
OCVIDH : Pouvez-vous vous présentez à nos lecteurs ?
Je m’appelle Amadou Alpha BA, je suis originaire de Jowol, dans le sud de la Mauritanie. Je suis le premier réfugié de Ould Taya au Sénégal. En 1986, suite à la célébration du 20e anniversaire des massacres de SOWETO le 16 juin à Nouakchott, précisément à l’ancienne maison des jeunes, j’y ai tenu des propos regrettant l’absence de la composante arabe mauritanienne à ces festivités. Je me rappelle bien, je n’avais remarqué que deux bidhanes dans la salle archicomble, l’un serait conseiller culturel à la présidence de la république, l’autre était policier. Donc tous ces deux étaient officiellement envoyés par l’administration. Depuis ce jour, je me pose la question sur cette fracture que l’on observe encore de nos jours concernant le traitement de certaines questions nationales ou internationales. L’esclavage est beaucoup plus combattu par les leaders haratines, le passif humanitaire et le racisme en Mauritanie est la question au centre des préoccupations des leaders dits nationalistes négro-mauritaniens, et comme on l’a vu ces derniers jours, la composante bidhane semble la plus préoccupée par rapport à la souffrance injuste du peuple palestrinien. Bref, pour en revenir à votre question, le lendemain de cette célébration, le 11 juin 1986, un ami policier avec qui je partageais la même chambre, du nom de N’DIAYE Mamadou (Paix à son âme) et qui est décédé dans les événements de 1989, me fit savoir que lui-même était (parmi d’autres) chargé de me rechercher. Depuis ce jour, je suis entré en clandestinité. Je me suis rendu au Sénégal pour quelques semaines avant de revenir en Mauritanie à Jowol. Le 05 septembre, commencèrent les arrestations des leaders des Flam, j’étais à Jowol avec mon grand-frère et maître à penser feu Saidou KANE, et d’autres amis comme Modi CISSE actuellement Secrétaire Général de l’AJD/ MR. Nous avion décidé, suite à l’interdiction de la semaine culturelle de Kaédi par le gouverneur, d’organiser les conférences qui y étaient prévues à Jowol. A la fin de ces conférences organisées à Jowol, Saïdou était rentrée à Nouakchott par le Sénégal. Comme on le sait, il fut arrêté à Rosso en compagnie de feu Mourtoudo. Dès le début des arrestations, les recherches furent aussi concentrées sur ma modeste personne chez moi à Nouakchott et chez mes proches. C’est Allah qui fit que mes oncles, suite à un malheureux événement de décès d’une de mes grand-mères se rendirent urgemment à Jowol et rapportèrent la nouvelle. Toute la famille m’obligea à sortir du village et du pays. J’étais à la frontière. Le 11 septembre, avec l’aide d’Allah, je me retrouvais au Sénégal en compagnie de mon plus que frère Elhadj Sidi N’GAIDE lui aussi recherché par la police politique.
J’ai donc été le premier à me rendre à Dakar et à y demander l’asile politique. Il faut remercier ici mon ami et frère Niili SOH dit Mamadou Ciré, aujourd’hui professeur de Mathématiques dans les universités américaines, et qui était en ce moment étudiant à l’université de Dakar. C’est le premier mauritanien qui nous accueillit et qui nous orienta vers son professeur de mathématiques, le malien feu Mr Abdoulaye LY (paix à son âme), un grand romancier, qui était lui aussi réfugié politique. Abdoulaye LY nous fut d’un grand soutien aussi bien politique que social. Ce qui était triste et ridicule à la fois, c’est que j’ignorais complètement l’existence d’une institution dénommée HCR. C’est Monsieur LY qui nous orienta, Niili et moi, vers le HCR. Et la voie était ainsi ouverte pour tous les autres qui me rejoignirent au Sénégal.
Amadou Alpha est aussi ancien militant des Flam. Au Sénégal, nous avons pu recréer l’organisation et la faire revivre. C’était une aventure exaltante. J’ai quitté les Flam en 2005 suite à un différend sur la nécessité de s’inscrire ou non dans la dynamique interne suite au coup d’état contre Moawiya O/ Taya. Nous avons créé les FLAM / RENOVATION qui avaient décidé d’inscrire leur lutte à l’intérieur du pays. J’ai quitté ce mouvement suite à l’accueil de haut rang réservé à l’aéroport Charles De Gaulle par des membres de sa direction au négationniste Colonel Ely O/ Mouhamed Vall qui avait nié, dans des discours publics à Sélibaby et à Rosso l’existence des déportations et des assassinats extrajudiciaires. Je sentais que quelque chose n’allait pas. Il y’avait peut être des objectifs inavoués que je ne maitrisais pas. J’ai décidé de prendre mes distances. Je me suis inscrit dans la dynamique de création de l’AJD/MR. J’ai démissionné de fait (je dis bien de fait, car je n’ai jamais officiellement été exclu et je n’ai jamais écris pour dire que je démissionnais) de ce mouvement suite à la gestion calamiteuse et injuste du dossier de ceux qu’on a appelé les frondeurs. Ces anciens camarades, dont je ne partage pas d’ailleurs la plupart des positions politiques, ont été exclus arbitrairement sans aucun respect des textes du parti et surtout sans aucun égard vis-à-vis des personnalités qui tentaient de faire la médiation. La plupart de ces médiateurs étaient pourtant externes au parti, mais croyaient en ce parti, y compris des leaders d’autres partis politiques. Ma démission, je l’ai concrétisée par un soutien actif à la candidature du Général Mohamed Ould Abdel Aziz que je jugeais seul capable de barrer la route au danger qui nous guettait : le retour de Ely le négationniste, ou l’arrivée de Ahmed Daddah qui avait d’autres préoccupations que la résolution des questions liées au passif humanitaire et aux déportations. Mis à part Ibrahima Moctar Sarr et Kane Hamidou Baba, qui ne faisaient pas le poids face aux candidatures issues de l’opposition FNDD, seul le général Mohamed Ould Abdel, Aziz avait un discours clair et concis pour la résolution des questions liées au passif humanitaire et à la cohabitation. Les candidats du FNDD pensaient que les mauritaniens ne devraient se nourrir et boire que de la lutte contre le coup d’état, coup qu’ils avaient d’ailleurs avalisé dans les accords de Dakar. Ils étaient durant toute la campagne obnubilés par cette question au point de renvoyer aux calendes grecques les principales préoccupations des mauritaniens. Il est vrai que nous nous sommes rendus compte - heureusement d’ailleurs - que Ely O/ Med Vall n’était qu’un éléphant au pied d’argile, mais il faut reconnaître que sa candidature avait suscité la peur dans tous les camps, surtout dans celui des victimes des barbaries de Taya et de leurs défenseurs.
OCVIDH : Quelle analyse faites-vous de la politique économique menée actuellement par le président de la Mauritanie ?
Ecoutez, le problème dans notre pays, est que nous n’avons jamais eu de ligne directrice en matière de politique économique. Nous ne savons pas si nous nous inscrivons dans le socialisme ou le libéralisme, malgré le triomphe de ce dernier de par le monde depuis le règne de la mondialisation. Tout ce que nous savons, c’est que ce pays n’a vécu que dans la gabegie la plus totale où la connivence entre politiques et affairistes n’a fait que le ruiner de plus en plus. L’exemple des eaux de robinets que nos bourgeois de Tevrag Zeina ont passé des dizaines d’années à boire croyant que c’était de l’eau minérale est là pour leur donner des leçons qu’ils devront eux-mêmes tirer de leur gestion du pays caractérisée par les détournements, la complaisance, le népotisme et toutes autres formes de discriminations et de crimes économiques.
La priorité donnée par le président AZIZ à l’assainissement de ce secteur, par la lutte contre le détournement de deniers publics, les marchés fictifs et toute autre forme de gabegie doit être soutenue. Notre pays est riche, il n’y a que la mauvaise gestion qui nous empêche de vivre dans la dignité. Des milliards ont été théoriquement investies dans le secteur prioritaire de l’agriculture, mais tout cet argent est en priorité allé dans les poches des voleurs de l’Etat. Il faut que ça cesse. La Charia de Haidalla ne devrait s’appliquer qu’à ces voleurs sans scrupules qui ruinent le pays. Il faudrait peut-être leur couper les mains ! En tout cas, il faut que tout le pays s’investisse dans la lutte contre les détournements. Les Imams doivent dans leurs prêches dire ce qu’Allah en pense. Il faut qu’ils arrivent à dire aux mauritaniens qui font leur HAJJ avec de l’argent volé qu’ils n’ont rien à faire à la Mecque. Aujourd’hui, une nomination au conseil des ministres n’a de sens pour les proches et amis que si elle permet de disposer d’un bon budget à détourner. Celui qui ne s’enrichit pas sur le dos de l’état est très mal considéré surtout s’il a occupé de hautes fonctions comme celui de ministre ou de directeur de département. Combien de fois a-t-on entendu des mauritaniens se féliciter du fait que leur proche a eu tel nombre de terrains à Nouakchott ou à Nouadhibou, que tel a eu 10, 15, 20 licences de pêches, etc. ? C’est à la fois honteux et triste pour un pays, quand on en arrive à ne pouvoir évaluer la performance de nos cadres que par rapport à leur capacité de vol de deniers publics et de népotisme. Le combat contre ce fléau doit être global. C’est pire que le cancer. La culture aussi doit se mettre au combat, comme ces jeunes chanteurs de JAM MIN TEKKI. Il faut que les enfants, les femmes, la belle famille et les amis des Voleurs entendent publiquement que la richesse sur laquelle ils croulent est un bien mal acquis, que c’est l’argent des pauvres citoyens qui devrait servir à acheter de l’engrais ou des cahiers pour leurs enfants qui est ici détourné et volé pour servir à égayer des soirées avec des troubadours ou même à aller à la Mecque. De l’argent haram. De l’argent haram avec lequel on se marie. De l’argent haram avec lequel on veut faire de l’aumône. ET surtout comble de l’ironie, de l’argent haram volé sur lequel on va enlever la Zakat comme si on pouvait tromper Allah.
