
Dans ma réclusion d’exilé je continue de réfléchir sur l’identité en tant que thème de recherche. J’étais tellement embarrassé qu’un jour, recevant quelques étudiants mauritaniens qui me demandaient ma position, je me résolus à leur dire, comme pour fuir le débat : « Je réfléchis encore. » Finalement, je me suis décidé à écrire quelque chose sur cette « grosse chose » qu’est l’identité et celle « mauritanienne » au détour d’une rencontre sur le «Rôle de la religion et de l’ethnicité dans les conflits en Afrique de l’Ouest ». Mais je me suis gardé de poursuivre le texte (que je souhaitais poster dans les Forums et sur lequel je travaille encore) et je ne sais si c’est par pure paresse, par incapacité intellectuelle ou par peur face à cette épine qui pénètre profondément dans le pied pourri d’une Mauritanie à genoux devant un Dieu qui lui a tourné le dos : son identité plurielle qu’elle refuse d’assumer.
Dans une communication présentée lors de cette rencontre à Gorée Institute en l’île de Gorée (lieu symbolique de l’humiliation des Noirs) j’écris ceci :
« De mon identité ethnique à celle de ma « supposée » nationalité : qui suis-je ?
Je débute mes propos par cette anecdote que j’affectionne depuis que j’ai commencé il y a plus d’une dizaine d’années à m’intéresser à l’altérité et à ses multiples incidences sur les relations interpersonnelles.
Je suis d’origine mauritanienne. Ce n’est pas évident pour beaucoup de Sénégalais pour des Africains de tous les horizons tout court. Je suis arrivé au Sénégal dans le sillage du conflit d’avril 1989. Ce conflit qui opposa, dans sa première version, des agriculteurs à des éleveurs dans le sud-est mauritanien allait dégénérer en un conflit pour lequel je ne trouve pas encore un nom car en Afrique il faut nommer les conflits. Bon bref ! En Mauritanie, j’étais kowri (terme qui désigne les Noirs, toutes ethnies confondues) et au Sénégal et surtout pour les membres de l’ethnie wolof, je suis un sénégalais de retour dans son pays. Je protestais, de manière véhémente, à chaque fois qu’on souhaitait m’attribuer la nationalité sénégalaise et je rétorquais de manière mécanique que j’étais un haalpulaar et mauritanien : donc mbidou ! (je ne sais plus ce que cela veut dire mais cela m’inspire le « broussard, l’anti-citadin ou le néo-citadin ») A partir de là la question devient complexe et intéressante à la fois. En effet, mes interlocuteurs me demandaient, stupéfaits, s’il y avait des Toucouleurs en Mauritanie. Cette question énigmatique m’intriguait pour ne pas dire m’agaçait très souvent. Et tout d’un coup je disais avec désinvolture et pour clore le débat que j’étais peul. Je ne me rendais pas compte que je changeais de « visage » à chacune de mes réponses au point non seulement de brouiller ceux qui m’écoutaient, mais aussi me brouiller avec moi-même dans mon for intérieur. Finalement je ne pouvais plus savoir qui j’étais réellement : africain, kowri, mauritanien, mbidou, sénégalais, haalpulaar et/ou peul ? Tous ces marqueurs laissaient leur trace sur ce moi qui cherchait à se dérober à chaque fois que je tentais de le cerner. L’empilement de ces « identifiants » pose problème au point qu’il fallait procéder à une véritable archéologie pour retrouver des traces de ce que je pensais être réellement. Je ne me retrouvais plus dans ces épithètes connotées et qui en réalité ne rendaient point compte de cette singularité que je recherchais sans le savoir, de cette identité ethnique diffuse et cette nationalité devenue problématique que je défendais avec engagement et conviction profonde. La seule évidence que j’admettais, parce qu’obligé par mes interlocuteurs, c’est que j’étais noir et africain comme beaucoup de Sénégalais et d’Africains. Mais ce constat chromatique et géographique venait encore compliquer davantage ce que je pensais être. Et pourtant, auparavant, je ne m’étais jamais posé la question de mon identité propre, celle qui fait que je suis « moi » (individu) appartenant à un ensemble ethnique identifié, reconnu et territorialement situé et qui marque de son sceau indélébile ma trajectoire sociale. Finalement, dans mes questionnements internes, je me résolus à me fondre dans cette vaste identité (identité « englobante ») et anonyme : mon appartenance à l’espèce humaine dans le sens philosophique que recouvre le terme. Je ne comprenais pas qu’on cherchait à me nommer, me spécifier et à me classer dans une catégorie ethnique immuable voire stigmatisée. Dans mon entêtement, je continuais et je continue, encore aujourd’hui, à clamer ma haalpulaarité tout en ne me posant point de question sur ma religion. Elle importait peu dans la définition de mon identité propre. En fin c’est ce que je croyais avant l’attentat du 11 septembre.
