
Un nouveau contingent d’anciens réfugiés arrive ce mercredi à Rosso. Une nouvelle joue pour l’Agence Nationale d’Appui et de Réinsertion des Réfugiés (ANAIR). A la tête de l’organisation depuis la mi-août, l’ancien ministre de l’Artisanat et du Tourisme Bâ Madine donne l’éclairage qu’il faut sur les opérations de l’Agence.
Dévoué et mu par la volonté d’accomplir sa tâche, malgré les innombrables défis, il vient d’effectuer une tournée de cinq jours au Sénégal. Objectif : refaire l’état des lieux et préparer les prochaines arrivées.
Ingénieur en Electronique, université de Toulouse en France, Bâ Madine est originaire de Garack dans le Trarza. Professeur d’électronique au lycée technique de Nouakchott, il devient chargé de la coordination des travaux de la commission d’élaboration des programmes d’Enseignement technique, puis Chef de service de l’Enseignement technique et de la formation professionnelle, au Ministère de la Fonction Publique.
En 1999, il s’en va à Nouadhibou où il devient directeur du Lycée de formation technique. Au bout de six ans, il passe Directeur Régional maritime de Dakhalet Nouadhibou. Il ne quittera cette fonction, en avril 2007, que pour intégrer le 1er gouvernement de Zeine Ould Zeidane, comme ministre de l’Artisanat et du Tourisme.
Remercié, en juin 2008, il connaît une courte traversée du désert. Puisque, le 6 août, la junte nouvellement installée fait de lui le directeur de l’ANAIR. Depuis, pas de répit. Alors qu’il vient de boucler une visite de 5 jours, du 10 au 15 octobre, dans les camps de réfugiés au Sénégal, Bâ Madine est chaque semaine, presque, sur les sites du Trarza et du Brakna. Il reçoit ce mercredi une vingtaine de nouvelles familles qui seront installées sur le site Rosso-Lycée.
Avec lui, l’ANAIR multiplie les actions. L’opération Ramadan : une occasion qui avait permis d’offrir aux réfugiés débarqués au Trarza et au Brakna des denrées de premières nécessités, sucre, thé, dattes. Les boutiques communautaires sur les sites : le geste permet aux femmes en particulier de mener des activités génératrices de revenus. Enfin, la fête pour tous : l’opération se déroule à la veille de la fin du mois béni de ramadan.
Elle permet à chaque famille de sentir la joie sous son toit. Alors que tous les enfants des réfugiés, de 1 à 17 ans, sont habillés, les 1200 familles bénéficient de mil, du riz et de denrées tels que le sucre, le thé, etc. En plus du fait que chaque groupe de 15 à 20 foyers ait partagé un bœuf.
Sans langue de bois, l’homme plein de volonté, nous a reçus à son domicile ce week-end. Après son périple sénégalais. S’il déplore qu’on ait raté, avec la campagne agricole l’occasion de réinsérer les réfugiés-agriculteurs, le directeur de l’agence veut qu’on s’atèle aux défis : « faire que ceux qui sont déjà là ne regrettent pas leur décision. Qu’ils soient par conséquent mis dans les conditions idoines ».
Un élan qui permettra d’entamer, dans la sérénité, les prochains retours au Gorgol et au Guidimakha des réfugiés en provenance du Sénégal Oriental et du Mali. Mais s’il évite la polémique, sur ce sujet délicat qui n’emporte pas, quoi qu’on dise, l’adhésion de tous, Bâ Madine souligne à qui veut l’entendre que « la question des réfugiés est avant tout celle d’un drame à corriger. C’est l’humain qui a été blessé, c’est l’humain qu’il faudra soigner ». Tout comme il lève le tabou sur les sources de financement de l’ANAIR.
Al Mourabit : Où en êtes-vous, avec l’installation des réfugiés ?
Bâ Madine : Elle se poursuit. Nous avons déjà 5000 ex-réfugiés, de retour sur le sol mauritanien. Mais il n’y a pas de quoi s’enorgueillir, pour l’instant. Car si les revenus avaient marqué leur disponibilité à regagner le territoire national, les promesses qui leur avaient été faites n’ont pas été exécutées. Du coup, depuis leur arrivée, ils sont dans des conditions de précarités blessantes, inadmissibles. Pour commencer, l’habitat.
Les espaces dans lesquels ils ont été installés sont loin d’être adaptés. Ce sont des bâches offertes par le Haut Commissariat aux Réfugiés, HCR. C’est une matière, en plus d’être légère donc résistant peu aux grands vents, reste une immense caisse de chaleur. Dès que le soleil apparaît, on ne fait plus la différence entre le fait qu’on soit à l’intérieur ou à l’extérieur ! On y étouffe donc.
Puis, la réinsertion. Peu de projets ont été pensés, en concret. Nous travaillons, en ce moment, à des études plus adaptées. Certaines ont été entamées. D’autres sont en cours de réalisation. Le principal objectif est d’améliorer, d’une manière sensible, la situation de ceux qui sont déjà là : l’habitat, l’eau, l’école pour les élèves à scolariser… Et tout cela grâce à la volonté déterminée du président du Haut Conseil d’Etat, chef de l’Etat, le général Mohamed Ould Abdel Aziz.
Une volonté qu’il a tenu à marquer, et exprimer fortement dès sa prise du pouvoir le 6 août. Et il n’a de cesse rappelé que l’unité de la nation mauritanienne passe par la réintégration de tous les fils de la République. En posant cet élan, il fait appel à tous ceux qui sont hors de la nation qui peuvent regagner celle-ci et participer à sa construction. C’est pourquoi nous aussi, de notre côté, ne ménageons aucun effort pour aider à la réalisation de cet élan de patriotisme affiché.
Vous rentrez d’un périple au Sénégal. Quelle était votre mission ?
Ce voyage succède aux autres déjà effectués, et qui prouve mon désir d’avoir toujours une idée plus précise de la situation globale des réfugiés. Les problèmes auxquels ils sont confrontés. Tant en ce qui concerne ceux qui sont sur le sol national, que ceux qui sont candidats au retour, ou projettent de le faire.
