La saveur d’un texte dépasse, parfois, son époque. L’extrait suivant des «Mauritanides» du 4 octobre 1993 – c’était le numéro 12 du Calame! – résonne fortement, en ces jours de tour d’ivoire azizienne… A toi, donc, Habib Ould Mahfoudh…
Les murs ont joué un rôle capital dans l'histoire. On n'exagérera pas en disant que l'histoire de l'Histoire se résume en un mur. Notre pays, cette chère Mauritanie, vient enfin d'avoir son mur. Nous pouvons finalement nous débarrasser de notre «a» infâmant.
La Mauritanie est devenue la Muritanie : le mur que construit Ould Taya autour de la Présidence - Résidence - de la République est en passe de s'achever.
Tout le monde connait l'importance de la «sécurité» pour le Président. Une obsession chez cet homme qui s'est fait construire un bunker sad¬damien dont, soit dit en passant, l'ascenseur était en panne la semaine passée, et qui a coûté une fortune joyeusement distribuée par le commandant Soumaré aux fournisseurs belges, bordelais et madrilènes.
L'affaire s'étant décidée entre quatre yeux et quatre murs, on n'a pu encore savoir le coût exact de ce bunker mais il est à craindre que nos trous de budget soient liés pour la plupart au trou cimenté de la Présidence. A chacun son trou, n'est-ce pas, qu'il comble, comme il peut, c'est la démoa¬wiyacratie. «Sécurité», donc, le Président le martèle à tous ses visiteurs, mauritaniens, étrangers : «le problème de l'Afrique est un problème de sécurité». De quoi le Président a-t-il peur?
Ce bunker, les gilets pare-balles qu'il porte tout le temps, ces caméras de surveil¬lance, cet Etat policier, un indic pour dix Mauritaniens, peut¬-être moins, le BAtaillon de la SEcurité Présidentielle (BA¬SEP), le Bataillon des Blindés (BB) dont les hommes se recrutent à Akjoujt et qui doivent impérativement être du Nord, et... le Mur... Pourquoi? Qu'est-ce qu'il a à se reprocher, le Président? Félicitons-le quand même, il nous a donné enfin un mur propre à nous, rien qu'à nous, que nous regardons de loin - et qui nous regardera - et que nous ne pourrons franchir.
Le Président Ould Taya, lors de son récent voyage en Chine, n'a pas voulu visiter la Grande Muraille. II ne pouvait peut-être plus souffrir la vue de ce super-mur à côté duquel le sien ferait figure de diguette myrmécéenne. Le mur des Chinois a 5000 kms de long, on a commencé à le construire trois siècles avant Jésus, on en a fini au XVIIème siècle après le même Jésus, et on peut l'observer de la lune par temps clair. Le mur d’Ould Taya fait un peu plus de 500 mètres de long pour un peu moins de 5 mètres de hauteur et, pour le voir de la lune, il faudrait attendre qu'on la décroche.
On a le mur qu'on, vous avez deviné, peut. Ou : montre-moi ton mur je te dirais qui tu es. Regardez le mur du Président. Vous saurez peut-être enfin qui est-il. Le Président a d'ailleurs une longue histoire avec les murs. François Soudan (in Le Marabout et le Colonel) nous raconte que, pensionnaire du Lycée de Rosso, le jeune Ould Taya, chaque soir que Dieu faisait (et Il en faisait beaucoup au Lycée de Rosso), faisait le mur pour aller voir un film en ville.
Les «internes» du Lycée de Rosso étant par nature désargentés, on peut aussi en déduire que le futur Président faisait aussi le mur pour accéder à la salle de projection en plein air. Au retour, il devait aussi se payer le mur du lycée, ce qui lui faisait un minimum de trois murs chaque nuit. Sans compter les murs d'incompréhension. L'autre mur auquel le Président eut affaire est celui du silence. Très tôt, paraît-il, l'adolescent timide allait se couper du monde en se taisant. Parvenu au faîte de l'Etat, il érigea le silence en système de gouvernement.
Un mur épais qui faisait de cet homme un éternel barricadé, un assiégé mental, toujours sur le qui-vive. Un homme mûr qui trimballe ses murs avec lui. Un homme-mur qui vit encore ses angoisses d'adolescent. A chaque fois qu'il a été au pied du mur, lorsqu'il lui fallait prendre ses responsabilités, Ould Taya a trouvé le moyen de se dérober. Il ne se décide que dos au mur, et le résultat est connu : une gestion au jour le jour, du mur au mur. […]
Merci, Habib, de nous donner, encore, à réfléchir sur la condition humaine des chefs, dont le pouvoir, sur la vie de leur peuple, est toujours mieux mesuré, quand il est convenablement bridé par de solides contre-pouvoirs…
Source: le calame via Cridem
Les murs ont joué un rôle capital dans l'histoire. On n'exagérera pas en disant que l'histoire de l'Histoire se résume en un mur. Notre pays, cette chère Mauritanie, vient enfin d'avoir son mur. Nous pouvons finalement nous débarrasser de notre «a» infâmant.
