
"on ne peut que donner raison à ceux qui voient derrière ce putsch, l’ombre du mouvement baasiste."
S’est-on manifesté plus ne qu’il fallait, ces derniers temps ? A-t-on agi, comme le font certains, par souci de célébrité ou par désir de rappeler qu’on est sur le carreau depuis de longues années ? Veut-on agacer le lecteur en l’amenant à rechigner, pensant que certaines idées ici sont déjà rabachées concernant la crise qui secoue le pays? Toutes ces questions pourraient se poser dans la tête d’un lecteur paresseux dont on n’a guère besoin en cette période. Qu’on le veille ou non, qu’on le dise tout haut ou tout bas, le pays vit un risque imminent d’éclatement. Seul ceux qui ignorent l’histoire, la sociologie et la géographie de
la Mauritanie, parce qu’ils n’y étaient pas ou parce qu’elle ne les concerne pas, peuvent faire semblant d’ignorer un tel risque !
En manquant une seule fois son heure d’allaitement, un enfant peut en traîner des séquelles pendant toute sa vie, dit-on. Il en est de même pour un pays ayant un chaînon manquant de son histoire.
A la fin du 19eme siècle, c’est-à-dire un peu avant la pénétration coloniale, le pays vivait une fin d’accalmie ayant servi à préparer la poursuite des conflits sanglants qui avaient émaillé les siècles précédents. Au Tagant, le dernier bastion de l’empire Sanhaja, en l’occurrence l’Emirat des Idaw Ich, se préparait, malgré ses divisions internes, à prendre sa revanche sur l’alliance des tribus hassanes qui continuaient à le menacer. Les marabouts Sanhaja du Trarza observaient dans leur volontaire hibernation tactique, l’affaiblissement des tribus guerrières en laissant le temps aux rivalités entre les Brakna et les Trarza, puis entre les branches opposées au sein des dynasties respectives régnantes. La grande confédération des Oulad Ebiery renvoyait ses tentacules - les Idowbrem, les Idekchema et Idaghmsrim- au Brakna dont elle fut chassée par les Ideidba avec l’aide des Oulad Bousba. En Adrar, la grande nébuleuse Idéichelli, d’origine sanhaja, attendait le moment venu pour prendre sa revanche, avec l’appui de ses cousins Idaw Ich, sur les tribus Mghafra détenant le pouvoir émiral dans cette région. Dans l’Assaba et le Tagant, la confédération Kounta, s’inquiétant de la montée des Sidi Mahmoud qui revêtirent désormais un caractère guerrier sous l’impulsion de l’imprévisible et téméraire Abdellahi Ould Lemrabott Sidi Mahmoud, entretenait une guerre d’usure tantôt contre la confédération montante, tantôt contre ses cousins Tajakant. Les Chratit cherchaient, contre la volonté des Tajount et de leurs alliés Soninkés, à franchir l’Oued El Garfa pour occuper tout le Guidimaka.
A l’est, l’imposante confédération Mechdouf, venant à bout de l’Emirat déjà agonisant des Oulad Mbarek, tentait de phagocyter la zone de Couch et de tutoyer la grande confédération Daoud en occupant certaines zones du Tilemsi. L’immense tribu des Laghlal, renforcée par des agrégats venant de tribus en décomposition et poussée par la péjoration climatique vers le sud, cherchait à se faire un territoire à sa dimension, contre la volonté des tribus dominantes, les Tenouajuw et les Oulad Nasser.
Dans tout l’ensemble maure ou almoravidien, on sentait avant la colonisation, l’odeur du baroud. Les razzias formées principalement des Rguebatt et de leurs ennemis d’alors, les Oulad Bousba, allaient du nord du pays jusqu’au Dhar de Néma pour rafler les esclaves et le bétail. Seul le Fouta demeurait plus ou moins calme grâce à son humidité et à ses moustiques.
N’eût été la colonisation, ce kaléidoscope aurait eu, comme partout dans le reste du monde, un aboutissement logique : celui de la formation d’une entité homogène, obéissant à un même pouvoir central, après d’innombrables guerres et d’indicibles atrocités.
