
D’après l’annonce qui en a été faite par radio Mauritanie et reprise par l’AFP, le 15 août 2008, les députés frondeurs (toutes tendances confondues)ont déposé une demande de convocation d’une session extraordinaire du Parlement, sur le même ordre du jour que celui qu’ils n’avaient pu imposer à l’exécutif pour cause d’irrecevabilité flagrante, à la veille du Coup d’Etat, à savoir essentiellement : la constitution de la Haute Cour de Justice et la création d’une « commission d’enquête » sénatoriale à propos de la Fondation FKB.
Ainsi, à défaut d’être vigilants sur les règles de procédure et les mécanismes institutionnels qui gèrent leurs relations avec les autres organes d’Etat d’après la constitution, les frondeurs prouvent qu’ils ont au moins de la suite dans les idées...fixes.
Leur précédente tentative avait juridiquement échoué sur un « détail » : ni le Premier, ni le second ni aucun des Vice-Présidents ne pourraient, en lieu et place du Président de l’Assemblée, déposer de demande de session extraordinaire auprès de l’exécutif, comme ils prétendaient pouvoir le faire à grand tapage médiatique. Le règlement de l’Assemblée impose qu’ils se plient à la « formalité » du dépôt par le Président de cette Chambre (en l’occurrence M. Messaoud Ould Boulkheir ) et seulement par lui, de toute demande de cette nature auprès du Gouvernement. La décision de ce dernier de déclarer irrecevable en la forme, leur demande insolite, après l’épisode de la « motion de censure-investiture », est aujourd’hui le seul et unique argument qu’avancent le régime militaire et les parlementaires qui les soutiennent lorsqu’ils évoquent, pour justifier le Coup d’Etat, « le blocage des institutions de la République ».
Aujourd’hui, comme tout le monde le constate, l’illégalité s’est aggravée au point d’atteindre son point de rupture absolue puisque c’est la constitution elle-même, dans son intégrité, c'est-à-dire le fondement même de notre régime politique, qui est ouvertement remis en cause avec la bénédiction de parlementaires qui, de la fronde au sein de leur propre camp, passent à l’allégeance pure et simple aux auteurs du Coup d’Etat, au détriment de la souveraineté nationale sur laquelle se fonde leur mandat.
Mais, leur nouvelle demande de session extraordinaire se heurte, cette fois-ci, non aux subtilités de la procédure réglementaire de leur Chambre mais au mur infranchissable de l’ordre constitutionnel consacré par notre peuple par suite du referendum non contesté du 25 juin 2006 et traduit par les élections législatives et présidentielles non moins incontestées suite auxquelles furent régulièrement installées toutes les autorités légitimes actuelles de notre République.
Il est d’une éclatante évidence que toute initiative entreprise dans le cadre des rapports au sein et entre les institutions de la République doit se fonder sur les prescriptions formelles de la Loi fondamentale du pays.
Outre le fait que la disposition qui impose de passer par le Président de l’Assemblée ( et non par l’un de ses vice-président comme c’est le cas dans cette énième demande irrecevable de session extraordinaire en violation flagrante de l’article 9 du règlement de cette Assemblée ) est toujours en vigueur, force est de constater qu’il ne peut y avoir de session extraordinaire que dans le cadre des rapports entre les institutions régulièrement élues et par l’intermédiaire du gouvernement légitime, c’est à dire choisi par le Président de la République démocratiquement élu par notre peuple souverain. C’est ce qu’impose la lecture de l’article 53 de la constitution qui précise que les sessions extraordinaires sont ouvertes et closes par un décret du Président de la République.
De quel « Président de la République » s’agit-il ? Il s’agit de celui dont l’article 26 de notre constitution dit qu’il « est élu pour cinq ans au suffrage universel direct » et qui a prêté le serment de l’article 29, devant le Conseil Constitutionnel, en présence du Bureau de l’Assemblée Nationale, du Bureau du Sénat, du Président de la Cour Suprême et du Président du Haut Conseil Islamique. Ce Président de la République, reconnu de surcroît, par la Communauté internationale dans son ensemble, c’est M. Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallah.
Il est vrai que depuis le 6 août 2008, un ordre constitutionnel nouveau, dissident, tente de s’imposer à la République. Un « Haut Conseil d’Etat », autoproclamé et composé d’un groupe d’officiers de haut rang, a décidé de prendre unilatéralement le pouvoir d’Etat, en s’emparant de la personne du Président et en substituant son autorité de fait, par la seule puissance de ses armes, à celle régulièrement établie par la voie des urnes.
Ce nouvel ordre constitutionnel dissident a pour fondement une «Ordonnance constitutionnelle » adoptée par ce « Haut Conseil d’Etat » en violation flagrante de la constitution. D’après cette « ordonnance constitutionnelle », ce sont « Les forces armées et de sécurité, par l’intermédiaire du Haut Conseil d’Etat (qui) ont mis fin au pouvoir du Président de la République ». Ce faisant, ces « Forces armées et de sécurité » deviennent la source (même provisoire) de l’autorité de l’Etat et ce Haut Conseil d’Etat, l’incarnation (dut-elle être provisoire) de l’Etat, ce qui est d’une incompatibilité absolue avec l’article 2 de la constitution qui dit que le peuple et le peuple seul « est la source de tout pouvoir », et que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants élus et par la voie de referendum », et non à l’armée ou à un quelconque corps constitué, puisque « Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ». Il en va de même avec l’article 24 de cette même constitution qui dispose que c’est ce Président de la République élu qui est seul, « gardien de la constitution (et ) incarne l’Etat »...
