
Anndude neddo buri heddade ko halata, littéralement, mieux vaut connaître quelqu’un qu’écouter ce qu’il dit, affirme le dicton pulaar. Il exhorte à la vigilance, à aller voir le fond des choses plutôt que de se contenter de leur surface souvent attrayante parce que mielleuse ; il nous met en garde et à l’abri des mômeries, minauderies et fanfaronnades du premier venu, et des déconvenues auxquelles elles donnent inéluctablement lieu.
On ne peut s’empêcher d’y penser, ce dicton ; quand on voit comment s’est terminée la réunion tenue le mercredi 11 mars 2009 au palais des congrès, à Nouakchott. Réunion censée être le point d’orgue de la médiation du Guide de la révolution libyenne et président de l’UA. Ouverte en la présence des protagonistes de la crise politico-institutionnelle, elle s’est achevée en queue de poisson, parce que boudée à juste titre par le FNDD, acteur incontournable de la crise, pour protester contre le parti pris du colonel Kadhafi qui affirma sans sourciller qu’il fallait « oublier le passé et participer aux élections du 6 juion 2009... ».
Par cette affirmation, le masque du médiateur tombe. Et pour cause, n’est pas médiateur qui veut, on ne le devient pas du jour au lendemain ; surtout quand on se nomme Kadhafi, et qu’on traîne un passé comme le sien ; Kadhafi qui, naguère, déversait des avanies sur la Mauritanie... Mais cela, la classe politique mauritanienne, du moins celle résolument opposée au putsch, était censée le savoir. Sans doute. À entendre Mohamed ould Maouloud, président de l’UFP, qui dit que tant que les indélicatesses de Kadhafi, impropres au statut de médiateur, étaient maintenues dans le domaine des rencontres privées, faire avec se pouvait... Oui, puisque le fonctionnement de l’UA, et sans doute le principe d’une présidence tournante, avait placé à sa tête le Colonel Kadhafi. Cela intervenant au moment même où la Mauritanie se débat dans une crise politique inédite née d’un coup d’État, nul doute l’un des derniers en Mauritanie et en Afrique, où l’UA (à distinguer de son président) cherche courageusement à rendre à jamais impossible toute tentation de putsch sur le contient. La conjonction de ces facteurs désignait naturellement le colonel Kadhafi comme médiateur, presque attitré. Si la classe politique ne pouvait que s’en accommoder autant par courtoisie que par volonté de trouver une solution apaisée et respectueuse de la légalité des institutions démocratiques, sauf à être naïve, elle ne pouvait s’attendre à autre chose qu’à la médiocre comédie à laquelle le Guide libyen leur a fait assister le 11 mars 2009 à Nouakchott, et dont il détient jalousement le secret.
Quand le médiateur cesse de s’inscrire dans une démarche de médiation et qu’il prend parti, la (ou les) partie en conflit est en droit de rejeter la médiation, parce qu’elle n’en est plus une. C’est ce que fit le FNDD en quittant la salle où Kadhafi discourait dans le cadre de sa médiation. Hommage leur soit rendu pour leur courage, leur discernement, leur dignité. La volonté d’œuvrer à trouver une solution juste, pacifique, pour le bien de la démocratie en Mauritanie, pour la stabilité et le développement du pays ne doit pas conduire à s’aplatir devant n’importe qui, n’importe quoi. Il faut savoir dire non quand il n’y a pas autre chose à faire ou à dire que ça. Et il y a espoir pour le pays si dans sa classe politique de l’intérieur (du pays) émergent des hommes et des femmes qui savent et osent dirent non plutôt que de se laisser bercer par des intérêts individualistes, égoïstes, mercantilistes. Il y a bien espoir quand sur le front intérieur apparaissent des hommes et des femmes qui s’investissent pour résoudre les problèmes brûlants du pays pour que ceux qui ont subi des années durant le martyre dans leur chair et dans leur sang recouvrent leurs droits et voient les injustices dont ils ont été victimes réparées, plutôt que de faire de ces injustices un tremplin pour se remplir les poches au prix d’une courtisanerie et d’une servilité sans borne aux Princes du moment.
