«Tout le monde a perdu quelqu'un ou quelque chose le 12 janvier. Tout le monde en Haïti est ébranlé.» Chirurgien à l'hôpital général de Port-au-Prince, le Dr Max-Henry Kernissant résume ainsi l'ampleur de la détresse psychologique des habitants de son pays.
Le Dr Kernissant a perdu dans le séisme plusieurs amis ainsi que sa maison. Depuis, il dort dans sa voiture et travaille de longues heures. «Je ne peux pas dormir plus de deux heures sans me réveiller. Je n'ai plus de sommeil profond, dit-il. Je ne suis pas le seul. Tout le monde subit les conséquences du tremblement de terre.»
À l'hôpital de Chansserelle, la psychologue canadienne Nathalie Dickinson de Médecins sans frontières voit jour après jour des personnes bouleversées par «les événements».
«La plupart des gens restent traumatisés par le tremblement de terre lui-même. Ils ne sont plus capables de se retrouver dans des immeubles. Ils font des cauchemars, vivent un stress constant», explique-t-elle.
Hier matin, Jean-Louis Wylly attendait de voir Mme Dickinson. Assis dans la salle d'attente, le regard éteint, il dit qu'il n'est plus le même: «Je vis dans mon garage avec mes sept enfants. Ma femme est morte. Je n'ai rien à offrir. Je ne sais plus quoi faire. Je pleure tout le temps.»
Mme Dickinson affirme que, comme M. Wylly, plusieurs personnes qui la consultent peinent à accepter leur nouvelle vie de sans-abri. «On les comprend. Ils ne savent plus quoi faire, raconte-t-elle, les yeux embués. Les jeunes n'ont plus d'avenir. Ils ont perdu leurs emplois. Ils ont perdu espoir. C'est dur de dire aux gens de continuer d'espérer quand on sait qu'ils n'ont plus rien.»L'impuissance
Marjorie Clermont, psychologue haïtienne qui travaille pour Oxfam-Québec à Port-au-Prince, a survécu au séisme en s'enfuyant de l'édifice où elle pratiquait. Elle a toutefois perdu des amis. Sa maison est aussi détruite. «Comme tout le monde ici, je ne peux jamais me détacher des événements. Car on n'a plus rien pour se réfugier», explique-t-elle.
Selon Mme Clermont, le plus difficile pour les survivants est d'accepter le sentiment de totale impuissance qui les a envahis au moment du drame. «Tout bougeait. Et on ne pouvait rien faire, témoigne-t-elle. Tout le monde a eu peur de mourir. Quand quelqu'un t'attaque, tu peux te défendre. Mais là, il n'y avait rien à faire. Accepter cette impuissance est extrêmement difficile.»
Mme Clermont ajoute que réaliser l'ampleur des dégâts a aussi été traumatisant. «Les écoles sont effondrées. Les institutions. Les églises. On a perdu nos repères», résume-t-elle. Et bien entendu, chaque secousse supplémentaire n'a fait qu'aggraver le stress déjà immense. «Ça nous remet à tout coup devant la scène. C'est si puissant comme sentiment que plusieurs personnes ne sont plus capables de soutenir une vibration», raconte la psychologue en essuyant une larme.
C'est le cas des patients de l'hôpital de Chauscal, dans Cité-Soleil. L'établissement est situé dans la trajectoire d'atterrissage des avions de l'aéroport voisin. Chaque fois qu'un avion passe, plusieurs patients se mettent à prier intensément.
Visiblement encore sous le choc, Mme Clermont avoue candidement que, comme plusieurs professionnels, elle se réfugie dans le travail. «Il y a tellement de besoins qu'on a un sentiment de culpabilité si on ne travaille pas, explique-t-elle. On a aussi peur de craquer si on arrête.»
À l'hôpital de Chansserelle, Mme Dickinson reconnaît que «les gens sont vite revenus au travail.» «Tous sont ici, mentionne-t-elle. Certains ne sont pas fonctionnels, mais les gens se sentent trop mal de ne pas aider puisqu'ils sont toujours en vie.»
Que faire?
Le psychologue haïtien Franz Désil, qui travaille aussi à l'hôpital de Chansserelle, explique que consulter un psychologue ne fait pas partie de la culture haïtienne: «Les gens, ici, disent que les psychologues sont pour les faibles. On croit que seules les personnes qui ont de graves troubles psychiatriques doivent les consulter. Mais maintenant, je crois que ces perceptions changeront avec le séisme. Car tout le monde est perturbé.»
Que font les psychologues pour aider les citoyens à s'en sortir? «Premièrement, on leur donne de l'information sur les tremblements de terre pour démystifier tout ça, dit Mme Dickinson. On leur enseigne aussi des techniques de relaxation. Et juste leur permettre d'en parler, c'est déjà beaucoup.»
Mme Clermont aime organiser des groupes de discussion sur le sujet. «Je les invite aussi à se recueillir. Ça aide dans certains cas», note-t-elle.
Selon Mme Clermont, ce qui sauve les Haïtiens de la dépression, actuellement, c'est la grande force de leurs réseaux sociaux. «Contrairement à d'autres sociétés où les gens sont plus individualistes, ici, on trouve notre force dans la communauté et la famille, remarque-t-elle. Ça, ça va sauver les gens.»
