
Le Calame : Monsieur le président, après une série de réunions-marathons, le RFD a dévoilé une proposition de sortie de crise en sept points. Comment a-t-elle été accueillie par les différents protagonistes? Pensez-vous qu’elle a une chance d’être acceptée, dans le contexte de raidissement des deux camps ?
Ahmed Ould Daddah : Effectivement, nous avons considéré qu’il était de notre devoir, au regard de la situation, détériorée et qui continue à se détériorer, pour des raisons à la fois internes et externes, de présenter une proposition de sortie de crise. Parce qu’il est évident que c’est aux mauritaniens et aux mauritaniens d’abord, de trouver les solutions appropriées à leur problème.
Donc, nous avons fait cette proposition qui est, je crois, de bon sens. D’un côté, il est tout à fait normal qu’on ne revienne pas à la case de départ. Ça n’aurait aucun sens. Je crois que ça ne règlerait rien. Bien au contraire, ce ne serait que redémarrer une nouvelle phase de difficultés, d’amalgames, de confusion.
Mais il me semble tout aussi essentiel que les militaires ne soient pas candidats, qu’ils se retirent du jeu politique, pour permettre une rupture, définitive, avec la période antérieure, dont je ne vais pas, d’ailleurs, m’attarder à énumérer les tares. Laissons cela aux historiens.
En tout cas, il est évident que les Mauritaniens, aujourd’hui, aspirent au changement, à une autre façon de gouverner, à une autre façon d’appréhender les choses publiques et de tracer les perspectives d’avenir, pour une population dont plus de 75 % ont moins de 30 ans.
Cependant, se retirer du jeu politique ne signifie pas se retirer du devoir militaire. Bien au contraire. Nous avons, plus que jamais aujourd’hui, besoin que l’armée et les forces de sécurité, réorganisées, soient au top, nanties des équipements nécessaires et des entrainements les plus performants. Les militaires doivent se sentir utiles et opérationnels, au sein d’une institution de type classique, avec des règles strictes de promotion, d’avancement et, à l’inverse, de sanctions et de discipline.
Tout le monde connaît les problèmes d’insécurité à l’intérieur de nos frontières. Ils sont quotidiens, tout comme les menaces, qui, malheureusement, ne sont pas que des menaces, d’actes horribles et barbares. Je pense à Tourine. Ce qui s’y est passé est inqualifiable, à tous les niveaux.
Tout cela fait que l’armée, tous les éléments de l’armée et toutes les forces de sécurité du pays doivent se reconcentrer sur leur domaine, plus que vital aujourd’hui.
L’expérience, en Mauritanie comme ailleurs, montre qu’à chaque fois que l’armée s’implique dans la politique, non seulement, elle fait mal la politique, parce qu’elle n’y est pas préparée, mais, en plus, elle délaisse ses missions classiques, essentielles, qui sont, principalement, la défense des frontières et de la souveraineté nationale. Si vous voulez, c’est un point un peu pendant avec le non-retour à la situation d’avant 2006.
Nous avons dit, aussi, que ce n’est, réellement pas, le moment de tripatouiller la Constitution. Parce qu’il n’est pas bon, il est même malsain, que la Constitution soit le jeu de tous les régimes et de tous les gouvernements.
Il n’est pas normal que chaque régime veuille la tailler à sa mesure et à ses vues. La Constitution doit être la loi suprême. Pour quelques générations, au moins. Un demi-siècle, au minimum. Elle doit être garantie. Elle est même une garantie pour l’ensemble des Mauritaniens, pour leur liberté, leur égalité, pour la protection que doit donner la loi.
Nous sommes dans un pays, aujourd’hui, divisé, politiquement ; un pays, aussi, toujours en transition, depuis 2005 : ce n’est vraiment pas le moment de modifier sa Constitution. Il est, à cet égard, déplorable que le HCE n’ait pas respecté ses engagements d’appliquer les conclusions des états généraux qu’il a, lui-même, organisés.
Moi, je n’ai pas de problèmes, parce que tout ce qui est dérapage, dans ces EGD, je ne l’ai pas reconnu. Mais, eux ont reconnu que l’atelier numéro un avait recommandé de ne pas toucher à la Constitution. Imposer, à l’inverse, un référendum, pour le 20 juin, piétinant, comme si de rien n’était, la concertation, c’est, pour le HCE, piétiner ses propres engagements solennels. Je le répète : la Constitution ne doit pas être modifiée et il est malsain de la manipuler.
Le quatrième point est relatif à la nécessité de créer une CENI consensuelle. Non consensuelle, elle ne sert à rien. Instrumentalisée, elle ne sert à rien. En tout cas, c’est notre point de vue, on le dira et on le fera savoir. Son unique intérêt, c’est d’être une garantie pour toutes les parties concernées.