Cela, doivent le bien méditer ceux qui en ce moment rivalisent d’ardeur et se démènent en remuant ciel et terre pour clore le dossier passif humanitaire via « une proposition du règlement du passif humanitaire ». Pour l’Histoire. Pour la dignité, tout court.
Redécouvrez le Colonel Kadhafi (redécouvrez, car nous Mauritaniens connaissons bien bien des aspects de la personnalité du colonel) à travers quelques extraits de la Deuxième chronique du règne de Nicolas Ier, sous la plume à la fois savoureuse, acerbe, pimentée... de Patrick Rambaud.
Boye Alassane Harouna
Le 12 mars 2009
b[“Facéties attribuées à Mouammar le Cruel.[1]” ]b
“Les jours qui précédèrent aussitôt l’an 2008 méritent une sorte de panorama, parce qu’ils servirent de fondement à une suite de faits considérables. En hiver survint une calamité qui s’abattit droit sur Notre Foudroyant Monarque, et il faut ici détailler cette plaie dès son origine pour ne point rester sots. A l’époque vivait dans le désert de Libye un calife redoutable de la tribu des Kadhafa ; on le connaissait partout sous le nom de Mouammar le Cruel. Grand au dessus du commun, le teint jaunâtre, empâté des joues et parfaitement mal rasé, le museau flétri d’un rocker de Liverpool, avec l’air bédouin au possible dans son burnous en laine de chameau, il possédait un don particulier d’intrigues, de souterrains et de ressources de toute espèce. Quarante années plus tôt, il avait profité de l’absence du vieux roi Idriss, qui prenait les eaux chez les turcs, pour lui dérober sa place, son pays, son or, son pétrole et son gaz. Désormais enivré de sa dignité, Mouammar se fit tout seul colonel, puis il voulut réunir autour de sa personne le peuple entier des Arabes pour le mener, mais les autres chefs lui tournèrent le dos, alors regardant vers le Sud, il essaya de ramasser sous sa gandoura de belle facture les potentats de l’Afrique, mais ils esquivèrent prestement ses caresses : « Passe ton chemin, Bédouin, tu ne nous inspires nulle confiance ! » Le colonel s’était à l’instant exalté ; lui qui espérait imiter le Pharaon Nasser, un dieu, il vit soudain son rêve s’émietter : [...] Dès lors, Mouammar se consacra au désordre, il figura le Mal, ses manières piquaient, insultaient même, il devint aussi fin à nuire qu’à se faire des ennemis ; son commerce sembla insupportable par son autorité brutale, ses humeurs, sa malice, avec un air de supériorité qui faisait vomir et révoltait en même temps.
Le sobriquet de Cruel était justifié par ses actes.
Mouammar se plaisait à aider tout ce que les États comptaient de furieux et de névrosés graves ; il distribua des missiles, des bombes et des conseils pour exploser les aéronefs en vol, capturer les paquebots de plaisance, mieux abordables que des torpilleurs, et mieux rentables pour qui voulait en tirer une rançon ; il enseigna à trafiquer les otages, à les torturer, à les monnayer, parce qu’il possédait la vendetta dans le sang. Les moins étonnés par cette fougue avaient été les habitants Vezzani où courait une légende [...] mais un jour vint où, fatigué de la détestation universelle, il décida de devenir respectable pour se faire admettre parmi les peuples éclairés. Ce fut ainsi qu’il relâcha des infirmières bulgares cuites à petit feu pendant des années, et il en fit profiter Notre Prince Lumineux, arrivé toutefois bon dernier dans les âpres négociations, mais qui en tira tout le fruit, ce que nous avons raconté par le menu dans le Premier Livre de cette chronique. Pour remercier le calife de Tripoli de lui avoir permis un éclat dont elle tira gloire, Sa Généreuse Majesté l’avait invité en visite officielle à Paris afin qu’il brillât à son tour aux yeux de l’univers, et qu’on pût le fréquenter ouvertement sans honte. Hélas, l’initiative peu réfléchie s’avéra fâcheuse pour Notre Rapide Monarque ; il n’avait jamais su mesurer les conséquences des décisions qu’il prenait à la va-vite sans consulter quiconque.