A ces dispositions de notre constitution (que soulignent par ailleurs de redoutables normes pénales) s’ajoutent celles des actes internationaux auxquels notre pays est lié et qui sont relatifs à la représentativité des gouvernements en place, la légitimité des autorités établies. Ces dispositions condamnent désormais avec une vigueur irrésistible, toute prise de pouvoir par la voie des coups d’Etat et imposent le respect de la pérennité des institutions démocratiques, c’est à dire celles dont les membres ont accédé au pouvoir par la voie des urnes et non par celle des armes et la conspiration. Ces actes internationaux qui nous sont applicables sont, rien que pour notre continent, notamment la résolution d’Alger de l’OUA de septembre 99, la Déclaration de Lomé de juillet 2000, l’Acte constitutif de l’Union Africaine, la Charte africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance – que notre pays a été le tout premier Etat africain à avoir ratifié le 7 juillet 2008, ironie du sort…), sans parler d’une solide assise formelle onusienne et autre…
Le Chef du Gouvernement, M. Waquef, seul représentant en liberté de la légitimité présidentielle, arrêté puis libéré, ainsi que ses ministres loyalistes, soutenus par une large frange de la classe politique et de la société civile ainsi que par la communauté internationale, refusent, au nom de l’exécutif, de se plier à la surpuissance du fait accompli. De ce fait, ce Premier Ministre est la seule autorité exécutive légitime pour notre nation et pour la communauté internationale, au nom du principe de continuité de l’ordre constitutionnel démocratique. Révolue en effet, est désormais l’ère des faits accomplis et imposés par la force des armes, la force du silence veule des autorités légitimes renversées et celle du réalisme complaisant du reste du monde.
Il est vrai que les auteurs du Coup d’Etat ont proclamé, dans leurs déclarations publiques et dans leur « ordonnance constitutionnelle », leur volonté de conserver, en dehors de la présidence de la République-à laquelle ils entendent substituer leur « Haut Conseil d’Etat »-, les « autres institutions démocratiques », c’est à dire essentiellement, l’Assemblée nationale et le Sénat, dont ils connaissent parfaitement la dévotion à leur égard, de la majorité écrasante de leurs membres.
En pleine improvisation juridique et institutionnelle du fait du caractère manifestement « accidentel » de leur acte, les auteurs du Coup d’Etat prétendent seulement « rectifier » ou « corriger » l’ordre existant « sans porter atteinte outre mesure que nécessaire aux dispositions de la constitution du 20 juillet 1991 » (préambule de «l’ordonnance »). Ils entendent donc, avec leur « majorité circonstancielle » inflationniste, transformer la nature du régime en vigueur par une opération de grande chirurgie constitutionnelle, en gommant ses traits les plus saillants sans aller plus loin,« outre mesure que nécessaire », et tout en en conservant la physionomie générale. Aussi, ciseaux (bistouris ?) en mains, leurs experts ont découpé, de mains de maître, notre Loi Fondamentale pour lui donner la forme militaro-parlementa ire nécessaire, sans même y toucher, par la seule magie des subterfuges juridiques. Au final, un nouveau régime, à l’allure de Frankenstein est né, un hybride dont l’originalité tient en trois mots: régime militaire classique !
D’un point de vue institutionnel, et nonobstant la question de sa légitimité (évoquée plus haut ), ce nouveau régime ne peut être en effet qualifié que comme militaire. On peut parier que pour nombre des frondeurs, ce régime n’est pourtant qu’une « correction », une « rectification » de portrait du régime démocratique quasi présidentiel qui était le nôtre jusqu’à la veille du 6 août. A ne s’en tenir qu’à l’article 2 de l’ordonnance militaire, seul en effet change l’occupant de la Présidence qui, d’autorité individuelle se transforme en autorité collégiale, avec de surcroît, un « Président » de ce « Haut Conseil d’Etat » qui pourrait être pris pour l’autre, l’ombre pour le personnage… N’est-il pas dit, dans cet article, que « les pouvoirs dévolus au Président de la République, en vertu des dispositions de la constitution du 20 juillet 1991, modifiée, sont exercés, en la forme collégiale, par le Haut Conseil d’Etat »?
Seulement, la nature de ce régime n’est pas défini en raison du maintien verbal, formel des autres institutions de la République (article 8) mais en raison de la nature réelle et de la portée des pouvoirs dévolus au Haut Conseil et à son Président. Une lecture de l’Ordonnance sur ce point capital prouve qu’un nouvel ordre juridique a été institué par le Coup d’Etat, en remplacement de celui, légitime, qui prévalait jusqu’au 6 août -et qu’un nouveau régime-quelle que soit sa durée- est désormais imposé au pays, en rupture complète avec le régime constitutionnel légitime.