Si j’ai tenu à raconter cette anecdote, c’est juste pour amener mon lecteur à réfléchir sur ce que nous pensons être et les incidences de ce questionnement sur notre quête permanente à comprendre notre propre monde. Notre identité est tellement complexe et nos réactions tellement inattendues qu’il est de notre devoir de prendre en compte la réalité de notre altérité et son rôle supposé ou réel dans le fonctionnement de notre propre psychisme. » La messe est dite, disent-ils.
L‘ensemble du texte sera publié prochainement sous le titre de : « Sortir de la simplicité des analyses afin d’appréhender la réalité (Le conflit « ethnique et religieux » comme ressource en temps de rareté !) »). J’essaie de saisir, dans ce texte en partant d’exemple concrets comme en Mauritanie, en Côte d’ivoire, en Casamance, au Rwanda, en RDC et au Soudan, comment ceux que j’ai appelé les « entrepreneurs ethniques » manipulent tout, politisent tout au point rendre tout conflictuel. Les entrepreneurs identitaires et Mauritanie agissent de la même façon. Ils ne trouvent leur « salut » qu’en détournant le sens de la vie sur cette terre au nom de tout et de rien.
Suivent alors, dans ce même texte, d’autres considérations sur l’ethnicité, la religion et leur rôle dans les infléchissements des conflits en Afrique de l’Ouest. Finalement, je ne peux pas fuir devant cette interrogation permanente d’autant plus qu’elle est une donnée permanente dans ce monde qui se cherche un point d’appui sans vraiment le trouver comme pour confirmer les thèses inacceptables d’un certain Hunttington. Je ne peux pas fuir d’autant plus encore que le chemin de l’exil m’a profondément marqué au point que la recherche de/sur soi est devenue mon sujet de prédilection. Entre identité ethnique, religieuse, territoriale, subjective, imaginée, fabriquée et sources de fantasmes je ne sais plus quel chemin prendre pour comprendre et analyser les fondements de notre altérité. Je ne sais plus quelle subjectivité créatrice devrai-je utiliser pour me dérober à ce débat où les passions, les sentiments et la xénophobie tendent à sur-dominer au point de nous convaincre qu’il existe et qu’il a toujours existé, quelque part, une identité singulière et vierge de tout emprunt. Il m’est impossible d’aborder le sujet en empruntant ce raccourci destructeur. Si, dans le monde ce débat préoccupe et conduit les penseurs à réfléchir sur le devenir de leurs sociétés, en Mauritanie il prend l’allure nauséabonde du complot contre cette supposée « souillure » qu’il faut impérativement laver en dissolvant ses « porteurs » dans le magma (dans tous les sens que recouvre le magma) mauritanien en continuel ébullition. L’identité mauritanienne si elle existe réellement n’est point ethnique. Elle ne peut pas l’être. Car, en réalité, on ne cherche pas à identifier l’entité mauritanienne. Elle est là : la Mauritanie et sur son territoire vivent des Mauritaniens et c’est tout, ai-je envie de dire. Mais non ce n’est pas aussi simple que cela mon cher Bassel. Non pas dit tout alors ! Elle doit, obligatoirement et au péril de l’ensemble, avoir une assise ethnique identifiée, singulière magnifiée, « fière », « vaniteuse » voire aveuglée par les artifices qu’elle brandit à tue-tête. Mais vous êtes arabes mes chers et tant mieux pour vous et on passe à autre chose.
