Les autorités guinéennes ont présenté le texte de la nouvelle Constitution rédigé par un comité d’experts, qui sera soumis au référendum en septembre. Mais les promesses d’avancées se heurtent à la gouvernance autoritaire en place.
Près de quatre ans après avoir pris le pouvoir en renversant l’ancien président Alpha Condé, en septembre 2021, Mamadi Doumbouya ouvre une séquence électorale cruciale. Attendu depuis des mois, le projet de nouvelle Constitution, rédigé par un comité d’experts, a été rendu public lundi 30 juin. Ce texte, qui doit marquer le retour à l’ordre constitutionnel, sera présenté aux Guinéens par référendum le 21 septembre. En cas de victoire du « oui », tout porte à croire qu’il ouvrira la route à une candidature à la présidentielle du général Mamadi Doumbouya, actuel président de la transition.
L’ancien légionnaire français s’était pourtant engagé à ne pas briguer la magistrature suprême. Quelques semaines après sa prise de pouvoir, la charte de la transition instaurait qu’aucun membre des organes de transition ne pourrait se présenter « ni aux élections nationales ni aux élections locales qui seront organisées pour marquer la fin de la transition ». Une interdiction qui ne figure plus dans le projet de nouvelle Constitution.
« La Guinée n’a pas de problème de Constitution mais de respect des textes de lois » s’indigne Alseny Sall, responsable de la communication de l’organisation guinéenne des droits de l’homme et du citoyen. La charte [de la transition] remplace la loi fondamentale depuis 2021. La non-candidature du général aurait dû figurer dans le nouveau projet. Le fait de l’avoir ignoré démontre que le pouvoir veut lui ouvrir un boulevard vers la présidence. »
Texte doté de 199 articles
Muet sur ses ambitions présidentielles, le général peut compter sur la mobilisation massive de ses partisans. Depuis plusieurs mois, ministres et préfets font campagne à travers le pays pour promouvoir sa candidature. « Nous souhaitons qu’il soit candidat car il est en train de changer le pays », défend Ousmane Gaoual Diallo, porte-parole du gouvernement et ministre des transports. « Si le peuple le réclame, il répondra à son appel. C’est ça être un soldat. »
Doté de 199 articles, qui ont été égrainés un à un durant 2 h 20 à la télévision nationale lundi, le texte validé par un comité d’experts indépendants composé de juristes, sociologues et politologues, abroge le mandat de cinq ans, instauré par la précédente Constitution au profit du septennat renouvelable une fois. Une modification qui avait pourtant été rejetée lors d’un vote à huis clos des membres du Conseil national de transition, en charge du projet.
Face à la presse, son président Dansa Kourouma, a avancé une logique budgétaire. « Dans un pays comme la Guinée où les institutions sont en construction, cinq ans c’est court pour dérouler un vrai programme de développement », a-t-il justifié. « Les élections coûtent de l’argent. Si vous prenez un mandat de cinq ans, en quinze ans, il y a trois élections. Un mandat de sept ans, c’est deux élections. Vous économisez une élection. Un budget élection, ce n’est pas moins de 500 milliards de francs guinéens [environ 49 milliards d’euros]. On fait le choix d’économiser une élection. » S’il est élu, l’allongement de la durée du mandat permettrait à Mamadi Doumbouya de se maintenir au pouvoir jusqu’en 2040.
En exil
Après le référendum, une présidentielle doit être organisée avant la fin de l’année a annoncé la junte, sans plus de précision sur la date du scrutin. S’il se présente, l’ancien chef des forces spéciales devenu président de la transition a toutes les chances de l’emporter face à un paysage politique qu’il a verrouillé. En juin, l’organisation des élections a été retirée à la commission électorale au profit de la direction générale des élections, placée sous la tutelle du ministère de l’administration.
En outre, le projet de Constitution exclut les principaux opposants. Selon le projet, tout candidat âgé de plus de 80 ans ou résidant hors du la Guinée est exclu de facto de la course électorale. L’ancien président Alpha Condé, 87 ans, en exil en Turquie, serait donc disqualifié – tout comme Cellou Dalein Diallo, le patron de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) et Sidya Touré, le leader de l’Union des forces républicaines (UFR), installés en Côte d’Ivoire depuis plusieurs années, par crainte d’être arrêtés.