Au cours de cette mission, j’ai été dans divers camps de réfugiés où vivent depuis vingt ans certains de nos compatriotes. J’ai tenu des réunions sur les camps de Ndioum et de Dagana, tous dans la région du fleuve. Tous les représentants des camps, ainsi que les membres du comité directeur ont pris une part active à ces réunions particulièrement instructives. En leur renouvelant l’engagement des plus hautes autorités du pays à poursuivre le rapatriement des réfugiés mauritaniens au Sénégal et au Mali, je les ai surtout rassuré sur l’amélioration des conditions de retour et d’insertion.
Toutes les réunions ont été tenues en présence du sous-préfet de Podor, Mouhamedou Wade, de Nsona Vela Do Nascimento, administrateur principal chargé du rapatriement au HCR, de Penda N’Diaye, assistante au HCR, Codé Cissé, directeur du Projet OFADEC à Richard Toll et de Yaye Fatou Niang, assistante à l’OFADEC. Autant dire que nous avons pris les précautions nécessaires pour associer tous les intéressés.
Pensez-vous avoir été bien compris ?
J’ose espérer que oui. Puisque partout nous avons croisé des oreilles attentives. Je souligne au passage, qu’avant ces réunions, j’ai rencontré à Saint-Louis le même jour de mon arrivée, à la Gouvernance, Madame Seynabou Gueye, administrateur civil adjoint au gouverneur chargé des affaires administratives, assurant l'intérim du gouverneur absent. Je lui ai transmis les remerciements des autorités et du peuple mauritanien, pour toute l’aide oh combien importante apportée à nos compatriotes refugiés au Sénégal au cours de ces vingt dernières années.
Je me suis ensuite rendu à Dakar où, en compagnie de l’ambassadeur, son excellence Mohamed Vall Ould Bellal dont il faut sincèrement saluer l’exceptionnel travail qu’il mène tant auprès des réfugiés que des autorités sénégalaises, j’ai rencontré différentes autorités sénégalaises de hauts niveaux et proches du dossier. J’ai eu des séances également avec les représentants sous-régionaux du HCR.
Il se dégage de tout ça, que tout le monde est aujourd’hui dans les meilleures dispositions à nous aider dans l’accomplissement de cette tache qui n’a que trop attendu.
Et les réfugiés ?
Bien sûr que ces derniers, qui sont l’objet même de toutes ces démarches, ont été impliqués de bout en bout. En plus de ceux rencontrés sur les camps, j’ai tenu une réunion, très instructive, avec leurs représentants à Dakar et à Thiès. La rencontre a eu lieu dans les locaux même de notre ambassade à Dakar. Ce qui prouve que, malgré la distance physique, les deux parties, les réfugiés et les autorités mauritaniennes, n’ont jamais rompu les liens. On y lit surtout le souci que représente la réussite de ce programme pour notre pays. C’est la voie, pour lui, de l’unité et de la réconciliation des cœurs. Une ambition pour laquelle nous devons tous œuvrer.
Donc, mes collaborateurs et moi, rentrons très satisfaits de ce périple au Sénégal. Que les autorités de ce pays trouvent ici notre gratitude. D’autant plus que cela m’a permis de mesurer encore une fois l’exceptionnelle profondeur des relations qui unissent nos deux pays.
Vous pensez que de nouvelles étapes décisives peuvent commencer ?
J’en ai la profonde conviction, compte tenu de l’élan positif des différents acteurs et de la volonté politique clairement affichée.
Deux questions récurrentes, tout de même, dans cette réinstallation : les terres de culture et les pièces d’état civil. Quelles mesures préconisez-vous ?
Précisions pour commencer que ce problème d’état civil est antérieur au 6 août. Quand bien même l’Accord Tripartite ; Sénégal, Mauritanie, HCR, stipule que les actes doivent être délivrés dans les trois mois qui suivent l’arrivée du réfugié. Et pourtant d’aucuns sont là depuis plus de 8 mois, et n’ont encore reçu aucune pièce d’état civil !
Voilà pourquoi nous sommes régulièrement interpellés... Tant au niveau des sites d’accueil, en Mauritanie, que dans les camps des candidats au retour. Nous comprenons du reste la demande, puisqu’il est difficile de se déplacer, sans cette pièce, à cause des contrôles de routines des services d’ordre. Choses du reste similaires à tous les citoyens. Il importe, donc, d’y remédier dès l’arrivée du réfugié. Disons, qu’à l’heure actuelle, les autorités conscientes de cette nécessité y travaillent à divers échelons.
S’agissant des terres de culture, cela procède de diverses manières. J’ai longuement discuté avec le wali du Trarza. Et nous sommes entrain de parachever un dispositif qui permettra non seulement à ceux qui sont déjà rentrés de disposer de terres et de parcelles à exploiter, mais aussi d’anticiper sur les prochains… retours
Il convient de souligner que, lorsque que nous sommes dans des choses aussi complexes que les mobiles ayant conduit à la situation actuelle, les solutions doivent être étudiées sur plusieurs axes. Avant tout, se demander ce que dit la loi ? Cette approche, à mon sens, est rigide et n’ouvre pas souvent la porte à des négociations fructueuses. La deuxième approche : quelles solutions pour le problème qui se pose ?
Là, on échappe aux radicalités, puisque les champs apparaissent plus libres et flexibles. Ce qui permet d’avancer vers une solution réfléchie, et de consensus. Donc pas une solution des uns contre les autres. C’est vers ça que nous devons tendre, pour éviter les affrontements entre ceux qui se sentent dépossédés de leurs terres et ceux qui en étaient attributaires. En optant pour cette stratégie, nous pourrons trouver des formes de compensations, ici et là. En mettant tout le monde à l’aise.
Inutile de dire que l’Etat mauritanien pourrait manquer de tout, sauf de terres. Autrement dit, il serait absurde de se braquer sur… Non, il est possible de mettre tout le monde dans un droit de propriété. Alors, puisque la volonté est là, trouvant la voie du dialogue et évitons ce qui ne fera ni nous grandir ni cultiver la cohésion entre nos peuples. J’invite les uns et les autres à éviter les spéculations.
