
Ils seraient près de 700 000 encore sous la dépendance des maîtres, malgré les lois abolitionnistes. Les défenseurs du changement peinent à s'imposer dans le jeu politique actuel.
Ils viennent de recevoir depuis Londres un prix prestigieux. C'était la semaine dernière que l' Anti-Slavery International Award était décerné à SOS Esclaves, mais les militants anti-esclavagistes mauritaniens restent insatisfaits quant à leur présence dans le débat national. «Comme si l'esclavage n'était plus une question politique de premier plan!».
Mohamed Y. ne se définit plus comme fils d'esclave, «parce ce que j'ai eu les moyens de m'affranchir, d'abord psychologiquement, puis par la force de mon engagement associatif, de mon éducation» -il est diplômé d'une université américaine. Quand il en parle, néanmoins, on perçoit dans sa voix révoltée la colère face à des pratiques d'un âge révolu.
Les chiffres varient mais ils seraient pourtant encore près de 700 000 personnes à ne pas pouvoir jouir de la liberté. En connaissent-ils vraiment le sens, eux, les centaines de milliers de maîtres? Chez la majorité maure avec ses haratines, comme au sein des communautés noires (des Horos et des Komos chez les Soninkés, des Torobés et des Mathioubés chez les Halpular, des Guers et des Diams chez les Wolofs…) -ils sont propriétés du maître, sans terre et soumis à des corvées hériditaires...
Tabou. Mohamed Y. soutient activement SOS Esclaves. La reconnaissance internationale réitérée à cette organisation ne suffit pas, apparemment, à faire éclore un débat «plus sincère et moins démagogique au sein de la classe politique locale», estime-t-il. Comme souvent, cette dernière est tellement empêtrée dans des querelles politiciennes que toutes les autres questions essentielles sont ramenées au second plan*.
Ce manque d'engagement politique effectif n'étonne pas les observateurs. Mohamed Y.: «C'est comme si personne ne voulait en parler, par peur de remettre en question, ne serait-ce que verbalement, les pratiques et les avantages des esclavagistes. Même lorsqu'il y a des décisions politiques fortes comme lors de l'abolition en 1981, ou lors de la criminalisation législative de l'esclavage en 2007, la question reste taboue dans le langage quotidien. Cela montre que c'est un problème qui demeure très ancré dans les mentalités des gens, malgré l'existence des lois».
Pour les associations, l'Etat ferme beaucoup les yeux, tandis que la société multiplie des astuces pour banaliser, voire légitimer l'asservissement.
Relations d'allégeance. C'est, qui plus est, une pratique séculaire qui s'accommode fort bien avec les préoccupations économiques actuelles. Nous sommes dans une société où les rapports sociaux restent fortement fondés sur le clientélisme clanique et sur diverses relations d'allégeance. Par peur de perdre toute sécurité sociale, nombre de haratines, ou d'afro-mauritaniens non-affranchis, préfèrent rester sous la «protection» du notable terrien.
Traditionnellement exclus de l'accès à la terre, non instruits -malgré les lois qui le leur autorisent depuis quelques années, ils passent facilement d'anciens esclaves à esclaves modernes au sein des nouvelles exploitations agricoles, ou dans les villes où ils s'entassent dans la kebba, le bidonville.
Voici une situation qui illustre l'impératif de ne jamais disjoindre les droits humains de leur dimension sociale. D'abord parce que l'asservissement a toujours été une question de système de production socio-économique. Puis, parce que la peur de la faim est l'ennemi premier de la liberté, c'est à dire qu'elle empêche nombre de Mauritaniens de casser les chaînes...
En 2007, l'un des plus célèbres fils d'esclaves, Boubacar Ould Messaoud, militant pionnier et homme politique, rappelait avec raison que l'abolition ne pouvait rien sans un accompagnement politique volontariste en faveur des esclaves. Sauf que depuis très peu de choses ont changé... A bientôt.