Ce qui est sûr aussi, c’est que dans toute l’Afrique, on est à la traîne sur le plan économique. On ne peut pas miser uniquement sur les matières premières pour se développer. Il faut favoriser l’industrie de transformation et l’industrie manufacturière. Pour cela, nous voyons que les pays les plus développés ne rivalisent que sur la recherche et l’innovation. L’innovation, c’est la seule matière première qui ne tarira jamais. Il faut que notre pays s’y mette par une politique courageuse d’investissement dans la recherche. Les pays qui achètent nos matières premières, ne le font que pour développer leurs innovations scientifiques et techniques, pour revenir ensuite nous les revendre à des prix beaucoup plus coûteux.
Il faudrait aussi se féliciter de la tendance très visible du développement des infrastructures routières. Même l’opposition radicale reconnaît, il est bien vrai à contre cœur, ce travail. Malheureusement elle n’en est revenue qu’à crier sur les toits que « les mauritaniens ne mangent pas de goudron ». Eh oui, les mauritaniens mangent du goudron, puisque c’est l’absence de goudron qui rend le coût de transport exorbitant, et qui conduit à l’inflation démesurée. C’est le rôle de l’état de développer les infrastructures pour permettre au secteur privée de se développer dans une concurrence saine sans ruiner le petit peuple. Il faut développer les routes, les pistes de productions, et le ferroviaire afin de permettre à nos producteurs agricoles par exemple de pouvoir vendre leurs produits un peu partout dans le pays. Là encore, il faut féliciter le président Aziz. C’est un chantier qu’il a commencé bien avant qu’il soit élu. Et c’est heureusement un chantier qui se poursuit pour le bonheur de tous les mauritaniens.
OCVIDH : De nos jours, on a la nette impression que la résolution de la problématique du passif humanitaire n’est plus une priorité pour le pouvoir en place. Quelle réflexion vous suggère cette situation ?
La situation est tout simplement préoccupante. Elle est d’autant plus préoccupante que la majorité des victimes et leurs défenseurs avaient soutenu le président Mohamed Ould Abdel Aziz lors de la dernière élection présidentielle. Cela voulait tout simplement dire que les Mauritaniens ont confiance en lui pour résoudre ce problème. Des organisations de défense des victimes les plus crédibles ont soit directement travaillé avec lui, soit coopéré à travers des pourparlers engagés avec lui pour la résorption de cette plaie. Je pense aux courageuses organisations comme l’OCVIDH et son président Mr SOUMARE Abdoul Aziz, à l’Avomm avec son président Ousmane SARR, au COVIRE avec SY Abou, au REVE et à d’autres organisations. Je pense que le président Aziz n’a aucun intérêt à décevoir les espoirs placés en lui. J’ai moi-même eu l’honneur d’être l’invité du Colonel DIA Adama, Chef d’état major particulier du chef de l’état, chargé de ce dossier à la présidence de la république, qui m’ a reçu dans sa demeure et qui m’a confirmé l’engagement du président Aziz à en finir avec cet épineux problème. Mais nous savons aussi tous, que, compte tenu de l’ampleur du problème et de sa complexité, que compte tenu de la configuration sociale et politique de notre pays, que compte tenu des intérêts en jeu, surtout des intérêts liés au foncier compliqués par la loi 83-127 inadaptée à nos réalités, que ce problème n’est pas un problème qui se règle du jour au lendemain par un coup de baguette magique. Seulement la pression dans le dialogue et la concertation ne doit pas être relâchée. Ce problème ne se résoudra que par le dialogue, si non il ne sera jamais résolu. J’ai entendu des voix appelant à la violence, mais je vous jure que la violence ne fera qu’en rajouter. Elle ne fera que des crimes et des criminels en plus. Si non elle risquera même de transformer d’anciennes victimes en bourreaux, et vice versa. Et le pays sera un désastre. Et la ruine s’ajoutera à la misère. Pour donner quoi, sinon l’apocalypse.
Nous avions eu deux occasions majeures pour résoudre cette question. Ce sont les deux dernières transitions. A chaque fois notre classe politique a failli. Je vous le dis, ceux qui soutiennent que les militaires sont les mieux placés pour résoudre cette questions se trompent. Ceux qui sont les mieux placés c’est l’ensemble des mauritaniens à travers leurs organisations politiques et de la société civile. Si nos politiques n’étaient pas obnubilés par l’idée d’accession au pouvoir à travers des élections non démocratiques, puisque ne permettant pas la participation de tous les mauritaniens dont plusieurs dizaines vivent déportés ou réfugiés à travers le monde, nous aurions eu l’occasion de mettre en place prioritairement un gouvernement d’union nationale, avec les militaires, les partis politiques, et la société civile, et ensemble régler une fois pour toute, à travers un large consensus cette épineuse question du passif humanitaire. Au lieu de ça, quand Ely Ould Med VALL ne voulait pas parler de la question, les politiques l’ont aidé dans ce sens en allant à Bruxelles plaider l’urgence des élections. Et même si Bruxelles avait posé au point n°14 de ces 24 exigences la résolution de cette question, rien ne sera fait durant cette transition et personne n’en pipera mot. Lors de la deuxième transition, c’est Aziz qui voulait régler la question et qui a appelé à la constitution d’un gouvernement d’union, et là, quelle bizarrerie, c’est l’opposition qui refuse prétextant un coup d’état qu’elle finit par avaliser lorsqu’on lui promit des élections transparentes. Ce sont aussi des mouvements, qui théoriquement avaient placé cette question au centre de leurs préoccupations, qui commirent la grande erreur en refusant de participer à un tel gouvernement, alors que le président chantait sur tous les toits qu’il voulait en finir avec cette question. Je pense à l’AJD/MR, au DEEKALEM, au PLEJ, etc. Des organisations qui savaient pertinemment qu’elles n’avaient rien à gagner dans des élections présidentielles. En réalité, ça a été UNE TRAHISON NATIONALE de la part de la classe politique. Il n’y a pas aujourd’hui priorité plus urgente que la résolution de cette question douloureuse. Un gouvernement d’union aurait non seulement permis la résolution de ce problème, mais aussi l’organisation d’élections libres et transparentes sans aucune contestation possible. Il a été mis en place trop tard suite aux accords de Dakar, et avec comme seule mission l’organisation des élections qui n’étaient ni urgentes ni prioritaires, encore moins démocratiques. Moi-même, lorsqu’Aziz a destitué Sidi, compte tenu des avancées que nous avions eu avec Sidi sur le retour des déportés, j’ai crié très fort dans la toile « En mbooraama Taya est de retour ! ». Mais, en conformité avec mes convictions pour la primauté de la résolution de la question nationale sur toute autre question ou considération, et compte tenu du fait que Sidi avait soutenu devant les associations de victimes qu’il ne pouvait pas traiter la question du passif humanitaire dans son volet assassinats politiques, lorsque j’ai constaté que Aziz avait la volonté de résoudre ce problème du passif humanitaire, j’ai appelé à se ressaisir en demandant l’union autour des questions fondamentales. C’est une question de bon sens. Les élections n’ont de sens que lorsque tous les mauritaniens pourront y participer. Aujourd’hui des déportés sont encore au Sénégal et au Mali. Ils n’ont même pas de pièce d’identification. Alors cette fameuse opposition corrompue soutient qu’elle pourrait organiser des élections dites démocratiques sans la participation des fils du pays. Toujours dans sa logique, on entend aujourd’hui cette opposition dénoncer l’accaparement du pouvoir par Aziz, l’accuser de refus du dialogue et de violation des accords de Dakar, défendre des voleurs accusés de détournement de deniers publics, demander le partage du pouvoir, etc. Mais jamais on ne l’entendra se soucier du retard pris dans la résolution du problème lié au passif humanitaire.
