Chaque jour, en fin d'après-midi, une multitude de fines pirogues de pêche accostent sur la plage de sable de Nouakchott. Les vagues rendent la manoeuvre délicate. Laborieusement, les embarcations bariolées sont tirées au sec et mises à l'abri des marées, là où des centaines de pirogues reposent, serrées les unes contre les autres. Certaines ont passé une journée au large. D'autres une semaine avec quatre ou cinq hommes à bord.
Mérous, dorades, capitaines, sardines... il y a toutes sortes de poissons. Mais en quantité moindre qu'avant jurent les pêcheurs artisanaux. "La mer se vide. Si ça continue, on va vendre du sable", dit un marin, Mam M'Bay. Les bateaux étrangers sont montrés du doigt. Et pour cause : "Parce qu'elle a les eaux parmi les plus poissonneuses d'Afrique, la Mauritanie attire la flotte du monde entier. On a des gros navires chinois, russes, ukrainiens, espagnols, lituaniens...", dit un ancien directeur des pêches, Ahmed Mahmoud.
L'Union européenne (UE) cristallise les critiques. Pour une raison simple : c'est avec la Mauritanie que Bruxelles a conclu en 2006 le plus ambitieux de tous ses accords de pêche. Peaufinée et rodée pendant deux ans, sa version définitive est entrée en vigueur en juillet. L'accord, qui court jusqu'en 2012, permet aux navires européens un quota de prises (205 000 tonnes de poissons par an), décliné par catégories, en contrepartie du versement d'un chèque de 305 millions d'euros, dont une - faible - partie doit aller au développement d'une industrie locale de la pêche.
"C'est un accord gagnant gagnant. Il prend en compte l'état des ressources halieutiques. Il prévoit un suivi scientifique et les Allemands ont offert leur appui pour surveiller sur place l'application du texte", affirme sous le couvert de l'anonymat un diplomate européen en poste à Nouakchott. Le fait est que, comparés aux protocoles antérieurs, les quotas de pêche - et les sommes versées à la Mauritanie - ont été revus à la baisse à la demande de Bruxelles. Les navires de l'UE ne réussissaient pas à remplir les quotas.
D'un accord à l'autre, la dégringolade des prises autorisées est importante. Elle dépasse 40 % pour les espèces communes (thon, sardine...) et près de 50 % pour les espèces "sensibles" (essentiellement le poulpe). Autre changement, les périodes de repos biologique, synonymes d'interdiction de certaines pêches, sont passées de deux à quatre mois par an. "On a beaucoup progressé d'un accord à l'autre. Celui-ci est meilleur que le précédent, convient le premier ministre, Moulaye Ould Mohamed Laghdaf. Il y aura moins de bateaux européens qu'auparavant. Et ils seront de plus petite taille."
Les critiques ne manquent pas pour autant. Certaines portent sur la compensation financière versée par Bruxelles. "Elle est ridicule. Un peu plus de 30 centimes le kilo de poisson", calcule un consultant en développement, Mohameden Horma. D'autres mettent en cause le peu de retombées de l'accord pour l'économie locale. "Les bateaux européens pêchent dans les eaux mauritaniennes et partent décharger leur cargaison à Las Palmas, aux Canaries espagnoles. Même les navires hollandais ont un quai à eux là-bas. C'est un accord commercial que l'on a signé avec l'Europe ; pas un accord de partenariat", se plaint l'ancien directeur des pêches. "On est toujours en position d'infériorité", ajoute Mohameden Horma.
De fait, les chalutiers de l'UE ne déchargent pas leur marchandise en Mauritanie. Rien ne les y contraint et, le voudraient-ils, les installations industrielles sont insuffisantes à Nouakchott comme à Nouadhibou, le principal port du pays. "Notre politique de pêche a été un fiasco, dit le premier ministre. Pendant vingt-cinq ans, on a accordé des licences à des commerçants mauritaniens dans l'espoir qu'ils créeraient en retour une filière industrielle. Ils ne l'ont pas fait."
Présents dans les eaux territoriales mais rarement vus, les bateaux européens alimentent tous les fantasmes. Leur nombre est surestimé tout comme leur capacité de capture. Leurs propriétaires falsifieraient le chiffre de leurs prises pour masquer le pillage auquel ils se livrent. Et ils ne respecteraient pas les périodes de repos biologique.
Au comportement égoïste de l'Europe, nombre de Mauritaniens opposent l'attitude des Chinois qui, également présents dans la zone, embarquent des marins locaux et déchargent leur cargaison sur le littoral. "Les Chinois sont contrôlés comme nos nationaux. Ils ont meilleure presse", assure Yacoub, un chef d'armement de Nouadhibou. "Puisque Bruxelles a réduit ses prises, on va pouvoir faire de la place aux Chinois et leur accorder de nouvelles licences. Ils sont demandeurs, assure le premier ministre. En contrepartie, ils offrent de construire des routes, d'agrandir le port de Nouakchott et de donner de l'argent. Leur coopération est plus visible."
Et elle ne varie pas au gré de la situation politique, aurait-il pu ajouter. Depuis qu'un coup d'Etat a renversé le chef de l'Etat élu, les Européens ont annoncé le gel de tous leurs projets de coopération. Même l'accord de pêche a failli être remis en cause par Bruxelles. Pour les autorités chinoises, en revanche, le putsch a été un non-événement.