Vous semblez mu par une forte conviction…
La conviction, il faut l’avoir. Je suis simplement surpris, par les tournures qu’on voudrait donner aux choses. Alors que le chef de l’Etat lui-même a donné le signal fort pour leurs résolutions. Sans aucune ambiguïté dans le discours. Et dernièrement cela a été renforcé, j’allais dire réitéré, par le Commissaire aux Droit de l’homme, à l’Action Humanitaire et à la Société Civile. Mr Mohamed Lemine Ould Dadde, s’est déplacé en personne avec nous au Trarza et au Brakna. Les volontés sont donc là. Il me paraît donc important de donner la chance aux approches qui tirent vers le haut, et non à celles qui crispent.
Cela dit, les mesures sur lesquelles nous travaillons, mes équipes et moi, vont permettre de repenser l’arrivée des prochaines vagues. Celles-ci pourront s’installer le plus rapidement possible. Autrement dit, nous espérons profiter des erreurs ou des manquements du passé. Pour que chaque réfugié trouve dès qu’il débarque un abri et une terre de culture. Partant, l’accompagnement ne pourra pas durer.
Pourquoi ?
Puisqu’une fois qu’il aura procédé à sa première récolte, sa réinsertion est faite ! Les parcelles aménagées, les terres d’exploitation constituent en elles-mêmes de grandes richesses. La réinsertion devient, presque à 90%, effective. Un agriculteur, et même un éleveur ne demande pas mieux qu’une terre.
Quand allez-vous envisager le retour des réfugiés se trouvant dans le Sénégal Oriental et au Mali, et devant arriver dans les régions du Guidimakha et du Gorgol ?
C’était, en partie, l’objet de la mission que je viens d’effectuer au Sénégal. Donc les choses sont en route. La commission nationale d’identification poursuit son travail. Une fois l’état des lieux clôturés, nous enchaînerons avec la suite des opérations. Ce mercredi 22 octobre un groupe d’une vingtaine de familles regagne notre pays sur le site Rosso-Lycée. Le HCR a déjà identifié les conditions d’accueil sur la base d’une mission Go&See, effectuée la semaine dernière.
Mais de manière plus durable, l’urgence est de s’atteler à la meilleure installation de ceux qui sont déjà là. Et une meilleure préparation de l’arrivée de tous les autres candidats au retour. Et ce n’est pas rien, puisque avec l’hivernage nous avons mesuré et observé l’état dans lequel se trouvaient certaines familles. Les bâches déchirées, beaucoup demeuraient les pieds dans l’eau pendant et après des pluies. En affrontant l’hivernage de ceux qui sont au Trarza et au Brakna, nous réfléchissons par deux fois avant d’engager les populations devant arriver dans les régions argileuses que vous citez. Nous ne voudrons pas prendre le risque d’installer des gens qui vont se retrouver isolés.
Il n’y a pas que l’isolement. Il y a aussi l’eau, la santé, la scolarisation des enfants… La liste des besoins est longue, s’il fait l’énumérer ! Mais aujourd’hui sur plusieurs sites des mécanismes ont été trouvés. Pour des adductions d’eau, des bornes-fontaines, des groupes électrogènes, des palliatifs pour des mesures de santé, la scolarisation des enfants amplement entamée. Le tout à la limite de nos moyens.
Venir à bout de toutes ces questions demande des fonds. Et la polémique n’est jamais loin : qui vous finance ?
L’Anair vit, d’abord et avant tout, de ce que lui alloue l’Etat mauritanien. Puis arrive, ou devrait arriver en second lieu, le soutien de partenaires. Bonnes volontés, par-ci, par-là. Mais tout cela relève de vœux…
Mais…
Je vous voir venir. Au jour d’aujourd’hui, au moment où je vous parle, seul l’Etat reste notre pourvoyeur. En dehors de lui, seul son Excellence le président du Gabon, El Haj Omar Bongo, a donné 500 000 dollars à l’Organisation. Pour le reste, je n’entre pas dans les polémiques, notre comptabilité est là. Ouverte à qui veut venir vérifier... Certes beaucoup de gens, et d’Institutions, avaient annoncé leurs soutiens à l’entreprise, à la grande opération. On a affiché la volonté, voire les discours. Mais, nous n’avons rien vu de concret !
Pas même de la part du HCR, le Haut commissariat aux réfugiés ?
Vous pouvez aller leur demander ! Une fois de plus, notre comptabilité est là… Qu’ils vous disent ce qui est passé de leurs caisses aux nôtres. Ce que je dis, là, n’est nullement une quelle con que animosité. Ni de querelle. J’apporte juste un éclairage. On nous a souvent apostrophés sur le sujet. Il s’agit donc de tirer les choses au clair. Cela dit le HCR reste, pour nous, un partenaire incontournable. Les réfugiés c’est quand même son domaine d’intervention.
Vous n’allez donc pas les bouder ?
Pas du tout ! Nous les avons relancés. Eux, comme d’autres. Puisque nous avons hâte de sortir les réfugiés de retour des conditions de précarités dans lesquelles ils sont plongés. Nous tenterons donc d’exhorter les uns et les autres à respecter leurs engagements. Cela dit, j’ai tout dernièrement eu deux réunions très instructives avec la représentante du HCR en Mauritanie, Mme Anne-Marie Deutschlander-Roggia. Et nous avons convenu, dans un souci d’efficacité et d’efficience de nos actions, de mettre en place une coordination et de nous retrouver tous les 15 jours pour des évaluations de nos activités sur le terrain.
Je souligne, au passage, que certains partenaires ne nous donnent pas à nous directement leurs aides mais passent par le HCR. Donc c’est ce dernier qui gère et administre les fonds, selon ses propres critères. Nous ne sommes donc que la troisième, voire la quatrième main du décaissement ! [Rire].