Mouammar débarqua un lundi de décembre avec une flotte automobile et trois cents courtisans de sa suite, dont un bataillon d’amazones joufflues en tenues léopard. Il rangea devant le perron du Château son interminable limousine blanche aux vitres blindées, et ce blindage soulignait son rang, cela seulement, puisque aucun despote n’a jamais été tué par balle à l’intérieur de sa voiture, et puisqu’une bombe bien posée n’a que faire de cette protection, comme le démontra en son temps l’attentat réussi contre l’amiral Carrero Blanco, dans la Madrid policée de M. Franco [...] Cette digression sur le blindage, considéré comme un signe extérieur d’importance, entend signaler ici que chaque détail comptait pour Mouammar le Cruel, et que chaque détail relevait d’une esbroufe maîtrisée, d’une imagination vaste, fertile, déréglée, poussée par une audace effrénée.
Dès le premier moment qu’il fut sur notre sol, il trouva le moyen d’être plus voyant, plus remuant, plus histrion que Notre Electrique Souverain. Sous le prétexte qu’il emmenait partout ses coutumes avec lui, il exigea qu’on plantât sa gigantesque tente beige dans un jardin en face du Château, quand lui allait loger à l’hôtel Marigny dans une suite façon Louis XVI. Pire ! c’était à l’époque où les escouades de la maréchaussée traquaient les tentes que les sans-logis avaient essaimées dans la ville pour ne pas mourir gelés. [...]
Pendant une semaine entière, Mouammar s’imposa chez nous en touriste... [...] Le mardi il se rendit en cortège à l’Assemblée et rencontra dans un salon une vingtaine de représentants triés, puis il fila à l’hôtel Ritz pour plastronner devant des intellectuels dont on ne sut pas les noms [...] il leur parla de Jésus, lança des imprécations contre l’Amérique et signa son recueil de poèmes. Le même soir il était à l’Unesco dans un amphithéâtre bondé ; s’il eut droit à l’ardente ovation d’une foule en boubous colorés, c’était que la plupart de ses enthousiastes avaient été amenés en car d’un foyer de la Sonacotra, embauchés pour la claque et moyennant salaire. Mouammar relança le lendemain son offensive en exigeant in extremis une promenade sur la seine ; notre préfecture dut fermer tous les ponts pour laisser flotter en dessous le lent bateau-mouche requis, parce que des malséants auraient pu, depuis le parapet, jeter un vilain crachat mouillé ou un bâton de dynamite sur le chapeau traditionnel de Bédouin. Il y eut d’autres embarras, des avenues interdites, des sirènes, des policiers fébriles quand le Grand Gêneur visita le musée du Louvre au pas de charge ; la Venus de Milo lui parut bien abîmée. Il fallut ensuite satisfaire de nouvelles lubies, organiser une chasse royale à Rambouillet, dont Mouammar profita peu : il manqua à bout portant les trois lapins malades et le faisan empaillé que des rabatteurs costumés en buissons lui envoyèrent dans les jambes. A Versailles, qu’on vida pour lui de ses visiteurs ordinaires, qui ne furent point remboursés de leurs tickets, il posa en doudoune fourrée et chapka devant le trône de Louis XIV, et, dit-on, la phrase en arabe qu’il calligraphia bellement sur le Livre d’or, une fois traduite, révéla une bordée d’insultes saignantes et divers jurons.
Au long de cette épouvantable semaine, le Bédouin obtint partout la une des gazettes... Mouammar évoqua la condition tragique des femmes d’Occident, et lorsque le sournois consentit à prononcer l’expression de droits de l’homme, ce fut pour demander si les immigrés, chez nous, étaient respectés ou menottés. [...]”
