Après Peuls, récit historique qui contait l’histoire des dynasties peules du Fouta Djalon, dans l’actuelle Guinée, Tierno Monenembo revient à son pays d’origine pour écrire Le Roi de Kahel : roman inattendu dédié à un incroyable aventurier de la colonisation. Olivier de Sanderval est un gentilhomme français assoiffé d’Afrique, qui dans les années 1880 se taille un royaume dans ce même massif du Fouta. Entiché des idées de progrès et de civilisation, il entend apporter la lumière aux Noirs, mais découvre une société homogène, dominée par une aristocratie rebelle à toute influence extérieure : les Peuls. Leurs mœurs à la fois l’exaspèrent et l’enchantent, il apprend à les connaître et réussit après bien des tourments à se faire accepter, signe des traités, se voit autoriser à construire un chemin de fer. Mais cet espoir se brise, toute l’entreprise s’effondre en même temps que le monde peul entre en décadence : la colonisation, la vraie, commence et Sanderval - dédaigné par les bureaux parisiens - constate qu’il appartenait à une époque finissante.
Ce récit foisonnant est en réalité l’épopée d’un colonialiste hors normes : le nobliau lyonnais, qui a déjà fortune faite et position assurée, est avant tout un rêveur et un idéaliste qui se jette à corps perdu dans son utopie et ‘sent’ l’Afrique par toutes ses fibres. Excessif et enthousiaste (Sanderval fait penser au héros rabelaisien du Faiseur de pluie, célèbre roman de l’américain Saul Bellow), l’explorateur prend l’Afrique comme elle est : dangereuse, luxuriante, paradoxale et humaine, surtout humaine. Manquant mille fois d’y laisser sa dépouille, secoué par les fièvres et les diarrhées, accablé par les insomnies, il finit par adorer ce Fouta jusqu’alors fermé aux influences européennes, et sa société : raffinée, cruelle et chaleureuse, aussi subtile que pagailleuse, digne et mesquine à la fois, où l’amitié et la trahison, la ruse et la bravoure sont des vertus égales. Tierno Monenembo fait de ce personnage improbable, pourtant réel, une figure de la possible rencontre entre des mondes qui s’ignoraient. Rencontre que la colonisation n’a pas su produire, ayant suivi une toute autre logique : celle de l’exploitation et de l’’échange inégal’, avec laquelle le héros est en parfait décalage. A ce moment de l’histoire se clôt la période des explorateurs et des conquérants. Place aux administrateurs et leurs calculs, aux affairistes et aux bureaucrates sans ampleur, place à la concupiscence routinière.
Une vision singulière de l’histoire
Tierno Monenembo a-t-il voulu faire une satire de l’’aventure’ coloniale à travers ce personnage coloré ? S’il ne se prive pas de ridiculiser son héros, il le décortique aussi avec tendresse et humour, et livre un récit picaresque où le burlesque côtoie la peinture de mœurs, celle-ci n’épargnant personne. L’auteur ne cesse ainsi de brocarder, quitte à charger le tableau, les travers de ce milieu peul dont il montre en parallèle la déliquescence, dans un récit dense qui propose aussi une vision de l’histoire : cette affaire humaine, trop humaine, où les Africains comme les Européens sont mus par des intérêts étroits et se livrent sans retenue à leur destinée, dans l’ensemble peu glorieuse.
Une telle approche de la période de la colonisation en Afrique a tout ce qu’il faut pour déconcerter. Monenembo n’émet nul jugement, et se contente de faire son travail de romancier, se mettant dans la peau d’un type de personnage dont il pastiche avec aisance les naïvetés et les foucades, les convictions et les irrépressibles besoins, réussissant à reproduire la tournure d’esprit, dans l’environnement culturel et historique qui fut le sien, d’un explorateur de la fin du 19e siècle. Dans cette voie, il réussit une prouesse et donne à sentir et à comprendre bien mieux que ne le pourront de longs discours d’historiens. Selon le langage d’aujourd’hui, Tierno Monenembo n’est certes pas ‘politiquement correct’, et c’est la chance et la grande singularité de son récit.
Des critiques ont pu déplorer la facture très classique de ce roman, couronné par le prix Renaudot. Là encore, Monenembo surprend. Si son écriture parfois détonne, on s’aperçoit au fil du récit qu’elle est efficace. Et qu’on a ici affaire à un vrai conteur peu concerné par la recherche d’effets stylistiques. Ceux qui ont lu le précédent livre de l’écrivain guinéen peuvent vouloir comparer : Peuls était un objet littéraire sans équivalent, entre épopée et récit historico-anthropologique, dans une forme d’écriture singulière, remarquable par ses procédés d’accumulation et de répétition, encore que châtiée. Ici, le classicisme a pris le dessus, les phrases sont courtes, bâties sans surprise, riches en adjectifs et en métaphores communes, relevées par cet usage répétitif d’exclamations que l’on notait déjà dans Peuls. Mais la forme semble convenir au propos, qui est plus insolite et dérangeant que bien des romans à l’écriture moins disciplinée. Au total paraît pleinement mérité un prix Renaudot qui a déjà couronné Kourouma et Mabanckou, et dont il faut souligner qu’il récompense un écrivain discret et inclassable qui a déjà bâti une véritable œuvre. Originale, diversifiée, celle-ci montre un sens du récit et un goût de la thématique novatrice rarement constatés chez les auteurs francophones d’aujourd’hui.