Que voulez-vous encore qu’on vous donne ? Nos âmes ? Mais non ça suffit maintenant ! Jreïda, Inal, Oualata, Camp de Ndioum, de Dodel, de Kayes aux artères de Manhattan : nous sommes partout et de toutes les couleurs celles de notre « nation ». Du hartani(Abidine Ould Merzoug, en Allemagne un ingénieur hors pair que j’ai vu à l’œuvre à Cologne. S’il ne vient pas les formules sont bloquées et dès qu’il arrive son bureau ne désemplit pas. Il parle allemand comme Adorno), au kowri (je pense à Toka Diagana un mathématicien altruiste et profondément nationaliste et qui aime ce pays comme il tient à ses mathématiques. Il parle anglais comme Obama), et au bidhani (je pense à Mohamed Baba Ould Saïd qui vit au milieu de ce beau paysage volcanique et qui continue sa chimie et sa physique. Il parle français comme De Gaulle). Je peux allonger la liste de ceux qui peuvent faire partie de ce cercle qui doit se former, prendre plumes et penser le devenir de ce peuple. Ils sont nombreux de par le monde jusqu’en Australie, en Arabie (je ne parle pas de ceux qui vendent les mineurs), au Maroc, en Tunisie et ailleurs encore dans les îles….. Vous pensez que ces hommes là ne sont pas tristes devant cette pseudo-lutte qui n’a aucune résonnance sauf celle des matraques qui s’abattent sur les pauvres étudiants.
Mais qui conteste l’arabité d’une frange importante de la société mauritanienne, mais personne. A ce point je me pose des questions embarrassantes, mais embarrassantes pour ceux qui ne croient pas à leur identité et qu’ils revendiquent depuis 50 ans pour ne pas dire depuis la bataille de Shar Baba. Mais qui la conteste ? Je pense que les « nationalistes » ; et je ne sais même pas si ce terme est adéquat pour les qualifier, se fourvoient et crient pour ne rien dire et pour se cacher derrière leur petit doigt. Parlez nous d’autres choses de plus utiles pour nos enfants. Je suis né un peu avant 1966, mais j’ai vécu le reste et je vis encore aujourd’hui ce qui se passe. Je ne suis pas très loin, mais j’ai encore du mal à comprendre comment des hommes peuvent encore aujourd’hui nous resservir ce qu’on ne leur conteste point. Je pense qu’il y a autre chose de plus profond que cela. Il y a il me semble une peur bleue qui les tenaille depuis que les langues se sont déliées et que les luttes prennent une autre forme qu’ils n’attendaient pas. La machine marche maintenant malgré tout. Le débat sur l’esclavage prend une autre allure, les revendications des anciennes victimes aussi, les nostalgiques sont insatisfaits, les tribus commencent encore à être mouillées par les paroles qui sortent de partout. Les voix qu’elles entendent les font peur. Elles hallucinent, donc il faut bien s’accrocher à quelque chose : l’arabité et tant pis pour les autres.
J’ai envie de dire qu’ils ne pouvaient avoir meilleure période pour nous servir encore une fois ce qui rend malade cette Mauritanie et qui la divertit en même temps. Un collègue dépité, certainement, par cette infinie discussion sur l’identité mauritanienne, me dit aujourd’hui même dans l’enceinte de l’université (26/04/2010) : « Heureusement que vous n’êtes pas nombreux. Sinon on aurait eu un Nigeria juste à côté ». Ce seul constat me rend encore plus malade devant la réalité des faits. D’ailleurs c’est après cette discussion que j’ai commencé à griffonner ce texte qui est un cri du cœur.
Le temps de la réflexion est à nos portes et je pense que les jeunes intellectuels dispersés de par le monde et ceux qui sont sur place en Mauritanie ont, aujourd’hui, un devoir : celui de penser ensemble l’avenir de ce pays. La reprise des cycles des coups d’état est à craindre encore une fois. Ce pays ne cesse de m’intriguer et pourtant je l’aime d’un amour que seul mon attachement à son identité plurielle explique.
