
Monsieur Kemal Ould Mohamed
Je ne cherche ni à sanctifier la mémoire de Habib Ould Mahfoudh, ni à exempter sa belle plume de la critique : certains grands noms de la littérature n’ont eu de gloire que posthume,
et la postérité n’a pas retenu de triomphes littéraires qui se sont avérés, a posteriori, de simples effets de mode ; mais une chose est sure, et je permets d’être catégorique : on n’a jamais connu de «critique littéraire » sans corpus.
Une critique sérieuse ne peut faire l’économie, comme vous le faites, des textes qui nourrissent sa réflexion. C’est manquer de rigueur que d’entreprendre la démystification d’un mythe littéraire à coups de décrets grammaticaux, qui n’ont jamais servi qu’à dire la norme scolaire :
« Cela n’en fait pas pour autant de la littérature. Pour ceux qui aiment les barbarismes et les contre-sens, les Mauritanides étaient une fête hebdomadaire »
Ce que vous appelez hâtivement « barbarismes et contre-sens », cher monsieur, s’appelle « création lexicale » : le « véritable lettré » que vous êtes – c’est ainsi que vous vous désignez modestement- sait que le langage littéraire déploie joyeusement une combinatoire de possibles lexicaux, qui est un surcroît pour la langue littéraire, qui n’est pas dénotative. Les néologismes sont utilisés par de grands écrivains, qui pétrissent la langue à des fins tantôt parodiques, tantôt ludiques : de Rabelais (16ème siècle) à Queneau (20ème), en passant par Jarry (19ème), on retrouve cette veine subversive, qui a été saluée par de grands lettrés.
Cette création littéraire n’est sûrement pas académique et peut provoquer l’ire du grammairien, qui est le législateur de la langue ; mais elle ne révulse jamais le critique littéraire, qui est constamment en quête de l’originalité. Ce que vous reprochez à l’auteur des « Mauritanides » a fait le succès de grands écrivains.
Professeur de Lettres, Habib ne connaissait pas moins bien que vous, cher monsieur, la norme que vous lui reprochez d’enfreindre. Ce qui le réjouissait, avant tout, c’était la transgression : sillonner la langue, s’y frayer un espace personnel et narguer ceux qui vivent leur humanité sur le mode répulsif du rejet, du déni, du tribalisme et du racisme.
M Kemal Ould Mohamed, je ne sais quelle légitimité vous avez de parler aussi péremptoirement de la « norme littéraire », comme si elle existait de manière absolue. Je suis encore plus étonné que, emmitouflé dans le froc du censeur aux horizons littéraires étroits, vous prétendiez incarner le « Bon Goût » et déniez aux Mauritaniens la capacité d’apprécier, par eux-mêmes, les « Mauritanides » de Habib, qui les éblouissaient tant :
« Il faut le dire, aucun véritable lettré ne peut supporter la lecture au-delà du premier paragraphe »
Il n’est qu’à réfléchir sur les auteurs à qui vous tressez des lauriers - en fait des certificats de moralité politique- pour se faire une idée sur ce qui semble vous opposer à Habib Ould Mahfoudh. Vous célébrez CELINE (auteur pourtant peu normatif sur le plan littéraire, tant il a érigé l’oralité en norme scripturaire) et NABE (talentueux polémiste, dont je ne sais si vous avez vraiment lu les livres). Or, les griefs politiques que l’on fait généralement aux deux auteurs sont les mêmes : CELINE est considéré comme « antisémite » par certains, et Nabe est vilipendé à cause de son « antisionisme », que d’aucuns assimilent -à tort, à mon avis-, à de « l’antisémitisme ». La cohérente élasticité de votre purisme littéraire, saluant avec enthousiasme chez CELINE ce qu’elle repousse dédaigneusement chez Habib, suffit pour établir votre crédibilité de « critique »…
D’ailleurs, lorsque l’on lit votre texte jusqu’au bout, on comprend que votre prétendue « critique littéraire » n’était qu’un alibi idéologique et que vous fûtes vraisemblablement une victime de Habib Ould Mahfoudh, dont la dérision et l’impertinence n’ont jamais épargné les « bien pensants »… à la grande vertu :
« On a même pu lire dans les pages d’hommages de nombreuses phrases indécentes et qui heurtent la sensibilité des croyants dans un pays d’islam ou il semble qu’on ait de moins en moins le sens de la mesure, du sobre et pudique rapport musulman à la mort. Des pleureuses sacrilèges voilà ce que les mauritaniens sont devenus. Jugez par vous-même ».
Habib aimait tourner en dérision certains Mauritaniens totalement indifférents au massacre de leurs compatriotes « négro-mauritaniens », mais qui manifestaient pourtant une émouvante compassion pour leurs « frères arabes palestiniens ». Il s’intéressait plus à l’humain qu’à l’ethnie : il faut beaucoup de grandeur pour adhérer à ce type de fraternité absolue qui transcende les barrières ethniques et épidermiques.
Sans doute, une critique désuète qui se représente la « Littérature » comme à l’âge classique de Vaugelas, pèche-t-elle par anachronisme ; ce qui est outrancier, c’est de déverser sur le paisible tombeau d’un si grand humaniste son trop-plein de bile politique sous le couvert anodin de « critique littéraire ».
Paix à votre âme, Habib !