La colonisation a donc figé, fossilisé et forcé à hiberner au lieu de civiliser et d’assagir réellement une société dont le potentiel de haine, de rancune et de frustration est loin d’avoir été expurgé jusqu’ici.
Les sédiments de la colonisation, de l’Etat soi-disant national et de la démocratie simulée ne sont encore qu’un verni. Les conflits territoriaux demeurent. Ils sont même devenus plus cruciaux à cause de la raréfaction des ressources naturelles. Les souvenirs agitent encore les esprits. Rien n’a changé au fond, à part que nous avons un drapeau, celui qu’Ely Chandhoura ramena du Maroc et un sceau venant par la même occasion et inconnu du citoyen.
La Mauritanie a connu deux expériences qui auraient pu la sauver définitivement d’un retour à
la Seiba, c’est-à-dire à l’éclatement sur d’innombrables bases tribales, régionales ou ethniques.
En 1960, à son indépendance, le pays eut la chance unique en son genre, de trouver un homme, Moktar Ould Daddah, dont les qualités étaient hors du commun. La génération qui l’avait accompagné méritait autant que lui, respect et considération. Le pays dut croire à voir émerger un Etat qui finit en effet, d’en être un malgré tout. La loi était au dessus de tous, les biens publics étaient sacrés et la justice protégeait tous les citoyens. Au début des années 70, les réformes économiques allaient permettre l’accumulation rapide d’un capital national sur des bases égalitaires et à partir de ressources licites.
Alors que les Mauritaniens espéraient la fin de la guerre que Moktar voulait bien arrêter, les militaires vinrent, au nom de la paix et pour dissimuler d’autres mobiles, mettre fin à vingt ans de rêve.
Près de trente de calvaire où sévit, malgré quelques éclaircies, une sadique et fertile imagination, les Mauritaniens eurent de nouveau l’espoir de pouvoir être dispensés d’un retour quelques siècles en arrière à la recherche de ce chaînon manquant. Ils élirent démocratiquement un homme dont on peut dire tout sauf qu’il manque d’intégrité ou qu’il nourrisse le moindre sentiment d’animosité envers un citoyen quelconque de son pays. Il entreprit de refermer les plaies, de faire sortir les suppliciés de l’esclavage de leur calvaire économique et psychologique et d’assainir une économie rongée par le blanchiment et de trafic des stupéfiants.
Le second rêve n’aura donc été que de courte durée parce que les zombis sont de retour, pour confisquer le pouvoir et conduire le pays de nouveau vers le précipice.
Faut-il s’étonner de voir ces Zombis venir vers nous pour nous rendre compte de leur vie d’outre tombe? Nous avons besoin de retrouver le chaînon manquant de notre histoire, sans revenir en arrière avec les zombis et sans faire courir à notre pays le risque de ressembler à ceux qui sont déjà meurtris par la guerre civile.
L’équipe au pouvoir semble malheureusement nous y conduire sans le savoir. Ce n’est cependant pas un défaut pour un officier auto, fut-il général, de méconnaître la stratégie politique. Ce qui l’est en revanche, c’est l’entêtement de personnes qui passent pour être des intellectuels et qui persistent dans leur erreur de jugement, qui tentent de justifier leur acte par des idées saugrenues fondées sur la prééminence de l’impératif de justice qui exigerait plutôt une « dictature éclairée». On ne peut qu’avoir mal au cœur et pitié pour le pays, en apprenant, même si c’est faux, que de respectables personnes comme Moustapha Ould Abeidarrahmane, Mohamed El Moctar Ould Zamel et Louleid Ould Weddad, pensent soutenir une dictature même éclairée. Quel gâchis!
