
«Je trouve cependant insolite et inacceptable l’attitude de l’Union Africaine !».
Dans une interview qu’il nous a accordée, Kane Hamidou Baba, deuxième vice-président de l’Assemblée nationale et premier vice-président du Rassemblement des forces démocratiques (RFD) aborde avec Le Ouotidien de Nouakchott l’actualité nationale brûlante de l’heure et qui reste dominée par le retour à la légalité constitutionnelle, la session extraordinaire du parlement, la concertation de Bruxelles etc.
Le Quotidien de Nouakchott : L’Union Africaine a donné un ultimatum à la junte que la majorité des parlementaires favorables au pouvoir rejettent. Quelle lecture faites-vous ?
Kane Hamidou Baba : Je comprends la condamnation de l’Union Africaine à l’égard de ce qu’elle qualifie comme étant un coup d’Etat. Je trouve cependant insolite et inacceptable l’attitude de l’Union Africaine !
Si on cherche à compliquer la crise, on ne s’y prendrait pas différemment. Le dossier de la Mauritanie a dû certainement s’égarer dans une boîte noire, d’où est sorti cet ultimatum. Je reste cependant convaincu que l’Union Africaine et la communauté internationale reviendront à de meilleurs sentiments, si les forces politiques nationales prennent des initiatives hardies et responsables visant une sortie durable de la crise.
Le Quotidien de Nouakchott : Quels sont vos sentiments après l’attaque terroriste contre des soldats de l’armée nationale à Tourine ?
Kane Hamidou Baba : Naturellement, ma première réaction est une réaction de profonde consternation au regard de ces crimes atroces qui ont été perpétrés sur une patrouille de nos forces armées et de sécurité. Il s’agit là, bien sûr, d’actes terroristes qui défient, j’allais dire, la morale humaine tout court quand on sait ou quand on a appris la manière abominable avec laquelle les soldats ont été sauvagement assassinés et leurs corps mutilés.
Bien évidemment c’est un sentiment, comme je l’ai dit tantôt, de profonde consternation, et ce sont des actes terroristes inouïs qu’il faut dénoncer avec la dernière des énergies. Je saisis cette occasion aussi pour renouveler ce que nous avons déjà fait, nos condoléances, bien sûr, les plus attristées, les plus émues, aux familles des victimes, aux forces armées également et au peuple mauritanien.
Il va falloir, au-delà de ces évènements de Tourine qui sont en relation directe avec d’autres actes terroristes qui ont déjà été perpétrés dans notre pays et qui sont en relation directe avec le climat d’insécurité et de crimes multiformes dans certaines régions nord de notre pays, engager une profonde méditation, au-delà de la solidarité dans le deuil, sur les voies et moyens d’assurer l’intégrité territoriale, les voies et moyens d’assurer notre sécurité collective et de mettre un terme à ces crimes terroristes qui, en fait, compromettent dangereusement nos infrastructures économiques et la vie des citoyens.
Le Quotidien de Nouakchott : Qu’est ce qui a été fait par l’auguste institution dont vous êtes le deuxième vice-président et votre parti également en direction des familles des victimes ?
Kane Hamidou Baba : D’abord je dois vous signaler que notre parti, après avoir sorti une déclaration présentant ses condoléances aux familles des victimes, aux forces armées et de sécurité et à l’ensemble du peuple mauritanien, a tenu à identifier physiquement les familles des victimes. Nous avons rendu visite à deux ou trois d’entre elles, nous n’avons pas encore toutes les coordonnées, toutes les adresses des autres familles. Mais nous entendons témoigner physiquement notre présence auprès des familles de nos martyrs qui sont tombés dans cette attaque de Tourine.
En ce qui concerne l’Assemblée nationale, il est évident que au-delà de la solidarité dans le deuil national qui a été décrété, l’Assemblée nationale, le parlement au sens large, a déjà fait un geste en faveur des familles des victimes. Mais je dirais que c’est tout à fait symbolique. Nous comptons bien évidemment, à la rentrée parlementaire, aborder ce sujet sous l’angle de la prévention de ce genre d’actes terroristes et nous espérons qu’à l’occasion, nous aurons plus d’informations sur ce qui s’est réellement passé et nous réfléchirons ensemble aux voies et moyens pour endiguer le terrorisme.