En outre, le parti de M. Diallo, qui tente de s’organiser en l’absence de son président, pourrait ne pas être autorisé à présenter un autre candidat. Alors qu’un congrès est prévu le 6 juillet, le ministère de l’administration territoriale en a interdit la tenue. Les autorités réclament qu’auparavant un de ses anciens cadres, Ousmane Gaoual Diallo, l’actuel porte-parole du gouvernement, soit réintégré.
« Comment pouvions-nous garder en notre sein une personne qui défendait la ligne du gouvernement ? s’insurge Cellou Dalein Diallo. Le gouvernement nous a demandé d’organiser un congrès pour pouvoir concourir aux élections. Nous l’avons fait. Et à présent, on nous interdit de tenir le congrès. Il y a une volonté manifeste du pouvoir de m’éliminer et de dissoudre le parti », dénonce M. Diallo.
Chape de plomb sur les voix dissidentes
De son côté, le gouvernement de transition met en avant les dispositions innovantes du texte. La création d’une Haute Cour de justice pour juger les présidents et membres du gouvernement se veut une réponse contre l’impunité prégnante. Afin d’équilibrer les pouvoirs, un Sénat, dont le tiers des membres sera nommé par le président —, devrait aussi voir le jour. Tout comme l’obligation que 30 % des postes électifs soient occupés par des femmes afin de favoriser la parité.
Les promesses d’avancées se heurtent néanmoins à la gouvernance autoritaire du régime en place. En quatre ans, la presse a été réduite à peau de chagrin. Une chape de plomb plane également sur les voix dissidentes. Ces derniers mois, les enlèvements de personnalités publiques par des hommes en tenue militaire, se sont multipliés. Depuis un an, les activistes de la société civile Foniké Menguè et Billo Bah demeurent ainsi introuvables. Mises en cause par des témoins, les autorités nient être impliquées.
Coumba Kane
Source : Le Monde - (Le 04 juillet 2025)
Près de quatre ans après avoir pris le pouvoir en renversant l’ancien président Alpha Condé, en septembre 2021, Mamadi Doumbouya ouvre une séquence électorale cruciale. Attendu depuis des mois, le projet de nouvelle Constitution, rédigé par un comité d’experts, a été rendu public lundi 30 juin. Ce texte, qui doit marquer le retour à l’ordre constitutionnel, sera présenté aux Guinéens par référendum le 21 septembre. En cas de victoire du « oui », tout porte à croire qu’il ouvrira la route à une candidature à la présidentielle du général Mamadi Doumbouya, actuel président de la transition.
L’ancien légionnaire français s’était pourtant engagé à ne pas briguer la magistrature suprême. Quelques semaines après sa prise de pouvoir, la charte de la transition instaurait qu’aucun membre des organes de transition ne pourrait se présenter « ni aux élections nationales ni aux élections locales qui seront organisées pour marquer la fin de la transition ». Une interdiction qui ne figure plus dans le projet de nouvelle Constitution.
« La Guinée n’a pas de problème de Constitution mais de respect des textes de lois » s’indigne Alseny Sall, responsable de la communication de l’organisation guinéenne des droits de l’homme et du citoyen. La charte [de la transition] remplace la loi fondamentale depuis 2021. La non-candidature du général aurait dû figurer dans le nouveau projet. Le fait de l’avoir ignoré démontre que le pouvoir veut lui ouvrir un boulevard vers la présidence. »
Texte doté de 199 articles
Muet sur ses ambitions présidentielles, le général peut compter sur la mobilisation massive de ses partisans. Depuis plusieurs mois, ministres et préfets font campagne à travers le pays pour promouvoir sa candidature. « Nous souhaitons qu’il soit candidat car il est en train de changer le pays », défend Ousmane Gaoual Diallo, porte-parole du gouvernement et ministre des transports. « Si le peuple le réclame, il répondra à son appel. C’est ça être un soldat. »
Doté de 199 articles, qui ont été égrainés un à un durant 2 h 20 à la télévision nationale lundi, le texte validé par un comité d’experts indépendants composé de juristes, sociologues et politologues, abroge le mandat de cinq ans, instauré par la précédente Constitution au profit du septennat renouvelable une fois. Une modification qui avait pourtant été rejetée lors d’un vote à huis clos des membres du Conseil national de transition, en charge du projet.