Nous sommes dans un pays où tout le monde se connaît, où tous ont, les uns avec les autres, des liens de cousinage proche ou lointain. On, sait par conséquent l’origine de toute idée, de tout slogan, de tout jargon politique et idéologique. Aucun régime ne peut dissimuler la couleur idéologique et même idéelle de sa base politique. On sait aussi, lire les images, la démarche des dirigeants, leur façon de laisser le pistolet découvert et le bras levé au ciel, comme celui d’une statue. Nous avons été malheureusement habitués à ces images qui nous rappellent un homme que nous aimons bien mais qui ne reviendra plus, faute d’avoir renoncé à s’entêter, en attendant de meilleurs jours.
La Mauritanie a une longue façade sur l’Atlantique Sud, chasse gardée, qu’on le veille ou non, de l’OTAN. C’est le pays du continent africain le plus proche des cotes américaines. Il regorge de matières premières qui sont certes les nôtres mais dont nous ne pouvons profiter qu’après les autres. Nous ne sommes plus au temps de Mossadek, de Nasser et de Houari Boumedienne. C’est une autre époque où les slogans comme « compter sur ces propres forces », «la dictature éclairée » « la force du peuple», ne sont conjugués, même par les grandes puissances comme la Chine, qu’avec prudence et modestie.
Les idéologies se sont effilochées comme un rêve. Le libéralisme vient de rendre l’âme, après avoir résisté pendant un demi siècle grâce aux bémols keynésiens. Le socialisme tel que rêvé par Marx, Engels et Lénine, s’est avéré une généreuse et simple vue de l’esprit. Le nassérisme échappe encore en reprenant acte de sa dimension africaniste grâce à l’intelligence du Président Mouammar Kaddafi. L’islamisme s’il existe, se noie dans le sang en y noyant le reste du monde. Le baasisme a conduit là où il a conduit et, en ressuscitant, s’il venait à le faire, il devrait au moins se laver la face dans les eaux de l’Euphrate, avant de jaillir au bord de l’Atlantique. Bien que ce soit invraisemblable, on ne peut que donner raison à ceux qui voient derrière ce putsch, l’ombre du mouvement baasiste. Toutes les branches de ce courant sont pour la première fois d’accord depuis vingt ans, pour soutenir le régime des généraux. Les vieilles figures qu’on croyait avoir, du fait de l’age, le devoir de relativiser les choses et de prendre du recul, sont venues au secours des putschistes. Incroyable ! Les baasistes sont pourtant le courant qui a le plus souffert du régime militaire. En 1978, ils avaient fomenté, organisé et soutenu le coup d’Etat contre Moctar Ould Daddah. Ils ne tardèrent pas à être arrêtés, torturés et jetés en prison jusqu’à l’arrivée au pouvoir du colonel Maaouya Ould Taya. Ce dernier en exclut par la suite, des dizaines de l’Armée, et dut plus tard en arrêter un grand nombre. Les figures qui s’agitent actuellement pour constituer une base aux généraux sont celles qui le pus souffert du régime martial. Sont-ils politiquement masochistes au point de se faire mordre deux fois dans le même trou ?
En tout cas, il n’y a pas de dictature éclairée, de même qu’il n’y a pas de liberté sous un régime qui se réfère à une idéologie. L’idéologie est un ensemble de dogmes et, comme dit Orwell, la liberté s’arrête là où commence le dogme. Il est donc étonnant que cette réalité pourtant simple, échappe à des intellectuels qui se disent démocrates et qui, après l’instauration de la démocratie, courent derrière une junte militaire, soit-elle dirigée par le colonel Moustapha Ould Mohamed saleck, le colonel Mohamed Khouna Ould Haidalla, Maaouya Ould Taya ou Cheikh Sid Ahmed Ould Babamine. Si les dieux sont tombés sur la tête, certains de nos intellectuels ont perdu la leur avant de tomber.
Que diront-ils demain à leur peuple ? Dans quelle mare, dans quel fleuve, dans quel océan pourront-ils s’essuyer ? Comment peuvent-ils accepter qu’une femme soit traînée illégalement devant le Sénat alors qu’elle n’a avec lui que le rapport qu’il a avec n’importe quelle personne privée physique ou morale.
