
Mohamadou Saidou Touré
L’occupation française du « Sud de la Mauritanie », qui appartenait historiquement au Waalo Barak, au Foûta Tôro et au Guidimakha, s’inscrit dans un plan d’expansion colonial dénommé « la Marche vers l’Est », lequel, amorcé en 1854, connut son aboutissement en 1899, au terme de campagnes militaires qui, d’ouest en est, permirent progressivement à la France de s’emparer de la « Vallée du Sénégal » et du « Haut Niger. »
I. « LA MARCHE VERS L’EST » :
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Le WAALO BARAK
Situé à cheval sur les deux rives du Fleuve Sénégal, le Waalo Barak fut l’un des tout premiers jalons de la « Marche vers l’Est », qui tira parti de la situation géographique stratégique de cette province pour étendre son « expansion coloniale vers l’intérieur de l’Afrique occidentale, par le fleuve Sénégal. » (page 91).
La conquête du Waalo Barak « débuta en mars 1855, et prit fin en décembre de la même année. C’est avec ce royaume que les Français inaugurèrent le processus d’expansion coloniale vers l’intérieur de l’Afrique occidentale par le fleuve Sénégal. » (page 91)
Pour conquérir le Waalo Barak et en faire un tremplin militaire pour son impérialisme, la France attisa les dissensions intestines entre les familles régnantes sur cette vieille contrée du pays wolof traditionnel. L’exacerbation des rivalités politiques et la guerre civile qui s’en suivit- laquelle « opposa la dynastie des Teejjek, au pouvoir à l’époque, à ses rivales Njoos et Loggar »- ne permettaient guère de faire un front commun contre la pénétration coloniale. Soutenus par la France, à laquelle ils doivent leur victoire, « les loggar » jouent le jeu de Saint-Louis dans sa politique d’immixtion dans les affaires intérieures du royaume.
Concomitante au « djihad » d’El Hadj Oumar, qui avait inspiré un sentiment diffus de défiance à l’égard des « Infidèles », la pénétration coloniale dans le Waalo Barak essuya les tirs croisés d’une résistance religieuse populaire - entretenue par les marabouts- et ceux, politiques, des dynasties évincées du trône, qui tentèrent de capitaliser, à leur profit, le ressentiment religieux contre les Français :
« nous parlerons brièvement de la guerre civile qui opposa la dynastie des Teejjek au pouvoir à l’époque à ses rivales Njoos et Loggar et ses conséquences dans l’occupation des territoires nord du Waalo Barak en vue de la conquête coloniale de l’émirat de Trarza. Cette guerre avait abouti à la victoire de ces derniers, grâce à l’appui des Français. C’est en reconnaissance de cette dette politique et militaire que les loggar acceptèrent de travailler en faveur des intérêts de Saint-Louis dans la politique d’ingérence que la colonie allait mener au Trârza, de 1880 à la conquête militaire coloniale de cet émirat en 1902.
Une résistance contre l’occupation coloniale du pays s’était poursuivie pendant quelques années après la conquête militaire. Elle revêtit plusieurs aspects. Une résistance d’inspiration religieuse fut entretenue, souvent avec des moyens armés, entre 1856 et 1858, période pendant laquelle la Tijâniyya d’obédience umarienne réussit à influencer une masse paysanne de plus en plus sensible à un islam qui avait intégré libérateur, prometteur de paix contre les pillages des tribus guerrières bîdân, et contre les Français et leurs alliés loggar et Njoos. Une partie de l’aristocratie avait été sensible au discours des religieux, mais pour d’autres raisons : elle avait cherché à s’appuyer sur ces derniers pour retrouver ses privilèges politiques perdus. » ( pages 91-92)
Mais la collaboration sans réserve de l’aristocratie triomphante et la répression expéditive de Faidherbe (exécutions publiques) eurent tôt fait d’avoir raison de la résistance des habitants du Waalo Barak :
« (…) Youga Faly, chef de révolte, Madiao Khor et Biram Gaye, ayant été reconnus par tous comme les instigateurs de ces troubles et s’étant montrés déjà dans plusieurs circonstances ouvertement hostiles contre nous, furent condamnés et fusillés sur-le-champ en présence d’une population considérable. Les autres furent déportés. »
Faidherbe (20 septembre 1858 à Brën) : cité par Barry
Après la pacification du Waalo Barak, ce fut le tour du Foûta Tôro d’être confronté à l’expansionnisme français : de1858, date de la scission du Dimat de la « confédération » du Foûta Tôro, à 1891, celle de l’assassinat de Abdoul Bokar Kane, opposant inflexible à la pénétration coloniale.
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LE FOÛTA TÔRO :
En cette période des « Almamy », guides politiques et religieux qui « dirigeaient » le Foûta Tôro depuis la « Révolution théocratique » de 1775, certaines provinces avaient à peine voix au chapitre, celles du centre (le « Reedu Fuuta ») se taillant la part du lion, par leur sur-représentativité dans l’instance d’élection et de destitution des chefs de l’Etat de la confédération. Les Français, qui avaient à cœur le démembrement du Foûta Tôro, soutinrent et entretinrent les velléités autonomistes des chefs politiques des régions périphériques qui « se considéraient politiquement marginalisés ». La province la plus vulnérable et la plus proche du Waalo Barak, le Dimat, fut annexée à la colonie du Sénégal par le « traité » du 18 juin 1858 ». (page 109)
La ratification de l’annexion du Dimat à la colonie du Sénégal exposa son signataire, Abdoul Boli Kane, à de violentes remontrances de la part des défenseurs de l’intégrité territoriale du Foûta Tôro. Quelques semaines après la partition du Dimat, Abdoul Boli Kane fut assassiné pour avoir entériné la sujétion d’une région du Foûta Tôro à Faidherbe.
L’exemple de Dimat ne tarda pas à faire des émules. A son tour, une autre province périphérique, le Tôro, demanda la protection de la France, sous la pression de pillages des tribus guerrières maures du Brakna qui laissaient la confédération du Foûta Tôro complètement désarmée.
Mais, ce sont surtout les rivalités, entre Abdoul Bokar Kane (de Dabiya, dans le Bossoya) et Ibra Almamy Wane (de Mboumba, dans le Laaw) qui finirent par parachever la colonisation du Foûta Tôro. Cette sourde rivalité, motivée par un appétit de préséance politique, plongea le Foûta Tôro dans une guerre civile fratricide, dans laquelle des ligues, coalisées autour des deux chefs, ne manquèrent pas de saigner à blanc un pays exsangue, déjà atrophié de deux de ses provinces :
« Entre 1860 et 1890, le Fuuta Tooro vécut les périodes considérées les plus difficiles du régime des almameebe. Une guerre civile fratricide donna l’occasion aux Français de réaliser la seconde phase de leur programme. Cette guerre civile fut dominée par une succession de batailles dévastatrices qui opposèrent le Boosoya d’une part, le laaw, le Yirlaabe et le Hebbiyaabe, d’autre part. Ces luttes opposèrent principalement les parentèles rivales de ces provinces qui avaient pourtant des liens de sang par des relations matrimoniales complexes qui caractérisent les familles des Toorobbe, des Aynaabe et des Sebbe dans ce pays : les Wanwanbe de Mbummba (Laaw) alliés aux Aanaanbe de Pete (Yirlaabe Jeeri) contre les Kanhanbe de Daabiya Odeeji, les Liidube de Cilony-kayhaydi, les Bahbahbe de Asnde Balla, les Acacbe de Rinnjaw et les Salsalbe de Njafaan, etc. Cette guerre civile a été surtout l’œuvre de deux hommes aux ambitions politiques démesurées et dont les objectifs étaient tout sauf les intérêts de leur pays et des provinces qu’ils prétendaient représenter et défendre. Ibra Almaami Wan et Abdoul Bookar Kan voulurent jouer chacun le premier rôle sur l’échiquier politique du pays ». (page 112).
Pour contrecarrer l’hégémonie du Bossoya, Ibra Almamy Wane s’allia à la France, contre Abdoul Bokar Kane, qui avait opposé un refus catégorique à sa demande légitime d’intégrer le cercle devenu restreint et fermé des familles électrices (« jaagorDe Fuuta») :
« Les trente-cinq almameebe que le Fuuta Tooro connut entre 1775 et 1890 étaient des Toorobbe, issu tous du groupe des Lawakoobe. L’almaami était élu par le batu mawbe (grand conseil des électeurs) composé de jaagorde ou grands électeurs qui représentaient initialement les huit provinces (diwanuuji) du pays. Le souci du législateur était de créer un équilibre entre l’autorité de l’almaami (pour l’empêcher de revenir à la monarchie) et les représentants des provinces. Après la disparition du premier almaami Abdul Kaadiri Kan, la réalité du pouvoir politique fut entièrement confisquée par les jaagorde qui avaient organisé son assassinat ; la fonction de jaagorgal qui était, dans les principes, une fonction élective devint alors héréditaire et source d’enjeux du pouvoir et de crises politiques. » (Page 72).
Aussi, sous l’instigation de Ibra Almamy Wane et de son allié Ismaïla Siley Aan, les provinces du Laaw et de YirlaaBe, firent-elles sécession. Elles firent allégeance à la France, à laquelle les dissidents prêtent main forte pour conquérir les provinces de leur pays qui n’étaient pas encore sous protectorat français.
Jusque-là la France était contrainte de surseoir à son dessein du maillage télégraphique de la Vallée du Fleuve Sénégal, qui devait hâter la progression de sa « Marche vers l’Est ». En donnant, sans réserve, leur approbation à cette entreprise qui consacrait l’expansionnisme français, les nouveaux alliés de la France donnèrent sur un plateau une opportunité inespérée de conquête –le télégraphe- à la puissance impériale européenne. Ce à propos de quoi, Abdoul Bokar Kane, partisan de l’indivisibilité et de l’intégrité territoriale du Foûta Tôro, ne se trompa guère :
« (…) nous ne serons jamais d’accord, tant vous permettez aux Keffirs (Chrétiens) de venir chez vous pour y faire des cantons et diviser le pays. Du reste, vous leur avez déjà permis, sans rien dire, de laisser faire le télégraphe depuis Podor jusqu’à Tebekouk (…) ceux qui refusent comme nous seront nos amis ; ceux qui seront avec les keffirs et accepteront ce qu’ils demandent seront nos ennemis. (…) Si vous voulez, il y aura un seul pays sans division, ni séparation. » (page 117).
(Extraits d’une lettre de Abdul Bocar Kane à l’attention de Ismayla Siley Aan, allié des Français, qui leur transmit la lettre le 11 janvier 1879.)
Au gouverneur Brière de L’Isle, Abdoul Bokar Kane adressa aussi une lettre, dont la teneur nationaliste -aux mobiles politiques et religieux inextricables- entrait dans le droit fil de l’argumentaire de la résistance anticoloniale de ses contemporains, notamment celui des lettrés musulmans de sa région. Abdoul Bokar Kane a, tout de même, une idée assez claire des rapports de force :
« (…) les lignes téléphoniques que l’on veut placer dans notre pays ne sont qu’un moyen de nous dominer et changer notre religion. Si on emploie la force, nous quitterons notre pays et il ne sera plus habité que par des chacals, car nous ne consentirons jamais à être les esclaves de personne. » (page : 119)
(Extraits d’une lettre de Abdul Bocar Kane à l’attention du gouverneur Brière de l’Isle):
La « destruction des « fils du télégraphe » à Nguy « par des éléments du Mouvement de la Jeunesse du Boosoya, que dirigeait [le] propre fils » de Abdoul Bokar Kane, ne tarda pas à mettre le feu aux poudres.
Toutefois, le sentiment de défiance à l’égard du colonisateur était trop prégnant, y compris dans les provinces alliées à la France, pour que la conquête du Bossoya pût se faire sans accrocs .Entre le soutien indéfectible de chefs acquis à la cause française et le déficit de ferveur de leurs peuples, oscillant entre un enthousiasme tiède et une franche hostilité à la France, l’entreprise de parachèvement de la conquête du Foûta Tôro essuya beaucoup de revers, dont l’assassinat de l’administrateur colonial Abel Jeandet par Baïdy Kathié PAM ne fut pas le moindre :
« Le 2 septembre 1890, cette coalition fit assassiner à Haayre laaw Abel Jeandet. En août-septembre 1890, en pleine campagne contre le Boosoya, Abel Jeandet avait reçu l’ordre de réunir un contingent du Tooro pour concourir, si besoin était, à l’action du colonel Dodds, le commandant supérieur des Troupes de la colonie contre Abdul Bookar Kan et Al Buri Njaay au Boosoya. (…) Des groupes opposés à la présence française parcouraient la province pour convaincre les habitants à ne pas répondre à l’appel de l’administration coloniale. Un jeune homme d’environ 24 ans du nom de Baydi Kacce Paam, originaire de Giya près de Podoor, s’était fait remarquer particulièrement par son hostilité contre le jagodin du laam Toor qui supervisait la levée d’une troupe dans le canton de Gede. (…) A Haayré Laaw, Baydi Kacce tua d’un coup de fusil Abel Jeandet, en présence de Bubakar Abdul Kan
(…) L’ancien laam Tooro Sidiik Sal, Mamuudu Yero Sal et Bubakar Abdul Kan furent accusés de complicité et arrêtés. Pour faire un exemple et dissuader toute velléité de révolte, un procès fut organisé immédiatement à l’issue duquel Baydi Kacce fut exécuté le 10 septembre 1890 sur la place publique de Podoor devant tous les chefs du Tooro. Comme il se vantait d’aller au paradis pour avoir tué un « infidèle » l’administrateur en mission spéciale, Aubry-Lecomte, fit jeter son corps en pâture aux crocodiles du fleuve et sa tête, mise au bout d’une pique, fut exposée à la place de Podoor. Sidiik Sal et Mammadu Yero Sal furent pendus nus, cinq jours plus tard. Leurs corps furent ensuite exposés à la même place de Podoor. Bubakar Elimaan Kan fut libéré, quant à lui, faute de preuves ». ( pages 206-207)
Depuis Kaédi, où il avait établi le quartier général de ses campagnes militaires, Abdoul Bokar Kane, soutenu par les tribus maures Twabir et Awlad Eli, fait des incursions sur les territoires du Foûta Tôro assujettis à la France : il sera rejoint par le « bourba » de Djolof, dont le pays venait d’être bombardé par la France. Mais, à l’aube du 29 juillet 1890, le feu nourri de la mousqueterie du colonel Dodds plonge Kaédi dans une peur panique. Le « vieux Kaédi », le quartier de Touldé, se réveille en débandade. Dans l’affolement et la confusion de la canonnade, Touldé fut pillé par ses alliés Twabir : parmi les victimes, de nombreux Wolof venus soutenir leur chef, Al Bouri Ndiaye. L’unité de front entre le bouillant chef de Bossoya et le « bourba » de Djolof fut rompue par les mousquetaires du colonel Dodds.
Chassé de son quartier général et replié dans l’Assaba, Abdoul Bokar Kane n’en continue pas moins de lancer ses assauts sur des cibles stratégiques.
Mais la ferveur initiale qui avait salué les positions anticoloniales de Abdoul Bokar Kane ne tarda pas à se muer en hostilité ouverte, à cause de ses embarrassants alliés, qui vandalisaient allègrement les habitants du Foûta Tôro : ce qui réduisit – malgré les griefs de certains de ses compagnons bidhân- la fréquence de ses opérations militaires, lesquelles, avaient, en effet, fini par prendre le tour de banales rapines, sans lien crédible avec l’occupation française qu’il combattait.
En promettant une rançon à quiconque éliminerait Abdoul Bocar Kane et en décrétant un embargo sur la rive droite du Fleuve Sénégal pour « affamer » les tribus maures et les obliger à se débarrasser de leur intraitable hôte, la riposte de la France fut imparable. Le 04 août 1891, tandis que Abdoul Bokar et ses compagnons « quittaient la tente de leurs hôtes (…) et leur tournaient le dos pour se diriger vers leurs chevaux. » (page 147), il est assassiné par Ould Ethmane, le neveu de Moukhtar Ould Moukhtar Ould Mohamed Chein, un chef de la tribu des Chrâtit.
Après la mort de Abdoul Bokar Kane, le Foûta Tôro devient, tout entier ; un « Territoire administratif de la colonie du Sénégal ».
Désormais, les actes de résistance sont insignifiants ; mais, sous la cendre des territoires naguère indépendants pétillent encore, de manière sporadique, spontanée et isolée, des étincelles anticoloniales.