Nous sommes dans un monde exigeant où les fantasmes identitaires, bien que indépassables, ne doivent pas servir de paravent pour perpétuer la médiocrité et la promotion des médiocres terreaux indispensables pour que la dictature s’installe si jamais elle a déjà quitté ce pays.
C’était mon cri du cœur avant l’appel du devoir pour proposer quelque chose.
Dakar, le 26/04/2010
source: OCVIDH
Dans une communication présentée lors de cette rencontre à Gorée Institute en l’île de Gorée (lieu symbolique de l’humiliation des Noirs) j’écris ceci :
« De mon identité ethnique à celle de ma « supposée » nationalité : qui suis-je ?
Je débute mes propos par cette anecdote que j’affectionne depuis que j’ai commencé il y a plus d’une dizaine d’années à m’intéresser à l’altérité et à ses multiples incidences sur les relations interpersonnelles.
Je suis d’origine mauritanienne. Ce n’est pas évident pour beaucoup de Sénégalais pour des Africains de tous les horizons tout court. Je suis arrivé au Sénégal dans le sillage du conflit d’avril 1989. Ce conflit qui opposa, dans sa première version, des agriculteurs à des éleveurs dans le sud-est mauritanien allait dégénérer en un conflit pour lequel je ne trouve pas encore un nom car en Afrique il faut nommer les conflits. Bon bref ! En Mauritanie, j’étais kowri (terme qui désigne les Noirs, toutes ethnies confondues) et au Sénégal et surtout pour les membres de l’ethnie wolof, je suis un sénégalais de retour dans son pays. Je protestais, de manière véhémente, à chaque fois qu’on souhaitait m’attribuer la nationalité sénégalaise et je rétorquais de manière mécanique que j’étais un haalpulaar et mauritanien : donc mbidou ! (je ne sais plus ce que cela veut dire mais cela m’inspire le « broussard, l’anti-citadin ou le néo-citadin ») A partir de là la question devient complexe et intéressante à la fois. En effet, mes interlocuteurs me demandaient, stupéfaits, s’il y avait des Toucouleurs en Mauritanie. Cette question énigmatique m’intriguait pour ne pas dire m’agaçait très souvent. Et tout d’un coup je disais avec désinvolture et pour clore le débat que j’étais peul. Je ne me rendais pas compte que je changeais de « visage » à chacune de mes réponses au point non seulement de brouiller ceux qui m’écoutaient, mais aussi me brouiller avec moi-même dans mon for intérieur. Finalement je ne pouvais plus savoir qui j’étais réellement : africain, kowri, mauritanien, mbidou, sénégalais, haalpulaar et/ou peul ? Tous ces marqueurs laissaient leur trace sur ce moi qui cherchait à se dérober à chaque fois que je tentais de le cerner. L’empilement de ces « identifiants » pose problème au point qu’il fallait procéder à une véritable archéologie pour retrouver des traces de ce que je pensais être réellement. Je ne me retrouvais plus dans ces épithètes connotées et qui en réalité ne rendaient point compte de cette singularité que je recherchais sans le savoir, de cette identité ethnique diffuse et cette nationalité devenue problématique que je défendais avec engagement et conviction profonde. La seule évidence que j’admettais, parce qu’obligé par mes interlocuteurs, c’est que j’étais noir et africain comme beaucoup de Sénégalais et d’Africains. Mais ce constat chromatique et géographique venait encore compliquer davantage ce que je pensais être. Et pourtant, auparavant, je ne m’étais jamais posé la question de mon identité propre, celle qui fait que je suis « moi » (individu) appartenant à un ensemble ethnique identifié, reconnu et territorialement situé et qui marque de son sceau indélébile ma trajectoire sociale. Finalement, dans mes questionnements internes, je me résolus à me fondre dans cette vaste identité (identité « englobante ») et anonyme : mon appartenance à l’espèce humaine dans le sens philosophique que recouvre le terme. Je ne comprenais pas qu’on cherchait à me nommer, me spécifier et à me classer dans une catégorie ethnique immuable voire stigmatisée. Dans mon entêtement, je continuais et je continue, encore aujourd’hui, à clamer ma haalpulaarité tout en ne me posant point de question sur ma religion. Elle importait peu dans la définition de mon identité propre. En fin c’est ce que je croyais avant l’attentat du 11 septembre.