Que l’on se souvienne que l’un des griefs les plus insistants des parlementaires frondeurs était l’atteinte(ou la menace d’une telle atteinte) qu’aurait porté le Président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallah, aux prorogatives du Parlement, lorsqu’il avait fait mine de faire usage de son pouvoir non conditionné de dissolution prévu par l’article 31 de la constitution, au plus fort de la crise du premier gouvernement Waquef, ou en faisant rejeter par son Premier Ministre la demande irrecevable de session extraordinaire… Qu’il suffise maintenant de comparer l’ « exorbitance » de ces prérogatives avec celles prévues par l’ordonnance en faveur du Haut Conseil d’Etat ! D’abord, le Haut Conseil d’Etat est désormais investi d’une compétence législative dont elle décide seule des conditions, détails et délais de mise en œuvre, comme il se l’est autorisé dans son article 8 qui dispose, justement comme dans le débat en cours, que « Lorsque pour des raisons quelconques, le fonctionnement du Parlement est entravé, le Haut Conseil d’Etat édicte par ordonnance les mesures de force législative nécessaires à la garantie de la continuité des pouvoirs publics et à la garantie de la liberté et de la transparence des élections présidentielles prévues ». En clair, le Parlement perd, sur les matières qui sont de son ressort dans la constitution légitime, le bénéfice de sa souveraineté au profit du HCE , c'est-à-dire ce qui tient lieu de l’Exécutif actuel, à l’initiative et à la seule discrétion de ce dernier. Le HCE est seul juge de ce que recouvre « la garantie de la continuité des pouvoirs publics », de la « garantie de la liberté » et de la « transparence des élections présidentielles prévues ».
Pour « bétonner » davantage ces matières sensibles, l’ordonnance militaire instaure une véritable hiérarchie des normes entre elle, adoptée par une dizaine d’officiers supérieurs, et la constitution nationale, adoptée par le peuple mauritanien par referendum. L’ordonnance militaire est la super constitution, la norme de référence, la constitution de la constitution alors que la constitution civile est la norme supplétive, soumise, la constitution déclassée, comme le déclare sans ambages l’article 9 en ces termes: « Les dispositions de la constitution du 20 juillet 1991 modifiée, contraires ou incompatibles avec la présente ordonnance constitutionnelle, sont modifiées en tant que de besoin et ce, pendant la période nécessaire à l’organisation des élections présidentielles et à l’investiture du Président de la République. ». Là est le vrai programme, le programme caché du Coup d’Etat. Qui vivra verra…
En tout cas, le RFD, l’AJD et Hatem sont prévenus. En cas d’ « élections », côté transparence, les choses sont constitutionnelleme nt déjà toutes prêtes…
Ajoutons, toujours au registre du cocasse, que cette ordonnance est une vraie revanche du Président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallah sur les députés frondeurs dont la simple menace de dissolution de leur Chambre avait valu de leur part au Président, un feu d’enfer de protestations démocratiques aigues, tandis qu’eux-mêmes engageaient contre le Premier Ministre, la procédure de la censure. Désormais les choses seront plus simples : le Premier Ministre et les Ministres ne sont plus responsables que devant le Président et devant le Haut Conseil. La responsabilité gouvernementale devant l’Assemblée qui était l’ultime reliquat du semi parlementarisme du régime est supprimé. Son maintien serait en effet incompatible avec l’article 6 de l’ordonnance. Par contre, le droit de dissoudre l’Assemblée est conservé intact, quoique soigneusement caché dans l’article 8 alinéa 2.
Pour couronner le tout, l’ordonnance confirme la nature singulière du régime, en tant que régime militaire, c'est-à-dire un régime de confusion des pouvoirs au bénéfice de la haute hiérarchie militaire puisque, outre les pouvoirs traditionnels de l’exécutif et ceux du législatif, le HCE s’accapare ni plus ni moins l’autorité du pouvoir constituant lui-même, dans la pire tradition des monocraties militaires ; l’article 10 de l’ordonnance donnant à cette structure le droit de modifier, à sa convenance, ses propres ordonnances constitutionnelles, pouvant elles mêmes modifier à leur tour, les dispositions de notre constitution civile.
En définitive, il apparaît à la lecture même rapide de cette singulière ordonnance que le régime qu’elle impose n’a plus rien à voir avec le régime semi présidentiel inscrit dans notre constitution légitime. Contrairement à ce qu’affirme avec fracas – pour plaire aux ex frondeurs- l’article 2 de l’ordonnance, ce n’est pas seulement les pouvoirs dévolus au Président de la République en vertu des dispositions de la constitution du 20 juillet 1991, modifiée, qui sont exercés par le Haut Conseil d’Etat. Ce sont également les prérogatives du pouvoir constituant lui-même (le peuple par voie de referendum notamment) et celles du Parlement qui tombent dans le giron de cette institution, en réduisant au passage, mine de rien, certains des pouvoirs les plus significatifs reconnus à l’Assemblée (suppression de la censure du Gouvernement et de la responsabilité de ce denier devant elle.)