Le Quotidien de Nouakchott : L’Assemblée nationale vient de clôturer sa session extraordinaire. Quel bilan faites-vous de cette session ?
Kane Hamidou Baba : En effet, l’Assemblée nationale a effectivement clôturé une session extraordinaire qui a duré un mois. Vous n’êtes pas sans savoir le contexte dans lequel cette session extraordinaire a été tenue, survenant bien sûr après le changement du 6 août 2008. Cette session se devait de tenir compte de la situation nouvelle créée par ce changement.
Il y a eu un point à l’ordre du jour qui était important, compte tenu de la conjoncture, sur la situation politique du pays et qui a fait l’objet bien sûr de la mise sur pied d’une commission ad hoc chargée de discuter et de faire également des propositions. La commission a travaillé d’arrache-pied, et elle a tenté d’esquisser des solutions de sortie de crise, sous la forme d’une résolution. Il y a des aspects positifs qui émanent des discussions intéressantes qui ont eu lieu entre parlementaires, dont la mise en place d’un cadre permanent de concertation et de suivi des décisions regroupant tous les principaux acteurs politiques.
Vous savez également, que le Rassemblement des Forces Démocratiques a marqué une pause avant le vote de cette résolution, compte tenu de la non satisfaction sur un certain nombre de points qui étaient discutés dont le calendrier électoral et les garanties en matière de transparence et de neutralité quant à l’éventualité d’une candidature militaire à l’élection présidentielle.
Sur ces deux points, si nous sommes parvenus à un rapprochement de nos points de vues, des divergences subsistent sur la question relative aux garanties de transparence et de neutralité, la proposition de nos partenaires étant insuffisante et ambigu. Mais, le dialogue n’est pas rompu pour autant. Je considère que ce que nous avons fait ensemble constitue une base de discussions et de travail qu’il faut approfondir et améliorer sensiblement.
Il y avait d’autres points qui étaient inscrits à l’ordre du jour de la session dont l’installation des membres de la Haute Cour de Justice et la mise sur pied d’une commission d’information sur le Programme Spécial d’Intervention. Il y a eu beaucoup de spéculations autour de l’élection des membres de cette Haute Cour de Justice et de ses objectifs. Je pense que la situation que nous traversons, y est pour beaucoup dans ces spéculations.
En tout cas, il ne faut y voir aucune autre malice si ce n’est que le souci de donner corps à une institution prévue par la constitution. En ce qui concerne la commission sur le PSI, c’est un travail qui est inachevé parce qu’une commission d’enquête ça demande du temps, ça demande des missions d’information auprès des parties prenantes à ce Programme Spécial d’Intervention qui constitue pour nous un sujet de préoccupation et qui entre dans le cadre du contrôle parlementaire, du contrôle aussi de l’action menée par l’exécutif.
Cette enquête est d’autant plus importante que c’est un programme qui a été décidé pratiquement hors budget et qui a fait l’objet d’une dotation spéciale comme son nom l’indique mais fait uniquement par l’exécutif et qui ne s’intègre pas encore dans la loi de finance 2008.
Il y a eu enfin, l’adoption des règlements de l’Assemblée à savoir : le règlement intérieur, le règlement administratif, le règlement financier et le statut du personnel. Il s’agissait d’une commission ad hoc mise en place pratiquement depuis 12 mois. L’adoption des nouveaux règlements nous permettra, à n’en pas douter, de redynamiser l’institution parlementaire, de réorganiser l’Assemblée nationale sur la base d’une meilleure gestion des ressources humaines et de son mode de fonctionnement, et l’Assemblée sera mieux outillée pour répondre à ses missions.
Le Quotidien de Nouakchott : En application de l’article 96 de l’accord de Cotonou liant l’Union Européenne aux pays ACP, Bruxelles a invité la junte au pouvoir à Nouakchott à des discussions politiques. Quelles appréciations donnez-vous de ces futures concertations politiques dans la capitale belge?
Kane Hamidou Baba : Je pense que c’était prévisible également parce qu’il y a eu un changement qui est intervenu en Mauritanie le 6 août, qui a été considéré comme un coup d’Etat et condamné comme tel. Le mécanisme de coopération entre la Mauritanie et l’UE dans le cadre de ce qu’on appelle l’accord de Cotonou ACP-UE, prévoit un certain nombre de dispositions au cas il y a des ruptures constitutionnelles dans les pays partenaires. Donc c’est sur cette base que l’Union Européenne a convié le gouvernement mauritanien à négocier, à discuter ou à présenter sa feuille de route pour une sortie de crise.