Si j’ai tenu à raconter cette anecdote, c’est juste pour amener mon lecteur à réfléchir sur ce que nous pensons être et les incidences de ce questionnement sur notre quête permanente à comprendre notre propre monde. Notre identité est tellement complexe et nos réactions tellement inattendues qu’il est de notre devoir de prendre en compte la réalité de notre altérité et son rôle supposé ou réel dans le fonctionnement de notre propre psychisme. » La messe est dite, disent-ils.
L‘ensemble du texte sera publié prochainement sous le titre de : « Sortir de la simplicité des analyses afin d’appréhender la réalité (Le conflit « ethnique et religieux » comme ressource en temps de rareté !) »). J’essaie de saisir, dans ce texte en partant d’exemple concrets comme en Mauritanie, en Côte d’ivoire, en Casamance, au Rwanda, en RDC et au Soudan, comment ceux que j’ai appelé les « entrepreneurs ethniques » manipulent tout, politisent tout au point rendre tout conflictuel. Les entrepreneurs identitaires et Mauritanie agissent de la même façon. Ils ne trouvent leur « salut » qu’en détournant le sens de la vie sur cette terre au nom de tout et de rien.
Suivent alors, dans ce même texte, d’autres considérations sur l’ethnicité, la religion et leur rôle dans les infléchissements des conflits en Afrique de l’Ouest. Finalement, je ne peux pas fuir devant cette interrogation permanente d’autant plus qu’elle est une donnée permanente dans ce monde qui se cherche un point d’appui sans vraiment le trouver comme pour confirmer les thèses inacceptables d’un certain Hunttington. Je ne peux pas fuir d’autant plus encore que le chemin de l’exil m’a profondément marqué au point que la recherche de/sur soi est devenue mon sujet de prédilection. Entre identité ethnique, religieuse, territoriale, subjective, imaginée, fabriquée et sources de fantasmes je ne sais plus quel chemin prendre pour comprendre et analyser les fondements de notre altérité. Je ne sais plus quelle subjectivité créatrice devrai-je utiliser pour me dérober à ce débat où les passions, les sentiments et la xénophobie tendent à sur-dominer au point de nous convaincre qu’il existe et qu’il a toujours existé, quelque part, une identité singulière et vierge de tout emprunt. Il m’est impossible d’aborder le sujet en empruntant ce raccourci destructeur. Si, dans le monde ce débat préoccupe et conduit les penseurs à réfléchir sur le devenir de leurs sociétés, en Mauritanie il prend l’allure nauséabonde du complot contre cette supposée « souillure » qu’il faut impérativement laver en dissolvant ses « porteurs » dans le magma (dans tous les sens que recouvre le magma) mauritanien en continuel ébullition. L’identité mauritanienne si elle existe réellement n’est point ethnique. Elle ne peut pas l’être. Car, en réalité, on ne cherche pas à identifier l’entité mauritanienne. Elle est là : la Mauritanie et sur son territoire vivent des Mauritaniens et c’est tout, ai-je envie de dire. Mais non ce n’est pas aussi simple que cela mon cher Bassel. Non pas dit tout alors ! Elle doit, obligatoirement et au péril de l’ensemble, avoir une assise ethnique identifiée, singulière magnifiée, « fière », « vaniteuse » voire aveuglée par les artifices qu’elle brandit à tue-tête. Mais vous êtes arabes mes chers et tant mieux pour vous et on passe à autre chose.