Pour cela, il faut que ses prérogatives soient définies, en commun. Nous, nous proposons que celles-ci couvrent tout le processus électoral. Qu’elles prennent effet de la révision des listes à la publication des résultats, que l’institution soit absolument indépendante et non pas une espèce de vague supervision, comme lors des précédentes élections.
Et qu’enfin, il ne suffît pas de définir en commun ses prérogatives : il faut choisir, également d’une manière consensuelle, sa direction. Si tous ces paramètres sont correctement respectés, alors, oui : la CENI peut être un élément très important pour la viabilité et la crédibilité de la prochaine élection.
Il faut, ensuite, c’est notre cinquième point, un débat, un dialogue entre toutes les forces politiques : HCE, les partis soutenant celui-ci, le Front, le RFD et les autres partis soit représentés au Parlement, soit ayant enregistré des scores, significatifs, à l’une ou l’ensemble des élections ; pour dégager, ensemble, une sortie de crise.
Le sixième point, peu importe l’ordre, d’ailleurs, c’est un gouvernement de large union nationale, formé à l’issue de ce débat, qui sera chargé de la gestion de la transition jusqu’à la fin de la nouvelle élection présidentielle. Le dernier, enfin, c’est d’organiser, avec la CENI et l’appui de ce gouvernement, l’élection du nouveau président.
Nous pensons que ce schéma, valable et fiable, donne les garanties nécessaires à toutes les parties impliquées. Ceci étant, ce n’est qu’une proposition. Nous ne prétendons pas qu’elle soit la seule, ni qu’elle soit acceptée telle que.
Mais nous sommes confiants, parce que nous avons essayé de mettre les questions essentielles et sensibles, au cœur de ce schéma. Nous avons commencé, déjà, à prendre contact avec un certain nombre de partis politiques.
Ce que nous voulons, c’est qu’après cette phase d’approche, il y ait une rencontre entre les partis politiques, pour mettre, sur la table, toutes les propositions et essayer de trouver une solution consensuelle, pour sortir de la crise. Nous pensons que la situation du pays ne permet pas de rester les bras croisés.
Nous avons des craintes, très sérieuses, quant aux éventuels dérapages, et, de toute façon, le statu quo ne peut pas perdurer. Tous les problèmes sont posés, aucun n’est réglé. Il y a une espèce d’inquiétude latente, chez les citoyens. Il faut donc que les partis politiques assument leur responsabilité et fassent savoir ce qu’ils entendent réaliser.
Vous vous êtes prononcés contre les sanctions qui vont être infligées à la junte, au gouvernement et à certains de leurs soutiens. Ne pensez-vous pas que, malgré leur danger pour le pays, elles sont nécessaires pour faire échouer le coup d’Etat et décourager d’autres putschistes éventuels ?
Nous sommes, toujours, contre les sanctions collectives, contre la population et le pays en tant que tel. Nous espérons qu’il n’y ait aucune sanction personnelle. Mais comment s’y opposer, si la junte s’entête, fait la sourde oreille et n’écoute pas la communauté internationale?
C’est aux militaires et aux civils impliqués qu’il revient d’éviter ces sanctions. Nous avons, quant à nous, porté tous nos efforts à ce qu’il n’y ait pas de sanctions contre le pays et je crois, pour autant que je sois bien informé, que le pays, en tant que tel, n’aura pas à en subir.
Évidemment, si les dirigeants de ce pays font comme si l’opinion intérieure ne comptait pas, comme si l’opinion extérieure n’existait pas, et qu’il suffit de la force pour passer, ils en paieront, personnellement, les conséquences.
Malheureusement, ce qui peut leur arriver, en tant que dirigeants, va avoir des répercussions, chaotiques, sur le pays en termes d’isolement, de raréfaction, d’arrêt de flux financiers et d’image, pour le pays. C’est qui nous attend.
Regardez un pays comme le Zimbabwe, dont le leader s’était pourtant, battu, avec courage et avec succès, contre l’apartheid et la colonisation : le voilà, maintenant, plus bas que terre à cause de la sourde oreille de son chef, aux injonctions de la communauté internationale.
Nous ne voulons pas de cela pour la Mauritanie. J’en ai, moi-même, formulé le vœu : le peuple mauritanien ne doit pas être pris par otage. L’expression a été reprise, me semble-t-il, par le groupe socialiste européen, au Parlement de Strasbourg.