Je termine en disant que le HCR avait pris l’engagement de construire un local et des sanitaires à chaque famille de réfugié. A ce jour, seules 150 pièces ont été construites par rapport aux besoins des 1200 familles. Faites le calcul…
Le sujet des réfugiés, est-ce une question politique ou relève-t-il de l’humanitaire ?
Peut-être tout cela à la fois. Sauf que, à mon sens, elle devrait relever d’abord, et d’avantage, d’une préoccupation nationale. Puisqu’il s’agit d’un drame humain, de gens qui ont été déracinés de chez eux, de leur Patrie. De gens ayant subi une injustice, avant d’être dépossédés de ce qu’on a de plus cher, sa nationalité. Les terres, ça arrive après. Il s’agit donc, en ce qui les concerne, d’un redressement de tord. Sans entrer dans le détail des mobiles...
Ensuite, il s’agit d’un problème de retour de citoyens qui, suivant divers épisodes, ont été éloignés de leur pays. Dans ce droit au retour doit s’opérer un sursaut de solidarité nationale. Dans cet élan, c’est l’Etat qui devrait donner le ton. C’est ce qui a été fait. Le chef de l’Etat, le général Mohamed Ould Abdel Aziz poursuit l’œuvre entamée par d’autres, mais en l’améliorant considérablement. Avec lui, on le voit, on a privilégié les actes et non la parole. C’est pourquoi, avec lucidité, il en a tracé les contours et l’ordre d’exécution.
Voilà pourquoi il a fallu faire l’état des lieux, ensuite œuvrer à améliorer les conditions de vie dans les sites, rassurer les personnes revenues qu’elles sont bien chez elles. C’est seulement à la mesure de ce succès que nous pourrons tendre à d’autres la perche. Ceux qui sont encore de l’autre côté, et semblent, pour certains, hésiter.
Cette volonté affichée de l’Etat, par le biais de son chef, doit être une source de motivation. Pour tous. Il revient dès lors aux acteurs sur le terrain d’aider à la résolution des cas les plus saillants. Par ce biais, ils faciliteront la réinsertion des ex-réfugiés. C’est la mission que je suis chargé d’exécuter. Et celle-ci surpasse les questions politiques.
Mon souhait est, par conséquent, qu’on ne politise pas le sort de ces compatriotes. Qu’on fasse parler nos cœurs, et non des alignements électoralistes. Je le dis d’autant plus que j’ai été extrêmement choqué lors de ma première visite dans les sites. J’ai été blessé par l’extrême précarité dans laquelle se trouvaient ces compatriotes. Et très honnêtement [il marque un temps d’arrêt, tourne la tête et affiche une mine de tristesse], mon impression était qu’ils étaient réfugiés au Sénégal, ils l’étaient de nouveau voire plus dans leur propre pays.
A ce point ?
Sans condescendance aucune… La faute, sans nul doute, au fait qu’on n’ait pas pris les dispositions nécessaires. Qu’on ne se soit pas suffisamment engagé pour leur installation. Et comme le malheur ne vient jamais seul, l’hivernage est venu ajouter une couche à leur peine à cause des eaux sur leurs fragiles toitures.
Si d’aucuns imploraient le ciel, pour la pluie, dans les sites à chaque fois qu’on sentait l’orage c’est l’inquiétude qui envahissait les familles. Chacune se demandant comment elle allait passer la nuit. En observant, et en écoutant les témoignages des uns et des autres, j’ai été très touché. Devenant même compatissant devant certains qui étaient là depuis le 29 janvier et continuaient à attendre l’exécution des promesses.
Permettez que je souligne que nous avons raté une formidable opportunité avec le démarrage de la campagne agricole ! Eh oui, puisque l’agriculture demande avant tout des bras. Et la plupart de ceux qui sont revenus sont soit des agricultures, avant leur départ, soit ils le sont devenus par la force des choses avec la quête de la survie en terre étrangère.
Mais comment allaient-ils prendre part, à cette campagne, alors qu’ils n’avaient même pas retrouvé leurs terres ! Cultiver sur des champs…d’autrui ?
Votre constat est juste, lorsqu’il s’articule sous l’angle de la propriété. Mais combien de terres y a-t-il, autant au Trarza qu’au Brakna ? La Mauritanie ne manque pas de terres ! Pour moi, on a simplement manqué de lecture, voire d’idées. On a été chercher loin des exploitants, alors qu’on en avait à portée de main ! Car voilà des personnes qui n’auraient aucunement rechigné à se rendre dans les champs.
Nous sommes donc passés à côté d’une occasion en or, pour insérer le maximum de ces réfugiés. Par le même exercice, c’est toute la nation qui aurait été flattée de réussir sa campagne en montrant la réinsertion de gens dans le réel besoin.
Vous avez voulu vous rattraper par d’autres actions.
Nous rattraper, non ! Puisque nous n’étions pas là. Moi, je veux dire. Je dirai, simplement, que nous avons tiré les leçons des manques du terrain. Et il suffit souvent de petits gestes, pour adoucir les cœurs. Voilà pourquoi, à la veille de la fête, nous avions voulu que les sites ressemblent à nos familles à tous. A deux jours de ce moment festif, nous avons été les voir, pour leur offrir de quoi. Grâce à ces gestes, les gens ont passé la fête selon leurs us et coutumes. Dans l’effervescence. En la circonstance, la portée était plus que symbolique. Car ces compatriotes, revenus au pays, revivaient pour la première fois l’événement chez eux.
Avec les boutiques communautaires, l’attention accordée aux enfants par le biais de petits cadeaux, nous améliorons d’une manière substantielle le bienêtre de ces populations. Actes encourageants pour leur réinsertion dans le tissu social. En attendant la réalisation de plus grands chantiers pour eux.
Par qui sont menées ces opérations ?
L’opération ramadan, les boutiques communautaires et la fête de korité sont essentiellement des initiatives de l’Agence Nationale d’Appui et de Réinsertion des Réfugiés. Donc ce sont des opérations exclusives de l’ANAIR qui en assume toute la finance. Pour les actions futures, je l’ai souligné, nous avons relancé nos partenaires. On verra.