A lire, pour en savoir davantage :CHEBEL, Malek, L’esclavage en Terre d’islam. Un tabou bien gardé, Fayard, 2007 (l'anthropologue montre comment l'esclavage s'accomode aussi avec une certaine pratique quotidienne de la religion)
Source: youphil
Ils viennent de recevoir depuis Londres un prix prestigieux. C'était la semaine dernière que l' Anti-Slavery International Award était décerné à SOS Esclaves, mais les militants anti-esclavagistes mauritaniens restent insatisfaits quant à leur présence dans le débat national. «Comme si l'esclavage n'était plus une question politique de premier plan!».
Mohamed Y. ne se définit plus comme fils d'esclave, «parce ce que j'ai eu les moyens de m'affranchir, d'abord psychologiquement, puis par la force de mon engagement associatif, de mon éducation» -il est diplômé d'une université américaine. Quand il en parle, néanmoins, on perçoit dans sa voix révoltée la colère face à des pratiques d'un âge révolu.
Les chiffres varient mais ils seraient pourtant encore près de 700 000 personnes à ne pas pouvoir jouir de la liberté. En connaissent-ils vraiment le sens, eux, les centaines de milliers de maîtres? Chez la majorité maure avec ses haratines, comme au sein des communautés noires (des Horos et des Komos chez les Soninkés, des Torobés et des Mathioubés chez les Halpular, des Guers et des Diams chez les Wolofs…) -ils sont propriétés du maître, sans terre et soumis à des corvées hériditaires...
Tabou. Mohamed Y. soutient activement SOS Esclaves. La reconnaissance internationale réitérée à cette organisation ne suffit pas, apparemment, à faire éclore un débat «plus sincère et moins démagogique au sein de la classe politique locale», estime-t-il. Comme souvent, cette dernière est tellement empêtrée dans des querelles politiciennes que toutes les autres questions essentielles sont ramenées au second plan*.
Ce manque d'engagement politique effectif n'étonne pas les observateurs. Mohamed Y.: «C'est comme si personne ne voulait en parler, par peur de remettre en question, ne serait-ce que verbalement, les pratiques et les avantages des esclavagistes. Même lorsqu'il y a des décisions politiques fortes comme lors de l'abolition en 1981, ou lors de la criminalisation législative de l'esclavage en 2007, la question reste taboue dans le langage quotidien. Cela montre que c'est un problème qui demeure très ancré dans les mentalités des gens, malgré l'existence des lois».
Pour les associations, l'Etat ferme beaucoup les yeux, tandis que la société multiplie des astuces pour banaliser, voire légitimer l'asservissement.
Relations d'allégeance. C'est, qui plus est, une pratique séculaire qui s'accommode fort bien avec les préoccupations économiques actuelles. Nous sommes dans une société où les rapports sociaux restent fortement fondés sur le clientélisme clanique et sur diverses relations d'allégeance. Par peur de perdre toute sécurité sociale, nombre de haratines, ou d'afro-mauritaniens non-affranchis, préfèrent rester sous la «protection» du notable terrien.
Traditionnellement exclus de l'accès à la terre, non instruits -malgré les lois qui le leur autorisent depuis quelques années, ils passent facilement d'anciens esclaves à esclaves modernes au sein des nouvelles exploitations agricoles, ou dans les villes où ils s'entassent dans la kebba, le bidonville.
Voici une situation qui illustre l'impératif de ne jamais disjoindre les droits humains de leur dimension sociale. D'abord parce que l'asservissement a toujours été une question de système de production socio-économique. Puis, parce que la peur de la faim est l'ennemi premier de la liberté, c'est à dire qu'elle empêche nombre de Mauritaniens de casser les chaînes...
En 2007, l'un des plus célèbres fils d'esclaves, Boubacar Ould Messaoud, militant pionnier et homme politique, rappelait avec raison que l'abolition ne pouvait rien sans un accompagnement politique volontariste en faveur des esclaves. Sauf que depuis très peu de choses ont changé... A bientôt.
A lire, pour en savoir davantage :CHEBEL, Malek, L’esclavage en Terre d’islam. Un tabou bien gardé, Fayard, 2007 (l'anthropologue montre comment l'esclavage s'accomode aussi avec une certaine pratique quotidienne de la religion)
Source: youphil