La première déclaration du RFD, après de 6 août, prenait acte du putsch, de ce changement, et appelait à un dialogue national, pour un retour rapide à la constitutionnalité du régime. Il est vrai qu’à un moment donné, j’ai dit, sur El Jazeera, que «nous étions favorable au changement mais que nous voulions un dialogue, pour revenir, rapidement, aux institutions démocratiques».
En fait, si les dirigeants actuels, comme ils l’avaient annoncé, n’étaient pas venus pour le pouvoir mais pour redresser, réellement, une situation qui en avait grandement besoin, et avaient continué, dans cet esprit, en appelant à l’organisation d’élections libres et transparentes, cela pouvait être compris comme un redressement.
N’oublions pas que la précédente junte, dont quasiment tous les membres se sont retrouvés dans l’actuelle, avait pris fait et cause en faveur de l’ancien président qu’elle avait, en quelque sorte, imposé. S’ils corrigent cette situation, en restituant, au peuple mauritanien, son droit inaliénable à choisir ses gouvernants, ça serait un redressement.
Mais si, maintenant, ceci ne se révélait que de la poudre aux yeux, s’ils n’étaient revenus, en fait, que pour se réincruster au pouvoir, il n’est, évidemment, plus question de redressement. Cela aura été, tout simplement, un coup d’Etat comme un autre.
Malgré le soutien que vous avez apporté au putsch, rectification comme vous disiez, alors, le général ne vous a pas rendu la monnaie de votre pièce. Il a déclaré, lors du dernier conseil des ministres et à des cadres de votre parti, que vous l’aviez encouragé à déposer Sidi et vous l’aviez mis en garde contre le gel des relations avec la Sionie (1). Qu’en est-il ?
J’ai du mal à croire que le général Mohamed Ould Abdel Aziz ait prononcé les propos qu’on lui prête. Ce n’est pas le style d’un chef d’Etat. D’autre part, je ne raconte pas d’histoire. Je ne dis pas en bas le contraire de ce que je dis en haut. Ça n’a aucun sens. En plus, c’est archi-faux.
Je ne peux pas encourager un coup d’Etat. Ce n’est ni dans mon style, ni dans mon itinéraire. J’ai moi-même souffert des coups d’Etat. Mais, d’un autre côté, il y a un certain réalisme. Quand un coup d’Etat se produit et que, franchement, il n’y a aucun avantage à revenir à la situation qui perdurait auparavant, on fait avec.
On essaye de voir comment cela peut déboucher sur quelque chose de positif. C’est à peu près ce que j’avais à dire. Quant à répandre la calomnie selon laquelle j’aurais encouragé à ne pas couper ou geler les relations avec [la Sionie] (1), c’est, tout simplement, abject.
La dernière fois que j’ai rencontré Mohamed Ould Abdel Aziz, c’était en présence d’un grand nombre de leaders de partis politiques et j’ai dit tout à fait le contraire de ces propos, en mon âme et conscience et en parfait accord avec le point de vue bien établi de mon parti.
Pour ceux qui ont la mémoire courte, je rappellerai, au passage, que je fus le seul, avec Mohameden Ould Babbah et maître Ichiddou, à avoir été emprisonné, à Boumdeïd, pour mes positions sur les relations avec [la Sionie] (1).
Vous étiez leader de l’opposition au président de la République. Vous êtes devenu un soutien du chef de l’Etat, lorsque ces deux fonctions ont été séparées le 6 août dernier. Quelle est votre situation actuelle ?
D’une part, Sidi est dans la même situation que Mohamed Ould Abdel Aziz. Il n’a pas été élu. Quelle est cette légitimité que tout le monde chante? Qui est illégitime? Sidi a été amené par les militaires. Il n’avait aucune possibilité d’être élu sans avoir été imposé par les militaires. C’est blanc bonnet, bonnet blanc.
Ensuite, je ne suis pas resté avec Mohamed Ould Abdel Aziz. Je suis toujours dans ma position pour le changement, pour la transformation du pays. Ce ne sont ni Sidi, ni Ould Abdel Aziz qui ont opéré ces changements. Vous savez, on peut dire n’importe quoi, de n’importe quelle façon, il n’en demeure pas moins vrai que les faits sont têtus.
On pense que les paroles peuvent remplacer la réalité. Les paroles ont pour fonction de décrire la réalité, pas de la remplacer. Dans ce cas, la définition philosophique de la parole, c’est quelque chose qui a un sens.
Dans votre initiative de sortie de crise, vous vous prononcez contre le retour de Sidi. Pour sa part, ce dernier, ne rate pas une occasion de vous lancer des piques. Peut-on savoir quelle est l’origine de cette animosité ?
Je ne réponds pas à cette question.