Mon vœu le plus ardent est qu’on trouve un accord avec l’Union européenne qui est un partenaire essentiel pour la Mauritanie. Naturellement, cet accord passera par la clarification d’un certain nombre de points. Il va falloir bien sûr décliner les intentions des nouvelles autorités de manière compréhensible, de manière acceptable, mais je pense qu’il y a des choses en amont qui sont nécessaires avant d’aller discuter avec l’Union européenne.
Vous savez, il y a un célèbre ministre de Napoléon à qui Napoléon demandait de lui faire une bonne politique étrangère et il répondait : « Sire, faites-moi une bonne politique intérieure et je vous fais une bonne politique étrangère ». Je dis donc qu’il y a lieu, en amont, d’avoir une discussion avec les parties prenantes à savoir les acteurs politiques mauritaniens, puisqu’il s’agit d’un problème éminemment politique et de s’accorder sur une solution consensuelle de sortie de crise avant d’aller à l’Union européenne. Je pense que ce sont des conditions cadres qui permettront de mieux préparer cette réunion de Bruxelles.
Le Quotidien de Nouakchott : Jusqu’ici, il n’y a pas encore de concertations en vue à ce sujet ?
Kane Hamidou Baba : Oui, mais je pense que cela s’explique simplement par le fait que nous sommes dans une conjoncture un peu difficile, à savoir le mois du Ramadan finissant et que la date n’a peut-être pas été fixée. Mais, je reste optimiste. Je n’envisage pas que le gouvernement aille à cette rencontre de Bruxelles sans un minimum de concertation au plan national.
Le Quotidien de Nouakchott : Ou alors pensez-vous que le gouvernement attend de tenir les journées de concertation sur la démocratie avant d’aller à Bruxelles ?
Kane Hamidou Baba : Je dois vous avouer que j’ai déjà eu l’occasion d’exprimer mes réserves à l’égard de l’organisation des journées de concertation. Il me semble que ce serait un peu mettre - quelque part - la charrue avant les bœufs. Ça donne aussi une impression de déjà vue, de déjà fait, de plat réchauffé, je dirais. Compte tenu de l’importance de la crise que nous traversons et qui est une crise politique, je ne pense pas qu’on puisse trouver une solution à travers des journées de réflexion.
Voilà pourquoi nous avons toujours privilégié la mise en place d’un mécanisme de concertation et de suivi des décisions. Nous avons eu l’expérience des journées de concertation avec le Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie (CMJD) et au cours desquels nous avons vu en fait des ONG et partis « cartables » -comme on les appelle- prendre ou suggérer des décisions très importantes en lieu et place des grandes formations politiques.
On se rappelle que le CMJD, à l’époque, avait tiré les conclusions qu’il avait bien voulu tirer de ces journées et cela explique en partie les ratées que nous avons vécues pendant la transition du CMJD. Bien évidemment nous ne souhaitons pas rééditer ce qui n’avait pas marché par le passé. Voilà pourquoi nous sommes extrêmement réservés à l’égard des journées de concertation menées tambours battants, mais qui ne vont durer que le temps de deux ou trois jours !
On le soulignera jamais assez, si discussions sérieuses il y a, elles doivent être menées par des acteurs qui ont compétences en la matière. Or, il s’agit d’un sujet éminemment politique où il faut mettre en avant les partis politiques d’abord et les parlementaires dans le cadre du mécanisme de concertation qui devra être mis en place. Les journées ne devraient constituer qu’une activité programmée dans le cadre de la mise en œuvre du mécanisme de concertation et qui permettra certainement de disséminer l’information.
Mais on ne saurait, je pense, organiser des journées de concertation avant la mise en place concrète de ce mécanisme de concertation auquel nous restons fondamentalement attachés, et qui peut produire des résultats beaucoup plus tangibles et mieux acceptés par les différentes parties.