Face à la presse, son président Dansa Kourouma, a avancé une logique budgétaire. « Dans un pays comme la Guinée où les institutions sont en construction, cinq ans c’est court pour dérouler un vrai programme de développement », a-t-il justifié. « Les élections coûtent de l’argent. Si vous prenez un mandat de cinq ans, en quinze ans, il y a trois élections. Un mandat de sept ans, c’est deux élections. Vous économisez une élection. Un budget élection, ce n’est pas moins de 500 milliards de francs guinéens [environ 49 milliards d’euros]. On fait le choix d’économiser une élection. » S’il est élu, l’allongement de la durée du mandat permettrait à Mamadi Doumbouya de se maintenir au pouvoir jusqu’en 2040.
En exil
Après le référendum, une présidentielle doit être organisée avant la fin de l’année a annoncé la junte, sans plus de précision sur la date du scrutin. S’il se présente, l’ancien chef des forces spéciales devenu président de la transition a toutes les chances de l’emporter face à un paysage politique qu’il a verrouillé. En juin, l’organisation des élections a été retirée à la commission électorale au profit de la direction générale des élections, placée sous la tutelle du ministère de l’administration.
En outre, le projet de Constitution exclut les principaux opposants. Selon le projet, tout candidat âgé de plus de 80 ans ou résidant hors du la Guinée est exclu de facto de la course électorale. L’ancien président Alpha Condé, 87 ans, en exil en Turquie, serait donc disqualifié – tout comme Cellou Dalein Diallo, le patron de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) et Sidya Touré, le leader de l’Union des forces républicaines (UFR), installés en Côte d’Ivoire depuis plusieurs années, par crainte d’être arrêtés.
En outre, le parti de M. Diallo, qui tente de s’organiser en l’absence de son président, pourrait ne pas être autorisé à présenter un autre candidat. Alors qu’un congrès est prévu le 6 juillet, le ministère de l’administration territoriale en a interdit la tenue. Les autorités réclament qu’auparavant un de ses anciens cadres, Ousmane Gaoual Diallo, l’actuel porte-parole du gouvernement, soit réintégré.
« Comment pouvions-nous garder en notre sein une personne qui défendait la ligne du gouvernement ? s’insurge Cellou Dalein Diallo. Le gouvernement nous a demandé d’organiser un congrès pour pouvoir concourir aux élections. Nous l’avons fait. Et à présent, on nous interdit de tenir le congrès. Il y a une volonté manifeste du pouvoir de m’éliminer et de dissoudre le parti », dénonce M. Diallo.
Chape de plomb sur les voix dissidentes
De son côté, le gouvernement de transition met en avant les dispositions innovantes du texte. La création d’une Haute Cour de justice pour juger les présidents et membres du gouvernement se veut une réponse contre l’impunité prégnante. Afin d’équilibrer les pouvoirs, un Sénat, dont le tiers des membres sera nommé par le président —, devrait aussi voir le jour. Tout comme l’obligation que 30 % des postes électifs soient occupés par des femmes afin de favoriser la parité.
Les promesses d’avancées se heurtent néanmoins à la gouvernance autoritaire du régime en place. En quatre ans, la presse a été réduite à peau de chagrin. Une chape de plomb plane également sur les voix dissidentes. Ces derniers mois, les enlèvements de personnalités publiques par des hommes en tenue militaire, se sont multipliés. Depuis un an, les activistes de la société civile Foniké Menguè et Billo Bah demeurent ainsi introuvables. Mises en cause par des témoins, les autorités nient être impliquées.
Coumba Kane
Source : Le Monde - (Le 04 juillet 2025)