Ariane Lacoursière
Source: lapresse
Le Dr Kernissant a perdu dans le séisme plusieurs amis ainsi que sa maison. Depuis, il dort dans sa voiture et travaille de longues heures. «Je ne peux pas dormir plus de deux heures sans me réveiller. Je n'ai plus de sommeil profond, dit-il. Je ne suis pas le seul. Tout le monde subit les conséquences du tremblement de terre.»
À l'hôpital de Chansserelle, la psychologue canadienne Nathalie Dickinson de Médecins sans frontières voit jour après jour des personnes bouleversées par «les événements».
«La plupart des gens restent traumatisés par le tremblement de terre lui-même. Ils ne sont plus capables de se retrouver dans des immeubles. Ils font des cauchemars, vivent un stress constant», explique-t-elle.
Hier matin, Jean-Louis Wylly attendait de voir Mme Dickinson. Assis dans la salle d'attente, le regard éteint, il dit qu'il n'est plus le même: «Je vis dans mon garage avec mes sept enfants. Ma femme est morte. Je n'ai rien à offrir. Je ne sais plus quoi faire. Je pleure tout le temps.»
Mme Dickinson affirme que, comme M. Wylly, plusieurs personnes qui la consultent peinent à accepter leur nouvelle vie de sans-abri. «On les comprend. Ils ne savent plus quoi faire, raconte-t-elle, les yeux embués. Les jeunes n'ont plus d'avenir. Ils ont perdu leurs emplois. Ils ont perdu espoir. C'est dur de dire aux gens de continuer d'espérer quand on sait qu'ils n'ont plus rien.»L'impuissance
Marjorie Clermont, psychologue haïtienne qui travaille pour Oxfam-Québec à Port-au-Prince, a survécu au séisme en s'enfuyant de l'édifice où elle pratiquait. Elle a toutefois perdu des amis. Sa maison est aussi détruite. «Comme tout le monde ici, je ne peux jamais me détacher des événements. Car on n'a plus rien pour se réfugier», explique-t-elle.
Selon Mme Clermont, le plus difficile pour les survivants est d'accepter le sentiment de totale impuissance qui les a envahis au moment du drame. «Tout bougeait. Et on ne pouvait rien faire, témoigne-t-elle. Tout le monde a eu peur de mourir. Quand quelqu'un t'attaque, tu peux te défendre. Mais là, il n'y avait rien à faire. Accepter cette impuissance est extrêmement difficile.»
Mme Clermont ajoute que réaliser l'ampleur des dégâts a aussi été traumatisant. «Les écoles sont effondrées. Les institutions. Les églises. On a perdu nos repères», résume-t-elle. Et bien entendu, chaque secousse supplémentaire n'a fait qu'aggraver le stress déjà immense. «Ça nous remet à tout coup devant la scène. C'est si puissant comme sentiment que plusieurs personnes ne sont plus capables de soutenir une vibration», raconte la psychologue en essuyant une larme.
C'est le cas des patients de l'hôpital de Chauscal, dans Cité-Soleil. L'établissement est situé dans la trajectoire d'atterrissage des avions de l'aéroport voisin. Chaque fois qu'un avion passe, plusieurs patients se mettent à prier intensément.
Visiblement encore sous le choc, Mme Clermont avoue candidement que, comme plusieurs professionnels, elle se réfugie dans le travail. «Il y a tellement de besoins qu'on a un sentiment de culpabilité si on ne travaille pas, explique-t-elle. On a aussi peur de craquer si on arrête.»
À l'hôpital de Chansserelle, Mme Dickinson reconnaît que «les gens sont vite revenus au travail.» «Tous sont ici, mentionne-t-elle. Certains ne sont pas fonctionnels, mais les gens se sentent trop mal de ne pas aider puisqu'ils sont toujours en vie.»
Que faire?
Le psychologue haïtien Franz Désil, qui travaille aussi à l'hôpital de Chansserelle, explique que consulter un psychologue ne fait pas partie de la culture haïtienne: «Les gens, ici, disent que les psychologues sont pour les faibles. On croit que seules les personnes qui ont de graves troubles psychiatriques doivent les consulter. Mais maintenant, je crois que ces perceptions changeront avec le séisme. Car tout le monde est perturbé.»
Que font les psychologues pour aider les citoyens à s'en sortir? «Premièrement, on leur donne de l'information sur les tremblements de terre pour démystifier tout ça, dit Mme Dickinson. On leur enseigne aussi des techniques de relaxation. Et juste leur permettre d'en parler, c'est déjà beaucoup.»
Mme Clermont aime organiser des groupes de discussion sur le sujet. «Je les invite aussi à se recueillir. Ça aide dans certains cas», note-t-elle.
Selon Mme Clermont, ce qui sauve les Haïtiens de la dépression, actuellement, c'est la grande force de leurs réseaux sociaux. «Contrairement à d'autres sociétés où les gens sont plus individualistes, ici, on trouve notre force dans la communauté et la famille, remarque-t-elle. Ça, ça va sauver les gens.»
Ariane Lacoursière
Source: lapresse