La Fondation Khattou est une personne de droit privé tout aussi bien que n’importe quelle boutique du coin. Elle n’a pas été déclarée d’utilité publique pour qu’elle soit justiciable de la Cour des Comptes et soumise au contrôle du Parlement du fait du caractère public de ses deniers, effet juridique de la déclaration d’utilité publique. Si la Fondation Khattou a reçu des subsides indus, il faut punir ceux qui les lui auraient donnés et la mettre ensuite en demeure de rembourser. Ce n’est pas un Far West, où l’on vient violer la pauvre épouse du barman après avoir tué son époux .Ce geste apparemment banal est révélateur d’un état d’esprit qui en dit long sur ce qui attend les Mauritaniens sous un régime pareil. Ce genre de geste se répétera et le régime en viendra à entrer en conflit avec sa propre base politique, pour entamer une autre forme de répression plus systématique. Dans ce cas, rien n’est exclu, même l’exécution du président élu, après avoir simulé son évasion et l’assassinat politique comme méthode de gouvernement
Il en résulte que si les démons anciens se réveillent et s’ajoutent à la dégénérescence idéologique et à la frustration, il ne restera plus aux Mauritaniens que le recours aux armes. Et les armes sont ce qu’il y a qu’il y a de plus facile à se procurer dans ce monde, sur ce continent et dans ce pays en particulier.
La technique ? En Mauritanie, plus que partout ailleurs, il n’y a de différence entre les civils et les militaires, du moins ceux de la milice qui détient le pouvoir, que la couleur des habits. Souhaitons cependant que la raison finisse par avoir raison et que le Général Mohamed Ould Abdel Aziz comprenne que même s’il avait les moyens et le courage de Saddam Houssein, la seule issue pour lui sera de sortir par une porte sécurisée en ayant le mérite d’avoir appris à son pays à préserver la démocratie.
La Mauritanie, autrement qu’en revenant deux siècles en arrière, pourra alors retrouver son chaînon manquant, en construisant un système pouvant tout au moins, l’aider à l’oublier.
SOURCE / LA TRIBUNE 418
S’est-on manifesté plus ne qu’il fallait, ces derniers temps ? A-t-on agi, comme le font certains, par souci de célébrité ou par désir de rappeler qu’on est sur le carreau depuis de longues années ? Veut-on agacer le lecteur en l’amenant à rechigner, pensant que certaines idées ici sont déjà rabachées concernant la crise qui secoue le pays? Toutes ces questions pourraient se poser dans la tête d’un lecteur paresseux dont on n’a guère besoin en cette période. Qu’on le veille ou non, qu’on le dise tout haut ou tout bas, le pays vit un risque imminent d’éclatement. Seul ceux qui ignorent l’histoire, la sociologie et la géographie de
la Mauritanie, parce qu’ils n’y étaient pas ou parce qu’elle ne les concerne pas, peuvent faire semblant d’ignorer un tel risque !
En manquant une seule fois son heure d’allaitement, un enfant peut en traîner des séquelles pendant toute sa vie, dit-on. Il en est de même pour un pays ayant un chaînon manquant de son histoire.
A la fin du 19eme siècle, c’est-à-dire un peu avant la pénétration coloniale, le pays vivait une fin d’accalmie ayant servi à préparer la poursuite des conflits sanglants qui avaient émaillé les siècles précédents. Au Tagant, le dernier bastion de l’empire Sanhaja, en l’occurrence l’Emirat des Idaw Ich, se préparait, malgré ses divisions internes, à prendre sa revanche sur l’alliance des tribus hassanes qui continuaient à le menacer. Les marabouts Sanhaja du Trarza observaient dans leur volontaire hibernation tactique, l’affaiblissement des tribus guerrières en laissant le temps aux rivalités entre les Brakna et les Trarza, puis entre les branches opposées au sein des dynasties respectives régnantes. La grande confédération des Oulad Ebiery renvoyait ses tentacules - les Idowbrem, les Idekchema et Idaghmsrim- au Brakna dont elle fut chassée par les Ideidba avec l’aide des Oulad Bousba. En Adrar, la grande nébuleuse Idéichelli, d’origine sanhaja, attendait le moment venu pour prendre sa revanche, avec l’appui de ses cousins Idaw Ich, sur les tribus Mghafra détenant le pouvoir émiral dans cette région. Dans l’Assaba et le Tagant, la confédération Kounta, s’inquiétant de la montée des Sidi Mahmoud qui revêtirent désormais un caractère guerrier sous l’impulsion de l’imprévisible et téméraire Abdellahi Ould Lemrabott Sidi Mahmoud, entretenait une guerre d’usure tantôt contre la confédération montante, tantôt contre ses cousins Tajakant. Les Chratit cherchaient, contre la volonté des Tajount et de leurs alliés Soninkés, à franchir l’Oued El Garfa pour occuper tout le Guidimaka.