Que voulez-vous encore qu’on vous donne ? Nos âmes ? Mais non ça suffit maintenant ! Jreïda, Inal, Oualata, Camp de Ndioum, de Dodel, de Kayes aux artères de Manhattan : nous sommes partout et de toutes les couleurs celles de notre « nation ». Du hartani(Abidine Ould Merzoug, en Allemagne un ingénieur hors pair que j’ai vu à l’œuvre à Cologne. S’il ne vient pas les formules sont bloquées et dès qu’il arrive son bureau ne désemplit pas. Il parle allemand comme Adorno), au kowri (je pense à Toka Diagana un mathématicien altruiste et profondément nationaliste et qui aime ce pays comme il tient à ses mathématiques. Il parle anglais comme Obama), et au bidhani (je pense à Mohamed Baba Ould Saïd qui vit au milieu de ce beau paysage volcanique et qui continue sa chimie et sa physique. Il parle français comme De Gaulle). Je peux allonger la liste de ceux qui peuvent faire partie de ce cercle qui doit se former, prendre plumes et penser le devenir de ce peuple. Ils sont nombreux de par le monde jusqu’en Australie, en Arabie (je ne parle pas de ceux qui vendent les mineurs), au Maroc, en Tunisie et ailleurs encore dans les îles….. Vous pensez que ces hommes là ne sont pas tristes devant cette pseudo-lutte qui n’a aucune résonnance sauf celle des matraques qui s’abattent sur les pauvres étudiants.
Mais qui conteste l’arabité d’une frange importante de la société mauritanienne, mais personne. A ce point je me pose des questions embarrassantes, mais embarrassantes pour ceux qui ne croient pas à leur identité et qu’ils revendiquent depuis 50 ans pour ne pas dire depuis la bataille de Shar Baba. Mais qui la conteste ? Je pense que les « nationalistes » ; et je ne sais même pas si ce terme est adéquat pour les qualifier, se fourvoient et crient pour ne rien dire et pour se cacher derrière leur petit doigt. Parlez nous d’autres choses de plus utiles pour nos enfants. Je suis né un peu avant 1966, mais j’ai vécu le reste et je vis encore aujourd’hui ce qui se passe. Je ne suis pas très loin, mais j’ai encore du mal à comprendre comment des hommes peuvent encore aujourd’hui nous resservir ce qu’on ne leur conteste point. Je pense qu’il y a autre chose de plus profond que cela. Il y a il me semble une peur bleue qui les tenaille depuis que les langues se sont déliées et que les luttes prennent une autre forme qu’ils n’attendaient pas. La machine marche maintenant malgré tout. Le débat sur l’esclavage prend une autre allure, les revendications des anciennes victimes aussi, les nostalgiques sont insatisfaits, les tribus commencent encore à être mouillées par les paroles qui sortent de partout. Les voix qu’elles entendent les font peur. Elles hallucinent, donc il faut bien s’accrocher à quelque chose : l’arabité et tant pis pour les autres.
J’ai envie de dire qu’ils ne pouvaient avoir meilleure période pour nous servir encore une fois ce qui rend malade cette Mauritanie et qui la divertit en même temps. Un collègue dépité, certainement, par cette infinie discussion sur l’identité mauritanienne, me dit aujourd’hui même dans l’enceinte de l’université (26/04/2010) : « Heureusement que vous n’êtes pas nombreux. Sinon on aurait eu un Nigeria juste à côté ». Ce seul constat me rend encore plus malade devant la réalité des faits. D’ailleurs c’est après cette discussion que j’ai commencé à griffonner ce texte qui est un cri du cœur.
Le temps de la réflexion est à nos portes et je pense que les jeunes intellectuels dispersés de par le monde et ceux qui sont sur place en Mauritanie ont, aujourd’hui, un devoir : celui de penser ensemble l’avenir de ce pays. La reprise des cycles des coups d’état est à craindre encore une fois. Ce pays ne cesse de m’intriguer et pourtant je l’aime d’un amour que seul mon attachement à son identité plurielle explique.
Nous sommes dans un monde exigeant où les fantasmes identitaires, bien que indépassables, ne doivent pas servir de paravent pour perpétuer la médiocrité et la promotion des médiocres terreaux indispensables pour que la dictature s’installe si jamais elle a déjà quitté ce pays.
C’était mon cri du cœur avant l’appel du devoir pour proposer quelque chose.
Dakar, le 26/04/2010
source: OCVIDH