Le Quotidien de Nouakchott : L’institution de l’opposition ne semble pas au mieux de sa forme en ce moment. Au sein du Rfd des voix discordantes continuent de clamer haut et fort leur soutien au HCE malgré les réserves du parti, l’AJD/MR est dans une turbulence et le HATEM de Hanena a quitté pour participer au gouvernement de Moulaye Ould Mohamed Laghdaf. Qu’en pensez-vous ?
Kane Hamidou Baba : Je pense que ce n’est pas l’institution de l’opposition qui est en cause. Elle est loin d’être éclaboussée. L’institution de l’opposition est une institution démocratique qui est reconnue par des textes, qui existe également en tant que structure et qui travaille. D’ailleurs je dois vous dire que l’institution de l’opposition a en perspective de grands projets d’organisation d’une réflexion sur les problèmes de la démocratie et autres et que bientôt vous entendrez parler de ce programme.
Maintenant il y a la situation, bien sûr, des partis politiques dans une conjoncture particulière, celle que nous traversons. Oui, il y a çà et là des signes de mécontentement qui peuvent traduire, quelque part, un malaise, parfois des différences d’approche et d’idées. Mais je pense que cela est normal parce que nous sommes dans une phase de recomposition et de repositionnement liée à la situation politique que nous traversons.
A partir de là, il ne faut pas exagérer certains états d’âme ou certaines humeurs que l’on peut sentir, çà et là, dans telle ou telle formation ; d’autant plus que ces phénomènes apparaissent comme marginaux, en tout cas, si j’en juge par ce que je vois.
Cela dit, une certaine posture médiatique peut donner quelque crédit à ces agitations, souvent montées en épingle et on n’est pas loin dans certains cas de l’imposture pure et simple. Je pense que ce sont des choses qu’il faut dénoncer. Des gens parlent au nom de partis politiques sans en avoir la légitimité, sans en avoir les attributs, quelquefois ils ne sont même pas membres de ces instances qu’ils disent représenter.
C’est un spectacle d’ailleurs qui frise le ridicule et qui n’aura pas d’impact sur la force, la vitalité de ces partis politiques. En tout cas, je peux le dire pour ce qui concerne le Rassemblement des Forces Démocratiques qui est un grand parti, dans lequel les débats sont ouverts à l’intérieur, mais ces débats doivent également être menés dans le respect des formes et procédures.
Le Quotidien de Nouakchott : Au vu de la situation politique actuelle l’opinion s’interroge bien entendu sur l’état des relations entre pro et anti putschistes et particulièrement le RFD. Comment se portent-elles ?
«Le RFD doit rester ce qu’il est, c'est-à-dire un pôle de stabilité ouvert au dialogue avec toutes les parties.»
Kane Hamidou Baba : Nous, nous pensons que nous ne devons nous interdire de dialoguer, de parler avec personne. Notre position c’est de considérer que compte tenu de notre posture, de notre positionnement, le RFD doit rester ce qu’il est, c'est-à-dire un pôle de stabilité ouvert au dialogue avec toutes les parties. Parce que le mal ou ce qui peut aggraver la crise, c’est quand les acteurs ne se parlent pas !
Or, le RFD est bien placé pour parler aux uns et aux autres. Nous avons une position qui nous paraît réaliste, une position qui nous paraît également très engagée pour la défense de la démocratie et le retour à un ordre constitutionnel normal. Donc nous ne pouvons pas ne pas nous retrouver avec ceux qui défendent la démocratie, mais une vraie démocratie. C’est aussi pour cette raison, que nous ne revendiquons pas l’utopie d’un rétablissement de l’ancien Président Sidi Ould Cheikh Abdellahi, par exemple !
Nous pensons que cela appartient au passé et qu’il ne faut pas regarder dans le rétroviseur. Il faut regarder plutôt vers l’avenir, en renforçant, bien sûr, la démocratie au-delà des personnes et de leurs intérêts. Voilà pourquoi nous ne nous privons pas de dialoguer avec les uns et les autres. En tout cas nous restons disponibles.
Le Quotidien de Nouakchott : Donc le fil n’est pas rompu ?
Kane Hamidou Baba : Le fil n’est pas rompu. Nous restons disponibles parce que nous pensons que l’intérêt national commande à ce qu’il y ait un dialogue entre toutes les forces politiques. Nous l’avons dit à plusieurs occasions et notre devoir est de joindre également le geste à la parole.