Tierno Monenembo, Le roi de Kahel, Paris, Editions du Seuil, 19 euros.
Thierry PERRET
Source: walfad
Ce récit foisonnant est en réalité l’épopée d’un colonialiste hors normes : le nobliau lyonnais, qui a déjà fortune faite et position assurée, est avant tout un rêveur et un idéaliste qui se jette à corps perdu dans son utopie et ‘sent’ l’Afrique par toutes ses fibres. Excessif et enthousiaste (Sanderval fait penser au héros rabelaisien du Faiseur de pluie, célèbre roman de l’américain Saul Bellow), l’explorateur prend l’Afrique comme elle est : dangereuse, luxuriante, paradoxale et humaine, surtout humaine. Manquant mille fois d’y laisser sa dépouille, secoué par les fièvres et les diarrhées, accablé par les insomnies, il finit par adorer ce Fouta jusqu’alors fermé aux influences européennes, et sa société : raffinée, cruelle et chaleureuse, aussi subtile que pagailleuse, digne et mesquine à la fois, où l’amitié et la trahison, la ruse et la bravoure sont des vertus égales. Tierno Monenembo fait de ce personnage improbable, pourtant réel, une figure de la possible rencontre entre des mondes qui s’ignoraient. Rencontre que la colonisation n’a pas su produire, ayant suivi une toute autre logique : celle de l’exploitation et de l’’échange inégal’, avec laquelle le héros est en parfait décalage. A ce moment de l’histoire se clôt la période des explorateurs et des conquérants. Place aux administrateurs et leurs calculs, aux affairistes et aux bureaucrates sans ampleur, place à la concupiscence routinière.
Une vision singulière de l’histoire
Tierno Monenembo a-t-il voulu faire une satire de l’’aventure’ coloniale à travers ce personnage coloré ? S’il ne se prive pas de ridiculiser son héros, il le décortique aussi avec tendresse et humour, et livre un récit picaresque où le burlesque côtoie la peinture de mœurs, celle-ci n’épargnant personne. L’auteur ne cesse ainsi de brocarder, quitte à charger le tableau, les travers de ce milieu peul dont il montre en parallèle la déliquescence, dans un récit dense qui propose aussi une vision de l’histoire : cette affaire humaine, trop humaine, où les Africains comme les Européens sont mus par des intérêts étroits et se livrent sans retenue à leur destinée, dans l’ensemble peu glorieuse.
Une telle approche de la période de la colonisation en Afrique a tout ce qu’il faut pour déconcerter. Monenembo n’émet nul jugement, et se contente de faire son travail de romancier, se mettant dans la peau d’un type de personnage dont il pastiche avec aisance les naïvetés et les foucades, les convictions et les irrépressibles besoins, réussissant à reproduire la tournure d’esprit, dans l’environnement culturel et historique qui fut le sien, d’un explorateur de la fin du 19e siècle. Dans cette voie, il réussit une prouesse et donne à sentir et à comprendre bien mieux que ne le pourront de longs discours d’historiens. Selon le langage d’aujourd’hui, Tierno Monenembo n’est certes pas ‘politiquement correct’, et c’est la chance et la grande singularité de son récit.
Des critiques ont pu déplorer la facture très classique de ce roman, couronné par le prix Renaudot. Là encore, Monenembo surprend. Si son écriture parfois détonne, on s’aperçoit au fil du récit qu’elle est efficace. Et qu’on a ici affaire à un vrai conteur peu concerné par la recherche d’effets stylistiques. Ceux qui ont lu le précédent livre de l’écrivain guinéen peuvent vouloir comparer : Peuls était un objet littéraire sans équivalent, entre épopée et récit historico-anthropologique, dans une forme d’écriture singulière, remarquable par ses procédés d’accumulation et de répétition, encore que châtiée. Ici, le classicisme a pris le dessus, les phrases sont courtes, bâties sans surprise, riches en adjectifs et en métaphores communes, relevées par cet usage répétitif d’exclamations que l’on notait déjà dans Peuls. Mais la forme semble convenir au propos, qui est plus insolite et dérangeant que bien des romans à l’écriture moins disciplinée. Au total paraît pleinement mérité un prix Renaudot qui a déjà couronné Kourouma et Mabanckou, et dont il faut souligner qu’il récompense un écrivain discret et inclassable qui a déjà bâti une véritable œuvre. Originale, diversifiée, celle-ci montre un sens du récit et un goût de la thématique novatrice rarement constatés chez les auteurs francophones d’aujourd’hui.
Tierno Monenembo, Le roi de Kahel, Paris, Editions du Seuil, 19 euros.
Thierry PERRET
Source: walfad