En définitive, il apparaît clairement qu’il y’a deux ordres constitutionnels en concurrence, incompatibles l’un l’autre : l’ordre légitime fondé sur la constitution en vigueur au jour du Coup d’Etat et l’ordre militaire, fondé sur l’ordonnance du HCE issu d’un Coup d’Etat c'est-à-dire de la négation même du précédent. La référence du second au premier, pour en conserver les dispositions formelles « compatibles », ne changent rien à cette incompatibilité de principe. Les institutions démocratiques prévues dans la constitution civile ne peuvent donc conserver leur légitimité initiale en acceptant de s’intégrer dans le nouvel ordre. C’est la raison pour laquelle la résistance multiforme à la domination de l’ordre nouveau est à la fois un devoir et une condition de la continuité de la légitimité de l’ordre constitutionnel qui précède le Coup d’Etat et pour son rétablissement par des moyens non moins légitimes et avec le soutien de la communauté internationale.
Pour les différents membres des organes constitutionnels, un choix s’impose entre les deux ordres en concurrence, avec les conséquences qui en résultent quant à la poursuite de leur propre statut juridique. Ainsi, l’acceptation par les institutions démocratiques de leur inféodation aux nouvelles structures du pouvoir militaire les transforme en rouages du nouveau régime et entraîne une rupture de leur légitimité issue de l’ordre constitutionnel précédent. Juridiquement, il s’agit d’une opération impossible à concevoir, sauf à pouvoir marier une carpe à un lapin.Il en est particulièrement ainsi des organes d’Etat dont les membres sont élus par le peuple dans le cadre d’un régime politique clairement défini. Il est bien évident que le ralliement des membres de ces organes au nouvel ordre institutionnel a pour effet de les faire renoncer volontairement à leur statut acquis dans le cadre du régime antérieur. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une démission de cet ordre constitutionnel précédent, puisqu’il y’a un basculement d’une loyauté vis-à-vis d’un ordre duquel on tire son statut (de député ou de sénateur par exemple) vers une autre loyauté en formation (reconnaissance de la légitimité du Coup d’Etat et de ses suites).
Le plus souvent, ces questions ne se posent pas, à la suite d’une rupture d’un ordre constitutionnel car les nouvelles autorités s’empressent d’abolir les institutions existantes ou de mettre fin aux mandats de leurs membres. Ce fut systématiquement le cas en Mauritanie du premier Coup d’Etat en 1978 à l’avant dernier en 2005. Le dernier en date innove puisque ses auteurs entendent maintenir ces institutions en les inféodant à son autorité suprême, croyant ainsi bénéficier par captation, de leur légitimité populaire. Ainsi, devant chaque parlementaire est posée la question de sa loyauté à l’égard du régime politique dans le cadre duquel il a été élu par le peuple et auquel il doit à la fois son mandat et son statut parlementaires. La réponse à la question a déjà été donnée par les parlementaires depuis la réussite militaire du putsch mais il n’est pas évident que ses implications juridiques aient été appréciées à leur juste valeur.
Le Président de l’Assemblée nationale et une vingtaine de députés et sénateurs ont décidé, à l’instar de la communauté internationale, de ne pas reconnaître le Coup d’Etat et d’exiger le rétablissement de l’ordre constitutionnel régulier et le retour du Président de la République légitime. A l’inverse, une écrasante majorité de parlementaires, coalition de « frondeurs » de l’ex majorité présidentielle et de l’ex opposition ont basculé dans la reconnaissance et le soutien au Coup d’Etat. Ce faisant, ils ont pris fait et cause pour une entreprise de rupture de l’ordre constitutionnel et accepté de jouer le jeu de la transfiguration du régime hors des voies constitutionnelles normales. Dès lors, et nonobstant toutes autres considérations, ces parlementaires ont mis en cause, collectivement, leur propre mandat et leur propre statut issus de l’ordre constitutionnel dont ils ont approuvé le renversement. Ils se sont constitué en groupe compact d’ex « indépendants »de la transition de M. Ely Ould Mohamed Vall, alliés à des collègues de l’ex opposition statutaire pour appuyer une entreprise qui remet en cause le principe de souveraineté nationale, en violation de l’article 13 du règlement de l’ Assemblée interdisant « la constitution au sein de l’Assemblée Nationale de groupes tendant à défendre des intérêts particuliers, locaux ou professionnels ou dont l’objet ou l’action est de porter atteinte à la souveraineté nationale ou à l’unité de la République ». En droit pur, ils ne sont plus ni députés ni sénateurs puisqu’ils ont d’eux-mêmes déchiré le pacte conclu avec le peuple souverain qui les a élu pour un régime donné et non pour un autre. De députés et sénateurs d’un régime semi présidentiel, les voilà transformés en députés et sénateurs d’un régime militaire. Cette conversion est-elle justifiable autrement que par la « force des choses » ? Est-elle susceptible d’être fondée en droit ? L’auteur de ces lignes aimerait bien avoir un exemple de cette nature, un précédent, de par le monde, pour être davantage édifié sur une pratique qui relèverait alors, très sûrement, plus de la sorcellerie juridique que de la science du droit…
En attendant, nul ne se trompe plus sur la vraie raison de cette idée fixe d’une « session extraordinaire » du Parlement : il s’agit de transformer cette institution en machine de guerre et en instrument de revanche contre le Président de la République coupable de crime de lèse-bienfaiteurs à l’égard de « sa » majorité et à l’égard des mains invisibles étoilées….On est donc bien loin du droit et de ses arcanes !