Cependant, il faut tout de même reconnaître aujourd’hui une véritable évolution des mentalités en Mauritanie par rapport aux multiples questions liées à la cohabitation. Les mauritaniens n’ont plus peur de se parler comme du temps de Taya où même les partis politiques n’osaient pas effleurer la question. Je dirais même plus, que les mauritaniens d’aujourd’hui ont envie de se parler. C’est un grand pas vers une véritable refondation des bases du pays pour la création d’une nation viable. C’est pourquoi je tiens à féliciter votre président, Mr Soumaré et son homologue de l’Avomm qui ont déjà engagé ce dialogue sans rien perdre de leur âme et de leurs convictions, et je les encourage à aller dans ce sens toujours un peu plus, quitte à prendre sur eux-mêmes les initiatives sans attendre qu’elles viennent seulement des autorités. J’ai un principe, comme j’ai eu l’occasion de le dire à Monsieur Sarr au téléphone, si aujourd’hui Ould TAYA me demandait le dialogue, j’irai au Qatar et je lui dirai ceci : « S’il vous plaît, Monsieur l’ancien dictateur, je vous prie si possible, de me permettre de pouvoir vous accompagner au tribunal de Bruxelles afin que vous y soyez jugé en toute transparence et vous éviter ainsi la peine de mort applicable en Mauritanie ». Ça aussi, c’est de la concertation et du dialogue.
OCVIDH : Que pensez-vous des déclarations du premier ministre relatives au concept d’arabité en Mauritanie ?
J’ai déjà réagi à cette polémique à travers une très longue contribution intitulée « De la question des langues en Mauritanie » que vous avez eu la gentillesse de publier sur votre site. Je vous en remercie au passage. Vous savez que c’est très difficile pour moi qui toute ma vie ai combattu pour la promotion des langues africaines de ne pas réagir face à un tel débat. En Mauritanie, si vous demandez mon identité, elle est plus connue sous « Amadou Alpha jimoowo pulaar », qui veut dire « amadou Alpha le poète en pulaar ». C’est comme cela que l’on distinguait les militants de la promotion des langues. J’ai milité très jeune dans l’ARP, Association pour la promotion de la langue Pulaar. Mon premier cours de pulaar je l’ai reçu en 1974 avec feu Djigo Tafsiiru. Pour moi la question linguistique n’est pas une simple question identitaire. C’est aussi et surtout une question fondamentale de développement. J’en ai eu l’intime conviction à travers une grande expérience d’abord à l’Institut des Langues Nationales où j’ai travaillé de 1981 à 1986 date de mon exil. Au Sénégal, durant 7 ans, j’ai eu une expérience non moins exaltante, à la tête de la Direction pédagogique du plus grand projet d’alphabétisation et d’éducation de base que le Sénégal ait jamais connu avec comme principal bailleur l’UNICEF. Ce projet est plus connu sous le nom de TOSTAN du nom de l’ONG américaine dont j’étais adjoint à la Directrice Générale, qui a repris le projet en 1991. TOSTAN opère aujourd’hui en Mauritanie dans la région du Brakna. J’ai été consultant en éducation de base et alphabétisation dans plusieurs ONG et dans plusieurs pays africains comme le Mali, la Guinée, ou la république centrafricaine où j’ai eu à développer un système alternatif à la scolarisation des adolescents déscolarisés ou non scolarisés en langue nationale Sango. Toutes les institutions internationales comme l’UNICEF ou l’UNESCO sont d’avis aujourd’hui que pas de développement véritable sans éducation dans les langues maternelles. Des milliards de dollars sont investies par ces organisations et leurs partenaires au développement comme l’Agence américaine pour le développement ou l’Agence canadienne pour des projets de développement, d’alphabétisation et de scolarisation dans les langues maternelles. Aujourd’hui, au Sénégal, au Mali ou au Burkina Faso, il est courant de voir des projets ruraux et urbains dont la gestion et la comptabilité sont tenues en langues nationales. Ne pensez-vous pas vraiment que la plus grande des discriminations est celle qui empêche un enfant ou un adolescent d’avoir une formation professionnelle parce qu’il ne parle pas français ? Pourquoi on ne lui donnerait pas cette formation dans sa langue maternelle qu’il maîtrise plus que toute autre langue ? C’est une flagrante violation des droits de l’homme et de l’enfant qui n’est pas dénoncée. C’est aussi le pays qui perd, non seulement en refusant de former ses fils, mais aussi en ne le faisant pas à un coût beaucoup moindre par rapport à ce que coûte d’abord la scolarisation en français. Les expériences nous ont prouvé que c’est beaucoup plus efficient et beaucoup plus rentable, pédagogiquement et financièrement parlant.
La question de langue officielle est du même registre. On ne choisit pas une langue officielle en fonction de la langue de formation des fonctionnaires et autres agents de développement. Non, on officialise une langue en fonction de son rôle de langue de communication et de développement du pays. Le développement et l’administration qui n’en est qu’un outil, ne peuvent se faire et ne doivent se faire que dans les langues que parlent et qu’utilisent les citoyens. Comme je ne cesserai jamais de le répéter, on ne doit pas demander aux citoyens de s’adapter aux réalités administratives, c’est à l’administration et aux agents de développement de s’adapter aux réalités sociales et culturelles du pays. C’est à eux d’aller vers les citoyens et non le contraire. C’est donc à l’administration de parler la langue des administrés, la langue du peuple et du pays. C’est là qu’il y a tout l’enjeu du développement. D’où l’impérieuse nécessité d’officialiser toutes les langues du pays sans discrimination aucune.
OCVIDH : Récemment votre ancien compagnon du nom d’Ibrahima Mokhtar SARR interpellait le professeur Hamdou Raby SY sur le lien entre la démocratie et la question nationale. Cette démarche a enclenché un grand débat sur le site d’Avomm. Qu’en pensez-vous et quelles sont vos suggestions à cet effet ?
Concernant le débat axé sur la démocratie et la question nationale, je pense que dans le fond, il y a une incompréhension entre Ibrahima SARR et Hamdou R. SY. Cette incompréhension est à mon avis liée à la différence d’appréciation du concept de démocratie. Quand l’un la conçoit sous l’angle purement jacobin du terme, un homme une voix, l’autre y voit une conception beaucoup plus globale et holistique dans la prise en charge des réalités spécifiques particulières à chaque pays ou à chaque peuple. Cependant le premier, pour aboutir à sa conception de la démocratie, y met des conditions qui pour le second y sont déjà incluses. Ainsi pour Ibrahima M. SARR, le préalable de la démocratie, c’est tout d’abord la résolution de la question nationale, alors que pour Hamdou R. SY, la question nationale n’est pas un préalable mais une composante intrinsèque de la démocratie. Ibrahima M. SARR dit ceci : « on ne peut pas instaurer la démocratie sans régler la question nationale », et Hamdou R. SY de préciser : « C’est la fondation d’un état de droit qui donne la garantie à des composantes humaines culturellement, religieusement et linguistiquement différentes de vivre ensemble ». Même si je pencherai beaucoup plus pour la conception du professeur Hamdou R. SY, je suis d’avis que dans les différends paliers des normes de la démocratie, la résolution de la question nationale doit être en tête. Comme l’a si brillamment démontré Ibrahima M. SARR, sans la prise en compte préalable de cette question, toute démocratie est vouée à l’échec. Et je pense finalement que c’est mon oncle BA ciré qui avait raison sur toute la ligne.
Là où j’ai des difficultés à rejoindre le professeur Hamdou R. SY, c’est quand il tient à soutenir que la période de Sidi a été une parenthèse démocratique. On ne peut pas parler de parenthèse démocratique quand Sidi a été élu sans la participation de dizaines de mauritaniens déportés ou réfugiés. Je le répète, on ne peut pas parler de parenthèse démocratique quand le chef de l’état dit aux organisations de défense des victimes qu’il ne peut pas résoudre les questions fondamentales du passif humanitaire. On ne peut pas parler de démocratie quand on constate le retour effréné aux affaires de ceux qui, comme Boidiel Ould Houmeid, ont ruiné le pays durant plus de vingt ans et ont ardemment et sans regrets soutenu et défendu la dictature criminelle de Ould Taya. Et enfin, on ne peut pas parler de démocratie quand on constate l’enclenchement d’un véritable processus de gestion familiale et clanique des affaires de l’état. Partout dans le monde, là où la famille a été mêlée aux affaires, on est retombée à la fin dans les affres de la dictature. Oui, nous étions dans un processus qui aurait pu être prometteur, et seulement dans un processus, et nous y sommes encore aujourd’hui un peu plus. La démocratie ne se limite pas aux élections. Ces dernières n’étant qu’un outil comme tout autre pour contribuer à vivre dans cette démocratie, qui est d’abord le respect des droits des minorités, le respect des droits des victimes, le respect des droits sociaux et culturels, l’égalité des citoyens sans discrimination aucune devant les lois, l’égalité des composantes nationales devant la loi et dans la répartition des richesses nationales et des différents pouvoirs, le respect de ces différents pouvoirs chacun dans ses attributions légitimes et légales, etc., etc.