La Mauritanie est devenue la Muritanie : le mur que construit Ould Taya autour de la Présidence - Résidence - de la République est en passe de s'achever.
Tout le monde connait l'importance de la «sécurité» pour le Président. Une obsession chez cet homme qui s'est fait construire un bunker sad¬damien dont, soit dit en passant, l'ascenseur était en panne la semaine passée, et qui a coûté une fortune joyeusement distribuée par le commandant Soumaré aux fournisseurs belges, bordelais et madrilènes.
L'affaire s'étant décidée entre quatre yeux et quatre murs, on n'a pu encore savoir le coût exact de ce bunker mais il est à craindre que nos trous de budget soient liés pour la plupart au trou cimenté de la Présidence. A chacun son trou, n'est-ce pas, qu'il comble, comme il peut, c'est la démoa¬wiyacratie. «Sécurité», donc, le Président le martèle à tous ses visiteurs, mauritaniens, étrangers : «le problème de l'Afrique est un problème de sécurité». De quoi le Président a-t-il peur?
Ce bunker, les gilets pare-balles qu'il porte tout le temps, ces caméras de surveil¬lance, cet Etat policier, un indic pour dix Mauritaniens, peut¬-être moins, le BAtaillon de la SEcurité Présidentielle (BA¬SEP), le Bataillon des Blindés (BB) dont les hommes se recrutent à Akjoujt et qui doivent impérativement être du Nord, et... le Mur... Pourquoi? Qu'est-ce qu'il a à se reprocher, le Président? Félicitons-le quand même, il nous a donné enfin un mur propre à nous, rien qu'à nous, que nous regardons de loin - et qui nous regardera - et que nous ne pourrons franchir.
Le Président Ould Taya, lors de son récent voyage en Chine, n'a pas voulu visiter la Grande Muraille. II ne pouvait peut-être plus souffrir la vue de ce super-mur à côté duquel le sien ferait figure de diguette myrmécéenne. Le mur des Chinois a 5000 kms de long, on a commencé à le construire trois siècles avant Jésus, on en a fini au XVIIème siècle après le même Jésus, et on peut l'observer de la lune par temps clair. Le mur d’Ould Taya fait un peu plus de 500 mètres de long pour un peu moins de 5 mètres de hauteur et, pour le voir de la lune, il faudrait attendre qu'on la décroche.
On a le mur qu'on, vous avez deviné, peut. Ou : montre-moi ton mur je te dirais qui tu es. Regardez le mur du Président. Vous saurez peut-être enfin qui est-il. Le Président a d'ailleurs une longue histoire avec les murs. François Soudan (in Le Marabout et le Colonel) nous raconte que, pensionnaire du Lycée de Rosso, le jeune Ould Taya, chaque soir que Dieu faisait (et Il en faisait beaucoup au Lycée de Rosso), faisait le mur pour aller voir un film en ville.
Les «internes» du Lycée de Rosso étant par nature désargentés, on peut aussi en déduire que le futur Président faisait aussi le mur pour accéder à la salle de projection en plein air. Au retour, il devait aussi se payer le mur du lycée, ce qui lui faisait un minimum de trois murs chaque nuit. Sans compter les murs d'incompréhension. L'autre mur auquel le Président eut affaire est celui du silence. Très tôt, paraît-il, l'adolescent timide allait se couper du monde en se taisant. Parvenu au faîte de l'Etat, il érigea le silence en système de gouvernement.
Un mur épais qui faisait de cet homme un éternel barricadé, un assiégé mental, toujours sur le qui-vive. Un homme mûr qui trimballe ses murs avec lui. Un homme-mur qui vit encore ses angoisses d'adolescent. A chaque fois qu'il a été au pied du mur, lorsqu'il lui fallait prendre ses responsabilités, Ould Taya a trouvé le moyen de se dérober. Il ne se décide que dos au mur, et le résultat est connu : une gestion au jour le jour, du mur au mur. […]
Merci, Habib, de nous donner, encore, à réfléchir sur la condition humaine des chefs, dont le pouvoir, sur la vie de leur peuple, est toujours mieux mesuré, quand il est convenablement bridé par de solides contre-pouvoirs…
Source: le calame via Cridem