Vous vous apprêtez donc à reprendre le bâton de pèlerin, est-ce pour promouvoir votre initiative ou pour se battre contre l’isolement du pays, menacé par des sanctions ?
Ce que je fais pour le pays, j’essaie de le faire de l’intérieur, contrairement à d’autres. J’essaye de convaincre mes collègues et mes partenaires politiques, ici en Mauritanie, de prendre cette initiative en compte ou de déclencher, au moins, une solution qui ne vienne pas de l’extérieur, à supposer que l’extérieur soit de bonne volonté et qu’il veuille notre bien.
Il faudrait que nous ayons ensemble, nous Mauritaniens, un projet ou des perspectives, une contribution à mettre sur la table. On ne peut pas se coucher et attendre l’extérieur. L’extérieur a ses intérêts, ses ambigüités, son cynisme. Si on n’existe pas, intérieurement, on ne peut pas compter sur l’extérieur.
Comme on ne peut pas changer les accords de Cotonou dont les sanctions sont une conséquence logique, que peut-on faire à l’heure qu’il est pour éviter celles-ci ?
La réponse à cette question dépend de la junte militaire. Si, aujourd’hui, ils prennent une initiative courageuse, en disant qu’ils n’ont pas l’intention de se perpétuer au pouvoir, appellent les partis politiques, les parlementaires pour discuter sérieusement et trouver une sortie de crise, s’ils appellent la communauté internationale qui leur demande, comme nous, de favoriser ce dialogue, je crois qu’on peut éviter ces sanctions.
Si, au contraire, ils font comme si de rien n’était, comme s’il n’y avait pas une opinion politique majoritaire, contre la poursuite de leur entreprise, ni de consensus – si rare, actuellement – de la communauté internationale contre leur maintien au pouvoir, ils auront, eux-mêmes, construit les fondations de ces sanctions.
Ils en sont seuls responsables, devant le pays et devant l’histoire. Je dis aujourd’hui qu’il y a un consensus : l’Union africaine, l’Union européenne, l’ONU, la Ligue arabe, l’OIF, j’en passe, sont unanimes. Comment un petit pays fragile, divisé comme la Mauritanie, pourrait aller contre tout ce monde? Il faut en prendre conscience et cesser de rêver. Mais la solution, pour éviter ces sanctions, elle est entre les mains du général Mohamed Ould Abdel Aziz et de son HCE.
En tant qu’économiste, comment envisagez-vous l’avenir, au cas où ces sanctions tombaient, effectivement, sur le pays ?
La situation économique est déjà extrêmement précaire, en termes de chômage et dans tous les secteurs. Les principaux produits d’exportation subissent la crise internationale. Il y a, également, les conséquences d’une mauvaise gestion, cumulative depuis longtemps, que nous subissons aujourd’hui. Les difficultés empirent, alors que le mauvais management de la gestion administrative, la gestion déplorable des sociétés d’Etat et, d’une manière générale, les mauvais choix se perpétuent.
Il existe, également, un état d’esprit pétri d’anxiété, d’interrogations sur l’avenir et tant qu’il en sera ainsi, il n’y aura ni investissements privés dans le pays, ni flux financiers significatifs, en termes de transfert public. Il y aura, peut-être, de petites choses à caractère plus de charité que de développement, opérées directement entre je ne sais quelle organisation et les bénéficiaires éventuels. La situation, dans ce contexte, devrait, finalement, continuer à s’aggraver. C’est très préoccupant.
Parce que nous sommes très fragiles et très pauvres. Si la situation se perpétue, si l’horizon demeure bouché, si les gens continuent à s’appauvrir, ce serait certainement une source – pour ne pas dire un torrent – en tout cas, un terreau fertile à tous les extrémismes.
Ce qui aggraverait, bien évidemment et hélas, l’insécurité intérieure et les menaces extérieures. Tout est lié. Je crois qu’il faut en prendre conscience. Maintenant et vite.
Propos recueillis par Ahmed Ould Cheikh
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(1) : Le Calame a décidé de ne plus utiliser le nom d’Israël, qui appartient au doux prophète Yakub – Paix et Salut sur Lui – pour désigner l’entité ségrégationniste et génocidaire qui martyrise la Palestine, où vécurent, en leur temps, Ibrahim, Isaac et Yakub-Israël – Paix et Salut sur Eux – en paix avec tous. Les sionistes se prétendent les champions de la rhétorique : il est temps de leur démontrer leur erreur…
Aussi avons-nous remplacé, dans les propos d’Ahmed Ould Daddah, l’expression d’Israël, politiquement «consacrée», mais tout à fait fautive, autant d’un point de vue religieux que d’un point de vue humaniste, par celui de [Sionie], entre crochets, pour signaler notre intervention. En espérant que tous nos lecteurs et lectrices s’approprient et vulgarisent notre initiative, amine.