OCVIDH : Que pensez-vous de l’esclavage en milieu négro-africain ?
L’Afrique de l’ouest a toujours été une société esclavagiste. Seulement, il faut reconnaître que la loi française abolissant l’esclavage a eu ses effets positifs dans les colonies négro-africaines. Elle a été appliquée même dans la partie négro-mauritanienne. C’est dans la partie arabe que cette loi n’a jamais été appliquée pour des raisons d’intérêts coloniaux. Aujourd’hui, je n’ai jamais vu, et les organisations mauritaniennes des droits de l’homme ou de lutte contre l’esclavage n’ont jamais relevé ne serait-ce qu’un seul cas, d’appartenance avérée et concrète d’un être humain à un autre dans le milieu négro-africain de Mauritanie. On n’a jamais relevé dans ce milieu un seul cas de travaux obligatoires non rémunérés. Cependant, cela ne veut pas dire que l’esclavage n’y existe pas. Il y a ce que j’appelle l’appartenance symbolique d’un être humain à un autre. Cette appartenance symbolique est à mon avis favorisée par une interprétation erronée des règles islamiques en la matière. Il existe encore encore des familles « d’anciens » esclaves, qui ne se marieront jamais sans « se racheter » ou « être libérés » au préalable. Ces familles, comme leurs anciens maîtres, croient dur comme fer, que la libération administrative ou de fait de l’esclave, ne peut en aucun cas se substituer à l’acte religieux. Cela est d’autant plus grave qu’aucun acte d’esclavage dans ce milieu ne peut être justifié sur le plan religieux. Symboliquement, cet esclavage n’est en rien moins violent que celui qu’on dénonce de temps à autre dans le milieu arabo-berbère. Il y a aussi la violence symbolique culturelle. L’ancien esclave, même libéré religieusement, reste toujours esclave dans les mentalités collectives. A la propriété privée, se substitue alors une caste de dominés qui n’ont pas droit à certains privilèges de pouvoir au niveau social. Ils ne seront pas imams, ils ne seront pas chefs de village, ils n’auront pas le droit d’épouser d’autres femmes issues d’autres castes, alors que les hommes d’autres castes auront le privilège de prendre leurs filles en concubines. Souvent, ils n’ont même pas le droit de prendre la parole en réunion. Peu d’entre eux disposent de terres cultivables. Je connais ici en France, des anciens esclaves immigrés d’origine sénégalaise mais haalpulaaren comme moi, qui, une fois allés en vacances au pays, sont d’abord obligés de se rendre à la famille de leur « ancien maître » pour y présenter les « cadeaux » et l’épargne ramenés avant de les présenter à leur familles. Et c’est « l’ancien maître » qui assurera la répartition de ces « cadeaux » aux proches et amis. Cette violence symbolique est désormais justifiée par l’euphémisme des liens de parenté déjà établis par une histoire commune. C’est la violence du féodalisme de castes qui continue à maintenir les anciens esclaves au bas de l’échelle sociale. Malheureusement, aucun pays africain n’a eu jusque là le courage de combattre officiellement le système. Alors que c’est un système de frein contre toute évolution démocratique de nos sociétés et de nos états.
OCVIDH : Pourquoi les leaders négro-africains d’antan n’ont jamais voulu réfléchir sur la place des castes dans la question nationale ?
Vous le savez, le colonialisme a eu comme principal allié les féodaux qui étaient au pouvoir avant son entrée en Afrique. En partant, ou en faisant fi de partir, le colonialisme a une fois de plus, confié le pouvoir à ces mêmes féodaux corrompus. Le peu de cadres issus de basses castes qui avaient pu se faire voir au soleil, ont été vite écartés du pouvoir. C’est comme cela par exemple que beaucoup de personnes justifient la mise à l’écart du président Mamadou DIA du Sénégal, originaire du Fuuta, mais que les fuutankoo6e ont eux-mêmes semble-t-il combattu au profit du président Senghor. Le maintien du féodalisme, n’est rien d’autre que le maintien des castes supérieures et des grandes « tentes » au pouvoir.
Cependant, il faut reconnaître la vitalité du mouvement culturel des jeunes qui, depuis des décennies essaie de sensibiliser et de combattre le féodalisme de castes. Certains rares intellectuels et hommes politiques comme Murtudo en ont fait leur cheval de bataille. Le seul intellectuel que j’ai lu et qui a essayé de théoriser la question des castes dans sa dimension politique, est le sénégalais Makhtar DIOUF dans son livre « Sénégal –Les ethnies et la nation » paru à l’Harmattan. Dans ce livre Makhtar DIOUF soutien que la question des castes est beaucoup plus dangereuse pour la stabilité du Sénégal que la question ethnique. Déjà en 1976, j’ai écrit un poème en langue pulaar contre ce système. Le 10 septembre 2007, j’ai publié dans les sites mauritaniens un article intitulé « Où en est la question nationale dans tout ça ? », dans lequel je démontrai la pertinence et l’exigence de la prise en charge de la question des castes dans la résolution de la question nationale et sociale. Le problème des castes est d’un certain point de vu beaucoup plus préoccupant que les problèmes ethniques en Mauritanie. Il résiste beaucoup plus à l’interculturel que les clivages ethniques. Un tooroodo n’a pas le droit d’apprendre le métier d’un cubballo pêcheur, ce dernier ne peut jamais devenir forgeron et vice versa. L’impossibilité du mariage intercastes aide à maintenir ces aberrations. Alors que les mariages interethniques ne posent pas de problèmes si les mariés sont issus de mêmes castes. Dans chaque localité, dans chaque région, les pouvoirs sont strictement répartis entre certaines castes pour ne pas dire certaines familles. Tels sont les imams, tels sont les maîtres du fleuve, tels sont les chefs de village, etc. D’où les frustrations qui commencent à s’exprimer avec la modernité et l’éveil des consciences, des frustrations qui s’expriment des fois avec la plus grande violence. Il est vrai que le MND historique avait entre autres comme cheval de bataille la lutte contre le féodalisme qui était perçu comme bras séculier de son ennemi prioritaire qu’est l’impérialisme. Mais ce n’était pas dans le cadre d’une théorisation de la question nationale que le MND considérait d’ailleurs comme secondaire par rapport à la lutte contre l’impérialisme. Ce que nous devons aujourd’hui admettre, que sans la prise en charge complète de trois questions fondamentales, la résolution de la question nationale et sociale ne sera qu’un vœu pieux. Il s’agit de la lutte contre l’esclavage, le système féodal, le racisme, et leur corollaire qu’est la discrimination.
OCVIDH : Quel conseil voudriez-vous donner à la diaspora mauritanienne ?
Nous remercions Allah. Pour toute chose Allah a ses raisons que la raison ignore. La majorité de la diaspora est aujourd’hui composée de réfugiés et de déportés. Ceux là n’ont pas choisi l’exil. Ils y ont été contraints par la force de la dictature. Cependant, ils ont peut être aussi beaucoup appris à travers cette douloureuse expérience. Je pense que le pays a besoin d’eux. Aujourd’hui, même si les inégalités persistent, il y a des avancées en matière de liberté. Nous ne ferons pas mieux que de combattre pour le retour. Retour pour servir notre pays. Retour aussi pour continuer la lutte avec ceux qui nous sont les plus chers et pour lesquels nous avons menés ce combat. Il est vrai que ce n’est pas facile, ni psychologiquement, ni socialement, ni économiquement. Certains ont pris des attaches difficiles à abandonner. D’autres ont fondé des familles avec des enfants nés dans l’exil et qui ne connaissent la Mauritanie que de nom. D’autres diront « comment vais-je nourrir ma famille ? ». Quant à moi, je pense que tout se planifie et que rien ne se fera d’un coup de baguette magique. L’amour de la patrie mérite un sacrifice. Et je pense fondamentalement que l’état mauritanien a un rôle de premier plan à jouer afin surtout de récupérer ses cadres qui sont aujourd’hui au service d’autres nations, et de réparer le préjudice subi. Faire d’une pierre deux coups. Je pense surtout que les organisations associatives et politiques qui n’existent encore qu’à l’extérieur du pays, doivent désormais s’impliquer à l’intérieur. C’est la seule condition de pouvoir participer directement à l’éveil des consciences de nos concitoyens, aux concertations nationales et aux prises de décision.
OCVIDH : Merci d’avoir voulu répondre à nos questions.
C’est moi qui vous remercie et qui vous dis une fois de plus du courage. L’histoire retiendra votre nom et le peuple mauritanien ne sera jamais ingrat.