Propos recueillis par Moussa Diop
source : Le Quotidien de Nouakchott
via cridem
Dans une interview qu’il nous a accordée, Kane Hamidou Baba, deuxième vice-président de l’Assemblée nationale et premier vice-président du Rassemblement des forces démocratiques (RFD) aborde avec Le Ouotidien de Nouakchott l’actualité nationale brûlante de l’heure et qui reste dominée par le retour à la légalité constitutionnelle, la session extraordinaire du parlement, la concertation de Bruxelles etc.
Le Quotidien de Nouakchott : L’Union Africaine a donné un ultimatum à la junte que la majorité des parlementaires favorables au pouvoir rejettent. Quelle lecture faites-vous ?
Kane Hamidou Baba : Je comprends la condamnation de l’Union Africaine à l’égard de ce qu’elle qualifie comme étant un coup d’Etat. Je trouve cependant insolite et inacceptable l’attitude de l’Union Africaine !
Si on cherche à compliquer la crise, on ne s’y prendrait pas différemment. Le dossier de la Mauritanie a dû certainement s’égarer dans une boîte noire, d’où est sorti cet ultimatum. Je reste cependant convaincu que l’Union Africaine et la communauté internationale reviendront à de meilleurs sentiments, si les forces politiques nationales prennent des initiatives hardies et responsables visant une sortie durable de la crise.
Le Quotidien de Nouakchott : Quels sont vos sentiments après l’attaque terroriste contre des soldats de l’armée nationale à Tourine ?
Kane Hamidou Baba : Naturellement, ma première réaction est une réaction de profonde consternation au regard de ces crimes atroces qui ont été perpétrés sur une patrouille de nos forces armées et de sécurité. Il s’agit là, bien sûr, d’actes terroristes qui défient, j’allais dire, la morale humaine tout court quand on sait ou quand on a appris la manière abominable avec laquelle les soldats ont été sauvagement assassinés et leurs corps mutilés.
Bien évidemment c’est un sentiment, comme je l’ai dit tantôt, de profonde consternation, et ce sont des actes terroristes inouïs qu’il faut dénoncer avec la dernière des énergies. Je saisis cette occasion aussi pour renouveler ce que nous avons déjà fait, nos condoléances, bien sûr, les plus attristées, les plus émues, aux familles des victimes, aux forces armées également et au peuple mauritanien.
Il va falloir, au-delà de ces évènements de Tourine qui sont en relation directe avec d’autres actes terroristes qui ont déjà été perpétrés dans notre pays et qui sont en relation directe avec le climat d’insécurité et de crimes multiformes dans certaines régions nord de notre pays, engager une profonde méditation, au-delà de la solidarité dans le deuil, sur les voies et moyens d’assurer l’intégrité territoriale, les voies et moyens d’assurer notre sécurité collective et de mettre un terme à ces crimes terroristes qui, en fait, compromettent dangereusement nos infrastructures économiques et la vie des citoyens.
Le Quotidien de Nouakchott : Qu’est ce qui a été fait par l’auguste institution dont vous êtes le deuxième vice-président et votre parti également en direction des familles des victimes ?
Kane Hamidou Baba : D’abord je dois vous signaler que notre parti, après avoir sorti une déclaration présentant ses condoléances aux familles des victimes, aux forces armées et de sécurité et à l’ensemble du peuple mauritanien, a tenu à identifier physiquement les familles des victimes. Nous avons rendu visite à deux ou trois d’entre elles, nous n’avons pas encore toutes les coordonnées, toutes les adresses des autres familles. Mais nous entendons témoigner physiquement notre présence auprès des familles de nos martyrs qui sont tombés dans cette attaque de Tourine.
En ce qui concerne l’Assemblée nationale, il est évident que au-delà de la solidarité dans le deuil national qui a été décrété, l’Assemblée nationale, le parlement au sens large, a déjà fait un geste en faveur des familles des victimes. Mais je dirais que c’est tout à fait symbolique. Nous comptons bien évidemment, à la rentrée parlementaire, aborder ce sujet sous l’angle de la prévention de ce genre d’actes terroristes et nous espérons qu’à l’occasion, nous aurons plus d’informations sur ce qui s’est réellement passé et nous réfléchirons ensemble aux voies et moyens pour endiguer le terrorisme.