Propos recueillis par Bios Diallo
Al Mourabit N°14 du 20 octobre 2008
Dévoué et mu par la volonté d’accomplir sa tâche, malgré les innombrables défis, il vient d’effectuer une tournée de cinq jours au Sénégal. Objectif : refaire l’état des lieux et préparer les prochaines arrivées.
Ingénieur en Electronique, université de Toulouse en France, Bâ Madine est originaire de Garack dans le Trarza. Professeur d’électronique au lycée technique de Nouakchott, il devient chargé de la coordination des travaux de la commission d’élaboration des programmes d’Enseignement technique, puis Chef de service de l’Enseignement technique et de la formation professionnelle, au Ministère de la Fonction Publique.
En 1999, il s’en va à Nouadhibou où il devient directeur du Lycée de formation technique. Au bout de six ans, il passe Directeur Régional maritime de Dakhalet Nouadhibou. Il ne quittera cette fonction, en avril 2007, que pour intégrer le 1er gouvernement de Zeine Ould Zeidane, comme ministre de l’Artisanat et du Tourisme.
Remercié, en juin 2008, il connaît une courte traversée du désert. Puisque, le 6 août, la junte nouvellement installée fait de lui le directeur de l’ANAIR. Depuis, pas de répit. Alors qu’il vient de boucler une visite de 5 jours, du 10 au 15 octobre, dans les camps de réfugiés au Sénégal, Bâ Madine est chaque semaine, presque, sur les sites du Trarza et du Brakna. Il reçoit ce mercredi une vingtaine de nouvelles familles qui seront installées sur le site Rosso-Lycée.
Avec lui, l’ANAIR multiplie les actions. L’opération Ramadan : une occasion qui avait permis d’offrir aux réfugiés débarqués au Trarza et au Brakna des denrées de premières nécessités, sucre, thé, dattes. Les boutiques communautaires sur les sites : le geste permet aux femmes en particulier de mener des activités génératrices de revenus. Enfin, la fête pour tous : l’opération se déroule à la veille de la fin du mois béni de ramadan.
Elle permet à chaque famille de sentir la joie sous son toit. Alors que tous les enfants des réfugiés, de 1 à 17 ans, sont habillés, les 1200 familles bénéficient de mil, du riz et de denrées tels que le sucre, le thé, etc. En plus du fait que chaque groupe de 15 à 20 foyers ait partagé un bœuf.
Sans langue de bois, l’homme plein de volonté, nous a reçus à son domicile ce week-end. Après son périple sénégalais. S’il déplore qu’on ait raté, avec la campagne agricole l’occasion de réinsérer les réfugiés-agriculteurs, le directeur de l’agence veut qu’on s’atèle aux défis : « faire que ceux qui sont déjà là ne regrettent pas leur décision. Qu’ils soient par conséquent mis dans les conditions idoines ».
Un élan qui permettra d’entamer, dans la sérénité, les prochains retours au Gorgol et au Guidimakha des réfugiés en provenance du Sénégal Oriental et du Mali. Mais s’il évite la polémique, sur ce sujet délicat qui n’emporte pas, quoi qu’on dise, l’adhésion de tous, Bâ Madine souligne à qui veut l’entendre que « la question des réfugiés est avant tout celle d’un drame à corriger. C’est l’humain qui a été blessé, c’est l’humain qu’il faudra soigner ». Tout comme il lève le tabou sur les sources de financement de l’ANAIR.
Al Mourabit : Où en êtes-vous, avec l’installation des réfugiés ?
Bâ Madine : Elle se poursuit. Nous avons déjà 5000 ex-réfugiés, de retour sur le sol mauritanien. Mais il n’y a pas de quoi s’enorgueillir, pour l’instant. Car si les revenus avaient marqué leur disponibilité à regagner le territoire national, les promesses qui leur avaient été faites n’ont pas été exécutées. Du coup, depuis leur arrivée, ils sont dans des conditions de précarités blessantes, inadmissibles. Pour commencer, l’habitat.
Les espaces dans lesquels ils ont été installés sont loin d’être adaptés. Ce sont des bâches offertes par le Haut Commissariat aux Réfugiés, HCR. C’est une matière, en plus d’être légère donc résistant peu aux grands vents, reste une immense caisse de chaleur. Dès que le soleil apparaît, on ne fait plus la différence entre le fait qu’on soit à l’intérieur ou à l’extérieur ! On y étouffe donc.
Puis, la réinsertion. Peu de projets ont été pensés, en concret. Nous travaillons, en ce moment, à des études plus adaptées. Certaines ont été entamées. D’autres sont en cours de réalisation. Le principal objectif est d’améliorer, d’une manière sensible, la situation de ceux qui sont déjà là : l’habitat, l’eau, l’école pour les élèves à scolariser… Et tout cela grâce à la volonté déterminée du président du Haut Conseil d’Etat, chef de l’Etat, le général Mohamed Ould Abdel Aziz.
Une volonté qu’il a tenu à marquer, et exprimer fortement dès sa prise du pouvoir le 6 août. Et il n’a de cesse rappelé que l’unité de la nation mauritanienne passe par la réintégration de tous les fils de la République. En posant cet élan, il fait appel à tous ceux qui sont hors de la nation qui peuvent regagner celle-ci et participer à sa construction. C’est pourquoi nous aussi, de notre côté, ne ménageons aucun effort pour aider à la réalisation de cet élan de patriotisme affiché.
Vous rentrez d’un périple au Sénégal. Quelle était votre mission ?
Ce voyage succède aux autres déjà effectués, et qui prouve mon désir d’avoir toujours une idée plus précise de la situation globale des réfugiés. Les problèmes auxquels ils sont confrontés. Tant en ce qui concerne ceux qui sont sur le sol national, que ceux qui sont candidats au retour, ou projettent de le faire.