Me Lô Gourmo Abdoul
Ainsi, à défaut d’être vigilants sur les règles de procédure et les mécanismes institutionnels qui gèrent leurs relations avec les autres organes d’Etat d’après la constitution, les frondeurs prouvent qu’ils ont au moins de la suite dans les idées...fixes.
Leur précédente tentative avait juridiquement échoué sur un « détail » : ni le Premier, ni le second ni aucun des Vice-Présidents ne pourraient, en lieu et place du Président de l’Assemblée, déposer de demande de session extraordinaire auprès de l’exécutif, comme ils prétendaient pouvoir le faire à grand tapage médiatique. Le règlement de l’Assemblée impose qu’ils se plient à la « formalité » du dépôt par le Président de cette Chambre (en l’occurrence M. Messaoud Ould Boulkheir ) et seulement par lui, de toute demande de cette nature auprès du Gouvernement. La décision de ce dernier de déclarer irrecevable en la forme, leur demande insolite, après l’épisode de la « motion de censure-investiture », est aujourd’hui le seul et unique argument qu’avancent le régime militaire et les parlementaires qui les soutiennent lorsqu’ils évoquent, pour justifier le Coup d’Etat, « le blocage des institutions de la République ».
Aujourd’hui, comme tout le monde le constate, l’illégalité s’est aggravée au point d’atteindre son point de rupture absolue puisque c’est la constitution elle-même, dans son intégrité, c'est-à-dire le fondement même de notre régime politique, qui est ouvertement remis en cause avec la bénédiction de parlementaires qui, de la fronde au sein de leur propre camp, passent à l’allégeance pure et simple aux auteurs du Coup d’Etat, au détriment de la souveraineté nationale sur laquelle se fonde leur mandat.
Mais, leur nouvelle demande de session extraordinaire se heurte, cette fois-ci, non aux subtilités de la procédure réglementaire de leur Chambre mais au mur infranchissable de l’ordre constitutionnel consacré par notre peuple par suite du referendum non contesté du 25 juin 2006 et traduit par les élections législatives et présidentielles non moins incontestées suite auxquelles furent régulièrement installées toutes les autorités légitimes actuelles de notre République.
Il est d’une éclatante évidence que toute initiative entreprise dans le cadre des rapports au sein et entre les institutions de la République doit se fonder sur les prescriptions formelles de la Loi fondamentale du pays.
Outre le fait que la disposition qui impose de passer par le Président de l’Assemblée ( et non par l’un de ses vice-président comme c’est le cas dans cette énième demande irrecevable de session extraordinaire en violation flagrante de l’article 9 du règlement de cette Assemblée ) est toujours en vigueur, force est de constater qu’il ne peut y avoir de session extraordinaire que dans le cadre des rapports entre les institutions régulièrement élues et par l’intermédiaire du gouvernement légitime, c’est à dire choisi par le Président de la République démocratiquement élu par notre peuple souverain. C’est ce qu’impose la lecture de l’article 53 de la constitution qui précise que les sessions extraordinaires sont ouvertes et closes par un décret du Président de la République.
De quel « Président de la République » s’agit-il ? Il s’agit de celui dont l’article 26 de notre constitution dit qu’il « est élu pour cinq ans au suffrage universel direct » et qui a prêté le serment de l’article 29, devant le Conseil Constitutionnel, en présence du Bureau de l’Assemblée Nationale, du Bureau du Sénat, du Président de la Cour Suprême et du Président du Haut Conseil Islamique. Ce Président de la République, reconnu de surcroît, par la Communauté internationale dans son ensemble, c’est M. Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallah.
Il est vrai que depuis le 6 août 2008, un ordre constitutionnel nouveau, dissident, tente de s’imposer à la République. Un « Haut Conseil d’Etat », autoproclamé et composé d’un groupe d’officiers de haut rang, a décidé de prendre unilatéralement le pouvoir d’Etat, en s’emparant de la personne du Président et en substituant son autorité de fait, par la seule puissance de ses armes, à celle régulièrement établie par la voie des urnes.
Ce nouvel ordre constitutionnel dissident a pour fondement une «Ordonnance constitutionnelle » adoptée par ce « Haut Conseil d’Etat » en violation flagrante de la constitution. D’après cette « ordonnance constitutionnelle », ce sont « Les forces armées et de sécurité, par l’intermédiaire du Haut Conseil d’Etat (qui) ont mis fin au pouvoir du Président de la République ». Ce faisant, ces « Forces armées et de sécurité » deviennent la source (même provisoire) de l’autorité de l’Etat et ce Haut Conseil d’Etat, l’incarnation (dut-elle être provisoire) de l’Etat, ce qui est d’une incompatibilité absolue avec l’article 2 de la constitution qui dit que le peuple et le peuple seul « est la source de tout pouvoir », et que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants élus et par la voie de referendum », et non à l’armée ou à un quelconque corps constitué, puisque « Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ». Il en va de même avec l’article 24 de cette même constitution qui dispose que c’est ce Président de la République élu qui est seul, « gardien de la constitution (et ) incarne l’Etat »...