Le Quotidien de Nouakchott : L’Assemblée nationale vient de clôturer sa session extraordinaire. Quel bilan faites-vous de cette session ?
Kane Hamidou Baba : En effet, l’Assemblée nationale a effectivement clôturé une session extraordinaire qui a duré un mois. Vous n’êtes pas sans savoir le contexte dans lequel cette session extraordinaire a été tenue, survenant bien sûr après le changement du 6 août 2008. Cette session se devait de tenir compte de la situation nouvelle créée par ce changement.
Il y a eu un point à l’ordre du jour qui était important, compte tenu de la conjoncture, sur la situation politique du pays et qui a fait l’objet bien sûr de la mise sur pied d’une commission ad hoc chargée de discuter et de faire également des propositions. La commission a travaillé d’arrache-pied, et elle a tenté d’esquisser des solutions de sortie de crise, sous la forme d’une résolution. Il y a des aspects positifs qui émanent des discussions intéressantes qui ont eu lieu entre parlementaires, dont la mise en place d’un cadre permanent de concertation et de suivi des décisions regroupant tous les principaux acteurs politiques.
Vous savez également, que le Rassemblement des Forces Démocratiques a marqué une pause avant le vote de cette résolution, compte tenu de la non satisfaction sur un certain nombre de points qui étaient discutés dont le calendrier électoral et les garanties en matière de transparence et de neutralité quant à l’éventualité d’une candidature militaire à l’élection présidentielle.
Sur ces deux points, si nous sommes parvenus à un rapprochement de nos points de vues, des divergences subsistent sur la question relative aux garanties de transparence et de neutralité, la proposition de nos partenaires étant insuffisante et ambigu. Mais, le dialogue n’est pas rompu pour autant. Je considère que ce que nous avons fait ensemble constitue une base de discussions et de travail qu’il faut approfondir et améliorer sensiblement.
Il y avait d’autres points qui étaient inscrits à l’ordre du jour de la session dont l’installation des membres de la Haute Cour de Justice et la mise sur pied d’une commission d’information sur le Programme Spécial d’Intervention. Il y a eu beaucoup de spéculations autour de l’élection des membres de cette Haute Cour de Justice et de ses objectifs. Je pense que la situation que nous traversons, y est pour beaucoup dans ces spéculations.
En tout cas, il ne faut y voir aucune autre malice si ce n’est que le souci de donner corps à une institution prévue par la constitution. En ce qui concerne la commission sur le PSI, c’est un travail qui est inachevé parce qu’une commission d’enquête ça demande du temps, ça demande des missions d’information auprès des parties prenantes à ce Programme Spécial d’Intervention qui constitue pour nous un sujet de préoccupation et qui entre dans le cadre du contrôle parlementaire, du contrôle aussi de l’action menée par l’exécutif.
Cette enquête est d’autant plus importante que c’est un programme qui a été décidé pratiquement hors budget et qui a fait l’objet d’une dotation spéciale comme son nom l’indique mais fait uniquement par l’exécutif et qui ne s’intègre pas encore dans la loi de finance 2008.
Il y a eu enfin, l’adoption des règlements de l’Assemblée à savoir : le règlement intérieur, le règlement administratif, le règlement financier et le statut du personnel. Il s’agissait d’une commission ad hoc mise en place pratiquement depuis 12 mois. L’adoption des nouveaux règlements nous permettra, à n’en pas douter, de redynamiser l’institution parlementaire, de réorganiser l’Assemblée nationale sur la base d’une meilleure gestion des ressources humaines et de son mode de fonctionnement, et l’Assemblée sera mieux outillée pour répondre à ses missions.
Le Quotidien de Nouakchott : En application de l’article 96 de l’accord de Cotonou liant l’Union Européenne aux pays ACP, Bruxelles a invité la junte au pouvoir à Nouakchott à des discussions politiques. Quelles appréciations donnez-vous de ces futures concertations politiques dans la capitale belge?
Kane Hamidou Baba : Je pense que c’était prévisible également parce qu’il y a eu un changement qui est intervenu en Mauritanie le 6 août, qui a été considéré comme un coup d’Etat et condamné comme tel. Le mécanisme de coopération entre la Mauritanie et l’UE dans le cadre de ce qu’on appelle l’accord de Cotonou ACP-UE, prévoit un certain nombre de dispositions au cas il y a des ruptures constitutionnelles dans les pays partenaires. Donc c’est sur cette base que l’Union Européenne a convié le gouvernement mauritanien à négocier, à discuter ou à présenter sa feuille de route pour une sortie de crise.