Il n’y a plus, à proprement parler, de groupes sécessionnistes bien structurés face à un parti « unioniste » officiellement constitué ; mais on retrouvait encore les « unionistes » (partisans de l’intégrité territoriale du Foûta Tôro) jusque dans le cercle familial rapproché des familles régnantes alliées à la France. Abdoul Aziz Wane (frère et successeur de Ibra Almamy Wane, l’auteur du traité du 16 mai 1880 qui plaça le Laaw sous protectorat français) meurt assassiné par certains membres de sa propre famille, qui épousaient les positions de Abdoul Bokar Kane :
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LE GUIDIMAKHA
La conquête du Guidimakha, elle, eut lieu dans un contexte particulier, car, à la veille de la pénétration française, cette région soninkée était sous le joug des Massasi. Elle n’en aiguisait pas moins le double appétit impérialiste de Faidherbe, gouverneur de Saint-Louis du Sénégal, et d’El Hadj Oumar Tall, le conquérant haal-pulaar :
- Enclenchée en 1854, dans le Waalo Barak, la « Marche vers l’Est » de l’expansion française devait gagner impérativement le Guidimakha pour continuer sa progression.
- Quant à El Hadj Oumar Tall, la conquête du Guidimakha, situé entre le « Haut-Sénégal-Niger » (« où il avait créé son Etat islamique ») et le Foûta Tôro, lui évitait d’exercer son autorité sur un espace fragmenté et discontinu. Aussi, cette position charnière stratégique valut-elle à une partie du Guidimakha d’être occupée par El Hadj Oumar Tall.
Mais, bientôt un modus vivendi départagea les deux impérialismes français et haal-pulaar, reconnaissant à chacun une aire d’influence qui lui est propre. D’abord tacite, cette reconnaissance réciproque devient officielle par la signature, le 18 août 1860, du « Traité de Medine ». Si l’accord conclu entre la France et El Hadj Oumar situait le Guidimakha dans la « zone d’influence française », en revanche les populations de la région, de confrérie « tidjane », continuèrent à verser, jusqu’en 1891, le « zakat » à l’Etat « islamique» d’El Hadj Oumar, mort en 1864.
Lorsque, dans le cœur du Gidimakha, un mouvement anticolonialiste naquit dans les années 1880, les représentants d’Amadou Sékou (le fils aîné d’El Hadj Oumar) virent dans l’émergence d’une personnalité locale charismatique capable d’incarner un nationalisme soninké intransigeant le tarissement de l’une de leurs sources de revenus : le « zakat », impôt religieux que les Soninkés leur versaient. Aussi, soutinrent-ils les Français pour éliminer le résistant Mamadou Lamine Dramé.
L’armée française bénéficia aussi du soutien de tribus maures Chratit et Swaker, qui lui servirent d’éclaireurs pour identifier les foyers de résistance, qu’elle élimina méthodiquement. Le lieutenant-colonel Frey (dans le Gajaaga et le Guidimakha) et le « chef de bataillon Combes » (dans le Kamera) incendièrent paisiblement une centaine de villages soninkés qui avaient osé s’identifier à la résistance du marabout anticolonialiste.
Aussi, le marabout Mamadou Lamine Dramé, pris entre le marteau et l’enclume, devait-il mener conjointement des actions de résistance contre les impérialismes français et haal-pulaar et contre leurs alliés maures :
« Entre le 10 et le 24 mai 1886, plus de cent villages furent transformés en un immense brasier par les colonnes de Combes et Houry : Gemmu, la première citadelle de la Tijâniyya en pays sooninke, Kummbandaw, le grand centre religieux, Jogunturo, Ambideedi, jamaane, Gumjuru, etc. La répression fut telle qu’elle suscita de vives protestations à Saint-Louis et à Paris. Du Kamera au Ngwey, toutes les tentatives de soulèvement contre l’occupation franco-fuutanke furent réprimées sauvagement ». (page :157-158)
Souaybou, fils de Mamadou Lamine Dramé, n’échappe pas, non plus, aux représailles des alliés de circonstance de la France. Il est pourchassé par les « Ahel Sîdi Mahmûd » et les Chratit : « accompagné de neuf de ses meilleurs cavaliers, [il] réussit à briser le cercle bidân qui l’étreignait pour reprendre la direction du sud, vers le fleuve » ; mais, il fut capturé par les habitants de Dikokori, livré au lieutenant Michanberg et exécuté à Bakel, le 3 mai 1887, « pour l’exemple », selon la sentence de Gallieni.
Mamadou Lamine Dramé aura un sort similaire, quelques mois plus tard ; mais, ce sont les hommes de Moussa Molo, chef peul du Fouladou, qui l’assassinèrent.
Avec la mort de Mamadou Lamine Dramé, c’est en fini de la lutte armée contre l’occupation coloniale en pays soninké. Le Guidimakha sollicite officiellement la protection de la France, d’autant que Bakkar Ould Sweid Ahmed avait, lui aussi, des visées expansionnistes sur le pays soninké.
L’intégralité du Sud mauritanien conquis, les Français ont désormais la mainmise sur un territoire contigu au pays maure, position militaire stratégique pour conquérir le « Trâb El Bîdhân », dont la conquête relevait de la « Marche vers le Nord », laquelle devait, à terme, permettre à la France de « relier les rives de la Méditerranée aux bassins du Sénégal et du Niger ».
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II. « LA MARCHE VERS LE NORD »
LE « PAYS MAURE » OU « TRÂB EL BÎDHÂN », LITTERALEMENT
« TERRE DES BLANCS »
La conquête du pays maure entrant dans « la logique d’une entreprise de conquête des pays musulmans », un homme, Xavier Coppolani, auteur d’un « traité sur une confrérie musulmane » d’Algérie -où il avait fait « toute sa carrière administrative »- était tout indiqué pour faciliter l’occupation française du « Trâb El Bidhân », grâce notamment à sa connaissance de l’arabe et des sociétés « mahométanes ». L’expérience de la conquête et de l’occupation de l’Algérie, où la France mit à profit les rivalités intestines pour conforter son assisse, tient lieu de modèle de stratégie pour la sujétion du pays maure.
Arrivé à Nioro en 1899, Coppolani fit dépêcher des messagers à Oualata, à Tichit, Chinguiti et à Ouadane, « villes saintes » représentant « un symbole religieux » pour les Maures et les Touareg. Mieux, il rendit même visite « aux Ahel Sidi Mahmûd, aux Awlâd Nasr, à quelques campements des Awlâd Mbârek (…) » (Page : 330). Celui que l’on a surnommé le « charmeur », grâce à son sens de la communication, fait une bonne impression chez « Ahel Shaykh Muhammad Vâdel, dont les membres étaient dispersés depuis le Hodh jusqu’à la Saqiyya al Hamra. » Leur soutien précieux lui permit «d’être accueilli plus favorablement par les principales tribus du Tagant, du Hodh et de l’Azawâd, à la différence des Twareg et des Berabish ».
L’heure de la conquête n’a pas encore sonné : les traitants de Saint-Louis, soutenus par « le Gouvernement général », qui veillait sur leurs intérêts commerciaux avec les caravanes maures, étaient hostiles à la conquête du « Trâb El Bîdhân ». L’influence des commerçants de Saint-Louis fut, cependant, de courte durée, un faisceau convergent de facteurs favorables à Coppolani lui ayant laissé les mains libres pour mettre en œuvre son dessein colonial :
- La signature, en 1901, du « traité franco-espagnol qui, même s’il ne lui autorisait pas de conquérir les territoires situés au Nord du parallèle 20° et 21’, permettait à la France d’occuper les territoires compris entre ce parallèle et le Sénégal ».
- La mort, en janvier 1902, du « gouverneur général » Noël Bellay (principal soutien des commerçants saint-louisiens) et son remplacement par Ernest Roume, plutôt favorable aux thèses coloniales de Coppolani.
- La « séparation administrative et politique entre la direction de l’AOF et celle de la colonie du Sénégal (…) cette nouvelle politique fut inaugurée par une promotion de Coppolani qui, par décret du 4 juin 1902 et sur proposition du ministre des Colonies, fut nommé secrétaire général de seconde classe chargé d’étudier l’organisation d’un service des Affaires musulmanes et sahariennes à la présidence du Conseil. » (page340)
Propices, ces circonstances enclenchent la conquête du pays maure, où les clivages politiques et tribaux donnèrent, de leur côté, de l’allant au rêve que caressait Coppolani de soumettre à la sujétion française le « Trâb El Bîdhân »
Théâtre de rivalités de préséance politique et religieuse, le Trarza s’offrit d’abord, sans résister, à une France manœuvrière, qui sut, opportunément, opposer les uns aux autres : jetant son dévolu sur telle branche régnante, au détriment de telle autre ; promettant la sécurité aux familles maraboutiques, dont la stabilité et la tranquillité étaient tributaires du bon vouloir des familles guerrières, etc.
A la différence du Trarza, le Brakna vivait dans une relative stabilité politique à l’arrivée des Français. Certes, les Awlad Seyyid et les Djeyba étaient en conflit avec les Awlad Ebieri, soutenus par les Awlad Ahmed ; certes, l’émir n’était reconnu, à proprement parler, que par les Awlad Seyyid et les Awlad Mansour ; cependant, « il n’y avait pas une situation de conflit à l’état endémique comme au Trârza, où les assassinats entre familles politiques consanguines étaient devenues monnaie courante ». En outre, l’émir du Brakna, Ahmeddou ould Sidi Eli, pouvait même se prévaloir du traité signé le 18 octobre 1891 entre son défunt père (mort en 1893) et la France, dont l’article II engageait celle-ci à protéger le pouvoir familial contre ses adversaires.
L’émir du Brakna manifesta toute sa bonne volonté d’être en bonne intelligence avec la France, si celle-ci préservait ses intérêts et respectait ses engagements. Pour donner des gages de cette coopération, l’émir « décida même de mettre fin, dès décembre 1902, à la guerre de soutien qu’il menait en faveur des Djeyjbe contre les Awlâd Ebieri. Il était venu même rencontrer Coppolani à Sow’t lme, accompagné des représentants des principales tribus Awlâd Abdallah (Awlâd Seyyid, Awlâd Noghmach, Awlâd Eli) et de ceux des Awlâd Ahme »
L’émir du Brakna avait renoncé à certaines de ses « prérogatives », moyennant un appui français ; mais, bientôt les intentions de Coppolani apparaissent sous un autre jour : l’installation stratégique d’un poste militaire à Boghé lève le voile sur les visées expansionnistes de la France sur le pays maure:
La réaction des émirs du Brakna, du Trarza et du Tagant (ligués contre Coppolani) et celle de certaines tribus znaga (Aralen, Twabir) et haratine (Awlad Tanak) qui échappaient à tout contrôle émiral, ne se fit pas attendre. Ils alternèrent saccage sur saccage dans les villages de la Vallée du Fleuve Sénégal qui abritait des postes militaires français, faisant main basse sur le bétail, sans épargner ni femmes, ni enfants, au grand bonheur des traitants de Saint-Louis du Sénégal, accoutumés à tirer de ces pillages une source conséquente de revenus, avec l’accord tacite des autorités coloniales. Or, désormais le gouverneur de Saint-Louis, favorable à la conquête du pays maure, ne l’entend plus de cette oreille :
« De ces mœurs résultait une véritable spéculation sur les animaux volés, les femmes et les enfants enlevés. Toute une catégorie de négociants connus sous leur qualificatif propre de « traitants » retiraient grand profit de ce commerce d’échange conditionnel. Ils devenaient les intermédiaires entre les guerriers et leurs victimes. Leur neutralité, formée par ces mœurs particulières, les portait à les considérer comme la base même de leurs transactions avec les Maures. Leur surprise et leurs protestations ont été grandes quand ils ont connu l’intention du gouvernement de les faire disparaître. La suppression du commerce des captifs et des armes qui était très rémunérateur soulevait en particulier leur indignation ».
(pages 351- 352).
[Source :ANS 9G 20, territoire de Mauritanie, situation politique et organisation administrative, 1903, 20 juin 1903, télégramme Sénégambie à cercle de Dagana, Podor, Matam, Bakel]
Malgré cette recrudescence de pillages à but dissuasif, la page de l’indulgence avec les guerriers maures est bien tournée, et Coppolani a le soutien du Gouvernement Général. Celui-ci n’entend plus fermer les yeux sur les razzias des tribus guerrières maures, ni ménager les traitants de Saint-Louis, « recéleurs » de longue date du commerce lucratif de leurs traditionnels brigandages.
Les guerriers maures menacent même de mort le marabout Cheikh Sidya Bâbe qui, hostile
à l’anarchie qu’ils faisaient régner, n’avait pas hésité à voir dans la présence française en pays maure un « bienfait d’Allah » :
« Pour donner plus de caution morale et politique à cette présence française et amener encore plus de tribus à se soumettre, le shaykh Sidya Bâbe prononça une fatwa dans laquelle il justifiait l’occupation française du Trârza qu’il qualifia de « bienfait d’Allah » (Désiré-Vuillemin 1952 : 309). Pour appuyer cette fetwa, Coppolani promit que les Français appliqueront « (…) une politique de conciliation basée sur le respect absolu des mœurs et de la religion de [leurs] nouveaux sujets ». (Gillier 1926 : 115) Toujours grâce au soutien du shayk, Coppolani atteignit Kroufa où il installa un poste. Le shaykh Sidya Bâbe se rendit encore plus utile aux Français en réussissant à obtenir la soumission de Sîdi Wul Mohamed Vâl et de ses quelques deux cents guerriers ». page 346).
Le 23 décembre 1903, la révocation de l’émir Ahmeddou et la confiscation de ses biens « au profit du Trésor public de la Mauritanie » (page 359) scelle définitivement le sort de l’émirat du Brakna. Celui qu’on a surnommé « le pacificateur de la Mauritanie » poursuit son avancée dans le « Trâb El Bîdhân » (« Terre des Blancs ») et continue à obtenir, tantôt la reddition, tantôt l’allégeance de tribus et de notabilités maures, dont les propres frères du célèbre résistant « shaykh Ma El Aynin »:
« Une semaine avant la réunion des Brakna à Regba, Coppolani avait organisé une assemblée identique de tribus à Kayhaydi afin d’y recevoir ses alliés du Hodh, notamment le shaykh Turâd et le shaykh Sîdi El Kheir venus réaffirmer leur soutien inconditionnel, malgré les critiques de leur frère, le shaykh Ma El Aynin. Il y reçut également les représentants d’autres tribus qui avaient accepté de se soumettre à l’autorité française : Ehel Sidi Mahmûd, Kunnta Ekhel du Tagant, Lemtuna..» ( page 359)
Le 2 janvier 1904, Coppolani tient une réunion à Boutilimit, où il fit construire un poste militaire pour accélérer la « pacification » du Trâb El Bîdhân et veiller à la sécurité du Cheik Sidya Bâbe, l’un des partisans les plus ardents de la conquête du pays maure. Le conquérant français cherche à en découdre avec deux grands bastions de la résistance maure : le Tagant et l’Adrar. Il avait emmené, avec lui, des soldats originaires du Walao Barak, du Foûta Tôro, du Guidimakha et même de l’Algérie. Son hôte, le Cheikh Sidya Bâbe, y adjoint des soldats Awlâd Ebieri et Tajakant pour aider à prendre en étau l’Adrar ; des éléments de tribus ralliées, comme les Oulad Bousba, ne sont pas en reste :
« Les Français « s’assurèrent d’abord de la soumission des Awlâd Seyyid. Coppolani se rendit ensuite le 2 janvier au Trârza pour solliciter le soutien religieux, politique et militaire du shaykh Sidiya Bâbe. C’est à l’occasion de sa visite à Boutilimit que lui et ce dernier s’entendirent sur la coopération de ce dernier dans le projet de campagne de conquête de l’Adrar. Les Awlâd Ebieri pénétreraient l’Adrar par le Sud, à partir du Trârza, tandis que la colonne française envahirait ce pays à partir du Tagant. Le shaykh Sidiya Bâbe mit à la disposition de « la mission Tagant-Adrâr » un goum composé de vingt-cinq Awlâd Ebieri et de Tajakant conduits par un de ses gendres et cent dromadaires pour monter ce goum et compléter celui des cent vingt Algériens, dont une partie était montée à cheval. Il y avait aussi les tribus dont les délégations s’étaient présentées à Boutilimit pour fournir, chacune, à la mission des dromadaires porteurs. Du Trârza arrivèrent aussi un goum de Noirs venus du Waalo Barak et un goum de Awlâd Busba ralliés conduits par le capitaine Frèrjean qui venait du poste de Nouakchott. Copplani quitta le Trârza le 22 janvier. Il arriva à Aleg le 1er février. Le capitaine Devaux et l’administration Lestre de Rey l’y rejoignirent avec trois goums composés de Noirs recrutés à Kaay [dans l’actuel Mali], Podoor [dans le Foûta sénégalais] et à Boggee».