Le Calame
Source: cridem
Ahmed Ould Daddah : Effectivement, nous avons considéré qu’il était de notre devoir, au regard de la situation, détériorée et qui continue à se détériorer, pour des raisons à la fois internes et externes, de présenter une proposition de sortie de crise. Parce qu’il est évident que c’est aux mauritaniens et aux mauritaniens d’abord, de trouver les solutions appropriées à leur problème.
Donc, nous avons fait cette proposition qui est, je crois, de bon sens. D’un côté, il est tout à fait normal qu’on ne revienne pas à la case de départ. Ça n’aurait aucun sens. Je crois que ça ne règlerait rien. Bien au contraire, ce ne serait que redémarrer une nouvelle phase de difficultés, d’amalgames, de confusion.
Mais il me semble tout aussi essentiel que les militaires ne soient pas candidats, qu’ils se retirent du jeu politique, pour permettre une rupture, définitive, avec la période antérieure, dont je ne vais pas, d’ailleurs, m’attarder à énumérer les tares. Laissons cela aux historiens.
En tout cas, il est évident que les Mauritaniens, aujourd’hui, aspirent au changement, à une autre façon de gouverner, à une autre façon d’appréhender les choses publiques et de tracer les perspectives d’avenir, pour une population dont plus de 75 % ont moins de 30 ans.
Cependant, se retirer du jeu politique ne signifie pas se retirer du devoir militaire. Bien au contraire. Nous avons, plus que jamais aujourd’hui, besoin que l’armée et les forces de sécurité, réorganisées, soient au top, nanties des équipements nécessaires et des entrainements les plus performants. Les militaires doivent se sentir utiles et opérationnels, au sein d’une institution de type classique, avec des règles strictes de promotion, d’avancement et, à l’inverse, de sanctions et de discipline.
Tout le monde connaît les problèmes d’insécurité à l’intérieur de nos frontières. Ils sont quotidiens, tout comme les menaces, qui, malheureusement, ne sont pas que des menaces, d’actes horribles et barbares. Je pense à Tourine. Ce qui s’y est passé est inqualifiable, à tous les niveaux.
Tout cela fait que l’armée, tous les éléments de l’armée et toutes les forces de sécurité du pays doivent se reconcentrer sur leur domaine, plus que vital aujourd’hui.
L’expérience, en Mauritanie comme ailleurs, montre qu’à chaque fois que l’armée s’implique dans la politique, non seulement, elle fait mal la politique, parce qu’elle n’y est pas préparée, mais, en plus, elle délaisse ses missions classiques, essentielles, qui sont, principalement, la défense des frontières et de la souveraineté nationale. Si vous voulez, c’est un point un peu pendant avec le non-retour à la situation d’avant 2006.
Nous avons dit, aussi, que ce n’est, réellement pas, le moment de tripatouiller la Constitution. Parce qu’il n’est pas bon, il est même malsain, que la Constitution soit le jeu de tous les régimes et de tous les gouvernements.
Il n’est pas normal que chaque régime veuille la tailler à sa mesure et à ses vues. La Constitution doit être la loi suprême. Pour quelques générations, au moins. Un demi-siècle, au minimum. Elle doit être garantie. Elle est même une garantie pour l’ensemble des Mauritaniens, pour leur liberté, leur égalité, pour la protection que doit donner la loi.
Nous sommes dans un pays, aujourd’hui, divisé, politiquement ; un pays, aussi, toujours en transition, depuis 2005 : ce n’est vraiment pas le moment de modifier sa Constitution. Il est, à cet égard, déplorable que le HCE n’ait pas respecté ses engagements d’appliquer les conclusions des états généraux qu’il a, lui-même, organisés.
Moi, je n’ai pas de problèmes, parce que tout ce qui est dérapage, dans ces EGD, je ne l’ai pas reconnu. Mais, eux ont reconnu que l’atelier numéro un avait recommandé de ne pas toucher à la Constitution. Imposer, à l’inverse, un référendum, pour le 20 juin, piétinant, comme si de rien n’était, la concertation, c’est, pour le HCE, piétiner ses propres engagements solennels. Je le répète : la Constitution ne doit pas être modifiée et il est malsain de la manipuler.
Le quatrième point est relatif à la nécessité de créer une CENI consensuelle. Non consensuelle, elle ne sert à rien. Instrumentalisée, elle ne sert à rien. En tout cas, c’est notre point de vue, on le dira et on le fera savoir. Son unique intérêt, c’est d’être une garantie pour toutes les parties concernées.