Au cours de cette mission, j’ai été dans divers camps de réfugiés où vivent depuis vingt ans certains de nos compatriotes. J’ai tenu des réunions sur les camps de Ndioum et de Dagana, tous dans la région du fleuve. Tous les représentants des camps, ainsi que les membres du comité directeur ont pris une part active à ces réunions particulièrement instructives. En leur renouvelant l’engagement des plus hautes autorités du pays à poursuivre le rapatriement des réfugiés mauritaniens au Sénégal et au Mali, je les ai surtout rassuré sur l’amélioration des conditions de retour et d’insertion.
Toutes les réunions ont été tenues en présence du sous-préfet de Podor, Mouhamedou Wade, de Nsona Vela Do Nascimento, administrateur principal chargé du rapatriement au HCR, de Penda N’Diaye, assistante au HCR, Codé Cissé, directeur du Projet OFADEC à Richard Toll et de Yaye Fatou Niang, assistante à l’OFADEC. Autant dire que nous avons pris les précautions nécessaires pour associer tous les intéressés.
Pensez-vous avoir été bien compris ?
J’ose espérer que oui. Puisque partout nous avons croisé des oreilles attentives. Je souligne au passage, qu’avant ces réunions, j’ai rencontré à Saint-Louis le même jour de mon arrivée, à la Gouvernance, Madame Seynabou Gueye, administrateur civil adjoint au gouverneur chargé des affaires administratives, assurant l'intérim du gouverneur absent. Je lui ai transmis les remerciements des autorités et du peuple mauritanien, pour toute l’aide oh combien importante apportée à nos compatriotes refugiés au Sénégal au cours de ces vingt dernières années.
Je me suis ensuite rendu à Dakar où, en compagnie de l’ambassadeur, son excellence Mohamed Vall Ould Bellal dont il faut sincèrement saluer l’exceptionnel travail qu’il mène tant auprès des réfugiés que des autorités sénégalaises, j’ai rencontré différentes autorités sénégalaises de hauts niveaux et proches du dossier. J’ai eu des séances également avec les représentants sous-régionaux du HCR.
Il se dégage de tout ça, que tout le monde est aujourd’hui dans les meilleures dispositions à nous aider dans l’accomplissement de cette tache qui n’a que trop attendu.
Et les réfugiés ?
Bien sûr que ces derniers, qui sont l’objet même de toutes ces démarches, ont été impliqués de bout en bout. En plus de ceux rencontrés sur les camps, j’ai tenu une réunion, très instructive, avec leurs représentants à Dakar et à Thiès. La rencontre a eu lieu dans les locaux même de notre ambassade à Dakar. Ce qui prouve que, malgré la distance physique, les deux parties, les réfugiés et les autorités mauritaniennes, n’ont jamais rompu les liens. On y lit surtout le souci que représente la réussite de ce programme pour notre pays. C’est la voie, pour lui, de l’unité et de la réconciliation des cœurs. Une ambition pour laquelle nous devons tous œuvrer.
Donc, mes collaborateurs et moi, rentrons très satisfaits de ce périple au Sénégal. Que les autorités de ce pays trouvent ici notre gratitude. D’autant plus que cela m’a permis de mesurer encore une fois l’exceptionnelle profondeur des relations qui unissent nos deux pays.
Vous pensez que de nouvelles étapes décisives peuvent commencer ?
J’en ai la profonde conviction, compte tenu de l’élan positif des différents acteurs et de la volonté politique clairement affichée.
Deux questions récurrentes, tout de même, dans cette réinstallation : les terres de culture et les pièces d’état civil. Quelles mesures préconisez-vous ?
Précisions pour commencer que ce problème d’état civil est antérieur au 6 août. Quand bien même l’Accord Tripartite ; Sénégal, Mauritanie, HCR, stipule que les actes doivent être délivrés dans les trois mois qui suivent l’arrivée du réfugié. Et pourtant d’aucuns sont là depuis plus de 8 mois, et n’ont encore reçu aucune pièce d’état civil !
Voilà pourquoi nous sommes régulièrement interpellés... Tant au niveau des sites d’accueil, en Mauritanie, que dans les camps des candidats au retour. Nous comprenons du reste la demande, puisqu’il est difficile de se déplacer, sans cette pièce, à cause des contrôles de routines des services d’ordre. Choses du reste similaires à tous les citoyens. Il importe, donc, d’y remédier dès l’arrivée du réfugié. Disons, qu’à l’heure actuelle, les autorités conscientes de cette nécessité y travaillent à divers échelons.
S’agissant des terres de culture, cela procède de diverses manières. J’ai longuement discuté avec le wali du Trarza. Et nous sommes entrain de parachever un dispositif qui permettra non seulement à ceux qui sont déjà rentrés de disposer de terres et de parcelles à exploiter, mais aussi d’anticiper sur les prochains… retours
Il convient de souligner que, lorsque que nous sommes dans des choses aussi complexes que les mobiles ayant conduit à la situation actuelle, les solutions doivent être étudiées sur plusieurs axes. Avant tout, se demander ce que dit la loi ? Cette approche, à mon sens, est rigide et n’ouvre pas souvent la porte à des négociations fructueuses. La deuxième approche : quelles solutions pour le problème qui se pose ?
Là, on échappe aux radicalités, puisque les champs apparaissent plus libres et flexibles. Ce qui permet d’avancer vers une solution réfléchie, et de consensus. Donc pas une solution des uns contre les autres. C’est vers ça que nous devons tendre, pour éviter les affrontements entre ceux qui se sentent dépossédés de leurs terres et ceux qui en étaient attributaires. En optant pour cette stratégie, nous pourrons trouver des formes de compensations, ici et là. En mettant tout le monde à l’aise.
Inutile de dire que l’Etat mauritanien pourrait manquer de tout, sauf de terres. Autrement dit, il serait absurde de se braquer sur… Non, il est possible de mettre tout le monde dans un droit de propriété. Alors, puisque la volonté est là, trouvant la voie du dialogue et évitons ce qui ne fera ni nous grandir ni cultiver la cohésion entre nos peuples. J’invite les uns et les autres à éviter les spéculations.