--------------------------------------------------------------------------------
[1]Patrick RAMBAUD de l’académie Goncourt, Deuxième chronique du règne de Nicolas Ier. Éditions Grasset, 2008. Chapitre premier. P.13, 14, 15, 16, 17, 21, 23.
On ne peut s’empêcher d’y penser, ce dicton ; quand on voit comment s’est terminée la réunion tenue le mercredi 11 mars 2009 au palais des congrès, à Nouakchott. Réunion censée être le point d’orgue de la médiation du Guide de la révolution libyenne et président de l’UA. Ouverte en la présence des protagonistes de la crise politico-institutionnelle, elle s’est achevée en queue de poisson, parce que boudée à juste titre par le FNDD, acteur incontournable de la crise, pour protester contre le parti pris du colonel Kadhafi qui affirma sans sourciller qu’il fallait « oublier le passé et participer aux élections du 6 juion 2009... ».
Par cette affirmation, le masque du médiateur tombe. Et pour cause, n’est pas médiateur qui veut, on ne le devient pas du jour au lendemain ; surtout quand on se nomme Kadhafi, et qu’on traîne un passé comme le sien ; Kadhafi qui, naguère, déversait des avanies sur la Mauritanie... Mais cela, la classe politique mauritanienne, du moins celle résolument opposée au putsch, était censée le savoir. Sans doute. À entendre Mohamed ould Maouloud, président de l’UFP, qui dit que tant que les indélicatesses de Kadhafi, impropres au statut de médiateur, étaient maintenues dans le domaine des rencontres privées, faire avec se pouvait... Oui, puisque le fonctionnement de l’UA, et sans doute le principe d’une présidence tournante, avait placé à sa tête le Colonel Kadhafi. Cela intervenant au moment même où la Mauritanie se débat dans une crise politique inédite née d’un coup d’État, nul doute l’un des derniers en Mauritanie et en Afrique, où l’UA (à distinguer de son président) cherche courageusement à rendre à jamais impossible toute tentation de putsch sur le contient. La conjonction de ces facteurs désignait naturellement le colonel Kadhafi comme médiateur, presque attitré. Si la classe politique ne pouvait que s’en accommoder autant par courtoisie que par volonté de trouver une solution apaisée et respectueuse de la légalité des institutions démocratiques, sauf à être naïve, elle ne pouvait s’attendre à autre chose qu’à la médiocre comédie à laquelle le Guide libyen leur a fait assister le 11 mars 2009 à Nouakchott, et dont il détient jalousement le secret.
Quand le médiateur cesse de s’inscrire dans une démarche de médiation et qu’il prend parti, la (ou les) partie en conflit est en droit de rejeter la médiation, parce qu’elle n’en est plus une. C’est ce que fit le FNDD en quittant la salle où Kadhafi discourait dans le cadre de sa médiation. Hommage leur soit rendu pour leur courage, leur discernement, leur dignité. La volonté d’œuvrer à trouver une solution juste, pacifique, pour le bien de la démocratie en Mauritanie, pour la stabilité et le développement du pays ne doit pas conduire à s’aplatir devant n’importe qui, n’importe quoi. Il faut savoir dire non quand il n’y a pas autre chose à faire ou à dire que ça. Et il y a espoir pour le pays si dans sa classe politique de l’intérieur (du pays) émergent des hommes et des femmes qui savent et osent dirent non plutôt que de se laisser bercer par des intérêts individualistes, égoïstes, mercantilistes. Il y a bien espoir quand sur le front intérieur apparaissent des hommes et des femmes qui s’investissent pour résoudre les problèmes brûlants du pays pour que ceux qui ont subi des années durant le martyre dans leur chair et dans leur sang recouvrent leurs droits et voient les injustices dont ils ont été victimes réparées, plutôt que de faire de ces injustices un tremplin pour se remplir les poches au prix d’une courtisanerie et d’une servilité sans borne aux Princes du moment.