A ces dispositions de notre constitution (que soulignent par ailleurs de redoutables normes pénales) s’ajoutent celles des actes internationaux auxquels notre pays est lié et qui sont relatifs à la représentativité des gouvernements en place, la légitimité des autorités établies. Ces dispositions condamnent désormais avec une vigueur irrésistible, toute prise de pouvoir par la voie des coups d’Etat et imposent le respect de la pérennité des institutions démocratiques, c’est à dire celles dont les membres ont accédé au pouvoir par la voie des urnes et non par celle des armes et la conspiration. Ces actes internationaux qui nous sont applicables sont, rien que pour notre continent, notamment la résolution d’Alger de l’OUA de septembre 99, la Déclaration de Lomé de juillet 2000, l’Acte constitutif de l’Union Africaine, la Charte africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance – que notre pays a été le tout premier Etat africain à avoir ratifié le 7 juillet 2008, ironie du sort…), sans parler d’une solide assise formelle onusienne et autre…
Le Chef du Gouvernement, M. Waquef, seul représentant en liberté de la légitimité présidentielle, arrêté puis libéré, ainsi que ses ministres loyalistes, soutenus par une large frange de la classe politique et de la société civile ainsi que par la communauté internationale, refusent, au nom de l’exécutif, de se plier à la surpuissance du fait accompli. De ce fait, ce Premier Ministre est la seule autorité exécutive légitime pour notre nation et pour la communauté internationale, au nom du principe de continuité de l’ordre constitutionnel démocratique. Révolue en effet, est désormais l’ère des faits accomplis et imposés par la force des armes, la force du silence veule des autorités légitimes renversées et celle du réalisme complaisant du reste du monde.
Il est vrai que les auteurs du Coup d’Etat ont proclamé, dans leurs déclarations publiques et dans leur « ordonnance constitutionnelle », leur volonté de conserver, en dehors de la présidence de la République-à laquelle ils entendent substituer leur « Haut Conseil d’Etat »-, les « autres institutions démocratiques », c’est à dire essentiellement, l’Assemblée nationale et le Sénat, dont ils connaissent parfaitement la dévotion à leur égard, de la majorité écrasante de leurs membres.
En pleine improvisation juridique et institutionnelle du fait du caractère manifestement « accidentel » de leur acte, les auteurs du Coup d’Etat prétendent seulement « rectifier » ou « corriger » l’ordre existant « sans porter atteinte outre mesure que nécessaire aux dispositions de la constitution du 20 juillet 1991 » (préambule de «l’ordonnance »). Ils entendent donc, avec leur « majorité circonstancielle » inflationniste, transformer la nature du régime en vigueur par une opération de grande chirurgie constitutionnelle, en gommant ses traits les plus saillants sans aller plus loin,« outre mesure que nécessaire », et tout en en conservant la physionomie générale. Aussi, ciseaux (bistouris ?) en mains, leurs experts ont découpé, de mains de maître, notre Loi Fondamentale pour lui donner la forme militaro-parlementa ire nécessaire, sans même y toucher, par la seule magie des subterfuges juridiques. Au final, un nouveau régime, à l’allure de Frankenstein est né, un hybride dont l’originalité tient en trois mots: régime militaire classique !
D’un point de vue institutionnel, et nonobstant la question de sa légitimité (évoquée plus haut ), ce nouveau régime ne peut être en effet qualifié que comme militaire. On peut parier que pour nombre des frondeurs, ce régime n’est pourtant qu’une « correction », une « rectification » de portrait du régime démocratique quasi présidentiel qui était le nôtre jusqu’à la veille du 6 août. A ne s’en tenir qu’à l’article 2 de l’ordonnance militaire, seul en effet change l’occupant de la Présidence qui, d’autorité individuelle se transforme en autorité collégiale, avec de surcroît, un « Président » de ce « Haut Conseil d’Etat » qui pourrait être pris pour l’autre, l’ombre pour le personnage… N’est-il pas dit, dans cet article, que « les pouvoirs dévolus au Président de la République, en vertu des dispositions de la constitution du 20 juillet 1991, modifiée, sont exercés, en la forme collégiale, par le Haut Conseil d’Etat »?
Seulement, la nature de ce régime n’est pas défini en raison du maintien verbal, formel des autres institutions de la République (article 8) mais en raison de la nature réelle et de la portée des pouvoirs dévolus au Haut Conseil et à son Président. Une lecture de l’Ordonnance sur ce point capital prouve qu’un nouvel ordre juridique a été institué par le Coup d’Etat, en remplacement de celui, légitime, qui prévalait jusqu’au 6 août -et qu’un nouveau régime-quelle que soit sa durée- est désormais imposé au pays, en rupture complète avec le régime constitutionnel légitime.