Jean-Pierre Tuquoi
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Source: lemonde
(M) avomm
Mérous, dorades, capitaines, sardines... il y a toutes sortes de poissons. Mais en quantité moindre qu'avant jurent les pêcheurs artisanaux. "La mer se vide. Si ça continue, on va vendre du sable", dit un marin, Mam M'Bay. Les bateaux étrangers sont montrés du doigt. Et pour cause : "Parce qu'elle a les eaux parmi les plus poissonneuses d'Afrique, la Mauritanie attire la flotte du monde entier. On a des gros navires chinois, russes, ukrainiens, espagnols, lituaniens...", dit un ancien directeur des pêches, Ahmed Mahmoud.
L'Union européenne (UE) cristallise les critiques. Pour une raison simple : c'est avec la Mauritanie que Bruxelles a conclu en 2006 le plus ambitieux de tous ses accords de pêche. Peaufinée et rodée pendant deux ans, sa version définitive est entrée en vigueur en juillet. L'accord, qui court jusqu'en 2012, permet aux navires européens un quota de prises (205 000 tonnes de poissons par an), décliné par catégories, en contrepartie du versement d'un chèque de 305 millions d'euros, dont une - faible - partie doit aller au développement d'une industrie locale de la pêche.
"C'est un accord gagnant gagnant. Il prend en compte l'état des ressources halieutiques. Il prévoit un suivi scientifique et les Allemands ont offert leur appui pour surveiller sur place l'application du texte", affirme sous le couvert de l'anonymat un diplomate européen en poste à Nouakchott. Le fait est que, comparés aux protocoles antérieurs, les quotas de pêche - et les sommes versées à la Mauritanie - ont été revus à la baisse à la demande de Bruxelles. Les navires de l'UE ne réussissaient pas à remplir les quotas.
D'un accord à l'autre, la dégringolade des prises autorisées est importante. Elle dépasse 40 % pour les espèces communes (thon, sardine...) et près de 50 % pour les espèces "sensibles" (essentiellement le poulpe). Autre changement, les périodes de repos biologique, synonymes d'interdiction de certaines pêches, sont passées de deux à quatre mois par an. "On a beaucoup progressé d'un accord à l'autre. Celui-ci est meilleur que le précédent, convient le premier ministre, Moulaye Ould Mohamed Laghdaf. Il y aura moins de bateaux européens qu'auparavant. Et ils seront de plus petite taille."
Les critiques ne manquent pas pour autant. Certaines portent sur la compensation financière versée par Bruxelles. "Elle est ridicule. Un peu plus de 30 centimes le kilo de poisson", calcule un consultant en développement, Mohameden Horma. D'autres mettent en cause le peu de retombées de l'accord pour l'économie locale. "Les bateaux européens pêchent dans les eaux mauritaniennes et partent décharger leur cargaison à Las Palmas, aux Canaries espagnoles. Même les navires hollandais ont un quai à eux là-bas. C'est un accord commercial que l'on a signé avec l'Europe ; pas un accord de partenariat", se plaint l'ancien directeur des pêches. "On est toujours en position d'infériorité", ajoute Mohameden Horma.
De fait, les chalutiers de l'UE ne déchargent pas leur marchandise en Mauritanie. Rien ne les y contraint et, le voudraient-ils, les installations industrielles sont insuffisantes à Nouakchott comme à Nouadhibou, le principal port du pays. "Notre politique de pêche a été un fiasco, dit le premier ministre. Pendant vingt-cinq ans, on a accordé des licences à des commerçants mauritaniens dans l'espoir qu'ils créeraient en retour une filière industrielle. Ils ne l'ont pas fait."
Présents dans les eaux territoriales mais rarement vus, les bateaux européens alimentent tous les fantasmes. Leur nombre est surestimé tout comme leur capacité de capture. Leurs propriétaires falsifieraient le chiffre de leurs prises pour masquer le pillage auquel ils se livrent. Et ils ne respecteraient pas les périodes de repos biologique.
Au comportement égoïste de l'Europe, nombre de Mauritaniens opposent l'attitude des Chinois qui, également présents dans la zone, embarquent des marins locaux et déchargent leur cargaison sur le littoral. "Les Chinois sont contrôlés comme nos nationaux. Ils ont meilleure presse", assure Yacoub, un chef d'armement de Nouadhibou. "Puisque Bruxelles a réduit ses prises, on va pouvoir faire de la place aux Chinois et leur accorder de nouvelles licences. Ils sont demandeurs, assure le premier ministre. En contrepartie, ils offrent de construire des routes, d'agrandir le port de Nouakchott et de donner de l'argent. Leur coopération est plus visible."
Et elle ne varie pas au gré de la situation politique, aurait-il pu ajouter. Depuis qu'un coup d'Etat a renversé le chef de l'Etat élu, les Européens ont annoncé le gel de tous leurs projets de coopération. Même l'accord de pêche a failli être remis en cause par Bruxelles. Pour les autorités chinoises, en revanche, le putsch a été un non-événement.
Jean-Pierre Tuquoi
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Source: lemonde
(M) avomm