progresser d’une manière significative le pays dans l’intérêt de tous.
Une société dans laquelle tous les individus sont d’accord, ne peut-être que médiocre et dangereuse, car il s’agit d’une collectivité où l’on ne pense pas, où l’on est dissous dans le ON heideggérien de la déchéance. On assiste à un commerce affectif qui n’apporte rien à l’avenir. Pour cette raison, nous demeurons très sceptiques quant à l’avenir proche du pays. Le changement des mentalités est une nécessité absolue. Il ne se fera que grâce à l’éducation
Un autre problème qui nous paraît grave est celui de la difficulté, même à Paris, que ce soit dans le milieu étudiant ou celui du militantisme, de faire travailler ensemble, sur la base d’idéaux, des Maures, des Négro-africains, des Harratines. Les associations sont, essentiellement, négro-africaines, arabo-berbères ou harratines. Nous nous trouvons dans une situation où le mode de fonctionnement environnant et le niveau d’éducation n’influencent guère la manière d’agir et de penser.
Les soupçons sont toujours là. Un nombre important de Maures se croient, au moins inconsciemment, toujours plus rusés que les Noirs ou supérieurs à eux. De nombreux Négro-africains ne peuvent faire confiance à un Maure. Des Harratines soupçonnent les Négro-africains de vouloir les utiliser. Des Négro-africains ne considèrent pas les Harratines comme des êtres humains égaux, victimes de l’esclavage. Des Harratines voient en tout Maure un manque de sincérité. Le Maure méprise le Harratine.
A l’intérieur de chaque communauté, existent des discriminations. Chez les Négro-africains, les descendants des anciens esclaves continuent à faire l’objet de mépris. On trouve par exemple chez les Soninkés, des pratiques ignobles : « Au niveau social, ils ne sont jamais associés aux décisions du village et se contentent plutôt de les exécuter. Au niveau politique, les dernières élections municipales et législatives ont mis à nu le système social au Guidimakha. Le pouvoir politique se confond avec la chefferie traditionnelle. Ne peuvent être maires ou députés que les candidats issus de familles régnantes. Les descendants d’esclaves et les artisans sont exclus du jeu politique.
Cette logique a engendré des situations conflictuelles dans plusieurs localités notamment à Sélibaby, Bouanze, Boully et Diadié Biné où des descendants d’esclaves et des artisans ont brigué les différents postes électifs. Le pouvoir politique, en l’occurrence celui de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, qui a toujours nié l’existence de l’esclavage, s’est fortement appuyé sur cette hiérarchie sociale esclavagiste pour promouvoir les cadres de la société soninké.
Au niveau religieux, un descendant d’esclave ou un artisan ne peut prétendre être imam ou simplement diriger une prière même s’il est un érudit. Par contre, un descendant de marabout même s’il est analphabète a le droit de diriger la prière. La ségrégation dans l’espace villageois est flagrante. L’un des goulots d’étranglement en milieu soninké est l’existence dans tous les villages de quartiers pour nobles (au centre du village) et de quartiers pour esclaves (à la périphérie), de mosquées pour nobles et de mosquées pour esclaves et jusqu’à très récemment de cimetières pour nobles et cimetières pour esclaves.
»2
Cette situation nous rend très peu optimiste quant à un avenir immédiat. A notre humble avis, le vrai problème de la Mauritanie est celui de la rareté de son élite. L’élite, comme le dit Joseph Ki-Zerbo, « devrait être au-dessus du commun des gens du point de vue juridique, mais aussi au plan éthique et morale qui fonde la légitimité. »3
La plupart de ceux qui sont allés à l’école reproduisent le système féodal. Les militants, les politiques sont parmi les plus dangereux, car ils manipulent les populations, jouent un jeu pervers de division, de fragmentation, de séparation, s’appuyant souvent sur les valeurs féodales. Tout cela donne peu d’espoir, relativement à des changements à court et à moyen terme.
Ce n’est donc pas l’instruction qui fonde l’appartenance à l’élite, mais le fait d’être porteur de valeurs qui font avancer l’humanité.
En l’état actuel, il nous semble donc difficile de rêver à une Mauritanie où les appartenances seraient secondaires, où les uns et les autres travailleraient ensemble pour réfléchir à un avenir commun juste et solidaire. La Mauritanie a besoin d’une masse de personnes qui se détachent de leurs appartenances particulières et qui défendent des valeurs de justice et d’égalité, d’une masse qui défende le droit de chaque citoyen lésé dans ses droits. Le chemin sera long mais, mais toutes les démocraties on pu fonctionner grâce à des individus qui défendent des valeurs d’égalité de justice.
Oumar Diagne, Ecrivain
Ouvrages déjà publiés :
Le soleil s’est couché sur mon continent, poésie, Edition A3, épuisé
Le chant des Nénuphars suivi de La montagne vaporeuse, poésie, Editions Panafrika/ Silex Nouvelles du Sud, 2008, disponible à Présence et à l’Harmattan
Serengeti à l’ombre du mal, Roman, Dianoïa, 2008 (diffusion Presses Universitaires), disponible aussi à Présence et à l’Harmattan
A Paraître : Les pouvoirs en Afrique, essai
Notes :
1 Définition du dictionnaire la Toupie
2 Joseph Ki-Zerbo, A quand l’Afrique, entretien avec René Holenstien, Editions l’aube 2003, p. 74
3 Esclavage en milieu soninké : Des pratiques qui ont la peau dure signé Bakari Gueye. L’article peut être trouvé dans le site de soninkara.
source/ OCVIDH