A l’est, l’imposante confédération Mechdouf, venant à bout de l’Emirat déjà agonisant des Oulad Mbarek, tentait de phagocyter la zone de Couch et de tutoyer la grande confédération Daoud en occupant certaines zones du Tilemsi. L’immense tribu des Laghlal, renforcée par des agrégats venant de tribus en décomposition et poussée par la péjoration climatique vers le sud, cherchait à se faire un territoire à sa dimension, contre la volonté des tribus dominantes, les Tenouajuw et les Oulad Nasser.
Dans tout l’ensemble maure ou almoravidien, on sentait avant la colonisation, l’odeur du baroud. Les razzias formées principalement des Rguebatt et de leurs ennemis d’alors, les Oulad Bousba, allaient du nord du pays jusqu’au Dhar de Néma pour rafler les esclaves et le bétail. Seul le Fouta demeurait plus ou moins calme grâce à son humidité et à ses moustiques.
N’eût été la colonisation, ce kaléidoscope aurait eu, comme partout dans le reste du monde, un aboutissement logique : celui de la formation d’une entité homogène, obéissant à un même pouvoir central, après d’innombrables guerres et d’indicibles atrocités.
La colonisation a donc figé, fossilisé et forcé à hiberner au lieu de civiliser et d’assagir réellement une société dont le potentiel de haine, de rancune et de frustration est loin d’avoir été expurgé jusqu’ici.
Les sédiments de la colonisation, de l’Etat soi-disant national et de la démocratie simulée ne sont encore qu’un verni. Les conflits territoriaux demeurent. Ils sont même devenus plus cruciaux à cause de la raréfaction des ressources naturelles. Les souvenirs agitent encore les esprits. Rien n’a changé au fond, à part que nous avons un drapeau, celui qu’Ely Chandhoura ramena du Maroc et un sceau venant par la même occasion et inconnu du citoyen.
La Mauritanie a connu deux expériences qui auraient pu la sauver définitivement d’un retour à
la Seiba, c’est-à-dire à l’éclatement sur d’innombrables bases tribales, régionales ou ethniques.
En 1960, à son indépendance, le pays eut la chance unique en son genre, de trouver un homme, Moktar Ould Daddah, dont les qualités étaient hors du commun. La génération qui l’avait accompagné méritait autant que lui, respect et considération. Le pays dut croire à voir émerger un Etat qui finit en effet, d’en être un malgré tout. La loi était au dessus de tous, les biens publics étaient sacrés et la justice protégeait tous les citoyens. Au début des années 70, les réformes économiques allaient permettre l’accumulation rapide d’un capital national sur des bases égalitaires et à partir de ressources licites.
Alors que les Mauritaniens espéraient la fin de la guerre que Moktar voulait bien arrêter, les militaires vinrent, au nom de la paix et pour dissimuler d’autres mobiles, mettre fin à vingt ans de rêve.