Que l’on se souvienne que l’un des griefs les plus insistants des parlementaires frondeurs était l’atteinte(ou la menace d’une telle atteinte) qu’aurait porté le Président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallah, aux prorogatives du Parlement, lorsqu’il avait fait mine de faire usage de son pouvoir non conditionné de dissolution prévu par l’article 31 de la constitution, au plus fort de la crise du premier gouvernement Waquef, ou en faisant rejeter par son Premier Ministre la demande irrecevable de session extraordinaire… Qu’il suffise maintenant de comparer l’ « exorbitance » de ces prérogatives avec celles prévues par l’ordonnance en faveur du Haut Conseil d’Etat ! D’abord, le Haut Conseil d’Etat est désormais investi d’une compétence législative dont elle décide seule des conditions, détails et délais de mise en œuvre, comme il se l’est autorisé dans son article 8 qui dispose, justement comme dans le débat en cours, que « Lorsque pour des raisons quelconques, le fonctionnement du Parlement est entravé, le Haut Conseil d’Etat édicte par ordonnance les mesures de force législative nécessaires à la garantie de la continuité des pouvoirs publics et à la garantie de la liberté et de la transparence des élections présidentielles prévues ». En clair, le Parlement perd, sur les matières qui sont de son ressort dans la constitution légitime, le bénéfice de sa souveraineté au profit du HCE , c'est-à-dire ce qui tient lieu de l’Exécutif actuel, à l’initiative et à la seule discrétion de ce dernier. Le HCE est seul juge de ce que recouvre « la garantie de la continuité des pouvoirs publics », de la « garantie de la liberté » et de la « transparence des élections présidentielles prévues ».
Pour « bétonner » davantage ces matières sensibles, l’ordonnance militaire instaure une véritable hiérarchie des normes entre elle, adoptée par une dizaine d’officiers supérieurs, et la constitution nationale, adoptée par le peuple mauritanien par referendum. L’ordonnance militaire est la super constitution, la norme de référence, la constitution de la constitution alors que la constitution civile est la norme supplétive, soumise, la constitution déclassée, comme le déclare sans ambages l’article 9 en ces termes: « Les dispositions de la constitution du 20 juillet 1991 modifiée, contraires ou incompatibles avec la présente ordonnance constitutionnelle, sont modifiées en tant que de besoin et ce, pendant la période nécessaire à l’organisation des élections présidentielles et à l’investiture du Président de la République. ». Là est le vrai programme, le programme caché du Coup d’Etat. Qui vivra verra…
En tout cas, le RFD, l’AJD et Hatem sont prévenus. En cas d’ « élections », côté transparence, les choses sont constitutionnelleme nt déjà toutes prêtes…
Ajoutons, toujours au registre du cocasse, que cette ordonnance est une vraie revanche du Président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallah sur les députés frondeurs dont la simple menace de dissolution de leur Chambre avait valu de leur part au Président, un feu d’enfer de protestations démocratiques aigues, tandis qu’eux-mêmes engageaient contre le Premier Ministre, la procédure de la censure. Désormais les choses seront plus simples : le Premier Ministre et les Ministres ne sont plus responsables que devant le Président et devant le Haut Conseil. La responsabilité gouvernementale devant l’Assemblée qui était l’ultime reliquat du semi parlementarisme du régime est supprimé. Son maintien serait en effet incompatible avec l’article 6 de l’ordonnance. Par contre, le droit de dissoudre l’Assemblée est conservé intact, quoique soigneusement caché dans l’article 8 alinéa 2.
Pour couronner le tout, l’ordonnance confirme la nature singulière du régime, en tant que régime militaire, c'est-à-dire un régime de confusion des pouvoirs au bénéfice de la haute hiérarchie militaire puisque, outre les pouvoirs traditionnels de l’exécutif et ceux du législatif, le HCE s’accapare ni plus ni moins l’autorité du pouvoir constituant lui-même, dans la pire tradition des monocraties militaires ; l’article 10 de l’ordonnance donnant à cette structure le droit de modifier, à sa convenance, ses propres ordonnances constitutionnelles, pouvant elles mêmes modifier à leur tour, les dispositions de notre constitution civile.
En définitive, il apparaît à la lecture même rapide de cette singulière ordonnance que le régime qu’elle impose n’a plus rien à voir avec le régime semi présidentiel inscrit dans notre constitution légitime. Contrairement à ce qu’affirme avec fracas – pour plaire aux ex frondeurs- l’article 2 de l’ordonnance, ce n’est pas seulement les pouvoirs dévolus au Président de la République en vertu des dispositions de la constitution du 20 juillet 1991, modifiée, qui sont exercés par le Haut Conseil d’Etat. Ce sont également les prérogatives du pouvoir constituant lui-même (le peuple par voie de referendum notamment) et celles du Parlement qui tombent dans le giron de cette institution, en réduisant au passage, mine de rien, certains des pouvoirs les plus significatifs reconnus à l’Assemblée (suppression de la censure du Gouvernement et de la responsabilité de ce denier devant elle.)