Pour cela, il faut que ses prérogatives soient définies, en commun. Nous, nous proposons que celles-ci couvrent tout le processus électoral. Qu’elles prennent effet de la révision des listes à la publication des résultats, que l’institution soit absolument indépendante et non pas une espèce de vague supervision, comme lors des précédentes élections.
Et qu’enfin, il ne suffît pas de définir en commun ses prérogatives : il faut choisir, également d’une manière consensuelle, sa direction. Si tous ces paramètres sont correctement respectés, alors, oui : la CENI peut être un élément très important pour la viabilité et la crédibilité de la prochaine élection.
Il faut, ensuite, c’est notre cinquième point, un débat, un dialogue entre toutes les forces politiques : HCE, les partis soutenant celui-ci, le Front, le RFD et les autres partis soit représentés au Parlement, soit ayant enregistré des scores, significatifs, à l’une ou l’ensemble des élections ; pour dégager, ensemble, une sortie de crise.
Le sixième point, peu importe l’ordre, d’ailleurs, c’est un gouvernement de large union nationale, formé à l’issue de ce débat, qui sera chargé de la gestion de la transition jusqu’à la fin de la nouvelle élection présidentielle. Le dernier, enfin, c’est d’organiser, avec la CENI et l’appui de ce gouvernement, l’élection du nouveau président.
Nous pensons que ce schéma, valable et fiable, donne les garanties nécessaires à toutes les parties impliquées. Ceci étant, ce n’est qu’une proposition. Nous ne prétendons pas qu’elle soit la seule, ni qu’elle soit acceptée telle que.
Mais nous sommes confiants, parce que nous avons essayé de mettre les questions essentielles et sensibles, au cœur de ce schéma. Nous avons commencé, déjà, à prendre contact avec un certain nombre de partis politiques.
Ce que nous voulons, c’est qu’après cette phase d’approche, il y ait une rencontre entre les partis politiques, pour mettre, sur la table, toutes les propositions et essayer de trouver une solution consensuelle, pour sortir de la crise. Nous pensons que la situation du pays ne permet pas de rester les bras croisés.
Nous avons des craintes, très sérieuses, quant aux éventuels dérapages, et, de toute façon, le statu quo ne peut pas perdurer. Tous les problèmes sont posés, aucun n’est réglé. Il y a une espèce d’inquiétude latente, chez les citoyens. Il faut donc que les partis politiques assument leur responsabilité et fassent savoir ce qu’ils entendent réaliser.
Vous vous êtes prononcés contre les sanctions qui vont être infligées à la junte, au gouvernement et à certains de leurs soutiens. Ne pensez-vous pas que, malgré leur danger pour le pays, elles sont nécessaires pour faire échouer le coup d’Etat et décourager d’autres putschistes éventuels ?
Nous sommes, toujours, contre les sanctions collectives, contre la population et le pays en tant que tel. Nous espérons qu’il n’y ait aucune sanction personnelle. Mais comment s’y opposer, si la junte s’entête, fait la sourde oreille et n’écoute pas la communauté internationale?
C’est aux militaires et aux civils impliqués qu’il revient d’éviter ces sanctions. Nous avons, quant à nous, porté tous nos efforts à ce qu’il n’y ait pas de sanctions contre le pays et je crois, pour autant que je sois bien informé, que le pays, en tant que tel, n’aura pas à en subir.
Évidemment, si les dirigeants de ce pays font comme si l’opinion intérieure ne comptait pas, comme si l’opinion extérieure n’existait pas, et qu’il suffit de la force pour passer, ils en paieront, personnellement, les conséquences.
Malheureusement, ce qui peut leur arriver, en tant que dirigeants, va avoir des répercussions, chaotiques, sur le pays en termes d’isolement, de raréfaction, d’arrêt de flux financiers et d’image, pour le pays. C’est qui nous attend.
Regardez un pays comme le Zimbabwe, dont le leader s’était pourtant, battu, avec courage et avec succès, contre l’apartheid et la colonisation : le voilà, maintenant, plus bas que terre à cause de la sourde oreille de son chef, aux injonctions de la communauté internationale.
Nous ne voulons pas de cela pour la Mauritanie. J’en ai, moi-même, formulé le vœu : le peuple mauritanien ne doit pas être pris par otage. L’expression a été reprise, me semble-t-il, par le groupe socialiste européen, au Parlement de Strasbourg.
La première déclaration du RFD, après de 6 août, prenait acte du putsch, de ce changement, et appelait à un dialogue national, pour un retour rapide à la constitutionnalité du régime. Il est vrai qu’à un moment donné, j’ai dit, sur El Jazeera, que «nous étions favorable au changement mais que nous voulions un dialogue, pour revenir, rapidement, aux institutions démocratiques».