(Pages 362-363).
Entre février et mai 1905, de combats sanglants opposent les armées de Coppolani aux résistants maures. Le 01 avril 1905, les Idowish essuyèrent un sérieux revers: l’émir Bakkar Ould Sweid Ahmed, « l’unificateur politique des tribus guerrières opposées à l’expansion du colonialisme français dans le Trâb El Bîdhân. » et qui « était devenu, à la fin, le pendant guerrier et militaire du chef religieux le shaykh Ma El Aynin », est tragiquement blessé dans la bataille de « Ba Gâdum.» Le vieux chef guerrier succombera à ses blessures quelques jours plus tard. Si cet évènement démobilisateur permit au camp colonial d’avoir de nouveaux ralliements, il n’empêche que la plupart des résistants du Tagant gagnèrent l’Adrar pour grossir les troupes anticoloniales de « l’émir Sidi Ahmed Wul Ayde » (page 363-364)
Mais dans l’Adrar, de dissensions claniques entre partisans du colonisateur et résistants à la pénétration coloniale se font jour, au moment où le « Trâb El Bîdhân » a plus que jamais besoin d’une unité de front contre l’envahisseur français: les « Awlâd Hammoni » (la famille régnante) sont partagés entre le camp anticolonial de « l’émir Sid’Ahmed Wul Ayde », soutenu par le marabout « Ma El Aynin », et celui de l’ancien émir Moukhtar Ould Ahmed Ayde, à qui la France avait promis « de restituer son pouvoir ». Les mêmes rivalités intestines divisaient aussi les familles régnantes du Trarza, où une unité d’action ne pouvait être envisagée :
« Quelques jours après la disparition de Bakkar Wul Sweyd Ahmed, et peu de jours avant l’occupation de Tikjikjat, Sidi Wul Mohammed Vâl faisait assassiner le 18 avril 1905 son rival, Ahmed Sâlum Wul Eli » (pages 364-365)
Face à cet émiettement politique, l’avancée française dans le « Trâb El Bîdhân » était inéluctable. Pour arrêter cette progression, les résistants décidèrent de frapper « la tête » même du bras armé colonial : la propre personne de Coppolani. En effet, un thème mobilisateur fait florès : le « djihâd », « guerre sainte contre l’infidèle ». Coppolani est une cible de choix des prêches du marabout Ma El Aynin qui assurent le paradis à tout musulman qui le tuerait.
Comme Abel Jeandet, tombé sous les balles de Baïdy Kathié Pam lors de la conquête de Bossoya dans le Foûta Tôro, Coppalani fut tué, le 12 mai 1905, par Sidi Ould Moulaye Zeïn, un résistant maure:
« Coppolani était désigné dans les prédications de Ma El Aynin comme « (…) l’ennemi à détruire parce qu’il amenait les fidèles à se soumettre en terre d’islam (…). La mort d’un renégat arrêterait l’avancée des Français ; celui qui le tuerait aurait sa place marquée au paradis. Cette parole courait l’Adrar : le meurtrier de Coppolani serait le défenseur des croyants ». [ Désiré-Vuillemin 1962 : 330] Il fut assassiné à Tikjikja le 12 mai 1905 par un moqqadam des Ghûdf, Sidi Skheir Wul Mulây Zyn et ses hommes. » (page 365).
Cet assassinat met, en effet, un point d’arrêt à la mission de conquête du Tagant et de l’Adrar ; mais, provisoirement. Lorsque la France reprend les hostilités et s’engage, à nouveau, dans la conquête du pays maure, des troubles éclatent inopportunément dans des régions qu’elle croyait avoir définitivement pacifiées.
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REPRISE DES TROUBLES EN MAURITANIE DU SUD :
- DANS LE GUIDIMAKHA
Entre mai et novembre 1907, les Soninkés du Guidimakha se soulevèrent violemment contre les représentants de l’administration coloniale :
« (…) [Les] Sarakolets [Soninkés], entrant dans un état de surexcitation violente, frappèrent brutalement, malgré l’intervention de l’administrateur, les notables qui avaient été convoqués à la résidence pour rendre compte de cet acte d’hostilité grave. »
(page 409 : CARAN, 299MI 1073/ANS 17G 41, pièce 2)
La déperdition de la force militaire des troupes coloniales est d’autant plus grande, que les Français doivent aussi faire face à des groupes armés maures qui ont « menacé d’assiéger le poste de Selibaabi » : « Awlâd Bu Sba, Brakna et Idowish, issus de la troupe de Mulây Idriss qui venait de se disloquer » (page 410)
- DANS LE FOÛTA TÔRO : « FIYANNDE AALI YERO JOOP », « L’ATTAQUE ARMEE DE ALI YERO DIOP »)
Au Foûta Tôro, un mouvement anticolonial d’inspiration religieuse fut enclenché « en pleine préparation de la conquête du nord du Tagant et de l’Adrâr ». Ali Yéro Diop prétend être investi d’une mission divine, celle de « convertir à l’islam les Européens installés dans le pays. » Il a une cible de choix, Saint-Louis (siège de l’autorité centrale coloniale) et un objectif ambitieux : « raser la tête du commandant [c’est-à-dire le « convertir » à l’islam] et du Borom Ndart [chef de Saint-Louis]. » (page 421).
A l’aube du 15 mars 1908, dans un combat à feu nourri avec les troupes coloniales du poste militaire de Dagana, les hommes du « Mahdi » essuient un revers cinglant. Ali Yéro Diop, aux prises avec les hommes de l’administrateur Chesse, tombe face à la contre-offensive qui lui opposée :
« les hommes de l’agitateur, qui s’étaient couchés dès les premières salves, s’abritèrent derrière les cadavres. Ils tirent posément, avec beaucoup de calme. Ils visent le sommet du mur, derrière lequel se trouvent les défenseurs du poste, et les fenêtres du 1er étage, derrière lequel sont les dames. Un fanatique se jette sur la porte des écuries, essaie de faire sauter la serrure avec un sabre et ordonne aux gardes d’ouvrir. Les chants et les cris durent pendant tout le combat. Vers 9h15, le feu se ralentit, faute de munitions, d’un côté comme de l’autre. Ce qui reste des assaillants s’enfuit. Le chef Samba Yom les poursuit et fait quelques prisonniers. »
(ANS 13 G 116, Saint-Louis, le 28 mars 1908, le Secrétaire général des colonies H.C., Lieutenant-gouverneur p.i. du Sénégal au Gouverneur général des colonies AOF, Dakar, pièce 23.)
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FIN DE LA TREVE EN PAYS MAURE
Toutefois, la multiplication des foyers de tension sur les territoires occupés - ou en voie de l’être - par la France n’amoindrit pas, de manière déterminante, son expansionnisme, et la stratégie de « diviser pour régner » de Gouraud porta l’estocade décisive à la région d’Adrar :
« Pendant toute l’année 1909, les Français poursuivirent leur conquête des territoires de l’Adrar, en consolidant leurs positions, alternant actions militaires et campagnes de soumissions volontaires initiées par le shaykh Sidiya Bâbe. Ce dernier écrivit des lettres à toutes les tribus « (…) leur donnant des conseils de paix, en les assurant que le Coran ne les obligeait pas à combattre un ennemi qui avait prouvé sa supériorité et en leur garantissant que les Français respectaient la religion des Musulmans. Il en était la preuve vivante- en somme, une sorte de fetoua à lever les scrupules religieux » (Gouraud 1909 : 204)
Shingît et Wadân furent conquis sans combat, respectivement le 27 juin et le 03 juillet 1909. Malgré ces revers militaires, les éléments les plus irréductibles poursuivirent les combats, rendant des coups mortels aux troupes coloniales qui perdirent quelques soldats. (…) Gouraud utilisa alors une solution désormais classique dans de pareilles circonstances : diviser pour régner. Il exploita les contradictions antagonistes entre tribus soumises et tribus insoumises. Il incita certaines, nouvellement soumises et à qui il avait rendu leurs armes, à s’attaquer à leurs ennemis du Nord qui nomadisaient dans le Tiris et le Sahara occidental. C’était aussi un moyen de détourner les expéditions des medjbûr des « cercles du sud » afin de garantir la sécurité des populations de ces régions (…) On peut considérer que l’occupation de l’Adrâr fut globalement acquise dès le mois d’octobre 1909. » (pages 434-435)
La lutte armée contre les troupes coloniales dans le Tagant et les Hodh n’en continua pas mois à donner du fil à retordre aux troupes coloniales, même si le camp anti-colonial rétrécit inexorablement comme peau de chagrin et que la reddition ou la mort de grands noms de la résistance fissure les rangs des combattants, qui deviennent maintenant de plus en plus clairsemés :
« les soumissions spectaculaires de chefs de tribus Rgeybat du sud (octobre 1913), d’un des fils de shakh la El Aynin, Taleb Khyâr (mai 1919), la mort de son frère Heyba (21 juin 1919) donnèrent au colonialisme français toutes les possibilités de briser progressivement la résistance armée dans le Nord et d’asseoir sa complète domination sur cette partie importante du territoire colonial de Mauritanie ». (page 437)
Ainsi, dès le 25 décembre 1920, « La marche vers le Nord » - projet expansionniste de la France qui voulait « relier les rives de la Méditerranée aux bassins du Sénégal et du Niger »- devient réalité. En effet, en contrôlant la partie septentrionale de la Mauritanie, la France venait de réussir à empreindre de sa marque digitale un territoire immense, des berges argileuses du fleuve Sénégal aux étendues sablonneuses des contrées mauritaniennes jouxtant l’Algérie, sans aucune discontinuité territoriale.
Cependant, selon la version de l’historiographie nationale- celle qui est transmise aux écoliers mauritaniens-, c’est plutôt « la fin tragique en mars 1933 » de l’émir Sidi Ahmed Ould Ayde qui, sonnant le glas de la résistance du pays maure contre la colonisation française, consacre réellement la subordination des « Bîdhân » (« Maures blancs ») à l’Empire français.
III. « INDIGENES DE LA REPUBLIQUE »
Les présomptions de souveraineté – conservée jusqu’à 1933 ou aliénée à la France plus tôt- mises à part, on peut noter que c’est bien en 1920 que la puissance coloniale française considère le pays maure comme pacifié, dussent les actions de résistances perdurer encore. Considéré désormais par le « gouvernement général » comme « ayant largement évolué sous l’égide militaire », le pays maure qui, déjà en 1904 avait vu son statut de « protectorat » se transformer « en territoire civil de la Mauritanie », devient officiellement une « colonie » de l’Afrique occidentale française, en 1920. (Cf. Bulletin du Comité de l’Afrique Française, 31ème année, N° 1, janvier 1921, « Afrique occidentale française : la réorganisation administrative », p.25-27)
Paradoxalement, la nouvelle colonie ne correspond pas à « un espace ethnique et culturel » homogène, comme le souhaitaient ses « initiateurs politiques » : il fallait l’intégrer dans une entité plus grande, qui comprenne la rive droite du fleuve Sénégal (« la partie utile ») pour justifier son existence économique :
« Ensuite l’annexion de la rive droite ne permit pas l’application de la théorie de l’ « espace ethnique et culturel » maure exclusif, comme l’avaient imaginé les initiateurs, malgré l’insistance à sa réalisation de la part de quelques administrateurs, ceci jusqu’au début de la seconde guerre mondiale. C’est le second échec par rapport au projet initial. Nous avons vu d’ailleurs que ces intentions, la création d’une « colonie ethnique », étaient une pure utopie administrative, compte tenu de l’imbrication économique des différentes populations vivant dans ces régions, imbrication qui avait été accentuée d’ailleurs par le commerce de traite dans les escales du Sénégal, puis par la traite de l’arachide. L’une des conséquences de l’annexion de la rive droite au territoire civil de Mauritanie fut, évidemment, la carrière d’une barrière administrative et l’écartèlement des unités villageoises entre deux administrations qui, bien que régies par la même puissance coloniale, n’hésitèrent pas à se présenter aux yeux des populations indigènes en rivales, défendant chacune les « intérêts de sa colonie ». La création d’une frontière au milieu d’une unité géographique homogène a favorisé le dysfonctionnement d’un mode d’organisation socio-économique que des agriculteurs et des pasteurs avaient mis des siècles à élaborer. » (page 718)
L’intégration conjointe du « bassin inférieur du Sénégal » - une partie des pays wolof, haal-pulaar et soninké – et du « Trâb El Bîdhân » dans une entité coloniale commune ne met pas, pour autant, une sourdine au dessein du colonisateur de réserver un statut spécifique au pays maure, dans le cadre de sa « politique des races ».
On savait le code de l’indigénat - en vigueur dans toutes les colonies - être aux antipodes d’une citoyenneté indifférenciée, laquelle eût mis tous les sujets de la République sur le même pied. L’intérêt singulier de l’administration coloniale française pour les classifications ethniques et épidermiques de ses indigènes montre, sous un jour particulier, avec quel éclat l’universalisme tricolore a resplendi dans les appendices de l’AOF (Afrique Occidentale Française):
« lorsque des races diverses habitent le même territoire, plusieurs tribunaux de subdivision peuvent coexister sur ce territoire, chacun jugeant ses justiciables relevant de la coutume qu’il applique, chacun ayant sa liste de notables, c’est-à-dire ses juges titulaires et ses juges suppléants, chacun exerçant sa juridiction sur une région déterminée ».
(page 385 in Marty : tome 2 ; Etudes sur l’islam au Sénégal, Paris, Leroux, 2 volumes ; tome 1 : Les personnes, 412 pages ; tome 2 : Les doctrines et les institutions, 444 pages).
Cette administration « ethnique » ou /et « raciale » de la nouvelle colonie a une traduction concrète sur le plan fiscal : les « Bîdhân» (« Maures blancs ») sont exonérés de l’impôt « par captation », impôt de « servage » imposé aux seuls « Noirs », selon Richet :
« (…) une taxe personnelle et annuelle de 3 francs à tout individu de race noire vivant sur la rive droite du fleuve »
(Etienne Richet : La Mauritanie, Larose, Paris, 1920)
La nouvelle donne administrative – création d’une nouvelle colonie, indépendante du Sénégal- requérait, aux yeux de l’administration, un « rééquilibrage démographique » pour harmoniser les recettes fiscales de part et d’autre du fleuve Sénégal: d’autant que, sous la pression des incursions des tribus guerrières maures, un mouvement de repli vers le Sénégal s’était enclenché, de bonne heure, et avait fini par dépeupler la partie septentrionale de la vallée du fleuve Sénégal. On comprend alors pourquoi le royaume wolof du Waalo, dont la capitale était Ndiourbel, n’eut guère d’autre choix que d’installer ses pénates sur la rive gauche du fleuve Sénégal, sans demander ses restes:
« La pression constante des Bîdân, surtout à partir de la deuxième moitié du XVIIe siècle, avec la consolidation militaire de l’émirat de Trarza qui participe à la double traite des esclaves en direction de la côte et en direction du Sahara et d’Afrique du Nord, provoqua des exodes importants des populations du royaume sur la rive gauche. Cette descente fit reculer la limite du peuplement waalo waalo, et par conséquent la frontière du royaume plus au sud. La conséquence politique majeure de cette pression bîdân fut évidemment le transfert, vers 1705, sur la rive gauche, de la capitale du royaume, qui se trouvait à cette date à Njurbel. Au moment de la conquête du pays par Faidherbe, en 1854, la présence de la population du Waalo Barak se réduisait sur la rive droite à une quinzaine de villages disséminés sur un territoire s’étirant le long du fleuve sur près d’une centaine de kilomètres entre Njaago, au bord de l’Atlantique, à Gaani, à la frontière avec le Fuuta Tooro, la largeur de cette bande de territoire ne dépassant guère deux kilomètres. Les territoires de la rive droite du Waalo Barak font partie aujourd’hui des arrondissements de Jjaago, de Kër Masen et de Kêr Muur, dans la région administrative du Trârza, ayant pour chef- lieu Rosso sis près de l’ancienne capitale du Royaume, Njurbel, devenue un simple quartier de cette ville. » (page 35).