En définitive, il apparaît clairement qu’il y’a deux ordres constitutionnels en concurrence, incompatibles l’un l’autre : l’ordre légitime fondé sur la constitution en vigueur au jour du Coup d’Etat et l’ordre militaire, fondé sur l’ordonnance du HCE issu d’un Coup d’Etat c'est-à-dire de la négation même du précédent. La référence du second au premier, pour en conserver les dispositions formelles « compatibles », ne changent rien à cette incompatibilité de principe. Les institutions démocratiques prévues dans la constitution civile ne peuvent donc conserver leur légitimité initiale en acceptant de s’intégrer dans le nouvel ordre. C’est la raison pour laquelle la résistance multiforme à la domination de l’ordre nouveau est à la fois un devoir et une condition de la continuité de la légitimité de l’ordre constitutionnel qui précède le Coup d’Etat et pour son rétablissement par des moyens non moins légitimes et avec le soutien de la communauté internationale.
Pour les différents membres des organes constitutionnels, un choix s’impose entre les deux ordres en concurrence, avec les conséquences qui en résultent quant à la poursuite de leur propre statut juridique. Ainsi, l’acceptation par les institutions démocratiques de leur inféodation aux nouvelles structures du pouvoir militaire les transforme en rouages du nouveau régime et entraîne une rupture de leur légitimité issue de l’ordre constitutionnel précédent. Juridiquement, il s’agit d’une opération impossible à concevoir, sauf à pouvoir marier une carpe à un lapin.Il en est particulièrement ainsi des organes d’Etat dont les membres sont élus par le peuple dans le cadre d’un régime politique clairement défini. Il est bien évident que le ralliement des membres de ces organes au nouvel ordre institutionnel a pour effet de les faire renoncer volontairement à leur statut acquis dans le cadre du régime antérieur. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une démission de cet ordre constitutionnel précédent, puisqu’il y’a un basculement d’une loyauté vis-à-vis d’un ordre duquel on tire son statut (de député ou de sénateur par exemple) vers une autre loyauté en formation (reconnaissance de la légitimité du Coup d’Etat et de ses suites).
Le plus souvent, ces questions ne se posent pas, à la suite d’une rupture d’un ordre constitutionnel car les nouvelles autorités s’empressent d’abolir les institutions existantes ou de mettre fin aux mandats de leurs membres. Ce fut systématiquement le cas en Mauritanie du premier Coup d’Etat en 1978 à l’avant dernier en 2005. Le dernier en date innove puisque ses auteurs entendent maintenir ces institutions en les inféodant à son autorité suprême, croyant ainsi bénéficier par captation, de leur légitimité populaire. Ainsi, devant chaque parlementaire est posée la question de sa loyauté à l’égard du régime politique dans le cadre duquel il a été élu par le peuple et auquel il doit à la fois son mandat et son statut parlementaires. La réponse à la question a déjà été donnée par les parlementaires depuis la réussite militaire du putsch mais il n’est pas évident que ses implications juridiques aient été appréciées à leur juste valeur.
Le Président de l’Assemblée nationale et une vingtaine de députés et sénateurs ont décidé, à l’instar de la communauté internationale, de ne pas reconnaître le Coup d’Etat et d’exiger le rétablissement de l’ordre constitutionnel régulier et le retour du Président de la République légitime. A l’inverse, une écrasante majorité de parlementaires, coalition de « frondeurs » de l’ex majorité présidentielle et de l’ex opposition ont basculé dans la reconnaissance et le soutien au Coup d’Etat. Ce faisant, ils ont pris fait et cause pour une entreprise de rupture de l’ordre constitutionnel et accepté de jouer le jeu de la transfiguration du régime hors des voies constitutionnelles normales. Dès lors, et nonobstant toutes autres considérations, ces parlementaires ont mis en cause, collectivement, leur propre mandat et leur propre statut issus de l’ordre constitutionnel dont ils ont approuvé le renversement. Ils se sont constitué en groupe compact d’ex « indépendants »de la transition de M. Ely Ould Mohamed Vall, alliés à des collègues de l’ex opposition statutaire pour appuyer une entreprise qui remet en cause le principe de souveraineté nationale, en violation de l’article 13 du règlement de l’ Assemblée interdisant « la constitution au sein de l’Assemblée Nationale de groupes tendant à défendre des intérêts particuliers, locaux ou professionnels ou dont l’objet ou l’action est de porter atteinte à la souveraineté nationale ou à l’unité de la République ». En droit pur, ils ne sont plus ni députés ni sénateurs puisqu’ils ont d’eux-mêmes déchiré le pacte conclu avec le peuple souverain qui les a élu pour un régime donné et non pour un autre. De députés et sénateurs d’un régime semi présidentiel, les voilà transformés en députés et sénateurs d’un régime militaire. Cette conversion est-elle justifiable autrement que par la « force des choses » ? Est-elle susceptible d’être fondée en droit ? L’auteur de ces lignes aimerait bien avoir un exemple de cette nature, un précédent, de par le monde, pour être davantage édifié sur une pratique qui relèverait alors, très sûrement, plus de la sorcellerie juridique que de la science du droit…
En attendant, nul ne se trompe plus sur la vraie raison de cette idée fixe d’une « session extraordinaire » du Parlement : il s’agit de transformer cette institution en machine de guerre et en instrument de revanche contre le Président de la République coupable de crime de lèse-bienfaiteurs à l’égard de « sa » majorité et à l’égard des mains invisibles étoilées….On est donc bien loin du droit et de ses arcanes !
Me Lô Gourmo Abdoul