En fait, si les dirigeants actuels, comme ils l’avaient annoncé, n’étaient pas venus pour le pouvoir mais pour redresser, réellement, une situation qui en avait grandement besoin, et avaient continué, dans cet esprit, en appelant à l’organisation d’élections libres et transparentes, cela pouvait être compris comme un redressement.
N’oublions pas que la précédente junte, dont quasiment tous les membres se sont retrouvés dans l’actuelle, avait pris fait et cause en faveur de l’ancien président qu’elle avait, en quelque sorte, imposé. S’ils corrigent cette situation, en restituant, au peuple mauritanien, son droit inaliénable à choisir ses gouvernants, ça serait un redressement.
Mais si, maintenant, ceci ne se révélait que de la poudre aux yeux, s’ils n’étaient revenus, en fait, que pour se réincruster au pouvoir, il n’est, évidemment, plus question de redressement. Cela aura été, tout simplement, un coup d’Etat comme un autre.
Malgré le soutien que vous avez apporté au putsch, rectification comme vous disiez, alors, le général ne vous a pas rendu la monnaie de votre pièce. Il a déclaré, lors du dernier conseil des ministres et à des cadres de votre parti, que vous l’aviez encouragé à déposer Sidi et vous l’aviez mis en garde contre le gel des relations avec la Sionie (1). Qu’en est-il ?
J’ai du mal à croire que le général Mohamed Ould Abdel Aziz ait prononcé les propos qu’on lui prête. Ce n’est pas le style d’un chef d’Etat. D’autre part, je ne raconte pas d’histoire. Je ne dis pas en bas le contraire de ce que je dis en haut. Ça n’a aucun sens. En plus, c’est archi-faux.
Je ne peux pas encourager un coup d’Etat. Ce n’est ni dans mon style, ni dans mon itinéraire. J’ai moi-même souffert des coups d’Etat. Mais, d’un autre côté, il y a un certain réalisme. Quand un coup d’Etat se produit et que, franchement, il n’y a aucun avantage à revenir à la situation qui perdurait auparavant, on fait avec.
On essaye de voir comment cela peut déboucher sur quelque chose de positif. C’est à peu près ce que j’avais à dire. Quant à répandre la calomnie selon laquelle j’aurais encouragé à ne pas couper ou geler les relations avec [la Sionie] (1), c’est, tout simplement, abject.
La dernière fois que j’ai rencontré Mohamed Ould Abdel Aziz, c’était en présence d’un grand nombre de leaders de partis politiques et j’ai dit tout à fait le contraire de ces propos, en mon âme et conscience et en parfait accord avec le point de vue bien établi de mon parti.
Pour ceux qui ont la mémoire courte, je rappellerai, au passage, que je fus le seul, avec Mohameden Ould Babbah et maître Ichiddou, à avoir été emprisonné, à Boumdeïd, pour mes positions sur les relations avec [la Sionie] (1).
Vous étiez leader de l’opposition au président de la République. Vous êtes devenu un soutien du chef de l’Etat, lorsque ces deux fonctions ont été séparées le 6 août dernier. Quelle est votre situation actuelle ?
D’une part, Sidi est dans la même situation que Mohamed Ould Abdel Aziz. Il n’a pas été élu. Quelle est cette légitimité que tout le monde chante? Qui est illégitime? Sidi a été amené par les militaires. Il n’avait aucune possibilité d’être élu sans avoir été imposé par les militaires. C’est blanc bonnet, bonnet blanc.
Ensuite, je ne suis pas resté avec Mohamed Ould Abdel Aziz. Je suis toujours dans ma position pour le changement, pour la transformation du pays. Ce ne sont ni Sidi, ni Ould Abdel Aziz qui ont opéré ces changements. Vous savez, on peut dire n’importe quoi, de n’importe quelle façon, il n’en demeure pas moins vrai que les faits sont têtus.
On pense que les paroles peuvent remplacer la réalité. Les paroles ont pour fonction de décrire la réalité, pas de la remplacer. Dans ce cas, la définition philosophique de la parole, c’est quelque chose qui a un sens.
Dans votre initiative de sortie de crise, vous vous prononcez contre le retour de Sidi. Pour sa part, ce dernier, ne rate pas une occasion de vous lancer des piques. Peut-on savoir quelle est l’origine de cette animosité ?
Je ne réponds pas à cette question.
Vous vous apprêtez donc à reprendre le bâton de pèlerin, est-ce pour promouvoir votre initiative ou pour se battre contre l’isolement du pays, menacé par des sanctions ?