T TOURE. sur www.kassataya.com
KASSATAYA© 2010 tous droits réservés.
Je ne cherche ni à sanctifier la mémoire de Habib Ould Mahfoudh, ni à exempter sa belle plume de la critique : certains grands noms de la littérature n’ont eu de gloire que posthume,
et la postérité n’a pas retenu de triomphes littéraires qui se sont avérés, a posteriori, de simples effets de mode ; mais une chose est sure, et je permets d’être catégorique : on n’a jamais connu de «critique littéraire » sans corpus.
Une critique sérieuse ne peut faire l’économie, comme vous le faites, des textes qui nourrissent sa réflexion. C’est manquer de rigueur que d’entreprendre la démystification d’un mythe littéraire à coups de décrets grammaticaux, qui n’ont jamais servi qu’à dire la norme scolaire :
« Cela n’en fait pas pour autant de la littérature. Pour ceux qui aiment les barbarismes et les contre-sens, les Mauritanides étaient une fête hebdomadaire »
Ce que vous appelez hâtivement « barbarismes et contre-sens », cher monsieur, s’appelle « création lexicale » : le « véritable lettré » que vous êtes – c’est ainsi que vous vous désignez modestement- sait que le langage littéraire déploie joyeusement une combinatoire de possibles lexicaux, qui est un surcroît pour la langue littéraire, qui n’est pas dénotative. Les néologismes sont utilisés par de grands écrivains, qui pétrissent la langue à des fins tantôt parodiques, tantôt ludiques : de Rabelais (16ème siècle) à Queneau (20ème), en passant par Jarry (19ème), on retrouve cette veine subversive, qui a été saluée par de grands lettrés.
Cette création littéraire n’est sûrement pas académique et peut provoquer l’ire du grammairien, qui est le législateur de la langue ; mais elle ne révulse jamais le critique littéraire, qui est constamment en quête de l’originalité. Ce que vous reprochez à l’auteur des « Mauritanides » a fait le succès de grands écrivains.
Professeur de Lettres, Habib ne connaissait pas moins bien que vous, cher monsieur, la norme que vous lui reprochez d’enfreindre. Ce qui le réjouissait, avant tout, c’était la transgression : sillonner la langue, s’y frayer un espace personnel et narguer ceux qui vivent leur humanité sur le mode répulsif du rejet, du déni, du tribalisme et du racisme.
M Kemal Ould Mohamed, je ne sais quelle légitimité vous avez de parler aussi péremptoirement de la « norme littéraire », comme si elle existait de manière absolue. Je suis encore plus étonné que, emmitouflé dans le froc du censeur aux horizons littéraires étroits, vous prétendiez incarner le « Bon Goût » et déniez aux Mauritaniens la capacité d’apprécier, par eux-mêmes, les « Mauritanides » de Habib, qui les éblouissaient tant :
« Il faut le dire, aucun véritable lettré ne peut supporter la lecture au-delà du premier paragraphe »
Il n’est qu’à réfléchir sur les auteurs à qui vous tressez des lauriers - en fait des certificats de moralité politique- pour se faire une idée sur ce qui semble vous opposer à Habib Ould Mahfoudh. Vous célébrez CELINE (auteur pourtant peu normatif sur le plan littéraire, tant il a érigé l’oralité en norme scripturaire) et NABE (talentueux polémiste, dont je ne sais si vous avez vraiment lu les livres). Or, les griefs politiques que l’on fait généralement aux deux auteurs sont les mêmes : CELINE est considéré comme « antisémite » par certains, et Nabe est vilipendé à cause de son « antisionisme », que d’aucuns assimilent -à tort, à mon avis-, à de « l’antisémitisme ». La cohérente élasticité de votre purisme littéraire, saluant avec enthousiasme chez CELINE ce qu’elle repousse dédaigneusement chez Habib, suffit pour établir votre crédibilité de « critique »…
D’ailleurs, lorsque l’on lit votre texte jusqu’au bout, on comprend que votre prétendue « critique littéraire » n’était qu’un alibi idéologique et que vous fûtes vraisemblablement une victime de Habib Ould Mahfoudh, dont la dérision et l’impertinence n’ont jamais épargné les « bien pensants »… à la grande vertu :
« On a même pu lire dans les pages d’hommages de nombreuses phrases indécentes et qui heurtent la sensibilité des croyants dans un pays d’islam ou il semble qu’on ait de moins en moins le sens de la mesure, du sobre et pudique rapport musulman à la mort. Des pleureuses sacrilèges voilà ce que les mauritaniens sont devenus. Jugez par vous-même ».
Habib aimait tourner en dérision certains Mauritaniens totalement indifférents au massacre de leurs compatriotes « négro-mauritaniens », mais qui manifestaient pourtant une émouvante compassion pour leurs « frères arabes palestiniens ». Il s’intéressait plus à l’humain qu’à l’ethnie : il faut beaucoup de grandeur pour adhérer à ce type de fraternité absolue qui transcende les barrières ethniques et épidermiques.
Sans doute, une critique désuète qui se représente la « Littérature » comme à l’âge classique de Vaugelas, pèche-t-elle par anachronisme ; ce qui est outrancier, c’est de déverser sur le paisible tombeau d’un si grand humaniste son trop-plein de bile politique sous le couvert anodin de « critique littéraire ».
Paix à votre âme, Habib !
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