Mon vœu le plus ardent est qu’on trouve un accord avec l’Union européenne qui est un partenaire essentiel pour la Mauritanie. Naturellement, cet accord passera par la clarification d’un certain nombre de points. Il va falloir bien sûr décliner les intentions des nouvelles autorités de manière compréhensible, de manière acceptable, mais je pense qu’il y a des choses en amont qui sont nécessaires avant d’aller discuter avec l’Union européenne.
Vous savez, il y a un célèbre ministre de Napoléon à qui Napoléon demandait de lui faire une bonne politique étrangère et il répondait : « Sire, faites-moi une bonne politique intérieure et je vous fais une bonne politique étrangère ». Je dis donc qu’il y a lieu, en amont, d’avoir une discussion avec les parties prenantes à savoir les acteurs politiques mauritaniens, puisqu’il s’agit d’un problème éminemment politique et de s’accorder sur une solution consensuelle de sortie de crise avant d’aller à l’Union européenne. Je pense que ce sont des conditions cadres qui permettront de mieux préparer cette réunion de Bruxelles.
Le Quotidien de Nouakchott : Jusqu’ici, il n’y a pas encore de concertations en vue à ce sujet ?
Kane Hamidou Baba : Oui, mais je pense que cela s’explique simplement par le fait que nous sommes dans une conjoncture un peu difficile, à savoir le mois du Ramadan finissant et que la date n’a peut-être pas été fixée. Mais, je reste optimiste. Je n’envisage pas que le gouvernement aille à cette rencontre de Bruxelles sans un minimum de concertation au plan national.
Le Quotidien de Nouakchott : Ou alors pensez-vous que le gouvernement attend de tenir les journées de concertation sur la démocratie avant d’aller à Bruxelles ?
Kane Hamidou Baba : Je dois vous avouer que j’ai déjà eu l’occasion d’exprimer mes réserves à l’égard de l’organisation des journées de concertation. Il me semble que ce serait un peu mettre - quelque part - la charrue avant les bœufs. Ça donne aussi une impression de déjà vue, de déjà fait, de plat réchauffé, je dirais. Compte tenu de l’importance de la crise que nous traversons et qui est une crise politique, je ne pense pas qu’on puisse trouver une solution à travers des journées de réflexion.
Voilà pourquoi nous avons toujours privilégié la mise en place d’un mécanisme de concertation et de suivi des décisions. Nous avons eu l’expérience des journées de concertation avec le Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie (CMJD) et au cours desquels nous avons vu en fait des ONG et partis « cartables » -comme on les appelle- prendre ou suggérer des décisions très importantes en lieu et place des grandes formations politiques.
On se rappelle que le CMJD, à l’époque, avait tiré les conclusions qu’il avait bien voulu tirer de ces journées et cela explique en partie les ratées que nous avons vécues pendant la transition du CMJD. Bien évidemment nous ne souhaitons pas rééditer ce qui n’avait pas marché par le passé. Voilà pourquoi nous sommes extrêmement réservés à l’égard des journées de concertation menées tambours battants, mais qui ne vont durer que le temps de deux ou trois jours !
On le soulignera jamais assez, si discussions sérieuses il y a, elles doivent être menées par des acteurs qui ont compétences en la matière. Or, il s’agit d’un sujet éminemment politique où il faut mettre en avant les partis politiques d’abord et les parlementaires dans le cadre du mécanisme de concertation qui devra être mis en place. Les journées ne devraient constituer qu’une activité programmée dans le cadre de la mise en œuvre du mécanisme de concertation et qui permettra certainement de disséminer l’information.
Mais on ne saurait, je pense, organiser des journées de concertation avant la mise en place concrète de ce mécanisme de concertation auquel nous restons fondamentalement attachés, et qui peut produire des résultats beaucoup plus tangibles et mieux acceptés par les différentes parties.
Le Quotidien de Nouakchott : L’institution de l’opposition ne semble pas au mieux de sa forme en ce moment. Au sein du Rfd des voix discordantes continuent de clamer haut et fort leur soutien au HCE malgré les réserves du parti, l’AJD/MR est dans une turbulence et le HATEM de Hanena a quitté pour participer au gouvernement de Moulaye Ould Mohamed Laghdaf. Qu’en pensez-vous ?