Cette histoire mouvementée de rapines, de captures et de mise en servage de populations riveraines du fleuve est bien exprimée par la langue pulaar, dont un dicton populaire désigne comme un pis-aller l’abandon de la rive droite pour la rive gauche du fleuve Sénégal : « Maa rewo ronnkaa nde worgo hoDaa » (« C’est parce que le Nord était hostile que le Sud fut habité »)
Les archives coloniales fourmillent aussi d’informations sur les exactions perpétrées sur les villages soninkés :
« Il ne se passe pas de jour que je ne sois pas informé qu’une femme, un enfant, un âne ou un cheval a été enlevé aux abords des villages » (page 270).
Le capitaine Roux, commandant le cercle de Bakel, au colonel commandant supérieur du Soudan français : ANS 13G 192, Bakel, le 28 mars 1892, pièce 9.
Ces agressions laissent complètement désemparée la gent masculine soninkée, à laquelle le capitaine Bellat reproche, sur le ton de la provocation, une certaine mollesse « féminine » face aux chameliers maures :
« Le Sarakolet [soninké] est une femme qui a besoin d’un commissionnaire de nuit ». page 270.
(Le capitaine d’artillerie de marine J Bellat : Archives nationales du Mali (ANM), ID42, « Note sur le Guidimakha », Cercles de Kayes, décembre 1892)
C’est l’officier Martelly qui, en décrivant la situation infernale de la rive droite du fleuve Sénégal, tire les conclusions qui en découlent :
« Pour peu que cela continue, la sécurité n’existera plus pour les habitants de la rive droite, et toutes les transactions de village à village seront arrêtées ».
Martelly : ANS 13G, Rapport sur la situation politique, commerciale et agricole du cercle de Bakel, mis de juillet 1892, pièce 38.
Deux ans plus tard, l’insécurité est toujours aussi grande sur la rive droite du fleuve Sénégal. Les tentatives de l’administration coloniale de repeupler cette région, dont ils viennent d’accomplir la conquête, ne trouvent guère d’échos favorables auprès de beaucoup de ses autochtones qui avaient décampé face aux imprévisibles razzias des guerriers maures :
« Je leur ai [aux Soninkés] demandé s’ils voudraient aller à Gangari qu’ils habitaient il y quarante ans, mais ils ont une peur bleue des Maures qui, disent-ils, ont enlevé à cette époque les 2/3 de leurs populations » (Page 279)
Le capitaine IMBERT à Bakel : ANS 13G 234, pièce 51, page 3, Sélibaby, le 23 juin 1894.
Aussi, la pacification du « Trâb El Bîdhân » eut-elle pour corollaire d’apaiser la rive droite du fleuve Sénégal. Désormais, le « rééquilibrage démographique » dans la vallée du fleuve Sénégal pouvait se faire sans mettre en péril la vie de ses habitants, longtemps à la merci de pillards, dont le remarquable esprit distinctif avait la particularité de mettre sur le même plan « butin matériel » et « rapt de femmes et d’enfants ».
Quoique la rive droite du fleuve Sénégal appartienne désormais à la « colonie de Mauritanie », ses habitants continuent à être régis par les mêmes lois et à partager les mêmes structures politiques, administratives, judiciaires etc. que les habitants de la rive gauche : « cercles », « provinces », « cantons », « chefferies supérieures », « chefferies de provinces », « chefs de cercles », « gardes de cercles », « cadis », « commis expéditionnaires », « interprètes », etc.
L’administration française, soucieuse de faire prévaloir la paix pour contrôler plus efficacement ses indigènes, s’attèle à la mise en place d’un nouveau découpage territorial et place à la tête de ces nouvelles entités administratives des hommes de confiance, dont la loyauté envers la France ne s’est jamais démentie. Aussi dans le « Laaw », l’administration coloniale imposa-t-elle « l’autorité exclusive » des descendants de l’Almamy Mamadou Birane Wane, qui fut un allié inconditionnel de la France, dès les premières heures de la conquête du Foûta Tôro. Dans la province de « Yirlaabe-Hebbiyaabe », la France imposa Abdoulaye Mamadou Kane pour récompenser ses loyaux services, lors de la conquête du « Fuuta central »:
« la direction fut confiée en mars de la même année à un ancien interprète de la direction des affaires politiques, Abdullaay Mammadu Kan, en récompense des nombreux services rendus, notamment au cours de la conquête militaire coloniale du Fuuta central. Les deux provinces furent réunies spécialement afin de lui donner un territoire important à la dimension de sa personnalité, avec le titre de chef supérieur. (…) Celle-ci [la conquête militaire] lui permit, lui et ses deux frères Raasin et Aamadu Kan, de fonder une véritable « dynastie » de chefs de provinces et de cantons, d’interprètes, qui étendit son influence dans les territoires du Yiirlaabe et du Hebbiyaabe et dans le Dimat. » p 224
Très francophile, Abdoulaye Mamadou Kane fit créer une école primaire à Salndé dès 1894. Elle était destinée à l’usage exclusif des aristocrates, qui étaient tenus d’inscrire leur progéniture à l’école française, malgré leurs sentiments de défiance à l’égard de l’institution scolaire des « Infidèles » :
«Francophile, il voulut promouvoir l’expansion de la langue et de la cultures françaises. Son expérience personnelle l’avait conduit à croire que le meilleur moyen de rapprocher les Fuutankoobe des intérêts de la France était d’envoyer leurs enfants à l’école française. Pour se faire, il fit créer en 1894 une école primaire à Salnde, où les familles aristocratiques de la province venaient inscrire obligatoirement leurs fils. Il avait aussi la conviction que l’école pouvait être source de progrès pour le pays au seul service des parentèles dominantes. Il fut le premier à prendre une telle initiative parmi les dirigeants de la chefferie indigène du pays. Les autres ne suivront que plus tard. »
(page 225).
Pour vaincre l’hostilité de ses administrés, hostile à l’autorité des « Infidèles » (« chrétiens »), l’administration coloniale s’appuya opportunément sur la confrérie « tidjane », pépinière dans laquelle sont recrutés ses cadis (juges musulmans) pour dire le droit à une population qui lui est acquise sur le plan idéologique et religieux. Dès 1904, date de la création du «Territoire Civil de la Mauritanie », Thierno Amadou Moukhtar Sakho (grand-oncle de Ibrahima Abou Sall, auteur du livre qui fait l’objet de notre compte-rendu) fut nommé « qâdi supérieur » de Boghé. En bonne intelligence avec l’administration coloniale, il gardera ses fonctions jusqu’à 1934. Son fils, Thierno Moukhtar Amadou Sahko, fut préposé à la même fonction judiciaire, de 1947 à 1961.
On est encore à l’ère coloniale, mais l’émergence de « dynasties» qui tiennent les rênes de l’administration, de la justice etc. montre déjà, en filigrane, l’architecture et la sociologie politiques du futur Etat mauritanien. Le point commun entre la plupart des personnalités politiques et religieuses autochtones (« chefs de cantons », « cadis », interprètes » etc.) cooptées et adoubées par la France, c’est, en effet, leur commune origine aristocratique et leurs liens de sang séculaires, entretenus et confortés par l’endogamie.
Si la France hexagonale se fait fort de rappeler, à qui veut l’entendre, que ses idées révolutionnaires ne font pas bon ménage avec celle des aristocrates, force est de constater, qu’en Mauritanie, l’administration coloniale a d’abord, sinon accentué, du moins maintenu l’étanchéité des cloisons sociales. Ce n’est guère fortuit que les premiers dirigeants de la Mauritanie indépendante aient (presque) tous une commune origine nobiliaire:
« L’administration coloniale fit appel aux aristocraties locales. Contrairement aux idées reçues, la puissance coloniale ne chercha jamais à bouleverser les « privilèges » politiques des aristocraties provinciales et villageoises des pays de la vallée. Cet ordre a été respecté au Waalo Barak, au Fuuta Tooro et au Gidimaxa, même si, dans cette dernière province, entre 1895 et 1904, elle avait réussi à imposer, sans succès définitif d’ailleurs, une autorité provinciale centrale au-dessus de la chefferie villageois traditionnelle sans que celle-ci ne soit remise en cause. » (page 719)
Le jeu d’équilibrisme pour ménager la chèvre et le chou atteint ses limites lorsque, dans un saut acrobatique de haute voltige, le général Faidherbe, beau spécimen de la philantropie coloniale, se contorsionne à trouver des exceptions juridiques à l’application du décret de l’abolition de l’esclavage de 1948; comme si, en la matière, les intérêts des esclaves et ceux de leurs maîtres pouvaient être conciliés :
« Face à cette question des esclaves, l’administration coloniale avait appliqué une politique résolument opportuniste et très pragmatique que résume bien cette phrase du directeur des Affaires indigènes du Sénégal : « (…) sauvegarder tous les intérêts tout en maintenant les principes humanitaires. » Cette politique avait été inaugurée par le gouverneur Faidherbe qui s’était opposé à l’application intégrale, au Sénégal, du décret d’émancipation du 27 avril 1848. Dans cette colonie, l’arrêté du 18 octobre 1855 distinguait, d’une part, « (…) les Européens et gens de Saint –Louis » qui restaient seuls soumis aux dispositions du décret d’émancipation ; d’autre part, « (…) les populations qui viendront s’établir dans les postes français, autres que Saint-Louis ». Celles-ci avaient le droit de conserver leurs captifs, et le décret de 1848 ne leur était applicable dans aucune de ses dispositions. Les personnes de la première catégorie avaient même « (…) la possibilité de louer des captifs à ceux de la seconde pour les employer, soit dans les maisons de commerce, soit à la culture, à la condition ne n’exercer sur eux que les droits qu’un maître a sur des travailleurs libres à ses gages. » Les esclaves fugitifs n’étaient (…) reçus et affranchis » que s’ils « (…) provenaient des pays ennemis » ou « (…) expulsés comme vagabonds hors des limites du territoire français s’ils provenaient des pays amis. » (Pages 293-294)
(Arrêté du 18 octobre 1855 : Bulletin administratif des actes du gouvernement du Sénégal : années 1853-1857, page 207)
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La conquête du territoire mauritanien ne se réduit donc pas à cette opposition schématique, largement entretenue et véhiculée par une certaine vulgate de la Mauritanie indépendante, entre un « Sud » collaborationniste - que l’on aurait occupé et colonisé sans coup férir - et un « Nord » héroïque et martial : dans le « Trâb El Bîdhân », comme dans le Waalo Barak, le Guidimakha et le Foûta Tôro, des actions de résistance ont été entreprises contre la pénétration coloniale. La divergence d’intérêts politiques, économiques et idéologiques fut opportunément exploitée, partout ailleurs, par le colonisateur, au grand dam des résistants qui durent se résoudre à le combattre en rangs dispersés et à tisser des alliances anticoloniales au-delà de leur espace politique trbal ou ethnique :
- Abdoul Bocar Kane contre des notabilités de provinces (marginalisées à tort) qui s’allièrent à la France pour remettre en cause la prééminence politique de leur rival, qu’elles contestaient.
- Cheikh Ma El Aynin (marabout hostile à la présence des « infidèles » en pays musulman et qui appelle au « djihad ») n’a pas la même appréciation que son pair, Cheikh Sidya Bâbe, qui n’hésite pas à rédiger une « fatwa » à l’attention des tribus maures pour justifier la nécessité de la présence coloniale française, qui serait seule capable de mettre fin à la violence et à l’anarchie.
- Alliance, dans le Waalo Barak, des Loggar avec les Français, qui leur permirent de prendre le dessus sur leurs rivaux Teejjek.
- Alliance interethnique (bîdhân-haal-pulaar-wolof) entre Bakkar Ould Sweid Ahmed, Abdoul Bokar Kane et Alburi Ndiaye contre le colonisateur.
- Assassinats politiques, en pays maure et haal-pulaar, dans certaines familles régnantes déchirées par des luttes de clans qui se positionnent pour ou contre la France, selon leurs intérêts politiques.
La résistance à l’occupation coloniale, pour être réelle en Mauritanie, n’en reste donc pas moins entachée par des querelles de préséance politique des chefs locaux, dans lesquelles il est difficile de percevoir explicitement la primauté de l’intérêt général de leurs peuples. Contre une certaine historiographie mauritanienne encline à aller vite en besogne en tressant des lauriers à des « héros » érigés en modèles pour le jeune Etat mauritanien (assoiffé de grandeur), il s’imposait de démêler l’écheveau des mobiles qui président aux luttes anticoloniales. Elles semblent, en effet, obéir, dans bien de cas, à des intérêts particuliers, et certains « héros » anticolonialistes mauritaniens ne paraissent pas avoir une opposition de principe à l’impérialisme, s’ils ont l’opportunité de l’exercer eux-mêmes sur leurs voisins immédiats :
-Alliance entre les représentants de l’empire omarien ( pourtant officiellement d’inspiration islamique) et la France impérialiste contre le marabout soninké Mamadou Lamine Dramé, hostile à l’occupation française.
- Exactions récurrentes des guerriers maures sur les populations de la rive droite du fleuve Sénégal, qu’ils n’hésitent pas à piller et à asservir.
-Prétentions impérialistes de Bakkar Ould Sweid Ahmed (figure de proue de l’anticolonialisme en pays maure) sur le pays soninké, etc.
Ce sombre tableau suffit, tout seul, à démystifier l’image idyllique d’un peuple mauritanien soudé et uni dans l’histoire face à un ennemi extérieur commun, le colonisateur, à qui on impute commodément tous les maux de la Mauritanie, dans cette posture narcissique et idéalisée de soi qui consiste à se dédouaner, à bon compte, de ses errements passés, présents et à venir. Malgré les échanges culturels nombreux entre les Mauritaniens, leurs liens de sang et leurs alliances interethniques avérées dans le passé, on ne saurait faire abstraction des épisodes dramatiques de leur histoire commune, faite aussi de persécutions et d’oppressions avilissantes : citer ces faits n’est pas un acte anti-patriotique.
Le mérite de M Ibrahima Sall est d’avoir, précisément, écrit une histoire dépassionnée, démystifiée et démythifié de la Mauritanie ; ni à charge, ni à décharge : une histoire qui se veut au service exclusif des faits, qu’un minutieux et persévérant travail de plusieurs années a rigoureusement établis pour redonner à la « Mauritanie du sud » - qui occupe une place si marginale dans l’historiographie mauritanienne - toute la place qui lui échoit, en toute justice.
Une autre qualité du travail de M Sall : sa thèse n’appréhende pas l’histoire du point de vue des « groupes dominants », une précision qui n’est pas superflue, eu égard à une certaine tendance d’écrire l’« histoire » …. En interrogeant les archives, il révèle la collaboration de beaucoup d’aristocrates (singulièrement les « Torobbé », groupe social auquel il appartient), sans ménager sa propre parentèle : cela ne crédibilise que d’autant plus le propos de M Sall, qui va à contre-courant de ces pages épiques prises pour de l’« histoire », dont on abreuve si ingénument les Mauritaniens pour les divertir.
J’ai eu l’insigne honneur d’assister, en 1998, à la brillante soutenance de thèse de M.Ibrahima Sall, à l’Université Paris VII- Denis Diderot, à Jussieu. Je garde encore aujourd’hui en mémoire les superlatifs employés par un des membres du jury : « Il y a des thèses excellentes, mais que l’on cesse de consulter au bout de quelques dizaines d’années ; mais, votre thèse, M Sall, fait partie de ces travaux exceptionnels que l’on continuera à consulter pour toujours ».
Cette volumineuse thèse de 1376 pages (qu’un emprisonnement dans le bagne de Oualata a failli tragiquement compromettre, en interrompant les recherches doctorales de M Sall pendant de longues années) n’est pas publiée dans sa totalité. On peut s’estimer, tout de même, heureux que l’éditeur ait consenti à publier, en un volumineux livre de plus de 800 pages, le travail universitaire de M Sall, qui a pu garder ainsi son point fort : celui d’être un trésor inestimable d’informations sur la Mauritanie du Sud, étayées par des sources bibliographiques abondantes et diversifiées (archives, ouvrages généraux, travaux universitaires etc.) qui s’étendent sur plusieurs dizaines de pages. Face à ce travail imposant, que les efforts inlassables de M Sall ont accompli, il ne sera plus possible d’écrire à la hâte – au risque d’être dérisoire - certaines contrevérités historiques sur la Mauritanie du Sud.
Puisse ce travail universitaire remarquable aider les Mauritaniens à se regarder en face, sans dénis, ni dérobades, en assumant la totalité de leur histoire et en y faisant face… fraternellement !
Puisse la leçon que l’Amérique vient de donner au monde entier, par l’élection d’OBAMA, être retenue par la Mauritanie !