Près de trente de calvaire où sévit, malgré quelques éclaircies, une sadique et fertile imagination, les Mauritaniens eurent de nouveau l’espoir de pouvoir être dispensés d’un retour quelques siècles en arrière à la recherche de ce chaînon manquant. Ils élirent démocratiquement un homme dont on peut dire tout sauf qu’il manque d’intégrité ou qu’il nourrisse le moindre sentiment d’animosité envers un citoyen quelconque de son pays. Il entreprit de refermer les plaies, de faire sortir les suppliciés de l’esclavage de leur calvaire économique et psychologique et d’assainir une économie rongée par le blanchiment et de trafic des stupéfiants.
Le second rêve n’aura donc été que de courte durée parce que les zombis sont de retour, pour confisquer le pouvoir et conduire le pays de nouveau vers le précipice.
Faut-il s’étonner de voir ces Zombis venir vers nous pour nous rendre compte de leur vie d’outre tombe? Nous avons besoin de retrouver le chaînon manquant de notre histoire, sans revenir en arrière avec les zombis et sans faire courir à notre pays le risque de ressembler à ceux qui sont déjà meurtris par la guerre civile.
L’équipe au pouvoir semble malheureusement nous y conduire sans le savoir. Ce n’est cependant pas un défaut pour un officier auto, fut-il général, de méconnaître la stratégie politique. Ce qui l’est en revanche, c’est l’entêtement de personnes qui passent pour être des intellectuels et qui persistent dans leur erreur de jugement, qui tentent de justifier leur acte par des idées saugrenues fondées sur la prééminence de l’impératif de justice qui exigerait plutôt une « dictature éclairée». On ne peut qu’avoir mal au cœur et pitié pour le pays, en apprenant, même si c’est faux, que de respectables personnes comme Moustapha Ould Abeidarrahmane, Mohamed El Moctar Ould Zamel et Louleid Ould Weddad, pensent soutenir une dictature même éclairée. Quel gâchis!
Nous sommes dans un pays où tout le monde se connaît, où tous ont, les uns avec les autres, des liens de cousinage proche ou lointain. On, sait par conséquent l’origine de toute idée, de tout slogan, de tout jargon politique et idéologique. Aucun régime ne peut dissimuler la couleur idéologique et même idéelle de sa base politique. On sait aussi, lire les images, la démarche des dirigeants, leur façon de laisser le pistolet découvert et le bras levé au ciel, comme celui d’une statue. Nous avons été malheureusement habitués à ces images qui nous rappellent un homme que nous aimons bien mais qui ne reviendra plus, faute d’avoir renoncé à s’entêter, en attendant de meilleurs jours.
La Mauritanie a une longue façade sur l’Atlantique Sud, chasse gardée, qu’on le veille ou non, de l’OTAN. C’est le pays du continent africain le plus proche des cotes américaines. Il regorge de matières premières qui sont certes les nôtres mais dont nous ne pouvons profiter qu’après les autres. Nous ne sommes plus au temps de Mossadek, de Nasser et de Houari Boumedienne. C’est une autre époque où les slogans comme « compter sur ces propres forces », «la dictature éclairée » « la force du peuple», ne sont conjugués, même par les grandes puissances comme la Chine, qu’avec prudence et modestie.
Les idéologies se sont effilochées comme un rêve. Le libéralisme vient de rendre l’âme, après avoir résisté pendant un demi siècle grâce aux bémols keynésiens. Le socialisme tel que rêvé par Marx, Engels et Lénine, s’est avéré une généreuse et simple vue de l’esprit. Le nassérisme échappe encore en reprenant acte de sa dimension africaniste grâce à l’intelligence du Président Mouammar Kaddafi. L’islamisme s’il existe, se noie dans le sang en y noyant le reste du monde. Le baasisme a conduit là où il a conduit et, en ressuscitant, s’il venait à le faire, il devrait au moins se laver la face dans les eaux de l’Euphrate, avant de jaillir au bord de l’Atlantique. Bien que ce soit invraisemblable, on ne peut que donner raison à ceux qui voient derrière ce putsch, l’ombre du mouvement baasiste. Toutes les branches de ce courant sont pour la première fois d’accord depuis vingt ans, pour soutenir le régime des généraux. Les vieilles figures qu’on croyait avoir, du fait de l’age, le devoir de relativiser les choses et de prendre du recul, sont venues au secours des putschistes. Incroyable ! Les baasistes sont pourtant le courant qui a le plus souffert du régime militaire. En 1978, ils avaient fomenté, organisé et soutenu le coup d’Etat contre Moctar Ould Daddah. Ils ne tardèrent pas à être arrêtés, torturés et jetés en prison jusqu’à l’arrivée au pouvoir du colonel Maaouya Ould Taya. Ce dernier en exclut par la suite, des dizaines de l’Armée, et dut plus tard en arrêter un grand nombre. Les figures qui s’agitent actuellement pour constituer une base aux généraux sont celles qui le pus souffert du régime martial. Sont-ils politiquement masochistes au point de se faire mordre deux fois dans le même trou ?