Epinay-sur-Seine, 18 juin 2010
Propos recueillis par Moulaye DIOUM
Secrétaire en charge de la Communication de l'OCVIDH
Mise en ligne : Djibril Fodié SOUMARE
Webmestre de l'OCVIDH
Source: OCVIDH
Je m’appelle Amadou Alpha BA, je suis originaire de Jowol, dans le sud de la Mauritanie. Je suis le premier réfugié de Ould Taya au Sénégal. En 1986, suite à la célébration du 20e anniversaire des massacres de SOWETO le 16 juin à Nouakchott, précisément à l’ancienne maison des jeunes, j’y ai tenu des propos regrettant l’absence de la composante arabe mauritanienne à ces festivités. Je me rappelle bien, je n’avais remarqué que deux bidhanes dans la salle archicomble, l’un serait conseiller culturel à la présidence de la république, l’autre était policier. Donc tous ces deux étaient officiellement envoyés par l’administration. Depuis ce jour, je me pose la question sur cette fracture que l’on observe encore de nos jours concernant le traitement de certaines questions nationales ou internationales. L’esclavage est beaucoup plus combattu par les leaders haratines, le passif humanitaire et le racisme en Mauritanie est la question au centre des préoccupations des leaders dits nationalistes négro-mauritaniens, et comme on l’a vu ces derniers jours, la composante bidhane semble la plus préoccupée par rapport à la souffrance injuste du peuple palestrinien. Bref, pour en revenir à votre question, le lendemain de cette célébration, le 11 juin 1986, un ami policier avec qui je partageais la même chambre, du nom de N’DIAYE Mamadou (Paix à son âme) et qui est décédé dans les événements de 1989, me fit savoir que lui-même était (parmi d’autres) chargé de me rechercher. Depuis ce jour, je suis entré en clandestinité. Je me suis rendu au Sénégal pour quelques semaines avant de revenir en Mauritanie à Jowol. Le 05 septembre, commencèrent les arrestations des leaders des Flam, j’étais à Jowol avec mon grand-frère et maître à penser feu Saidou KANE, et d’autres amis comme Modi CISSE actuellement Secrétaire Général de l’AJD/ MR. Nous avion décidé, suite à l’interdiction de la semaine culturelle de Kaédi par le gouverneur, d’organiser les conférences qui y étaient prévues à Jowol. A la fin de ces conférences organisées à Jowol, Saïdou était rentrée à Nouakchott par le Sénégal. Comme on le sait, il fut arrêté à Rosso en compagnie de feu Mourtoudo. Dès le début des arrestations, les recherches furent aussi concentrées sur ma modeste personne chez moi à Nouakchott et chez mes proches. C’est Allah qui fit que mes oncles, suite à un malheureux événement de décès d’une de mes grand-mères se rendirent urgemment à Jowol et rapportèrent la nouvelle. Toute la famille m’obligea à sortir du village et du pays. J’étais à la frontière. Le 11 septembre, avec l’aide d’Allah, je me retrouvais au Sénégal en compagnie de mon plus que frère Elhadj Sidi N’GAIDE lui aussi recherché par la police politique.
J’ai donc été le premier à me rendre à Dakar et à y demander l’asile politique. Il faut remercier ici mon ami et frère Niili SOH dit Mamadou Ciré, aujourd’hui professeur de Mathématiques dans les universités américaines, et qui était en ce moment étudiant à l’université de Dakar. C’est le premier mauritanien qui nous accueillit et qui nous orienta vers son professeur de mathématiques, le malien feu Mr Abdoulaye LY (paix à son âme), un grand romancier, qui était lui aussi réfugié politique. Abdoulaye LY nous fut d’un grand soutien aussi bien politique que social. Ce qui était triste et ridicule à la fois, c’est que j’ignorais complètement l’existence d’une institution dénommée HCR. C’est Monsieur LY qui nous orienta, Niili et moi, vers le HCR. Et la voie était ainsi ouverte pour tous les autres qui me rejoignirent au Sénégal.
Amadou Alpha est aussi ancien militant des Flam. Au Sénégal, nous avons pu recréer l’organisation et la faire revivre. C’était une aventure exaltante. J’ai quitté les Flam en 2005 suite à un différend sur la nécessité de s’inscrire ou non dans la dynamique interne suite au coup d’état contre Moawiya O/ Taya. Nous avons créé les FLAM / RENOVATION qui avaient décidé d’inscrire leur lutte à l’intérieur du pays. J’ai quitté ce mouvement suite à l’accueil de haut rang réservé à l’aéroport Charles De Gaulle par des membres de sa direction au négationniste Colonel Ely O/ Mouhamed Vall qui avait nié, dans des discours publics à Sélibaby et à Rosso l’existence des déportations et des assassinats extrajudiciaires. Je sentais que quelque chose n’allait pas. Il y’avait peut être des objectifs inavoués que je ne maitrisais pas. J’ai décidé de prendre mes distances. Je me suis inscrit dans la dynamique de création de l’AJD/MR. J’ai démissionné de fait (je dis bien de fait, car je n’ai jamais officiellement été exclu et je n’ai jamais écris pour dire que je démissionnais) de ce mouvement suite à la gestion calamiteuse et injuste du dossier de ceux qu’on a appelé les frondeurs. Ces anciens camarades, dont je ne partage pas d’ailleurs la plupart des positions politiques, ont été exclus arbitrairement sans aucun respect des textes du parti et surtout sans aucun égard vis-à-vis des personnalités qui tentaient de faire la médiation. La plupart de ces médiateurs étaient pourtant externes au parti, mais croyaient en ce parti, y compris des leaders d’autres partis politiques. Ma démission, je l’ai concrétisée par un soutien actif à la candidature du Général Mohamed Ould Abdel Aziz que je jugeais seul capable de barrer la route au danger qui nous guettait : le retour de Ely le négationniste, ou l’arrivée de Ahmed Daddah qui avait d’autres préoccupations que la résolution des questions liées au passif humanitaire et aux déportations. Mis à part Ibrahima Moctar Sarr et Kane Hamidou Baba, qui ne faisaient pas le poids face aux candidatures issues de l’opposition FNDD, seul le général Mohamed Ould Abdel, Aziz avait un discours clair et concis pour la résolution des questions liées au passif humanitaire et à la cohabitation. Les candidats du FNDD pensaient que les mauritaniens ne devraient se nourrir et boire que de la lutte contre le coup d’état, coup qu’ils avaient d’ailleurs avalisé dans les accords de Dakar. Ils étaient durant toute la campagne obnubilés par cette question au point de renvoyer aux calendes grecques les principales préoccupations des mauritaniens. Il est vrai que nous nous sommes rendus compte - heureusement d’ailleurs - que Ely O/ Med Vall n’était qu’un éléphant au pied d’argile, mais il faut reconnaître que sa candidature avait suscité la peur dans tous les camps, surtout dans celui des victimes des barbaries de Taya et de leurs défenseurs.
OCVIDH : Quelle analyse faites-vous de la politique économique menée actuellement par le président de la Mauritanie ?
Ecoutez, le problème dans notre pays, est que nous n’avons jamais eu de ligne directrice en matière de politique économique. Nous ne savons pas si nous nous inscrivons dans le socialisme ou le libéralisme, malgré le triomphe de ce dernier de par le monde depuis le règne de la mondialisation. Tout ce que nous savons, c’est que ce pays n’a vécu que dans la gabegie la plus totale où la connivence entre politiques et affairistes n’a fait que le ruiner de plus en plus. L’exemple des eaux de robinets que nos bourgeois de Tevrag Zeina ont passé des dizaines d’années à boire croyant que c’était de l’eau minérale est là pour leur donner des leçons qu’ils devront eux-mêmes tirer de leur gestion du pays caractérisée par les détournements, la complaisance, le népotisme et toutes autres formes de discriminations et de crimes économiques.
La priorité donnée par le président AZIZ à l’assainissement de ce secteur, par la lutte contre le détournement de deniers publics, les marchés fictifs et toute autre forme de gabegie doit être soutenue. Notre pays est riche, il n’y a que la mauvaise gestion qui nous empêche de vivre dans la dignité. Des milliards ont été théoriquement investies dans le secteur prioritaire de l’agriculture, mais tout cet argent est en priorité allé dans les poches des voleurs de l’Etat. Il faut que ça cesse. La Charia de Haidalla ne devrait s’appliquer qu’à ces voleurs sans scrupules qui ruinent le pays. Il faudrait peut-être leur couper les mains ! En tout cas, il faut que tout le pays s’investisse dans la lutte contre les détournements. Les Imams doivent dans leurs prêches dire ce qu’Allah en pense. Il faut qu’ils arrivent à dire aux mauritaniens qui font leur HAJJ avec de l’argent volé qu’ils n’ont rien à faire à la Mecque. Aujourd’hui, une nomination au conseil des ministres n’a de sens pour les proches et amis que si elle permet de disposer d’un bon budget à détourner. Celui qui ne s’enrichit pas sur le dos de l’état est très mal considéré surtout s’il a occupé de hautes fonctions comme celui de ministre ou de directeur de département. Combien de fois a-t-on entendu des mauritaniens se féliciter du fait que leur proche a eu tel nombre de terrains à Nouakchott ou à Nouadhibou, que tel a eu 10, 15, 20 licences de pêches, etc. ? C’est à la fois honteux et triste pour un pays, quand on en arrive à ne pouvoir évaluer la performance de nos cadres que par rapport à leur capacité de vol de deniers publics et de népotisme. Le combat contre ce fléau doit être global. C’est pire que le cancer. La culture aussi doit se mettre au combat, comme ces jeunes chanteurs de JAM MIN TEKKI. Il faut que les enfants, les femmes, la belle famille et les amis des Voleurs entendent publiquement que la richesse sur laquelle ils croulent est un bien mal acquis, que c’est l’argent des pauvres citoyens qui devrait servir à acheter de l’engrais ou des cahiers pour leurs enfants qui est ici détourné et volé pour servir à égayer des soirées avec des troubadours ou même à aller à la Mecque. De l’argent haram. De l’argent haram avec lequel on se marie. De l’argent haram avec lequel on veut faire de l’aumône. ET surtout comble de l’ironie, de l’argent haram volé sur lequel on va enlever la Zakat comme si on pouvait tromper Allah.