Ce jour-là – j’espère qu’il n’est pas loin - la Mauritanie deviendra, pour sûr, véritablement mauritanienne, c’est-à-dire riche de toute sa diversité! Puissions-nous y assister !
Mohamadou Saidou TOURE (Thierno) : Paris, février 2009.
I. « LA MARCHE VERS L’EST » :
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Le WAALO BARAK
Situé à cheval sur les deux rives du Fleuve Sénégal, le Waalo Barak fut l’un des tout premiers jalons de la « Marche vers l’Est », qui tira parti de la situation géographique stratégique de cette province pour étendre son « expansion coloniale vers l’intérieur de l’Afrique occidentale, par le fleuve Sénégal. » (page 91).
La conquête du Waalo Barak « débuta en mars 1855, et prit fin en décembre de la même année. C’est avec ce royaume que les Français inaugurèrent le processus d’expansion coloniale vers l’intérieur de l’Afrique occidentale par le fleuve Sénégal. » (page 91)
Pour conquérir le Waalo Barak et en faire un tremplin militaire pour son impérialisme, la France attisa les dissensions intestines entre les familles régnantes sur cette vieille contrée du pays wolof traditionnel. L’exacerbation des rivalités politiques et la guerre civile qui s’en suivit- laquelle « opposa la dynastie des Teejjek, au pouvoir à l’époque, à ses rivales Njoos et Loggar »- ne permettaient guère de faire un front commun contre la pénétration coloniale. Soutenus par la France, à laquelle ils doivent leur victoire, « les loggar » jouent le jeu de Saint-Louis dans sa politique d’immixtion dans les affaires intérieures du royaume.
Concomitante au « djihad » d’El Hadj Oumar, qui avait inspiré un sentiment diffus de défiance à l’égard des « Infidèles », la pénétration coloniale dans le Waalo Barak essuya les tirs croisés d’une résistance religieuse populaire - entretenue par les marabouts- et ceux, politiques, des dynasties évincées du trône, qui tentèrent de capitaliser, à leur profit, le ressentiment religieux contre les Français :
« nous parlerons brièvement de la guerre civile qui opposa la dynastie des Teejjek au pouvoir à l’époque à ses rivales Njoos et Loggar et ses conséquences dans l’occupation des territoires nord du Waalo Barak en vue de la conquête coloniale de l’émirat de Trarza. Cette guerre avait abouti à la victoire de ces derniers, grâce à l’appui des Français. C’est en reconnaissance de cette dette politique et militaire que les loggar acceptèrent de travailler en faveur des intérêts de Saint-Louis dans la politique d’ingérence que la colonie allait mener au Trârza, de 1880 à la conquête militaire coloniale de cet émirat en 1902.
Une résistance contre l’occupation coloniale du pays s’était poursuivie pendant quelques années après la conquête militaire. Elle revêtit plusieurs aspects. Une résistance d’inspiration religieuse fut entretenue, souvent avec des moyens armés, entre 1856 et 1858, période pendant laquelle la Tijâniyya d’obédience umarienne réussit à influencer une masse paysanne de plus en plus sensible à un islam qui avait intégré libérateur, prometteur de paix contre les pillages des tribus guerrières bîdân, et contre les Français et leurs alliés loggar et Njoos. Une partie de l’aristocratie avait été sensible au discours des religieux, mais pour d’autres raisons : elle avait cherché à s’appuyer sur ces derniers pour retrouver ses privilèges politiques perdus. » ( pages 91-92)
Mais la collaboration sans réserve de l’aristocratie triomphante et la répression expéditive de Faidherbe (exécutions publiques) eurent tôt fait d’avoir raison de la résistance des habitants du Waalo Barak :
« (…) Youga Faly, chef de révolte, Madiao Khor et Biram Gaye, ayant été reconnus par tous comme les instigateurs de ces troubles et s’étant montrés déjà dans plusieurs circonstances ouvertement hostiles contre nous, furent condamnés et fusillés sur-le-champ en présence d’une population considérable. Les autres furent déportés. »
Faidherbe (20 septembre 1858 à Brën) : cité par Barry
Après la pacification du Waalo Barak, ce fut le tour du Foûta Tôro d’être confronté à l’expansionnisme français : de1858, date de la scission du Dimat de la « confédération » du Foûta Tôro, à 1891, celle de l’assassinat de Abdoul Bokar Kane, opposant inflexible à la pénétration coloniale.
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LE FOÛTA TÔRO :
En cette période des « Almamy », guides politiques et religieux qui « dirigeaient » le Foûta Tôro depuis la « Révolution théocratique » de 1775, certaines provinces avaient à peine voix au chapitre, celles du centre (le « Reedu Fuuta ») se taillant la part du lion, par leur sur-représentativité dans l’instance d’élection et de destitution des chefs de l’Etat de la confédération. Les Français, qui avaient à cœur le démembrement du Foûta Tôro, soutinrent et entretinrent les velléités autonomistes des chefs politiques des régions périphériques qui « se considéraient politiquement marginalisés ». La province la plus vulnérable et la plus proche du Waalo Barak, le Dimat, fut annexée à la colonie du Sénégal par le « traité » du 18 juin 1858 ». (page 109)
La ratification de l’annexion du Dimat à la colonie du Sénégal exposa son signataire, Abdoul Boli Kane, à de violentes remontrances de la part des défenseurs de l’intégrité territoriale du Foûta Tôro. Quelques semaines après la partition du Dimat, Abdoul Boli Kane fut assassiné pour avoir entériné la sujétion d’une région du Foûta Tôro à Faidherbe.
L’exemple de Dimat ne tarda pas à faire des émules. A son tour, une autre province périphérique, le Tôro, demanda la protection de la France, sous la pression de pillages des tribus guerrières maures du Brakna qui laissaient la confédération du Foûta Tôro complètement désarmée.
Mais, ce sont surtout les rivalités, entre Abdoul Bokar Kane (de Dabiya, dans le Bossoya) et Ibra Almamy Wane (de Mboumba, dans le Laaw) qui finirent par parachever la colonisation du Foûta Tôro. Cette sourde rivalité, motivée par un appétit de préséance politique, plongea le Foûta Tôro dans une guerre civile fratricide, dans laquelle des ligues, coalisées autour des deux chefs, ne manquèrent pas de saigner à blanc un pays exsangue, déjà atrophié de deux de ses provinces :
« Entre 1860 et 1890, le Fuuta Tooro vécut les périodes considérées les plus difficiles du régime des almameebe. Une guerre civile fratricide donna l’occasion aux Français de réaliser la seconde phase de leur programme. Cette guerre civile fut dominée par une succession de batailles dévastatrices qui opposèrent le Boosoya d’une part, le laaw, le Yirlaabe et le Hebbiyaabe, d’autre part. Ces luttes opposèrent principalement les parentèles rivales de ces provinces qui avaient pourtant des liens de sang par des relations matrimoniales complexes qui caractérisent les familles des Toorobbe, des Aynaabe et des Sebbe dans ce pays : les Wanwanbe de Mbummba (Laaw) alliés aux Aanaanbe de Pete (Yirlaabe Jeeri) contre les Kanhanbe de Daabiya Odeeji, les Liidube de Cilony-kayhaydi, les Bahbahbe de Asnde Balla, les Acacbe de Rinnjaw et les Salsalbe de Njafaan, etc. Cette guerre civile a été surtout l’œuvre de deux hommes aux ambitions politiques démesurées et dont les objectifs étaient tout sauf les intérêts de leur pays et des provinces qu’ils prétendaient représenter et défendre. Ibra Almaami Wan et Abdoul Bookar Kan voulurent jouer chacun le premier rôle sur l’échiquier politique du pays ». (page 112).
Pour contrecarrer l’hégémonie du Bossoya, Ibra Almamy Wane s’allia à la France, contre Abdoul Bokar Kane, qui avait opposé un refus catégorique à sa demande légitime d’intégrer le cercle devenu restreint et fermé des familles électrices (« jaagorDe Fuuta») :
« Les trente-cinq almameebe que le Fuuta Tooro connut entre 1775 et 1890 étaient des Toorobbe, issu tous du groupe des Lawakoobe. L’almaami était élu par le batu mawbe (grand conseil des électeurs) composé de jaagorde ou grands électeurs qui représentaient initialement les huit provinces (diwanuuji) du pays. Le souci du législateur était de créer un équilibre entre l’autorité de l’almaami (pour l’empêcher de revenir à la monarchie) et les représentants des provinces. Après la disparition du premier almaami Abdul Kaadiri Kan, la réalité du pouvoir politique fut entièrement confisquée par les jaagorde qui avaient organisé son assassinat ; la fonction de jaagorgal qui était, dans les principes, une fonction élective devint alors héréditaire et source d’enjeux du pouvoir et de crises politiques. » (Page 72).
Aussi, sous l’instigation de Ibra Almamy Wane et de son allié Ismaïla Siley Aan, les provinces du Laaw et de YirlaaBe, firent-elles sécession. Elles firent allégeance à la France, à laquelle les dissidents prêtent main forte pour conquérir les provinces de leur pays qui n’étaient pas encore sous protectorat français.
Jusque-là la France était contrainte de surseoir à son dessein du maillage télégraphique de la Vallée du Fleuve Sénégal, qui devait hâter la progression de sa « Marche vers l’Est ». En donnant, sans réserve, leur approbation à cette entreprise qui consacrait l’expansionnisme français, les nouveaux alliés de la France donnèrent sur un plateau une opportunité inespérée de conquête –le télégraphe- à la puissance impériale européenne. Ce à propos de quoi, Abdoul Bokar Kane, partisan de l’indivisibilité et de l’intégrité territoriale du Foûta Tôro, ne se trompa guère :
« (…) nous ne serons jamais d’accord, tant vous permettez aux Keffirs (Chrétiens) de venir chez vous pour y faire des cantons et diviser le pays. Du reste, vous leur avez déjà permis, sans rien dire, de laisser faire le télégraphe depuis Podor jusqu’à Tebekouk (…) ceux qui refusent comme nous seront nos amis ; ceux qui seront avec les keffirs et accepteront ce qu’ils demandent seront nos ennemis. (…) Si vous voulez, il y aura un seul pays sans division, ni séparation. » (page 117).
(Extraits d’une lettre de Abdul Bocar Kane à l’attention de Ismayla Siley Aan, allié des Français, qui leur transmit la lettre le 11 janvier 1879.)
Au gouverneur Brière de L’Isle, Abdoul Bokar Kane adressa aussi une lettre, dont la teneur nationaliste -aux mobiles politiques et religieux inextricables- entrait dans le droit fil de l’argumentaire de la résistance anticoloniale de ses contemporains, notamment celui des lettrés musulmans de sa région. Abdoul Bokar Kane a, tout de même, une idée assez claire des rapports de force :
« (…) les lignes téléphoniques que l’on veut placer dans notre pays ne sont qu’un moyen de nous dominer et changer notre religion. Si on emploie la force, nous quitterons notre pays et il ne sera plus habité que par des chacals, car nous ne consentirons jamais à être les esclaves de personne. » (page : 119)
(Extraits d’une lettre de Abdul Bocar Kane à l’attention du gouverneur Brière de l’Isle):
La « destruction des « fils du télégraphe » à Nguy « par des éléments du Mouvement de la Jeunesse du Boosoya, que dirigeait [le] propre fils » de Abdoul Bokar Kane, ne tarda pas à mettre le feu aux poudres.
Toutefois, le sentiment de défiance à l’égard du colonisateur était trop prégnant, y compris dans les provinces alliées à la France, pour que la conquête du Bossoya pût se faire sans accrocs .Entre le soutien indéfectible de chefs acquis à la cause française et le déficit de ferveur de leurs peuples, oscillant entre un enthousiasme tiède et une franche hostilité à la France, l’entreprise de parachèvement de la conquête du Foûta Tôro essuya beaucoup de revers, dont l’assassinat de l’administrateur colonial Abel Jeandet par Baïdy Kathié PAM ne fut pas le moindre :
« Le 2 septembre 1890, cette coalition fit assassiner à Haayre laaw Abel Jeandet. En août-septembre 1890, en pleine campagne contre le Boosoya, Abel Jeandet avait reçu l’ordre de réunir un contingent du Tooro pour concourir, si besoin était, à l’action du colonel Dodds, le commandant supérieur des Troupes de la colonie contre Abdul Bookar Kan et Al Buri Njaay au Boosoya. (…) Des groupes opposés à la présence française parcouraient la province pour convaincre les habitants à ne pas répondre à l’appel de l’administration coloniale. Un jeune homme d’environ 24 ans du nom de Baydi Kacce Paam, originaire de Giya près de Podoor, s’était fait remarquer particulièrement par son hostilité contre le jagodin du laam Toor qui supervisait la levée d’une troupe dans le canton de Gede. (…) A Haayré Laaw, Baydi Kacce tua d’un coup de fusil Abel Jeandet, en présence de Bubakar Abdul Kan
(…) L’ancien laam Tooro Sidiik Sal, Mamuudu Yero Sal et Bubakar Abdul Kan furent accusés de complicité et arrêtés. Pour faire un exemple et dissuader toute velléité de révolte, un procès fut organisé immédiatement à l’issue duquel Baydi Kacce fut exécuté le 10 septembre 1890 sur la place publique de Podoor devant tous les chefs du Tooro. Comme il se vantait d’aller au paradis pour avoir tué un « infidèle » l’administrateur en mission spéciale, Aubry-Lecomte, fit jeter son corps en pâture aux crocodiles du fleuve et sa tête, mise au bout d’une pique, fut exposée à la place de Podoor. Sidiik Sal et Mammadu Yero Sal furent pendus nus, cinq jours plus tard. Leurs corps furent ensuite exposés à la même place de Podoor. Bubakar Elimaan Kan fut libéré, quant à lui, faute de preuves ». ( pages 206-207)
Depuis Kaédi, où il avait établi le quartier général de ses campagnes militaires, Abdoul Bokar Kane, soutenu par les tribus maures Twabir et Awlad Eli, fait des incursions sur les territoires du Foûta Tôro assujettis à la France : il sera rejoint par le « bourba » de Djolof, dont le pays venait d’être bombardé par la France. Mais, à l’aube du 29 juillet 1890, le feu nourri de la mousqueterie du colonel Dodds plonge Kaédi dans une peur panique. Le « vieux Kaédi », le quartier de Touldé, se réveille en débandade. Dans l’affolement et la confusion de la canonnade, Touldé fut pillé par ses alliés Twabir : parmi les victimes, de nombreux Wolof venus soutenir leur chef, Al Bouri Ndiaye. L’unité de front entre le bouillant chef de Bossoya et le « bourba » de Djolof fut rompue par les mousquetaires du colonel Dodds.
Chassé de son quartier général et replié dans l’Assaba, Abdoul Bokar Kane n’en continue pas moins de lancer ses assauts sur des cibles stratégiques.
Mais la ferveur initiale qui avait salué les positions anticoloniales de Abdoul Bokar Kane ne tarda pas à se muer en hostilité ouverte, à cause de ses embarrassants alliés, qui vandalisaient allègrement les habitants du Foûta Tôro : ce qui réduisit – malgré les griefs de certains de ses compagnons bidhân- la fréquence de ses opérations militaires, lesquelles, avaient, en effet, fini par prendre le tour de banales rapines, sans lien crédible avec l’occupation française qu’il combattait.
En promettant une rançon à quiconque éliminerait Abdoul Bocar Kane et en décrétant un embargo sur la rive droite du Fleuve Sénégal pour « affamer » les tribus maures et les obliger à se débarrasser de leur intraitable hôte, la riposte de la France fut imparable. Le 04 août 1891, tandis que Abdoul Bokar et ses compagnons « quittaient la tente de leurs hôtes (…) et leur tournaient le dos pour se diriger vers leurs chevaux. » (page 147), il est assassiné par Ould Ethmane, le neveu de Moukhtar Ould Moukhtar Ould Mohamed Chein, un chef de la tribu des Chrâtit.
Après la mort de Abdoul Bokar Kane, le Foûta Tôro devient, tout entier ; un « Territoire administratif de la colonie du Sénégal ».
Désormais, les actes de résistance sont insignifiants ; mais, sous la cendre des territoires naguère indépendants pétillent encore, de manière sporadique, spontanée et isolée, des étincelles anticoloniales.