Kane Hamidou Baba : Je pense que ce n’est pas l’institution de l’opposition qui est en cause. Elle est loin d’être éclaboussée. L’institution de l’opposition est une institution démocratique qui est reconnue par des textes, qui existe également en tant que structure et qui travaille. D’ailleurs je dois vous dire que l’institution de l’opposition a en perspective de grands projets d’organisation d’une réflexion sur les problèmes de la démocratie et autres et que bientôt vous entendrez parler de ce programme.
Maintenant il y a la situation, bien sûr, des partis politiques dans une conjoncture particulière, celle que nous traversons. Oui, il y a çà et là des signes de mécontentement qui peuvent traduire, quelque part, un malaise, parfois des différences d’approche et d’idées. Mais je pense que cela est normal parce que nous sommes dans une phase de recomposition et de repositionnement liée à la situation politique que nous traversons.
A partir de là, il ne faut pas exagérer certains états d’âme ou certaines humeurs que l’on peut sentir, çà et là, dans telle ou telle formation ; d’autant plus que ces phénomènes apparaissent comme marginaux, en tout cas, si j’en juge par ce que je vois.
Cela dit, une certaine posture médiatique peut donner quelque crédit à ces agitations, souvent montées en épingle et on n’est pas loin dans certains cas de l’imposture pure et simple. Je pense que ce sont des choses qu’il faut dénoncer. Des gens parlent au nom de partis politiques sans en avoir la légitimité, sans en avoir les attributs, quelquefois ils ne sont même pas membres de ces instances qu’ils disent représenter.
C’est un spectacle d’ailleurs qui frise le ridicule et qui n’aura pas d’impact sur la force, la vitalité de ces partis politiques. En tout cas, je peux le dire pour ce qui concerne le Rassemblement des Forces Démocratiques qui est un grand parti, dans lequel les débats sont ouverts à l’intérieur, mais ces débats doivent également être menés dans le respect des formes et procédures.
Le Quotidien de Nouakchott : Au vu de la situation politique actuelle l’opinion s’interroge bien entendu sur l’état des relations entre pro et anti putschistes et particulièrement le RFD. Comment se portent-elles ?
«Le RFD doit rester ce qu’il est, c'est-à-dire un pôle de stabilité ouvert au dialogue avec toutes les parties.»
Kane Hamidou Baba : Nous, nous pensons que nous ne devons nous interdire de dialoguer, de parler avec personne. Notre position c’est de considérer que compte tenu de notre posture, de notre positionnement, le RFD doit rester ce qu’il est, c'est-à-dire un pôle de stabilité ouvert au dialogue avec toutes les parties. Parce que le mal ou ce qui peut aggraver la crise, c’est quand les acteurs ne se parlent pas !
Or, le RFD est bien placé pour parler aux uns et aux autres. Nous avons une position qui nous paraît réaliste, une position qui nous paraît également très engagée pour la défense de la démocratie et le retour à un ordre constitutionnel normal. Donc nous ne pouvons pas ne pas nous retrouver avec ceux qui défendent la démocratie, mais une vraie démocratie. C’est aussi pour cette raison, que nous ne revendiquons pas l’utopie d’un rétablissement de l’ancien Président Sidi Ould Cheikh Abdellahi, par exemple !
Nous pensons que cela appartient au passé et qu’il ne faut pas regarder dans le rétroviseur. Il faut regarder plutôt vers l’avenir, en renforçant, bien sûr, la démocratie au-delà des personnes et de leurs intérêts. Voilà pourquoi nous ne nous privons pas de dialoguer avec les uns et les autres. En tout cas nous restons disponibles.
Le Quotidien de Nouakchott : Donc le fil n’est pas rompu ?
Kane Hamidou Baba : Le fil n’est pas rompu. Nous restons disponibles parce que nous pensons que l’intérêt national commande à ce qu’il y ait un dialogue entre toutes les forces politiques. Nous l’avons dit à plusieurs occasions et notre devoir est de joindre également le geste à la parole.
Propos recueillis par Moussa Diop
source : Le Quotidien de Nouakchott
via cridem