Ce qui est sûr aussi, c’est que dans toute l’Afrique, on est à la traîne sur le plan économique. On ne peut pas miser uniquement sur les matières premières pour se développer. Il faut favoriser l’industrie de transformation et l’industrie manufacturière. Pour cela, nous voyons que les pays les plus développés ne rivalisent que sur la recherche et l’innovation. L’innovation, c’est la seule matière première qui ne tarira jamais. Il faut que notre pays s’y mette par une politique courageuse d’investissement dans la recherche. Les pays qui achètent nos matières premières, ne le font que pour développer leurs innovations scientifiques et techniques, pour revenir ensuite nous les revendre à des prix beaucoup plus coûteux.
Il faudrait aussi se féliciter de la tendance très visible du développement des infrastructures routières. Même l’opposition radicale reconnaît, il est bien vrai à contre cœur, ce travail. Malheureusement elle n’en est revenue qu’à crier sur les toits que « les mauritaniens ne mangent pas de goudron ». Eh oui, les mauritaniens mangent du goudron, puisque c’est l’absence de goudron qui rend le coût de transport exorbitant, et qui conduit à l’inflation démesurée. C’est le rôle de l’état de développer les infrastructures pour permettre au secteur privée de se développer dans une concurrence saine sans ruiner le petit peuple. Il faut développer les routes, les pistes de productions, et le ferroviaire afin de permettre à nos producteurs agricoles par exemple de pouvoir vendre leurs produits un peu partout dans le pays. Là encore, il faut féliciter le président Aziz. C’est un chantier qu’il a commencé bien avant qu’il soit élu. Et c’est heureusement un chantier qui se poursuit pour le bonheur de tous les mauritaniens.
OCVIDH : De nos jours, on a la nette impression que la résolution de la problématique du passif humanitaire n’est plus une priorité pour le pouvoir en place. Quelle réflexion vous suggère cette situation ?
La situation est tout simplement préoccupante. Elle est d’autant plus préoccupante que la majorité des victimes et leurs défenseurs avaient soutenu le président Mohamed Ould Abdel Aziz lors de la dernière élection présidentielle. Cela voulait tout simplement dire que les Mauritaniens ont confiance en lui pour résoudre ce problème. Des organisations de défense des victimes les plus crédibles ont soit directement travaillé avec lui, soit coopéré à travers des pourparlers engagés avec lui pour la résorption de cette plaie. Je pense aux courageuses organisations comme l’OCVIDH et son président Mr SOUMARE Abdoul Aziz, à l’Avomm avec son président Ousmane SARR, au COVIRE avec SY Abou, au REVE et à d’autres organisations. Je pense que le président Aziz n’a aucun intérêt à décevoir les espoirs placés en lui. J’ai moi-même eu l’honneur d’être l’invité du Colonel DIA Adama, Chef d’état major particulier du chef de l’état, chargé de ce dossier à la présidence de la république, qui m’ a reçu dans sa demeure et qui m’a confirmé l’engagement du président Aziz à en finir avec cet épineux problème. Mais nous savons aussi tous, que, compte tenu de l’ampleur du problème et de sa complexité, que compte tenu de la configuration sociale et politique de notre pays, que compte tenu des intérêts en jeu, surtout des intérêts liés au foncier compliqués par la loi 83-127 inadaptée à nos réalités, que ce problème n’est pas un problème qui se règle du jour au lendemain par un coup de baguette magique. Seulement la pression dans le dialogue et la concertation ne doit pas être relâchée. Ce problème ne se résoudra que par le dialogue, si non il ne sera jamais résolu. J’ai entendu des voix appelant à la violence, mais je vous jure que la violence ne fera qu’en rajouter. Elle ne fera que des crimes et des criminels en plus. Si non elle risquera même de transformer d’anciennes victimes en bourreaux, et vice versa. Et le pays sera un désastre. Et la ruine s’ajoutera à la misère. Pour donner quoi, sinon l’apocalypse.
Nous avions eu deux occasions majeures pour résoudre cette question. Ce sont les deux dernières transitions. A chaque fois notre classe politique a failli. Je vous le dis, ceux qui soutiennent que les militaires sont les mieux placés pour résoudre cette questions se trompent. Ceux qui sont les mieux placés c’est l’ensemble des mauritaniens à travers leurs organisations politiques et de la société civile. Si nos politiques n’étaient pas obnubilés par l’idée d’accession au pouvoir à travers des élections non démocratiques, puisque ne permettant pas la participation de tous les mauritaniens dont plusieurs dizaines vivent déportés ou réfugiés à travers le monde, nous aurions eu l’occasion de mettre en place prioritairement un gouvernement d’union nationale, avec les militaires, les partis politiques, et la société civile, et ensemble régler une fois pour toute, à travers un large consensus cette épineuse question du passif humanitaire. Au lieu de ça, quand Ely Ould Med VALL ne voulait pas parler de la question, les politiques l’ont aidé dans ce sens en allant à Bruxelles plaider l’urgence des élections. Et même si Bruxelles avait posé au point n°14 de ces 24 exigences la résolution de cette question, rien ne sera fait durant cette transition et personne n’en pipera mot. Lors de la deuxième transition, c’est Aziz qui voulait régler la question et qui a appelé à la constitution d’un gouvernement d’union, et là, quelle bizarrerie, c’est l’opposition qui refuse prétextant un coup d’état qu’elle finit par avaliser lorsqu’on lui promit des élections transparentes. Ce sont aussi des mouvements, qui théoriquement avaient placé cette question au centre de leurs préoccupations, qui commirent la grande erreur en refusant de participer à un tel gouvernement, alors que le président chantait sur tous les toits qu’il voulait en finir avec cette question. Je pense à l’AJD/MR, au DEEKALEM, au PLEJ, etc. Des organisations qui savaient pertinemment qu’elles n’avaient rien à gagner dans des élections présidentielles. En réalité, ça a été UNE TRAHISON NATIONALE de la part de la classe politique. Il n’y a pas aujourd’hui priorité plus urgente que la résolution de cette question douloureuse. Un gouvernement d’union aurait non seulement permis la résolution de ce problème, mais aussi l’organisation d’élections libres et transparentes sans aucune contestation possible. Il a été mis en place trop tard suite aux accords de Dakar, et avec comme seule mission l’organisation des élections qui n’étaient ni urgentes ni prioritaires, encore moins démocratiques. Moi-même, lorsqu’Aziz a destitué Sidi, compte tenu des avancées que nous avions eu avec Sidi sur le retour des déportés, j’ai crié très fort dans la toile « En mbooraama Taya est de retour ! ». Mais, en conformité avec mes convictions pour la primauté de la résolution de la question nationale sur toute autre question ou considération, et compte tenu du fait que Sidi avait soutenu devant les associations de victimes qu’il ne pouvait pas traiter la question du passif humanitaire dans son volet assassinats politiques, lorsque j’ai constaté que Aziz avait la volonté de résoudre ce problème du passif humanitaire, j’ai appelé à se ressaisir en demandant l’union autour des questions fondamentales. C’est une question de bon sens. Les élections n’ont de sens que lorsque tous les mauritaniens pourront y participer. Aujourd’hui des déportés sont encore au Sénégal et au Mali. Ils n’ont même pas de pièce d’identification. Alors cette fameuse opposition corrompue soutient qu’elle pourrait organiser des élections dites démocratiques sans la participation des fils du pays. Toujours dans sa logique, on entend aujourd’hui cette opposition dénoncer l’accaparement du pouvoir par Aziz, l’accuser de refus du dialogue et de violation des accords de Dakar, défendre des voleurs accusés de détournement de deniers publics, demander le partage du pouvoir, etc. Mais jamais on ne l’entendra se soucier du retard pris dans la résolution du problème lié au passif humanitaire.