Il n’y a plus, à proprement parler, de groupes sécessionnistes bien structurés face à un parti « unioniste » officiellement constitué ; mais on retrouvait encore les « unionistes » (partisans de l’intégrité territoriale du Foûta Tôro) jusque dans le cercle familial rapproché des familles régnantes alliées à la France. Abdoul Aziz Wane (frère et successeur de Ibra Almamy Wane, l’auteur du traité du 16 mai 1880 qui plaça le Laaw sous protectorat français) meurt assassiné par certains membres de sa propre famille, qui épousaient les positions de Abdoul Bokar Kane :
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LE GUIDIMAKHA
La conquête du Guidimakha, elle, eut lieu dans un contexte particulier, car, à la veille de la pénétration française, cette région soninkée était sous le joug des Massasi. Elle n’en aiguisait pas moins le double appétit impérialiste de Faidherbe, gouverneur de Saint-Louis du Sénégal, et d’El Hadj Oumar Tall, le conquérant haal-pulaar :
- Enclenchée en 1854, dans le Waalo Barak, la « Marche vers l’Est » de l’expansion française devait gagner impérativement le Guidimakha pour continuer sa progression.
- Quant à El Hadj Oumar Tall, la conquête du Guidimakha, situé entre le « Haut-Sénégal-Niger » (« où il avait créé son Etat islamique ») et le Foûta Tôro, lui évitait d’exercer son autorité sur un espace fragmenté et discontinu. Aussi, cette position charnière stratégique valut-elle à une partie du Guidimakha d’être occupée par El Hadj Oumar Tall.
Mais, bientôt un modus vivendi départagea les deux impérialismes français et haal-pulaar, reconnaissant à chacun une aire d’influence qui lui est propre. D’abord tacite, cette reconnaissance réciproque devient officielle par la signature, le 18 août 1860, du « Traité de Medine ». Si l’accord conclu entre la France et El Hadj Oumar situait le Guidimakha dans la « zone d’influence française », en revanche les populations de la région, de confrérie « tidjane », continuèrent à verser, jusqu’en 1891, le « zakat » à l’Etat « islamique» d’El Hadj Oumar, mort en 1864.
Lorsque, dans le cœur du Gidimakha, un mouvement anticolonialiste naquit dans les années 1880, les représentants d’Amadou Sékou (le fils aîné d’El Hadj Oumar) virent dans l’émergence d’une personnalité locale charismatique capable d’incarner un nationalisme soninké intransigeant le tarissement de l’une de leurs sources de revenus : le « zakat », impôt religieux que les Soninkés leur versaient. Aussi, soutinrent-ils les Français pour éliminer le résistant Mamadou Lamine Dramé.
L’armée française bénéficia aussi du soutien de tribus maures Chratit et Swaker, qui lui servirent d’éclaireurs pour identifier les foyers de résistance, qu’elle élimina méthodiquement. Le lieutenant-colonel Frey (dans le Gajaaga et le Guidimakha) et le « chef de bataillon Combes » (dans le Kamera) incendièrent paisiblement une centaine de villages soninkés qui avaient osé s’identifier à la résistance du marabout anticolonialiste.
Aussi, le marabout Mamadou Lamine Dramé, pris entre le marteau et l’enclume, devait-il mener conjointement des actions de résistance contre les impérialismes français et haal-pulaar et contre leurs alliés maures :
« Entre le 10 et le 24 mai 1886, plus de cent villages furent transformés en un immense brasier par les colonnes de Combes et Houry : Gemmu, la première citadelle de la Tijâniyya en pays sooninke, Kummbandaw, le grand centre religieux, Jogunturo, Ambideedi, jamaane, Gumjuru, etc. La répression fut telle qu’elle suscita de vives protestations à Saint-Louis et à Paris. Du Kamera au Ngwey, toutes les tentatives de soulèvement contre l’occupation franco-fuutanke furent réprimées sauvagement ». (page :157-158)
Souaybou, fils de Mamadou Lamine Dramé, n’échappe pas, non plus, aux représailles des alliés de circonstance de la France. Il est pourchassé par les « Ahel Sîdi Mahmûd » et les Chratit : « accompagné de neuf de ses meilleurs cavaliers, [il] réussit à briser le cercle bidân qui l’étreignait pour reprendre la direction du sud, vers le fleuve » ; mais, il fut capturé par les habitants de Dikokori, livré au lieutenant Michanberg et exécuté à Bakel, le 3 mai 1887, « pour l’exemple », selon la sentence de Gallieni.
Mamadou Lamine Dramé aura un sort similaire, quelques mois plus tard ; mais, ce sont les hommes de Moussa Molo, chef peul du Fouladou, qui l’assassinèrent.
Avec la mort de Mamadou Lamine Dramé, c’est en fini de la lutte armée contre l’occupation coloniale en pays soninké. Le Guidimakha sollicite officiellement la protection de la France, d’autant que Bakkar Ould Sweid Ahmed avait, lui aussi, des visées expansionnistes sur le pays soninké.
L’intégralité du Sud mauritanien conquis, les Français ont désormais la mainmise sur un territoire contigu au pays maure, position militaire stratégique pour conquérir le « Trâb El Bîdhân », dont la conquête relevait de la « Marche vers le Nord », laquelle devait, à terme, permettre à la France de « relier les rives de la Méditerranée aux bassins du Sénégal et du Niger ».
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II. « LA MARCHE VERS LE NORD »
LE « PAYS MAURE » OU « TRÂB EL BÎDHÂN », LITTERALEMENT
« TERRE DES BLANCS »
La conquête du pays maure entrant dans « la logique d’une entreprise de conquête des pays musulmans », un homme, Xavier Coppolani, auteur d’un « traité sur une confrérie musulmane » d’Algérie -où il avait fait « toute sa carrière administrative »- était tout indiqué pour faciliter l’occupation française du « Trâb El Bidhân », grâce notamment à sa connaissance de l’arabe et des sociétés « mahométanes ». L’expérience de la conquête et de l’occupation de l’Algérie, où la France mit à profit les rivalités intestines pour conforter son assisse, tient lieu de modèle de stratégie pour la sujétion du pays maure.
Arrivé à Nioro en 1899, Coppolani fit dépêcher des messagers à Oualata, à Tichit, Chinguiti et à Ouadane, « villes saintes » représentant « un symbole religieux » pour les Maures et les Touareg. Mieux, il rendit même visite « aux Ahel Sidi Mahmûd, aux Awlâd Nasr, à quelques campements des Awlâd Mbârek (…) » (Page : 330). Celui que l’on a surnommé le « charmeur », grâce à son sens de la communication, fait une bonne impression chez « Ahel Shaykh Muhammad Vâdel, dont les membres étaient dispersés depuis le Hodh jusqu’à la Saqiyya al Hamra. » Leur soutien précieux lui permit «d’être accueilli plus favorablement par les principales tribus du Tagant, du Hodh et de l’Azawâd, à la différence des Twareg et des Berabish ».
L’heure de la conquête n’a pas encore sonné : les traitants de Saint-Louis, soutenus par « le Gouvernement général », qui veillait sur leurs intérêts commerciaux avec les caravanes maures, étaient hostiles à la conquête du « Trâb El Bîdhân ». L’influence des commerçants de Saint-Louis fut, cependant, de courte durée, un faisceau convergent de facteurs favorables à Coppolani lui ayant laissé les mains libres pour mettre en œuvre son dessein colonial :
- La signature, en 1901, du « traité franco-espagnol qui, même s’il ne lui autorisait pas de conquérir les territoires situés au Nord du parallèle 20° et 21’, permettait à la France d’occuper les territoires compris entre ce parallèle et le Sénégal ».
- La mort, en janvier 1902, du « gouverneur général » Noël Bellay (principal soutien des commerçants saint-louisiens) et son remplacement par Ernest Roume, plutôt favorable aux thèses coloniales de Coppolani.
- La « séparation administrative et politique entre la direction de l’AOF et celle de la colonie du Sénégal (…) cette nouvelle politique fut inaugurée par une promotion de Coppolani qui, par décret du 4 juin 1902 et sur proposition du ministre des Colonies, fut nommé secrétaire général de seconde classe chargé d’étudier l’organisation d’un service des Affaires musulmanes et sahariennes à la présidence du Conseil. » (page340)
Propices, ces circonstances enclenchent la conquête du pays maure, où les clivages politiques et tribaux donnèrent, de leur côté, de l’allant au rêve que caressait Coppolani de soumettre à la sujétion française le « Trâb El Bîdhân »
Théâtre de rivalités de préséance politique et religieuse, le Trarza s’offrit d’abord, sans résister, à une France manœuvrière, qui sut, opportunément, opposer les uns aux autres : jetant son dévolu sur telle branche régnante, au détriment de telle autre ; promettant la sécurité aux familles maraboutiques, dont la stabilité et la tranquillité étaient tributaires du bon vouloir des familles guerrières, etc.
A la différence du Trarza, le Brakna vivait dans une relative stabilité politique à l’arrivée des Français. Certes, les Awlad Seyyid et les Djeyba étaient en conflit avec les Awlad Ebieri, soutenus par les Awlad Ahmed ; certes, l’émir n’était reconnu, à proprement parler, que par les Awlad Seyyid et les Awlad Mansour ; cependant, « il n’y avait pas une situation de conflit à l’état endémique comme au Trârza, où les assassinats entre familles politiques consanguines étaient devenues monnaie courante ». En outre, l’émir du Brakna, Ahmeddou ould Sidi Eli, pouvait même se prévaloir du traité signé le 18 octobre 1891 entre son défunt père (mort en 1893) et la France, dont l’article II engageait celle-ci à protéger le pouvoir familial contre ses adversaires.
L’émir du Brakna manifesta toute sa bonne volonté d’être en bonne intelligence avec la France, si celle-ci préservait ses intérêts et respectait ses engagements. Pour donner des gages de cette coopération, l’émir « décida même de mettre fin, dès décembre 1902, à la guerre de soutien qu’il menait en faveur des Djeyjbe contre les Awlâd Ebieri. Il était venu même rencontrer Coppolani à Sow’t lme, accompagné des représentants des principales tribus Awlâd Abdallah (Awlâd Seyyid, Awlâd Noghmach, Awlâd Eli) et de ceux des Awlâd Ahme »
L’émir du Brakna avait renoncé à certaines de ses « prérogatives », moyennant un appui français ; mais, bientôt les intentions de Coppolani apparaissent sous un autre jour : l’installation stratégique d’un poste militaire à Boghé lève le voile sur les visées expansionnistes de la France sur le pays maure:
La réaction des émirs du Brakna, du Trarza et du Tagant (ligués contre Coppolani) et celle de certaines tribus znaga (Aralen, Twabir) et haratine (Awlad Tanak) qui échappaient à tout contrôle émiral, ne se fit pas attendre. Ils alternèrent saccage sur saccage dans les villages de la Vallée du Fleuve Sénégal qui abritait des postes militaires français, faisant main basse sur le bétail, sans épargner ni femmes, ni enfants, au grand bonheur des traitants de Saint-Louis du Sénégal, accoutumés à tirer de ces pillages une source conséquente de revenus, avec l’accord tacite des autorités coloniales. Or, désormais le gouverneur de Saint-Louis, favorable à la conquête du pays maure, ne l’entend plus de cette oreille :
« De ces mœurs résultait une véritable spéculation sur les animaux volés, les femmes et les enfants enlevés. Toute une catégorie de négociants connus sous leur qualificatif propre de « traitants » retiraient grand profit de ce commerce d’échange conditionnel. Ils devenaient les intermédiaires entre les guerriers et leurs victimes. Leur neutralité, formée par ces mœurs particulières, les portait à les considérer comme la base même de leurs transactions avec les Maures. Leur surprise et leurs protestations ont été grandes quand ils ont connu l’intention du gouvernement de les faire disparaître. La suppression du commerce des captifs et des armes qui était très rémunérateur soulevait en particulier leur indignation ».
(pages 351- 352).
[Source :ANS 9G 20, territoire de Mauritanie, situation politique et organisation administrative, 1903, 20 juin 1903, télégramme Sénégambie à cercle de Dagana, Podor, Matam, Bakel]
Malgré cette recrudescence de pillages à but dissuasif, la page de l’indulgence avec les guerriers maures est bien tournée, et Coppolani a le soutien du Gouvernement Général. Celui-ci n’entend plus fermer les yeux sur les razzias des tribus guerrières maures, ni ménager les traitants de Saint-Louis, « recéleurs » de longue date du commerce lucratif de leurs traditionnels brigandages.
Les guerriers maures menacent même de mort le marabout Cheikh Sidya Bâbe qui, hostile
à l’anarchie qu’ils faisaient régner, n’avait pas hésité à voir dans la présence française en pays maure un « bienfait d’Allah » :
« Pour donner plus de caution morale et politique à cette présence française et amener encore plus de tribus à se soumettre, le shaykh Sidya Bâbe prononça une fatwa dans laquelle il justifiait l’occupation française du Trârza qu’il qualifia de « bienfait d’Allah » (Désiré-Vuillemin 1952 : 309). Pour appuyer cette fetwa, Coppolani promit que les Français appliqueront « (…) une politique de conciliation basée sur le respect absolu des mœurs et de la religion de [leurs] nouveaux sujets ». (Gillier 1926 : 115) Toujours grâce au soutien du shayk, Coppolani atteignit Kroufa où il installa un poste. Le shaykh Sidya Bâbe se rendit encore plus utile aux Français en réussissant à obtenir la soumission de Sîdi Wul Mohamed Vâl et de ses quelques deux cents guerriers ». page 346).
Le 23 décembre 1903, la révocation de l’émir Ahmeddou et la confiscation de ses biens « au profit du Trésor public de la Mauritanie » (page 359) scelle définitivement le sort de l’émirat du Brakna. Celui qu’on a surnommé « le pacificateur de la Mauritanie » poursuit son avancée dans le « Trâb El Bîdhân » (« Terre des Blancs ») et continue à obtenir, tantôt la reddition, tantôt l’allégeance de tribus et de notabilités maures, dont les propres frères du célèbre résistant « shaykh Ma El Aynin »:
« Une semaine avant la réunion des Brakna à Regba, Coppolani avait organisé une assemblée identique de tribus à Kayhaydi afin d’y recevoir ses alliés du Hodh, notamment le shaykh Turâd et le shaykh Sîdi El Kheir venus réaffirmer leur soutien inconditionnel, malgré les critiques de leur frère, le shaykh Ma El Aynin. Il y reçut également les représentants d’autres tribus qui avaient accepté de se soumettre à l’autorité française : Ehel Sidi Mahmûd, Kunnta Ekhel du Tagant, Lemtuna..» ( page 359)
Le 2 janvier 1904, Coppolani tient une réunion à Boutilimit, où il fit construire un poste militaire pour accélérer la « pacification » du Trâb El Bîdhân et veiller à la sécurité du Cheik Sidya Bâbe, l’un des partisans les plus ardents de la conquête du pays maure. Le conquérant français cherche à en découdre avec deux grands bastions de la résistance maure : le Tagant et l’Adrar. Il avait emmené, avec lui, des soldats originaires du Walao Barak, du Foûta Tôro, du Guidimakha et même de l’Algérie. Son hôte, le Cheikh Sidya Bâbe, y adjoint des soldats Awlâd Ebieri et Tajakant pour aider à prendre en étau l’Adrar ; des éléments de tribus ralliées, comme les Oulad Bousba, ne sont pas en reste :
« Les Français « s’assurèrent d’abord de la soumission des Awlâd Seyyid. Coppolani se rendit ensuite le 2 janvier au Trârza pour solliciter le soutien religieux, politique et militaire du shaykh Sidiya Bâbe. C’est à l’occasion de sa visite à Boutilimit que lui et ce dernier s’entendirent sur la coopération de ce dernier dans le projet de campagne de conquête de l’Adrar. Les Awlâd Ebieri pénétreraient l’Adrar par le Sud, à partir du Trârza, tandis que la colonne française envahirait ce pays à partir du Tagant. Le shaykh Sidiya Bâbe mit à la disposition de « la mission Tagant-Adrâr » un goum composé de vingt-cinq Awlâd Ebieri et de Tajakant conduits par un de ses gendres et cent dromadaires pour monter ce goum et compléter celui des cent vingt Algériens, dont une partie était montée à cheval. Il y avait aussi les tribus dont les délégations s’étaient présentées à Boutilimit pour fournir, chacune, à la mission des dromadaires porteurs. Du Trârza arrivèrent aussi un goum de Noirs venus du Waalo Barak et un goum de Awlâd Busba ralliés conduits par le capitaine Frèrjean qui venait du poste de Nouakchott. Copplani quitta le Trârza le 22 janvier. Il arriva à Aleg le 1er février. Le capitaine Devaux et l’administration Lestre de Rey l’y rejoignirent avec trois goums composés de Noirs recrutés à Kaay [dans l’actuel Mali], Podoor [dans le Foûta sénégalais] et à Boggee».