Vous semblez mu par une forte conviction…
La conviction, il faut l’avoir. Je suis simplement surpris, par les tournures qu’on voudrait donner aux choses. Alors que le chef de l’Etat lui-même a donné le signal fort pour leurs résolutions. Sans aucune ambiguïté dans le discours. Et dernièrement cela a été renforcé, j’allais dire réitéré, par le Commissaire aux Droit de l’homme, à l’Action Humanitaire et à la Société Civile. Mr Mohamed Lemine Ould Dadde, s’est déplacé en personne avec nous au Trarza et au Brakna. Les volontés sont donc là. Il me paraît donc important de donner la chance aux approches qui tirent vers le haut, et non à celles qui crispent.
Cela dit, les mesures sur lesquelles nous travaillons, mes équipes et moi, vont permettre de repenser l’arrivée des prochaines vagues. Celles-ci pourront s’installer le plus rapidement possible. Autrement dit, nous espérons profiter des erreurs ou des manquements du passé. Pour que chaque réfugié trouve dès qu’il débarque un abri et une terre de culture. Partant, l’accompagnement ne pourra pas durer.
Pourquoi ?
Puisqu’une fois qu’il aura procédé à sa première récolte, sa réinsertion est faite ! Les parcelles aménagées, les terres d’exploitation constituent en elles-mêmes de grandes richesses. La réinsertion devient, presque à 90%, effective. Un agriculteur, et même un éleveur ne demande pas mieux qu’une terre.
Quand allez-vous envisager le retour des réfugiés se trouvant dans le Sénégal Oriental et au Mali, et devant arriver dans les régions du Guidimakha et du Gorgol ?
C’était, en partie, l’objet de la mission que je viens d’effectuer au Sénégal. Donc les choses sont en route. La commission nationale d’identification poursuit son travail. Une fois l’état des lieux clôturés, nous enchaînerons avec la suite des opérations. Ce mercredi 22 octobre un groupe d’une vingtaine de familles regagne notre pays sur le site Rosso-Lycée. Le HCR a déjà identifié les conditions d’accueil sur la base d’une mission Go&See, effectuée la semaine dernière.
Mais de manière plus durable, l’urgence est de s’atteler à la meilleure installation de ceux qui sont déjà là. Et une meilleure préparation de l’arrivée de tous les autres candidats au retour. Et ce n’est pas rien, puisque avec l’hivernage nous avons mesuré et observé l’état dans lequel se trouvaient certaines familles. Les bâches déchirées, beaucoup demeuraient les pieds dans l’eau pendant et après des pluies. En affrontant l’hivernage de ceux qui sont au Trarza et au Brakna, nous réfléchissons par deux fois avant d’engager les populations devant arriver dans les régions argileuses que vous citez. Nous ne voudrons pas prendre le risque d’installer des gens qui vont se retrouver isolés.
Il n’y a pas que l’isolement. Il y a aussi l’eau, la santé, la scolarisation des enfants… La liste des besoins est longue, s’il fait l’énumérer ! Mais aujourd’hui sur plusieurs sites des mécanismes ont été trouvés. Pour des adductions d’eau, des bornes-fontaines, des groupes électrogènes, des palliatifs pour des mesures de santé, la scolarisation des enfants amplement entamée. Le tout à la limite de nos moyens.
Venir à bout de toutes ces questions demande des fonds. Et la polémique n’est jamais loin : qui vous finance ?
L’Anair vit, d’abord et avant tout, de ce que lui alloue l’Etat mauritanien. Puis arrive, ou devrait arriver en second lieu, le soutien de partenaires. Bonnes volontés, par-ci, par-là. Mais tout cela relève de vœux…
Mais…
Je vous voir venir. Au jour d’aujourd’hui, au moment où je vous parle, seul l’Etat reste notre pourvoyeur. En dehors de lui, seul son Excellence le président du Gabon, El Haj Omar Bongo, a donné 500 000 dollars à l’Organisation. Pour le reste, je n’entre pas dans les polémiques, notre comptabilité est là. Ouverte à qui veut venir vérifier... Certes beaucoup de gens, et d’Institutions, avaient annoncé leurs soutiens à l’entreprise, à la grande opération. On a affiché la volonté, voire les discours. Mais, nous n’avons rien vu de concret !
Pas même de la part du HCR, le Haut commissariat aux réfugiés ?
Vous pouvez aller leur demander ! Une fois de plus, notre comptabilité est là… Qu’ils vous disent ce qui est passé de leurs caisses aux nôtres. Ce que je dis, là, n’est nullement une quelle con que animosité. Ni de querelle. J’apporte juste un éclairage. On nous a souvent apostrophés sur le sujet. Il s’agit donc de tirer les choses au clair. Cela dit le HCR reste, pour nous, un partenaire incontournable. Les réfugiés c’est quand même son domaine d’intervention.
Vous n’allez donc pas les bouder ?
Pas du tout ! Nous les avons relancés. Eux, comme d’autres. Puisque nous avons hâte de sortir les réfugiés de retour des conditions de précarités dans lesquelles ils sont plongés. Nous tenterons donc d’exhorter les uns et les autres à respecter leurs engagements. Cela dit, j’ai tout dernièrement eu deux réunions très instructives avec la représentante du HCR en Mauritanie, Mme Anne-Marie Deutschlander-Roggia. Et nous avons convenu, dans un souci d’efficacité et d’efficience de nos actions, de mettre en place une coordination et de nous retrouver tous les 15 jours pour des évaluations de nos activités sur le terrain.
Je souligne, au passage, que certains partenaires ne nous donnent pas à nous directement leurs aides mais passent par le HCR. Donc c’est ce dernier qui gère et administre les fonds, selon ses propres critères. Nous ne sommes donc que la troisième, voire la quatrième main du décaissement ! [Rire].
Je termine en disant que le HCR avait pris l’engagement de construire un local et des sanitaires à chaque famille de réfugié. A ce jour, seules 150 pièces ont été construites par rapport aux besoins des 1200 familles. Faites le calcul…
Le sujet des réfugiés, est-ce une question politique ou relève-t-il de l’humanitaire ?