Cependant, il faut tout de même reconnaître aujourd’hui une véritable évolution des mentalités en Mauritanie par rapport aux multiples questions liées à la cohabitation. Les mauritaniens n’ont plus peur de se parler comme du temps de Taya où même les partis politiques n’osaient pas effleurer la question. Je dirais même plus, que les mauritaniens d’aujourd’hui ont envie de se parler. C’est un grand pas vers une véritable refondation des bases du pays pour la création d’une nation viable. C’est pourquoi je tiens à féliciter votre président, Mr Soumaré et son homologue de l’Avomm qui ont déjà engagé ce dialogue sans rien perdre de leur âme et de leurs convictions, et je les encourage à aller dans ce sens toujours un peu plus, quitte à prendre sur eux-mêmes les initiatives sans attendre qu’elles viennent seulement des autorités. J’ai un principe, comme j’ai eu l’occasion de le dire à Monsieur Sarr au téléphone, si aujourd’hui Ould TAYA me demandait le dialogue, j’irai au Qatar et je lui dirai ceci : « S’il vous plaît, Monsieur l’ancien dictateur, je vous prie si possible, de me permettre de pouvoir vous accompagner au tribunal de Bruxelles afin que vous y soyez jugé en toute transparence et vous éviter ainsi la peine de mort applicable en Mauritanie ». Ça aussi, c’est de la concertation et du dialogue.
OCVIDH : Que pensez-vous des déclarations du premier ministre relatives au concept d’arabité en Mauritanie ?
J’ai déjà réagi à cette polémique à travers une très longue contribution intitulée « De la question des langues en Mauritanie » que vous avez eu la gentillesse de publier sur votre site. Je vous en remercie au passage. Vous savez que c’est très difficile pour moi qui toute ma vie ai combattu pour la promotion des langues africaines de ne pas réagir face à un tel débat. En Mauritanie, si vous demandez mon identité, elle est plus connue sous « Amadou Alpha jimoowo pulaar », qui veut dire « amadou Alpha le poète en pulaar ». C’est comme cela que l’on distinguait les militants de la promotion des langues. J’ai milité très jeune dans l’ARP, Association pour la promotion de la langue Pulaar. Mon premier cours de pulaar je l’ai reçu en 1974 avec feu Djigo Tafsiiru. Pour moi la question linguistique n’est pas une simple question identitaire. C’est aussi et surtout une question fondamentale de développement. J’en ai eu l’intime conviction à travers une grande expérience d’abord à l’Institut des Langues Nationales où j’ai travaillé de 1981 à 1986 date de mon exil. Au Sénégal, durant 7 ans, j’ai eu une expérience non moins exaltante, à la tête de la Direction pédagogique du plus grand projet d’alphabétisation et d’éducation de base que le Sénégal ait jamais connu avec comme principal bailleur l’UNICEF. Ce projet est plus connu sous le nom de TOSTAN du nom de l’ONG américaine dont j’étais adjoint à la Directrice Générale, qui a repris le projet en 1991. TOSTAN opère aujourd’hui en Mauritanie dans la région du Brakna. J’ai été consultant en éducation de base et alphabétisation dans plusieurs ONG et dans plusieurs pays africains comme le Mali, la Guinée, ou la république centrafricaine où j’ai eu à développer un système alternatif à la scolarisation des adolescents déscolarisés ou non scolarisés en langue nationale Sango. Toutes les institutions internationales comme l’UNICEF ou l’UNESCO sont d’avis aujourd’hui que pas de développement véritable sans éducation dans les langues maternelles. Des milliards de dollars sont investies par ces organisations et leurs partenaires au développement comme l’Agence américaine pour le développement ou l’Agence canadienne pour des projets de développement, d’alphabétisation et de scolarisation dans les langues maternelles. Aujourd’hui, au Sénégal, au Mali ou au Burkina Faso, il est courant de voir des projets ruraux et urbains dont la gestion et la comptabilité sont tenues en langues nationales. Ne pensez-vous pas vraiment que la plus grande des discriminations est celle qui empêche un enfant ou un adolescent d’avoir une formation professionnelle parce qu’il ne parle pas français ? Pourquoi on ne lui donnerait pas cette formation dans sa langue maternelle qu’il maîtrise plus que toute autre langue ? C’est une flagrante violation des droits de l’homme et de l’enfant qui n’est pas dénoncée. C’est aussi le pays qui perd, non seulement en refusant de former ses fils, mais aussi en ne le faisant pas à un coût beaucoup moindre par rapport à ce que coûte d’abord la scolarisation en français. Les expériences nous ont prouvé que c’est beaucoup plus efficient et beaucoup plus rentable, pédagogiquement et financièrement parlant.
La question de langue officielle est du même registre. On ne choisit pas une langue officielle en fonction de la langue de formation des fonctionnaires et autres agents de développement. Non, on officialise une langue en fonction de son rôle de langue de communication et de développement du pays. Le développement et l’administration qui n’en est qu’un outil, ne peuvent se faire et ne doivent se faire que dans les langues que parlent et qu’utilisent les citoyens. Comme je ne cesserai jamais de le répéter, on ne doit pas demander aux citoyens de s’adapter aux réalités administratives, c’est à l’administration et aux agents de développement de s’adapter aux réalités sociales et culturelles du pays. C’est à eux d’aller vers les citoyens et non le contraire. C’est donc à l’administration de parler la langue des administrés, la langue du peuple et du pays. C’est là qu’il y a tout l’enjeu du développement. D’où l’impérieuse nécessité d’officialiser toutes les langues du pays sans discrimination aucune.
OCVIDH : Récemment votre ancien compagnon du nom d’Ibrahima Mokhtar SARR interpellait le professeur Hamdou Raby SY sur le lien entre la démocratie et la question nationale. Cette démarche a enclenché un grand débat sur le site d’Avomm. Qu’en pensez-vous et quelles sont vos suggestions à cet effet ?
Concernant le débat axé sur la démocratie et la question nationale, je pense que dans le fond, il y a une incompréhension entre Ibrahima SARR et Hamdou R. SY. Cette incompréhension est à mon avis liée à la différence d’appréciation du concept de démocratie. Quand l’un la conçoit sous l’angle purement jacobin du terme, un homme une voix, l’autre y voit une conception beaucoup plus globale et holistique dans la prise en charge des réalités spécifiques particulières à chaque pays ou à chaque peuple. Cependant le premier, pour aboutir à sa conception de la démocratie, y met des conditions qui pour le second y sont déjà incluses. Ainsi pour Ibrahima M. SARR, le préalable de la démocratie, c’est tout d’abord la résolution de la question nationale, alors que pour Hamdou R. SY, la question nationale n’est pas un préalable mais une composante intrinsèque de la démocratie. Ibrahima M. SARR dit ceci : « on ne peut pas instaurer la démocratie sans régler la question nationale », et Hamdou R. SY de préciser : « C’est la fondation d’un état de droit qui donne la garantie à des composantes humaines culturellement, religieusement et linguistiquement différentes de vivre ensemble ». Même si je pencherai beaucoup plus pour la conception du professeur Hamdou R. SY, je suis d’avis que dans les différends paliers des normes de la démocratie, la résolution de la question nationale doit être en tête. Comme l’a si brillamment démontré Ibrahima M. SARR, sans la prise en compte préalable de cette question, toute démocratie est vouée à l’échec. Et je pense finalement que c’est mon oncle BA ciré qui avait raison sur toute la ligne.
Là où j’ai des difficultés à rejoindre le professeur Hamdou R. SY, c’est quand il tient à soutenir que la période de Sidi a été une parenthèse démocratique. On ne peut pas parler de parenthèse démocratique quand Sidi a été élu sans la participation de dizaines de mauritaniens déportés ou réfugiés. Je le répète, on ne peut pas parler de parenthèse démocratique quand le chef de l’état dit aux organisations de défense des victimes qu’il ne peut pas résoudre les questions fondamentales du passif humanitaire. On ne peut pas parler de démocratie quand on constate le retour effréné aux affaires de ceux qui, comme Boidiel Ould Houmeid, ont ruiné le pays durant plus de vingt ans et ont ardemment et sans regrets soutenu et défendu la dictature criminelle de Ould Taya. Et enfin, on ne peut pas parler de démocratie quand on constate l’enclenchement d’un véritable processus de gestion familiale et clanique des affaires de l’état. Partout dans le monde, là où la famille a été mêlée aux affaires, on est retombée à la fin dans les affres de la dictature. Oui, nous étions dans un processus qui aurait pu être prometteur, et seulement dans un processus, et nous y sommes encore aujourd’hui un peu plus. La démocratie ne se limite pas aux élections. Ces dernières n’étant qu’un outil comme tout autre pour contribuer à vivre dans cette démocratie, qui est d’abord le respect des droits des minorités, le respect des droits des victimes, le respect des droits sociaux et culturels, l’égalité des citoyens sans discrimination aucune devant les lois, l’égalité des composantes nationales devant la loi et dans la répartition des richesses nationales et des différents pouvoirs, le respect de ces différents pouvoirs chacun dans ses attributions légitimes et légales, etc., etc.