(Pages 362-363).
Entre février et mai 1905, de combats sanglants opposent les armées de Coppolani aux résistants maures. Le 01 avril 1905, les Idowish essuyèrent un sérieux revers: l’émir Bakkar Ould Sweid Ahmed, « l’unificateur politique des tribus guerrières opposées à l’expansion du colonialisme français dans le Trâb El Bîdhân. » et qui « était devenu, à la fin, le pendant guerrier et militaire du chef religieux le shaykh Ma El Aynin », est tragiquement blessé dans la bataille de « Ba Gâdum.» Le vieux chef guerrier succombera à ses blessures quelques jours plus tard. Si cet évènement démobilisateur permit au camp colonial d’avoir de nouveaux ralliements, il n’empêche que la plupart des résistants du Tagant gagnèrent l’Adrar pour grossir les troupes anticoloniales de « l’émir Sidi Ahmed Wul Ayde » (page 363-364)
Mais dans l’Adrar, de dissensions claniques entre partisans du colonisateur et résistants à la pénétration coloniale se font jour, au moment où le « Trâb El Bîdhân » a plus que jamais besoin d’une unité de front contre l’envahisseur français: les « Awlâd Hammoni » (la famille régnante) sont partagés entre le camp anticolonial de « l’émir Sid’Ahmed Wul Ayde », soutenu par le marabout « Ma El Aynin », et celui de l’ancien émir Moukhtar Ould Ahmed Ayde, à qui la France avait promis « de restituer son pouvoir ». Les mêmes rivalités intestines divisaient aussi les familles régnantes du Trarza, où une unité d’action ne pouvait être envisagée :
« Quelques jours après la disparition de Bakkar Wul Sweyd Ahmed, et peu de jours avant l’occupation de Tikjikjat, Sidi Wul Mohammed Vâl faisait assassiner le 18 avril 1905 son rival, Ahmed Sâlum Wul Eli » (pages 364-365)
Face à cet émiettement politique, l’avancée française dans le « Trâb El Bîdhân » était inéluctable. Pour arrêter cette progression, les résistants décidèrent de frapper « la tête » même du bras armé colonial : la propre personne de Coppolani. En effet, un thème mobilisateur fait florès : le « djihâd », « guerre sainte contre l’infidèle ». Coppolani est une cible de choix des prêches du marabout Ma El Aynin qui assurent le paradis à tout musulman qui le tuerait.
Comme Abel Jeandet, tombé sous les balles de Baïdy Kathié Pam lors de la conquête de Bossoya dans le Foûta Tôro, Coppalani fut tué, le 12 mai 1905, par Sidi Ould Moulaye Zeïn, un résistant maure:
« Coppolani était désigné dans les prédications de Ma El Aynin comme « (…) l’ennemi à détruire parce qu’il amenait les fidèles à se soumettre en terre d’islam (…). La mort d’un renégat arrêterait l’avancée des Français ; celui qui le tuerait aurait sa place marquée au paradis. Cette parole courait l’Adrar : le meurtrier de Coppolani serait le défenseur des croyants ». [ Désiré-Vuillemin 1962 : 330] Il fut assassiné à Tikjikja le 12 mai 1905 par un moqqadam des Ghûdf, Sidi Skheir Wul Mulây Zyn et ses hommes. » (page 365).
Cet assassinat met, en effet, un point d’arrêt à la mission de conquête du Tagant et de l’Adrar ; mais, provisoirement. Lorsque la France reprend les hostilités et s’engage, à nouveau, dans la conquête du pays maure, des troubles éclatent inopportunément dans des régions qu’elle croyait avoir définitivement pacifiées.
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REPRISE DES TROUBLES EN MAURITANIE DU SUD :
- DANS LE GUIDIMAKHA
Entre mai et novembre 1907, les Soninkés du Guidimakha se soulevèrent violemment contre les représentants de l’administration coloniale :
« (…) [Les] Sarakolets [Soninkés], entrant dans un état de surexcitation violente, frappèrent brutalement, malgré l’intervention de l’administrateur, les notables qui avaient été convoqués à la résidence pour rendre compte de cet acte d’hostilité grave. »
(page 409 : CARAN, 299MI 1073/ANS 17G 41, pièce 2)
La déperdition de la force militaire des troupes coloniales est d’autant plus grande, que les Français doivent aussi faire face à des groupes armés maures qui ont « menacé d’assiéger le poste de Selibaabi » : « Awlâd Bu Sba, Brakna et Idowish, issus de la troupe de Mulây Idriss qui venait de se disloquer » (page 410)
- DANS LE FOÛTA TÔRO : « FIYANNDE AALI YERO JOOP », « L’ATTAQUE ARMEE DE ALI YERO DIOP »)
Au Foûta Tôro, un mouvement anticolonial d’inspiration religieuse fut enclenché « en pleine préparation de la conquête du nord du Tagant et de l’Adrâr ». Ali Yéro Diop prétend être investi d’une mission divine, celle de « convertir à l’islam les Européens installés dans le pays. » Il a une cible de choix, Saint-Louis (siège de l’autorité centrale coloniale) et un objectif ambitieux : « raser la tête du commandant [c’est-à-dire le « convertir » à l’islam] et du Borom Ndart [chef de Saint-Louis]. » (page 421).
A l’aube du 15 mars 1908, dans un combat à feu nourri avec les troupes coloniales du poste militaire de Dagana, les hommes du « Mahdi » essuient un revers cinglant. Ali Yéro Diop, aux prises avec les hommes de l’administrateur Chesse, tombe face à la contre-offensive qui lui opposée :
« les hommes de l’agitateur, qui s’étaient couchés dès les premières salves, s’abritèrent derrière les cadavres. Ils tirent posément, avec beaucoup de calme. Ils visent le sommet du mur, derrière lequel se trouvent les défenseurs du poste, et les fenêtres du 1er étage, derrière lequel sont les dames. Un fanatique se jette sur la porte des écuries, essaie de faire sauter la serrure avec un sabre et ordonne aux gardes d’ouvrir. Les chants et les cris durent pendant tout le combat. Vers 9h15, le feu se ralentit, faute de munitions, d’un côté comme de l’autre. Ce qui reste des assaillants s’enfuit. Le chef Samba Yom les poursuit et fait quelques prisonniers. »
(ANS 13 G 116, Saint-Louis, le 28 mars 1908, le Secrétaire général des colonies H.C., Lieutenant-gouverneur p.i. du Sénégal au Gouverneur général des colonies AOF, Dakar, pièce 23.)
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FIN DE LA TREVE EN PAYS MAURE
Toutefois, la multiplication des foyers de tension sur les territoires occupés - ou en voie de l’être - par la France n’amoindrit pas, de manière déterminante, son expansionnisme, et la stratégie de « diviser pour régner » de Gouraud porta l’estocade décisive à la région d’Adrar :
« Pendant toute l’année 1909, les Français poursuivirent leur conquête des territoires de l’Adrar, en consolidant leurs positions, alternant actions militaires et campagnes de soumissions volontaires initiées par le shaykh Sidiya Bâbe. Ce dernier écrivit des lettres à toutes les tribus « (…) leur donnant des conseils de paix, en les assurant que le Coran ne les obligeait pas à combattre un ennemi qui avait prouvé sa supériorité et en leur garantissant que les Français respectaient la religion des Musulmans. Il en était la preuve vivante- en somme, une sorte de fetoua à lever les scrupules religieux » (Gouraud 1909 : 204)
Shingît et Wadân furent conquis sans combat, respectivement le 27 juin et le 03 juillet 1909. Malgré ces revers militaires, les éléments les plus irréductibles poursuivirent les combats, rendant des coups mortels aux troupes coloniales qui perdirent quelques soldats. (…) Gouraud utilisa alors une solution désormais classique dans de pareilles circonstances : diviser pour régner. Il exploita les contradictions antagonistes entre tribus soumises et tribus insoumises. Il incita certaines, nouvellement soumises et à qui il avait rendu leurs armes, à s’attaquer à leurs ennemis du Nord qui nomadisaient dans le Tiris et le Sahara occidental. C’était aussi un moyen de détourner les expéditions des medjbûr des « cercles du sud » afin de garantir la sécurité des populations de ces régions (…) On peut considérer que l’occupation de l’Adrâr fut globalement acquise dès le mois d’octobre 1909. » (pages 434-435)
La lutte armée contre les troupes coloniales dans le Tagant et les Hodh n’en continua pas mois à donner du fil à retordre aux troupes coloniales, même si le camp anti-colonial rétrécit inexorablement comme peau de chagrin et que la reddition ou la mort de grands noms de la résistance fissure les rangs des combattants, qui deviennent maintenant de plus en plus clairsemés :
« les soumissions spectaculaires de chefs de tribus Rgeybat du sud (octobre 1913), d’un des fils de shakh la El Aynin, Taleb Khyâr (mai 1919), la mort de son frère Heyba (21 juin 1919) donnèrent au colonialisme français toutes les possibilités de briser progressivement la résistance armée dans le Nord et d’asseoir sa complète domination sur cette partie importante du territoire colonial de Mauritanie ». (page 437)
Ainsi, dès le 25 décembre 1920, « La marche vers le Nord » - projet expansionniste de la France qui voulait « relier les rives de la Méditerranée aux bassins du Sénégal et du Niger »- devient réalité. En effet, en contrôlant la partie septentrionale de la Mauritanie, la France venait de réussir à empreindre de sa marque digitale un territoire immense, des berges argileuses du fleuve Sénégal aux étendues sablonneuses des contrées mauritaniennes jouxtant l’Algérie, sans aucune discontinuité territoriale.
Cependant, selon la version de l’historiographie nationale- celle qui est transmise aux écoliers mauritaniens-, c’est plutôt « la fin tragique en mars 1933 » de l’émir Sidi Ahmed Ould Ayde qui, sonnant le glas de la résistance du pays maure contre la colonisation française, consacre réellement la subordination des « Bîdhân » (« Maures blancs ») à l’Empire français.
III. « INDIGENES DE LA REPUBLIQUE »
Les présomptions de souveraineté – conservée jusqu’à 1933 ou aliénée à la France plus tôt- mises à part, on peut noter que c’est bien en 1920 que la puissance coloniale française considère le pays maure comme pacifié, dussent les actions de résistances perdurer encore. Considéré désormais par le « gouvernement général » comme « ayant largement évolué sous l’égide militaire », le pays maure qui, déjà en 1904 avait vu son statut de « protectorat » se transformer « en territoire civil de la Mauritanie », devient officiellement une « colonie » de l’Afrique occidentale française, en 1920. (Cf. Bulletin du Comité de l’Afrique Française, 31ème année, N° 1, janvier 1921, « Afrique occidentale française : la réorganisation administrative », p.25-27)
Paradoxalement, la nouvelle colonie ne correspond pas à « un espace ethnique et culturel » homogène, comme le souhaitaient ses « initiateurs politiques » : il fallait l’intégrer dans une entité plus grande, qui comprenne la rive droite du fleuve Sénégal (« la partie utile ») pour justifier son existence économique :
« Ensuite l’annexion de la rive droite ne permit pas l’application de la théorie de l’ « espace ethnique et culturel » maure exclusif, comme l’avaient imaginé les initiateurs, malgré l’insistance à sa réalisation de la part de quelques administrateurs, ceci jusqu’au début de la seconde guerre mondiale. C’est le second échec par rapport au projet initial. Nous avons vu d’ailleurs que ces intentions, la création d’une « colonie ethnique », étaient une pure utopie administrative, compte tenu de l’imbrication économique des différentes populations vivant dans ces régions, imbrication qui avait été accentuée d’ailleurs par le commerce de traite dans les escales du Sénégal, puis par la traite de l’arachide. L’une des conséquences de l’annexion de la rive droite au territoire civil de Mauritanie fut, évidemment, la carrière d’une barrière administrative et l’écartèlement des unités villageoises entre deux administrations qui, bien que régies par la même puissance coloniale, n’hésitèrent pas à se présenter aux yeux des populations indigènes en rivales, défendant chacune les « intérêts de sa colonie ». La création d’une frontière au milieu d’une unité géographique homogène a favorisé le dysfonctionnement d’un mode d’organisation socio-économique que des agriculteurs et des pasteurs avaient mis des siècles à élaborer. » (page 718)
L’intégration conjointe du « bassin inférieur du Sénégal » - une partie des pays wolof, haal-pulaar et soninké – et du « Trâb El Bîdhân » dans une entité coloniale commune ne met pas, pour autant, une sourdine au dessein du colonisateur de réserver un statut spécifique au pays maure, dans le cadre de sa « politique des races ».
On savait le code de l’indigénat - en vigueur dans toutes les colonies - être aux antipodes d’une citoyenneté indifférenciée, laquelle eût mis tous les sujets de la République sur le même pied. L’intérêt singulier de l’administration coloniale française pour les classifications ethniques et épidermiques de ses indigènes montre, sous un jour particulier, avec quel éclat l’universalisme tricolore a resplendi dans les appendices de l’AOF (Afrique Occidentale Française):
« lorsque des races diverses habitent le même territoire, plusieurs tribunaux de subdivision peuvent coexister sur ce territoire, chacun jugeant ses justiciables relevant de la coutume qu’il applique, chacun ayant sa liste de notables, c’est-à-dire ses juges titulaires et ses juges suppléants, chacun exerçant sa juridiction sur une région déterminée ».
(page 385 in Marty : tome 2 ; Etudes sur l’islam au Sénégal, Paris, Leroux, 2 volumes ; tome 1 : Les personnes, 412 pages ; tome 2 : Les doctrines et les institutions, 444 pages).
Cette administration « ethnique » ou /et « raciale » de la nouvelle colonie a une traduction concrète sur le plan fiscal : les « Bîdhân» (« Maures blancs ») sont exonérés de l’impôt « par captation », impôt de « servage » imposé aux seuls « Noirs », selon Richet :
« (…) une taxe personnelle et annuelle de 3 francs à tout individu de race noire vivant sur la rive droite du fleuve »
(Etienne Richet : La Mauritanie, Larose, Paris, 1920)
La nouvelle donne administrative – création d’une nouvelle colonie, indépendante du Sénégal- requérait, aux yeux de l’administration, un « rééquilibrage démographique » pour harmoniser les recettes fiscales de part et d’autre du fleuve Sénégal: d’autant que, sous la pression des incursions des tribus guerrières maures, un mouvement de repli vers le Sénégal s’était enclenché, de bonne heure, et avait fini par dépeupler la partie septentrionale de la vallée du fleuve Sénégal. On comprend alors pourquoi le royaume wolof du Waalo, dont la capitale était Ndiourbel, n’eut guère d’autre choix que d’installer ses pénates sur la rive gauche du fleuve Sénégal, sans demander ses restes:
« La pression constante des Bîdân, surtout à partir de la deuxième moitié du XVIIe siècle, avec la consolidation militaire de l’émirat de Trarza qui participe à la double traite des esclaves en direction de la côte et en direction du Sahara et d’Afrique du Nord, provoqua des exodes importants des populations du royaume sur la rive gauche. Cette descente fit reculer la limite du peuplement waalo waalo, et par conséquent la frontière du royaume plus au sud. La conséquence politique majeure de cette pression bîdân fut évidemment le transfert, vers 1705, sur la rive gauche, de la capitale du royaume, qui se trouvait à cette date à Njurbel. Au moment de la conquête du pays par Faidherbe, en 1854, la présence de la population du Waalo Barak se réduisait sur la rive droite à une quinzaine de villages disséminés sur un territoire s’étirant le long du fleuve sur près d’une centaine de kilomètres entre Njaago, au bord de l’Atlantique, à Gaani, à la frontière avec le Fuuta Tooro, la largeur de cette bande de territoire ne dépassant guère deux kilomètres. Les territoires de la rive droite du Waalo Barak font partie aujourd’hui des arrondissements de Jjaago, de Kër Masen et de Kêr Muur, dans la région administrative du Trârza, ayant pour chef- lieu Rosso sis près de l’ancienne capitale du Royaume, Njurbel, devenue un simple quartier de cette ville. » (page 35).
Cette histoire mouvementée de rapines, de captures et de mise en servage de populations riveraines du fleuve est bien exprimée par la langue pulaar, dont un dicton populaire désigne comme un pis-aller l’abandon de la rive droite pour la rive gauche du fleuve Sénégal : « Maa rewo ronnkaa nde worgo hoDaa » (« C’est parce que le Nord était hostile que le Sud fut habité »)
Les archives coloniales fourmillent aussi d’informations sur les exactions perpétrées sur les villages soninkés :
« Il ne se passe pas de jour que je ne sois pas informé qu’une femme, un enfant, un âne ou un cheval a été enlevé aux abords des villages » (page 270).