Ce que je fais pour le pays, j’essaie de le faire de l’intérieur, contrairement à d’autres. J’essaye de convaincre mes collègues et mes partenaires politiques, ici en Mauritanie, de prendre cette initiative en compte ou de déclencher, au moins, une solution qui ne vienne pas de l’extérieur, à supposer que l’extérieur soit de bonne volonté et qu’il veuille notre bien.
Il faudrait que nous ayons ensemble, nous Mauritaniens, un projet ou des perspectives, une contribution à mettre sur la table. On ne peut pas se coucher et attendre l’extérieur. L’extérieur a ses intérêts, ses ambigüités, son cynisme. Si on n’existe pas, intérieurement, on ne peut pas compter sur l’extérieur.
Comme on ne peut pas changer les accords de Cotonou dont les sanctions sont une conséquence logique, que peut-on faire à l’heure qu’il est pour éviter celles-ci ?
La réponse à cette question dépend de la junte militaire. Si, aujourd’hui, ils prennent une initiative courageuse, en disant qu’ils n’ont pas l’intention de se perpétuer au pouvoir, appellent les partis politiques, les parlementaires pour discuter sérieusement et trouver une sortie de crise, s’ils appellent la communauté internationale qui leur demande, comme nous, de favoriser ce dialogue, je crois qu’on peut éviter ces sanctions.
Si, au contraire, ils font comme si de rien n’était, comme s’il n’y avait pas une opinion politique majoritaire, contre la poursuite de leur entreprise, ni de consensus – si rare, actuellement – de la communauté internationale contre leur maintien au pouvoir, ils auront, eux-mêmes, construit les fondations de ces sanctions.
Ils en sont seuls responsables, devant le pays et devant l’histoire. Je dis aujourd’hui qu’il y a un consensus : l’Union africaine, l’Union européenne, l’ONU, la Ligue arabe, l’OIF, j’en passe, sont unanimes. Comment un petit pays fragile, divisé comme la Mauritanie, pourrait aller contre tout ce monde? Il faut en prendre conscience et cesser de rêver. Mais la solution, pour éviter ces sanctions, elle est entre les mains du général Mohamed Ould Abdel Aziz et de son HCE.
En tant qu’économiste, comment envisagez-vous l’avenir, au cas où ces sanctions tombaient, effectivement, sur le pays ?
La situation économique est déjà extrêmement précaire, en termes de chômage et dans tous les secteurs. Les principaux produits d’exportation subissent la crise internationale. Il y a, également, les conséquences d’une mauvaise gestion, cumulative depuis longtemps, que nous subissons aujourd’hui. Les difficultés empirent, alors que le mauvais management de la gestion administrative, la gestion déplorable des sociétés d’Etat et, d’une manière générale, les mauvais choix se perpétuent.
Il existe, également, un état d’esprit pétri d’anxiété, d’interrogations sur l’avenir et tant qu’il en sera ainsi, il n’y aura ni investissements privés dans le pays, ni flux financiers significatifs, en termes de transfert public. Il y aura, peut-être, de petites choses à caractère plus de charité que de développement, opérées directement entre je ne sais quelle organisation et les bénéficiaires éventuels. La situation, dans ce contexte, devrait, finalement, continuer à s’aggraver. C’est très préoccupant.
Parce que nous sommes très fragiles et très pauvres. Si la situation se perpétue, si l’horizon demeure bouché, si les gens continuent à s’appauvrir, ce serait certainement une source – pour ne pas dire un torrent – en tout cas, un terreau fertile à tous les extrémismes.
Ce qui aggraverait, bien évidemment et hélas, l’insécurité intérieure et les menaces extérieures. Tout est lié. Je crois qu’il faut en prendre conscience. Maintenant et vite.
Propos recueillis par Ahmed Ould Cheikh
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(1) : Le Calame a décidé de ne plus utiliser le nom d’Israël, qui appartient au doux prophète Yakub – Paix et Salut sur Lui – pour désigner l’entité ségrégationniste et génocidaire qui martyrise la Palestine, où vécurent, en leur temps, Ibrahim, Isaac et Yakub-Israël – Paix et Salut sur Eux – en paix avec tous. Les sionistes se prétendent les champions de la rhétorique : il est temps de leur démontrer leur erreur…
Aussi avons-nous remplacé, dans les propos d’Ahmed Ould Daddah, l’expression d’Israël, politiquement «consacrée», mais tout à fait fautive, autant d’un point de vue religieux que d’un point de vue humaniste, par celui de [Sionie], entre crochets, pour signaler notre intervention. En espérant que tous nos lecteurs et lectrices s’approprient et vulgarisent notre initiative, amine.
Le Calame
Source: cridem