OCVIDH : Que pensez-vous de l’esclavage en milieu négro-africain ?
L’Afrique de l’ouest a toujours été une société esclavagiste. Seulement, il faut reconnaître que la loi française abolissant l’esclavage a eu ses effets positifs dans les colonies négro-africaines. Elle a été appliquée même dans la partie négro-mauritanienne. C’est dans la partie arabe que cette loi n’a jamais été appliquée pour des raisons d’intérêts coloniaux. Aujourd’hui, je n’ai jamais vu, et les organisations mauritaniennes des droits de l’homme ou de lutte contre l’esclavage n’ont jamais relevé ne serait-ce qu’un seul cas, d’appartenance avérée et concrète d’un être humain à un autre dans le milieu négro-africain de Mauritanie. On n’a jamais relevé dans ce milieu un seul cas de travaux obligatoires non rémunérés. Cependant, cela ne veut pas dire que l’esclavage n’y existe pas. Il y a ce que j’appelle l’appartenance symbolique d’un être humain à un autre. Cette appartenance symbolique est à mon avis favorisée par une interprétation erronée des règles islamiques en la matière. Il existe encore encore des familles « d’anciens » esclaves, qui ne se marieront jamais sans « se racheter » ou « être libérés » au préalable. Ces familles, comme leurs anciens maîtres, croient dur comme fer, que la libération administrative ou de fait de l’esclave, ne peut en aucun cas se substituer à l’acte religieux. Cela est d’autant plus grave qu’aucun acte d’esclavage dans ce milieu ne peut être justifié sur le plan religieux. Symboliquement, cet esclavage n’est en rien moins violent que celui qu’on dénonce de temps à autre dans le milieu arabo-berbère. Il y a aussi la violence symbolique culturelle. L’ancien esclave, même libéré religieusement, reste toujours esclave dans les mentalités collectives. A la propriété privée, se substitue alors une caste de dominés qui n’ont pas droit à certains privilèges de pouvoir au niveau social. Ils ne seront pas imams, ils ne seront pas chefs de village, ils n’auront pas le droit d’épouser d’autres femmes issues d’autres castes, alors que les hommes d’autres castes auront le privilège de prendre leurs filles en concubines. Souvent, ils n’ont même pas le droit de prendre la parole en réunion. Peu d’entre eux disposent de terres cultivables. Je connais ici en France, des anciens esclaves immigrés d’origine sénégalaise mais haalpulaaren comme moi, qui, une fois allés en vacances au pays, sont d’abord obligés de se rendre à la famille de leur « ancien maître » pour y présenter les « cadeaux » et l’épargne ramenés avant de les présenter à leur familles. Et c’est « l’ancien maître » qui assurera la répartition de ces « cadeaux » aux proches et amis. Cette violence symbolique est désormais justifiée par l’euphémisme des liens de parenté déjà établis par une histoire commune. C’est la violence du féodalisme de castes qui continue à maintenir les anciens esclaves au bas de l’échelle sociale. Malheureusement, aucun pays africain n’a eu jusque là le courage de combattre officiellement le système. Alors que c’est un système de frein contre toute évolution démocratique de nos sociétés et de nos états.
OCVIDH : Pourquoi les leaders négro-africains d’antan n’ont jamais voulu réfléchir sur la place des castes dans la question nationale ?
Vous le savez, le colonialisme a eu comme principal allié les féodaux qui étaient au pouvoir avant son entrée en Afrique. En partant, ou en faisant fi de partir, le colonialisme a une fois de plus, confié le pouvoir à ces mêmes féodaux corrompus. Le peu de cadres issus de basses castes qui avaient pu se faire voir au soleil, ont été vite écartés du pouvoir. C’est comme cela par exemple que beaucoup de personnes justifient la mise à l’écart du président Mamadou DIA du Sénégal, originaire du Fuuta, mais que les fuutankoo6e ont eux-mêmes semble-t-il combattu au profit du président Senghor. Le maintien du féodalisme, n’est rien d’autre que le maintien des castes supérieures et des grandes « tentes » au pouvoir.
Cependant, il faut reconnaître la vitalité du mouvement culturel des jeunes qui, depuis des décennies essaie de sensibiliser et de combattre le féodalisme de castes. Certains rares intellectuels et hommes politiques comme Murtudo en ont fait leur cheval de bataille. Le seul intellectuel que j’ai lu et qui a essayé de théoriser la question des castes dans sa dimension politique, est le sénégalais Makhtar DIOUF dans son livre « Sénégal –Les ethnies et la nation » paru à l’Harmattan. Dans ce livre Makhtar DIOUF soutien que la question des castes est beaucoup plus dangereuse pour la stabilité du Sénégal que la question ethnique. Déjà en 1976, j’ai écrit un poème en langue pulaar contre ce système. Le 10 septembre 2007, j’ai publié dans les sites mauritaniens un article intitulé « Où en est la question nationale dans tout ça ? », dans lequel je démontrai la pertinence et l’exigence de la prise en charge de la question des castes dans la résolution de la question nationale et sociale. Le problème des castes est d’un certain point de vu beaucoup plus préoccupant que les problèmes ethniques en Mauritanie. Il résiste beaucoup plus à l’interculturel que les clivages ethniques. Un tooroodo n’a pas le droit d’apprendre le métier d’un cubballo pêcheur, ce dernier ne peut jamais devenir forgeron et vice versa. L’impossibilité du mariage intercastes aide à maintenir ces aberrations. Alors que les mariages interethniques ne posent pas de problèmes si les mariés sont issus de mêmes castes. Dans chaque localité, dans chaque région, les pouvoirs sont strictement répartis entre certaines castes pour ne pas dire certaines familles. Tels sont les imams, tels sont les maîtres du fleuve, tels sont les chefs de village, etc. D’où les frustrations qui commencent à s’exprimer avec la modernité et l’éveil des consciences, des frustrations qui s’expriment des fois avec la plus grande violence. Il est vrai que le MND historique avait entre autres comme cheval de bataille la lutte contre le féodalisme qui était perçu comme bras séculier de son ennemi prioritaire qu’est l’impérialisme. Mais ce n’était pas dans le cadre d’une théorisation de la question nationale que le MND considérait d’ailleurs comme secondaire par rapport à la lutte contre l’impérialisme. Ce que nous devons aujourd’hui admettre, que sans la prise en charge complète de trois questions fondamentales, la résolution de la question nationale et sociale ne sera qu’un vœu pieux. Il s’agit de la lutte contre l’esclavage, le système féodal, le racisme, et leur corollaire qu’est la discrimination.
OCVIDH : Quel conseil voudriez-vous donner à la diaspora mauritanienne ?
Nous remercions Allah. Pour toute chose Allah a ses raisons que la raison ignore. La majorité de la diaspora est aujourd’hui composée de réfugiés et de déportés. Ceux là n’ont pas choisi l’exil. Ils y ont été contraints par la force de la dictature. Cependant, ils ont peut être aussi beaucoup appris à travers cette douloureuse expérience. Je pense que le pays a besoin d’eux. Aujourd’hui, même si les inégalités persistent, il y a des avancées en matière de liberté. Nous ne ferons pas mieux que de combattre pour le retour. Retour pour servir notre pays. Retour aussi pour continuer la lutte avec ceux qui nous sont les plus chers et pour lesquels nous avons menés ce combat. Il est vrai que ce n’est pas facile, ni psychologiquement, ni socialement, ni économiquement. Certains ont pris des attaches difficiles à abandonner. D’autres ont fondé des familles avec des enfants nés dans l’exil et qui ne connaissent la Mauritanie que de nom. D’autres diront « comment vais-je nourrir ma famille ? ». Quant à moi, je pense que tout se planifie et que rien ne se fera d’un coup de baguette magique. L’amour de la patrie mérite un sacrifice. Et je pense fondamentalement que l’état mauritanien a un rôle de premier plan à jouer afin surtout de récupérer ses cadres qui sont aujourd’hui au service d’autres nations, et de réparer le préjudice subi. Faire d’une pierre deux coups. Je pense surtout que les organisations associatives et politiques qui n’existent encore qu’à l’extérieur du pays, doivent désormais s’impliquer à l’intérieur. C’est la seule condition de pouvoir participer directement à l’éveil des consciences de nos concitoyens, aux concertations nationales et aux prises de décision.
OCVIDH : Merci d’avoir voulu répondre à nos questions.
C’est moi qui vous remercie et qui vous dis une fois de plus du courage. L’histoire retiendra votre nom et le peuple mauritanien ne sera jamais ingrat.
Epinay-sur-Seine, 18 juin 2010
Propos recueillis par Moulaye DIOUM
Secrétaire en charge de la Communication de l'OCVIDH
Mise en ligne : Djibril Fodié SOUMARE
Webmestre de l'OCVIDH
Source: OCVIDH