Le capitaine Roux, commandant le cercle de Bakel, au colonel commandant supérieur du Soudan français : ANS 13G 192, Bakel, le 28 mars 1892, pièce 9.
Ces agressions laissent complètement désemparée la gent masculine soninkée, à laquelle le capitaine Bellat reproche, sur le ton de la provocation, une certaine mollesse « féminine » face aux chameliers maures :
« Le Sarakolet [soninké] est une femme qui a besoin d’un commissionnaire de nuit ». page 270.
(Le capitaine d’artillerie de marine J Bellat : Archives nationales du Mali (ANM), ID42, « Note sur le Guidimakha », Cercles de Kayes, décembre 1892)
C’est l’officier Martelly qui, en décrivant la situation infernale de la rive droite du fleuve Sénégal, tire les conclusions qui en découlent :
« Pour peu que cela continue, la sécurité n’existera plus pour les habitants de la rive droite, et toutes les transactions de village à village seront arrêtées ».
Martelly : ANS 13G, Rapport sur la situation politique, commerciale et agricole du cercle de Bakel, mis de juillet 1892, pièce 38.
Deux ans plus tard, l’insécurité est toujours aussi grande sur la rive droite du fleuve Sénégal. Les tentatives de l’administration coloniale de repeupler cette région, dont ils viennent d’accomplir la conquête, ne trouvent guère d’échos favorables auprès de beaucoup de ses autochtones qui avaient décampé face aux imprévisibles razzias des guerriers maures :
« Je leur ai [aux Soninkés] demandé s’ils voudraient aller à Gangari qu’ils habitaient il y quarante ans, mais ils ont une peur bleue des Maures qui, disent-ils, ont enlevé à cette époque les 2/3 de leurs populations » (Page 279)
Le capitaine IMBERT à Bakel : ANS 13G 234, pièce 51, page 3, Sélibaby, le 23 juin 1894.
Aussi, la pacification du « Trâb El Bîdhân » eut-elle pour corollaire d’apaiser la rive droite du fleuve Sénégal. Désormais, le « rééquilibrage démographique » dans la vallée du fleuve Sénégal pouvait se faire sans mettre en péril la vie de ses habitants, longtemps à la merci de pillards, dont le remarquable esprit distinctif avait la particularité de mettre sur le même plan « butin matériel » et « rapt de femmes et d’enfants ».
Quoique la rive droite du fleuve Sénégal appartienne désormais à la « colonie de Mauritanie », ses habitants continuent à être régis par les mêmes lois et à partager les mêmes structures politiques, administratives, judiciaires etc. que les habitants de la rive gauche : « cercles », « provinces », « cantons », « chefferies supérieures », « chefferies de provinces », « chefs de cercles », « gardes de cercles », « cadis », « commis expéditionnaires », « interprètes », etc.
L’administration française, soucieuse de faire prévaloir la paix pour contrôler plus efficacement ses indigènes, s’attèle à la mise en place d’un nouveau découpage territorial et place à la tête de ces nouvelles entités administratives des hommes de confiance, dont la loyauté envers la France ne s’est jamais démentie. Aussi dans le « Laaw », l’administration coloniale imposa-t-elle « l’autorité exclusive » des descendants de l’Almamy Mamadou Birane Wane, qui fut un allié inconditionnel de la France, dès les premières heures de la conquête du Foûta Tôro. Dans la province de « Yirlaabe-Hebbiyaabe », la France imposa Abdoulaye Mamadou Kane pour récompenser ses loyaux services, lors de la conquête du « Fuuta central »:
« la direction fut confiée en mars de la même année à un ancien interprète de la direction des affaires politiques, Abdullaay Mammadu Kan, en récompense des nombreux services rendus, notamment au cours de la conquête militaire coloniale du Fuuta central. Les deux provinces furent réunies spécialement afin de lui donner un territoire important à la dimension de sa personnalité, avec le titre de chef supérieur. (…) Celle-ci [la conquête militaire] lui permit, lui et ses deux frères Raasin et Aamadu Kan, de fonder une véritable « dynastie » de chefs de provinces et de cantons, d’interprètes, qui étendit son influence dans les territoires du Yiirlaabe et du Hebbiyaabe et dans le Dimat. » p 224
Très francophile, Abdoulaye Mamadou Kane fit créer une école primaire à Salndé dès 1894. Elle était destinée à l’usage exclusif des aristocrates, qui étaient tenus d’inscrire leur progéniture à l’école française, malgré leurs sentiments de défiance à l’égard de l’institution scolaire des « Infidèles » :
«Francophile, il voulut promouvoir l’expansion de la langue et de la cultures françaises. Son expérience personnelle l’avait conduit à croire que le meilleur moyen de rapprocher les Fuutankoobe des intérêts de la France était d’envoyer leurs enfants à l’école française. Pour se faire, il fit créer en 1894 une école primaire à Salnde, où les familles aristocratiques de la province venaient inscrire obligatoirement leurs fils. Il avait aussi la conviction que l’école pouvait être source de progrès pour le pays au seul service des parentèles dominantes. Il fut le premier à prendre une telle initiative parmi les dirigeants de la chefferie indigène du pays. Les autres ne suivront que plus tard. »
(page 225).
Pour vaincre l’hostilité de ses administrés, hostile à l’autorité des « Infidèles » (« chrétiens »), l’administration coloniale s’appuya opportunément sur la confrérie « tidjane », pépinière dans laquelle sont recrutés ses cadis (juges musulmans) pour dire le droit à une population qui lui est acquise sur le plan idéologique et religieux. Dès 1904, date de la création du «Territoire Civil de la Mauritanie », Thierno Amadou Moukhtar Sakho (grand-oncle de Ibrahima Abou Sall, auteur du livre qui fait l’objet de notre compte-rendu) fut nommé « qâdi supérieur » de Boghé. En bonne intelligence avec l’administration coloniale, il gardera ses fonctions jusqu’à 1934. Son fils, Thierno Moukhtar Amadou Sahko, fut préposé à la même fonction judiciaire, de 1947 à 1961.
On est encore à l’ère coloniale, mais l’émergence de « dynasties» qui tiennent les rênes de l’administration, de la justice etc. montre déjà, en filigrane, l’architecture et la sociologie politiques du futur Etat mauritanien. Le point commun entre la plupart des personnalités politiques et religieuses autochtones (« chefs de cantons », « cadis », interprètes » etc.) cooptées et adoubées par la France, c’est, en effet, leur commune origine aristocratique et leurs liens de sang séculaires, entretenus et confortés par l’endogamie.
Si la France hexagonale se fait fort de rappeler, à qui veut l’entendre, que ses idées révolutionnaires ne font pas bon ménage avec celle des aristocrates, force est de constater, qu’en Mauritanie, l’administration coloniale a d’abord, sinon accentué, du moins maintenu l’étanchéité des cloisons sociales. Ce n’est guère fortuit que les premiers dirigeants de la Mauritanie indépendante aient (presque) tous une commune origine nobiliaire:
« L’administration coloniale fit appel aux aristocraties locales. Contrairement aux idées reçues, la puissance coloniale ne chercha jamais à bouleverser les « privilèges » politiques des aristocraties provinciales et villageoises des pays de la vallée. Cet ordre a été respecté au Waalo Barak, au Fuuta Tooro et au Gidimaxa, même si, dans cette dernière province, entre 1895 et 1904, elle avait réussi à imposer, sans succès définitif d’ailleurs, une autorité provinciale centrale au-dessus de la chefferie villageois traditionnelle sans que celle-ci ne soit remise en cause. » (page 719)
Le jeu d’équilibrisme pour ménager la chèvre et le chou atteint ses limites lorsque, dans un saut acrobatique de haute voltige, le général Faidherbe, beau spécimen de la philantropie coloniale, se contorsionne à trouver des exceptions juridiques à l’application du décret de l’abolition de l’esclavage de 1948; comme si, en la matière, les intérêts des esclaves et ceux de leurs maîtres pouvaient être conciliés :
« Face à cette question des esclaves, l’administration coloniale avait appliqué une politique résolument opportuniste et très pragmatique que résume bien cette phrase du directeur des Affaires indigènes du Sénégal : « (…) sauvegarder tous les intérêts tout en maintenant les principes humanitaires. » Cette politique avait été inaugurée par le gouverneur Faidherbe qui s’était opposé à l’application intégrale, au Sénégal, du décret d’émancipation du 27 avril 1848. Dans cette colonie, l’arrêté du 18 octobre 1855 distinguait, d’une part, « (…) les Européens et gens de Saint –Louis » qui restaient seuls soumis aux dispositions du décret d’émancipation ; d’autre part, « (…) les populations qui viendront s’établir dans les postes français, autres que Saint-Louis ». Celles-ci avaient le droit de conserver leurs captifs, et le décret de 1848 ne leur était applicable dans aucune de ses dispositions. Les personnes de la première catégorie avaient même « (…) la possibilité de louer des captifs à ceux de la seconde pour les employer, soit dans les maisons de commerce, soit à la culture, à la condition ne n’exercer sur eux que les droits qu’un maître a sur des travailleurs libres à ses gages. » Les esclaves fugitifs n’étaient (…) reçus et affranchis » que s’ils « (…) provenaient des pays ennemis » ou « (…) expulsés comme vagabonds hors des limites du territoire français s’ils provenaient des pays amis. » (Pages 293-294)
(Arrêté du 18 octobre 1855 : Bulletin administratif des actes du gouvernement du Sénégal : années 1853-1857, page 207)
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La conquête du territoire mauritanien ne se réduit donc pas à cette opposition schématique, largement entretenue et véhiculée par une certaine vulgate de la Mauritanie indépendante, entre un « Sud » collaborationniste - que l’on aurait occupé et colonisé sans coup férir - et un « Nord » héroïque et martial : dans le « Trâb El Bîdhân », comme dans le Waalo Barak, le Guidimakha et le Foûta Tôro, des actions de résistance ont été entreprises contre la pénétration coloniale. La divergence d’intérêts politiques, économiques et idéologiques fut opportunément exploitée, partout ailleurs, par le colonisateur, au grand dam des résistants qui durent se résoudre à le combattre en rangs dispersés et à tisser des alliances anticoloniales au-delà de leur espace politique trbal ou ethnique :
- Abdoul Bocar Kane contre des notabilités de provinces (marginalisées à tort) qui s’allièrent à la France pour remettre en cause la prééminence politique de leur rival, qu’elles contestaient.
- Cheikh Ma El Aynin (marabout hostile à la présence des « infidèles » en pays musulman et qui appelle au « djihad ») n’a pas la même appréciation que son pair, Cheikh Sidya Bâbe, qui n’hésite pas à rédiger une « fatwa » à l’attention des tribus maures pour justifier la nécessité de la présence coloniale française, qui serait seule capable de mettre fin à la violence et à l’anarchie.
- Alliance, dans le Waalo Barak, des Loggar avec les Français, qui leur permirent de prendre le dessus sur leurs rivaux Teejjek.
- Alliance interethnique (bîdhân-haal-pulaar-wolof) entre Bakkar Ould Sweid Ahmed, Abdoul Bokar Kane et Alburi Ndiaye contre le colonisateur.
- Assassinats politiques, en pays maure et haal-pulaar, dans certaines familles régnantes déchirées par des luttes de clans qui se positionnent pour ou contre la France, selon leurs intérêts politiques.
La résistance à l’occupation coloniale, pour être réelle en Mauritanie, n’en reste donc pas moins entachée par des querelles de préséance politique des chefs locaux, dans lesquelles il est difficile de percevoir explicitement la primauté de l’intérêt général de leurs peuples. Contre une certaine historiographie mauritanienne encline à aller vite en besogne en tressant des lauriers à des « héros » érigés en modèles pour le jeune Etat mauritanien (assoiffé de grandeur), il s’imposait de démêler l’écheveau des mobiles qui président aux luttes anticoloniales. Elles semblent, en effet, obéir, dans bien de cas, à des intérêts particuliers, et certains « héros » anticolonialistes mauritaniens ne paraissent pas avoir une opposition de principe à l’impérialisme, s’ils ont l’opportunité de l’exercer eux-mêmes sur leurs voisins immédiats :
-Alliance entre les représentants de l’empire omarien ( pourtant officiellement d’inspiration islamique) et la France impérialiste contre le marabout soninké Mamadou Lamine Dramé, hostile à l’occupation française.
- Exactions récurrentes des guerriers maures sur les populations de la rive droite du fleuve Sénégal, qu’ils n’hésitent pas à piller et à asservir.
-Prétentions impérialistes de Bakkar Ould Sweid Ahmed (figure de proue de l’anticolonialisme en pays maure) sur le pays soninké, etc.
Ce sombre tableau suffit, tout seul, à démystifier l’image idyllique d’un peuple mauritanien soudé et uni dans l’histoire face à un ennemi extérieur commun, le colonisateur, à qui on impute commodément tous les maux de la Mauritanie, dans cette posture narcissique et idéalisée de soi qui consiste à se dédouaner, à bon compte, de ses errements passés, présents et à venir. Malgré les échanges culturels nombreux entre les Mauritaniens, leurs liens de sang et leurs alliances interethniques avérées dans le passé, on ne saurait faire abstraction des épisodes dramatiques de leur histoire commune, faite aussi de persécutions et d’oppressions avilissantes : citer ces faits n’est pas un acte anti-patriotique.
Le mérite de M Ibrahima Sall est d’avoir, précisément, écrit une histoire dépassionnée, démystifiée et démythifié de la Mauritanie ; ni à charge, ni à décharge : une histoire qui se veut au service exclusif des faits, qu’un minutieux et persévérant travail de plusieurs années a rigoureusement établis pour redonner à la « Mauritanie du sud » - qui occupe une place si marginale dans l’historiographie mauritanienne - toute la place qui lui échoit, en toute justice.
Une autre qualité du travail de M Sall : sa thèse n’appréhende pas l’histoire du point de vue des « groupes dominants », une précision qui n’est pas superflue, eu égard à une certaine tendance d’écrire l’« histoire » …. En interrogeant les archives, il révèle la collaboration de beaucoup d’aristocrates (singulièrement les « Torobbé », groupe social auquel il appartient), sans ménager sa propre parentèle : cela ne crédibilise que d’autant plus le propos de M Sall, qui va à contre-courant de ces pages épiques prises pour de l’« histoire », dont on abreuve si ingénument les Mauritaniens pour les divertir.
J’ai eu l’insigne honneur d’assister, en 1998, à la brillante soutenance de thèse de M.Ibrahima Sall, à l’Université Paris VII- Denis Diderot, à Jussieu. Je garde encore aujourd’hui en mémoire les superlatifs employés par un des membres du jury : « Il y a des thèses excellentes, mais que l’on cesse de consulter au bout de quelques dizaines d’années ; mais, votre thèse, M Sall, fait partie de ces travaux exceptionnels que l’on continuera à consulter pour toujours ».
Cette volumineuse thèse de 1376 pages (qu’un emprisonnement dans le bagne de Oualata a failli tragiquement compromettre, en interrompant les recherches doctorales de M Sall pendant de longues années) n’est pas publiée dans sa totalité. On peut s’estimer, tout de même, heureux que l’éditeur ait consenti à publier, en un volumineux livre de plus de 800 pages, le travail universitaire de M Sall, qui a pu garder ainsi son point fort : celui d’être un trésor inestimable d’informations sur la Mauritanie du Sud, étayées par des sources bibliographiques abondantes et diversifiées (archives, ouvrages généraux, travaux universitaires etc.) qui s’étendent sur plusieurs dizaines de pages. Face à ce travail imposant, que les efforts inlassables de M Sall ont accompli, il ne sera plus possible d’écrire à la hâte – au risque d’être dérisoire - certaines contrevérités historiques sur la Mauritanie du Sud.
Puisse ce travail universitaire remarquable aider les Mauritaniens à se regarder en face, sans dénis, ni dérobades, en assumant la totalité de leur histoire et en y faisant face… fraternellement !
Puisse la leçon que l’Amérique vient de donner au monde entier, par l’élection d’OBAMA, être retenue par la Mauritanie !
Ce jour-là – j’espère qu’il n’est pas loin - la Mauritanie deviendra, pour sûr, véritablement mauritanienne, c’est-à-dire riche de toute sa diversité! Puissions-nous y assister !
Mohamadou Saidou TOURE (Thierno) : Paris, février 2009.