Cela, doivent le bien méditer ceux qui en ce moment rivalisent d’ardeur et se démènent en remuant ciel et terre pour clore le dossier passif humanitaire via « une proposition du règlement du passif humanitaire ». Pour l’Histoire. Pour la dignité, tout court.
Redécouvrez le Colonel Kadhafi (redécouvrez, car nous Mauritaniens connaissons bien bien des aspects de la personnalité du colonel) à travers quelques extraits de la Deuxième chronique du règne de Nicolas Ier, sous la plume à la fois savoureuse, acerbe, pimentée... de Patrick Rambaud.
Boye Alassane Harouna
Le 12 mars 2009
b[“Facéties attribuées à Mouammar le Cruel.[1]” ]b
“Les jours qui précédèrent aussitôt l’an 2008 méritent une sorte de panorama, parce qu’ils servirent de fondement à une suite de faits considérables. En hiver survint une calamité qui s’abattit droit sur Notre Foudroyant Monarque, et il faut ici détailler cette plaie dès son origine pour ne point rester sots. A l’époque vivait dans le désert de Libye un calife redoutable de la tribu des Kadhafa ; on le connaissait partout sous le nom de Mouammar le Cruel. Grand au dessus du commun, le teint jaunâtre, empâté des joues et parfaitement mal rasé, le museau flétri d’un rocker de Liverpool, avec l’air bédouin au possible dans son burnous en laine de chameau, il possédait un don particulier d’intrigues, de souterrains et de ressources de toute espèce. Quarante années plus tôt, il avait profité de l’absence du vieux roi Idriss, qui prenait les eaux chez les turcs, pour lui dérober sa place, son pays, son or, son pétrole et son gaz. Désormais enivré de sa dignité, Mouammar se fit tout seul colonel, puis il voulut réunir autour de sa personne le peuple entier des Arabes pour le mener, mais les autres chefs lui tournèrent le dos, alors regardant vers le Sud, il essaya de ramasser sous sa gandoura de belle facture les potentats de l’Afrique, mais ils esquivèrent prestement ses caresses : « Passe ton chemin, Bédouin, tu ne nous inspires nulle confiance ! » Le colonel s’était à l’instant exalté ; lui qui espérait imiter le Pharaon Nasser, un dieu, il vit soudain son rêve s’émietter : [...] Dès lors, Mouammar se consacra au désordre, il figura le Mal, ses manières piquaient, insultaient même, il devint aussi fin à nuire qu’à se faire des ennemis ; son commerce sembla insupportable par son autorité brutale, ses humeurs, sa malice, avec un air de supériorité qui faisait vomir et révoltait en même temps.
Le sobriquet de Cruel était justifié par ses actes.
Mouammar se plaisait à aider tout ce que les États comptaient de furieux et de névrosés graves ; il distribua des missiles, des bombes et des conseils pour exploser les aéronefs en vol, capturer les paquebots de plaisance, mieux abordables que des torpilleurs, et mieux rentables pour qui voulait en tirer une rançon ; il enseigna à trafiquer les otages, à les torturer, à les monnayer, parce qu’il possédait la vendetta dans le sang. Les moins étonnés par cette fougue avaient été les habitants Vezzani où courait une légende [...] mais un jour vint où, fatigué de la détestation universelle, il décida de devenir respectable pour se faire admettre parmi les peuples éclairés. Ce fut ainsi qu’il relâcha des infirmières bulgares cuites à petit feu pendant des années, et il en fit profiter Notre Prince Lumineux, arrivé toutefois bon dernier dans les âpres négociations, mais qui en tira tout le fruit, ce que nous avons raconté par le menu dans le Premier Livre de cette chronique. Pour remercier le calife de Tripoli de lui avoir permis un éclat dont elle tira gloire, Sa Généreuse Majesté l’avait invité en visite officielle à Paris afin qu’il brillât à son tour aux yeux de l’univers, et qu’on pût le fréquenter ouvertement sans honte. Hélas, l’initiative peu réfléchie s’avéra fâcheuse pour Notre Rapide Monarque ; il n’avait jamais su mesurer les conséquences des décisions qu’il prenait à la va-vite sans consulter quiconque.