Peut-être tout cela à la fois. Sauf que, à mon sens, elle devrait relever d’abord, et d’avantage, d’une préoccupation nationale. Puisqu’il s’agit d’un drame humain, de gens qui ont été déracinés de chez eux, de leur Patrie. De gens ayant subi une injustice, avant d’être dépossédés de ce qu’on a de plus cher, sa nationalité. Les terres, ça arrive après. Il s’agit donc, en ce qui les concerne, d’un redressement de tord. Sans entrer dans le détail des mobiles...
Ensuite, il s’agit d’un problème de retour de citoyens qui, suivant divers épisodes, ont été éloignés de leur pays. Dans ce droit au retour doit s’opérer un sursaut de solidarité nationale. Dans cet élan, c’est l’Etat qui devrait donner le ton. C’est ce qui a été fait. Le chef de l’Etat, le général Mohamed Ould Abdel Aziz poursuit l’œuvre entamée par d’autres, mais en l’améliorant considérablement. Avec lui, on le voit, on a privilégié les actes et non la parole. C’est pourquoi, avec lucidité, il en a tracé les contours et l’ordre d’exécution.
Voilà pourquoi il a fallu faire l’état des lieux, ensuite œuvrer à améliorer les conditions de vie dans les sites, rassurer les personnes revenues qu’elles sont bien chez elles. C’est seulement à la mesure de ce succès que nous pourrons tendre à d’autres la perche. Ceux qui sont encore de l’autre côté, et semblent, pour certains, hésiter.
Cette volonté affichée de l’Etat, par le biais de son chef, doit être une source de motivation. Pour tous. Il revient dès lors aux acteurs sur le terrain d’aider à la résolution des cas les plus saillants. Par ce biais, ils faciliteront la réinsertion des ex-réfugiés. C’est la mission que je suis chargé d’exécuter. Et celle-ci surpasse les questions politiques.
Mon souhait est, par conséquent, qu’on ne politise pas le sort de ces compatriotes. Qu’on fasse parler nos cœurs, et non des alignements électoralistes. Je le dis d’autant plus que j’ai été extrêmement choqué lors de ma première visite dans les sites. J’ai été blessé par l’extrême précarité dans laquelle se trouvaient ces compatriotes. Et très honnêtement [il marque un temps d’arrêt, tourne la tête et affiche une mine de tristesse], mon impression était qu’ils étaient réfugiés au Sénégal, ils l’étaient de nouveau voire plus dans leur propre pays.
A ce point ?
Sans condescendance aucune… La faute, sans nul doute, au fait qu’on n’ait pas pris les dispositions nécessaires. Qu’on ne se soit pas suffisamment engagé pour leur installation. Et comme le malheur ne vient jamais seul, l’hivernage est venu ajouter une couche à leur peine à cause des eaux sur leurs fragiles toitures.
Si d’aucuns imploraient le ciel, pour la pluie, dans les sites à chaque fois qu’on sentait l’orage c’est l’inquiétude qui envahissait les familles. Chacune se demandant comment elle allait passer la nuit. En observant, et en écoutant les témoignages des uns et des autres, j’ai été très touché. Devenant même compatissant devant certains qui étaient là depuis le 29 janvier et continuaient à attendre l’exécution des promesses.
Permettez que je souligne que nous avons raté une formidable opportunité avec le démarrage de la campagne agricole ! Eh oui, puisque l’agriculture demande avant tout des bras. Et la plupart de ceux qui sont revenus sont soit des agricultures, avant leur départ, soit ils le sont devenus par la force des choses avec la quête de la survie en terre étrangère.
Mais comment allaient-ils prendre part, à cette campagne, alors qu’ils n’avaient même pas retrouvé leurs terres ! Cultiver sur des champs…d’autrui ?
Votre constat est juste, lorsqu’il s’articule sous l’angle de la propriété. Mais combien de terres y a-t-il, autant au Trarza qu’au Brakna ? La Mauritanie ne manque pas de terres ! Pour moi, on a simplement manqué de lecture, voire d’idées. On a été chercher loin des exploitants, alors qu’on en avait à portée de main ! Car voilà des personnes qui n’auraient aucunement rechigné à se rendre dans les champs.
Nous sommes donc passés à côté d’une occasion en or, pour insérer le maximum de ces réfugiés. Par le même exercice, c’est toute la nation qui aurait été flattée de réussir sa campagne en montrant la réinsertion de gens dans le réel besoin.
Vous avez voulu vous rattraper par d’autres actions.
Nous rattraper, non ! Puisque nous n’étions pas là. Moi, je veux dire. Je dirai, simplement, que nous avons tiré les leçons des manques du terrain. Et il suffit souvent de petits gestes, pour adoucir les cœurs. Voilà pourquoi, à la veille de la fête, nous avions voulu que les sites ressemblent à nos familles à tous. A deux jours de ce moment festif, nous avons été les voir, pour leur offrir de quoi. Grâce à ces gestes, les gens ont passé la fête selon leurs us et coutumes. Dans l’effervescence. En la circonstance, la portée était plus que symbolique. Car ces compatriotes, revenus au pays, revivaient pour la première fois l’événement chez eux.
Avec les boutiques communautaires, l’attention accordée aux enfants par le biais de petits cadeaux, nous améliorons d’une manière substantielle le bienêtre de ces populations. Actes encourageants pour leur réinsertion dans le tissu social. En attendant la réalisation de plus grands chantiers pour eux.
Par qui sont menées ces opérations ?
L’opération ramadan, les boutiques communautaires et la fête de korité sont essentiellement des initiatives de l’Agence Nationale d’Appui et de Réinsertion des Réfugiés. Donc ce sont des opérations exclusives de l’ANAIR qui en assume toute la finance. Pour les actions futures, je l’ai souligné, nous avons relancé nos partenaires. On verra.
Propos recueillis par Bios Diallo
Al Mourabit N°14 du 20 octobre 2008