En tout cas, il n’y a pas de dictature éclairée, de même qu’il n’y a pas de liberté sous un régime qui se réfère à une idéologie. L’idéologie est un ensemble de dogmes et, comme dit Orwell, la liberté s’arrête là où commence le dogme. Il est donc étonnant que cette réalité pourtant simple, échappe à des intellectuels qui se disent démocrates et qui, après l’instauration de la démocratie, courent derrière une junte militaire, soit-elle dirigée par le colonel Moustapha Ould Mohamed saleck, le colonel Mohamed Khouna Ould Haidalla, Maaouya Ould Taya ou Cheikh Sid Ahmed Ould Babamine. Si les dieux sont tombés sur la tête, certains de nos intellectuels ont perdu la leur avant de tomber.
Que diront-ils demain à leur peuple ? Dans quelle mare, dans quel fleuve, dans quel océan pourront-ils s’essuyer ? Comment peuvent-ils accepter qu’une femme soit traînée illégalement devant le Sénat alors qu’elle n’a avec lui que le rapport qu’il a avec n’importe quelle personne privée physique ou morale.
La Fondation Khattou est une personne de droit privé tout aussi bien que n’importe quelle boutique du coin. Elle n’a pas été déclarée d’utilité publique pour qu’elle soit justiciable de la Cour des Comptes et soumise au contrôle du Parlement du fait du caractère public de ses deniers, effet juridique de la déclaration d’utilité publique. Si la Fondation Khattou a reçu des subsides indus, il faut punir ceux qui les lui auraient donnés et la mettre ensuite en demeure de rembourser. Ce n’est pas un Far West, où l’on vient violer la pauvre épouse du barman après avoir tué son époux .Ce geste apparemment banal est révélateur d’un état d’esprit qui en dit long sur ce qui attend les Mauritaniens sous un régime pareil. Ce genre de geste se répétera et le régime en viendra à entrer en conflit avec sa propre base politique, pour entamer une autre forme de répression plus systématique. Dans ce cas, rien n’est exclu, même l’exécution du président élu, après avoir simulé son évasion et l’assassinat politique comme méthode de gouvernement
Il en résulte que si les démons anciens se réveillent et s’ajoutent à la dégénérescence idéologique et à la frustration, il ne restera plus aux Mauritaniens que le recours aux armes. Et les armes sont ce qu’il y a qu’il y a de plus facile à se procurer dans ce monde, sur ce continent et dans ce pays en particulier.
La technique ? En Mauritanie, plus que partout ailleurs, il n’y a de différence entre les civils et les militaires, du moins ceux de la milice qui détient le pouvoir, que la couleur des habits. Souhaitons cependant que la raison finisse par avoir raison et que le Général Mohamed Ould Abdel Aziz comprenne que même s’il avait les moyens et le courage de Saddam Houssein, la seule issue pour lui sera de sortir par une porte sécurisée en ayant le mérite d’avoir appris à son pays à préserver la démocratie.
La Mauritanie, autrement qu’en revenant deux siècles en arrière, pourra alors retrouver son chaînon manquant, en construisant un système pouvant tout au moins, l’aider à l’oublier.
SOURCE / LA TRIBUNE 418