Mouammar débarqua un lundi de décembre avec une flotte automobile et trois cents courtisans de sa suite, dont un bataillon d’amazones joufflues en tenues léopard. Il rangea devant le perron du Château son interminable limousine blanche aux vitres blindées, et ce blindage soulignait son rang, cela seulement, puisque aucun despote n’a jamais été tué par balle à l’intérieur de sa voiture, et puisqu’une bombe bien posée n’a que faire de cette protection, comme le démontra en son temps l’attentat réussi contre l’amiral Carrero Blanco, dans la Madrid policée de M. Franco [...] Cette digression sur le blindage, considéré comme un signe extérieur d’importance, entend signaler ici que chaque détail comptait pour Mouammar le Cruel, et que chaque détail relevait d’une esbroufe maîtrisée, d’une imagination vaste, fertile, déréglée, poussée par une audace effrénée.
Dès le premier moment qu’il fut sur notre sol, il trouva le moyen d’être plus voyant, plus remuant, plus histrion que Notre Electrique Souverain. Sous le prétexte qu’il emmenait partout ses coutumes avec lui, il exigea qu’on plantât sa gigantesque tente beige dans un jardin en face du Château, quand lui allait loger à l’hôtel Marigny dans une suite façon Louis XVI. Pire ! c’était à l’époque où les escouades de la maréchaussée traquaient les tentes que les sans-logis avaient essaimées dans la ville pour ne pas mourir gelés. [...]
Pendant une semaine entière, Mouammar s’imposa chez nous en touriste... [...] Le mardi il se rendit en cortège à l’Assemblée et rencontra dans un salon une vingtaine de représentants triés, puis il fila à l’hôtel Ritz pour plastronner devant des intellectuels dont on ne sut pas les noms [...] il leur parla de Jésus, lança des imprécations contre l’Amérique et signa son recueil de poèmes. Le même soir il était à l’Unesco dans un amphithéâtre bondé ; s’il eut droit à l’ardente ovation d’une foule en boubous colorés, c’était que la plupart de ses enthousiastes avaient été amenés en car d’un foyer de la Sonacotra, embauchés pour la claque et moyennant salaire. Mouammar relança le lendemain son offensive en exigeant in extremis une promenade sur la seine ; notre préfecture dut fermer tous les ponts pour laisser flotter en dessous le lent bateau-mouche requis, parce que des malséants auraient pu, depuis le parapet, jeter un vilain crachat mouillé ou un bâton de dynamite sur le chapeau traditionnel de Bédouin. Il y eut d’autres embarras, des avenues interdites, des sirènes, des policiers fébriles quand le Grand Gêneur visita le musée du Louvre au pas de charge ; la Venus de Milo lui parut bien abîmée. Il fallut ensuite satisfaire de nouvelles lubies, organiser une chasse royale à Rambouillet, dont Mouammar profita peu : il manqua à bout portant les trois lapins malades et le faisan empaillé que des rabatteurs costumés en buissons lui envoyèrent dans les jambes. A Versailles, qu’on vida pour lui de ses visiteurs ordinaires, qui ne furent point remboursés de leurs tickets, il posa en doudoune fourrée et chapka devant le trône de Louis XIV, et, dit-on, la phrase en arabe qu’il calligraphia bellement sur le Livre d’or, une fois traduite, révéla une bordée d’insultes saignantes et divers jurons.
Au long de cette épouvantable semaine, le Bédouin obtint partout la une des gazettes... Mouammar évoqua la condition tragique des femmes d’Occident, et lorsque le sournois consentit à prononcer l’expression de droits de l’homme, ce fut pour demander si les immigrés, chez nous, étaient respectés ou menottés. [...]”
--------------------------------------------------------------------------------
[1]Patrick RAMBAUD de l’académie Goncourt, Deuxième chronique du règne de Nicolas Ier. Éditions Grasset, 2008. Chapitre premier. P.13, 14, 15, 16, 17, 21, 23.