Auteur (d’un livre en pulaar) : feu le professeur Saïdou KANE, décédé le 28 septembre 2006..
Titre : 1 -pulaareeje daartiyankeeje. - 2 –Daartol fulBeb Editeur : Goomu jaNde, 1997. (Préface der Mamadou Abdoul Seck, auteur de romans en pulaar)
Le livre de Saïdou Kane est à la fois un manuel d’histoire et d’« archéologie linguistique.», dans la mesure où, contre un certain type d’approche synchronique restreignant et appauvrissant, il prend le parti d’explorer le matériau linguistique « pulaar » dans une perspective temporelle qui embrasse même des époques reculées. L’auteur avance des explications, fort éclairantes, sur des « pulareeje » (dictons, adages etc..), expressions idiomatiques, dont la compréhension engage le locuteur à chercher leur sens ailleurs que dans leur signification littérale et apparente. Même lorsque leur sens semble être sans équivoque, il faudrait se méfier, en l’occurrence, prévient Saïdou Kane, de ce qui s’offre comme une évidence :
Dans le contexte islamique pulaar, l’expression « doole ko dow » pourrait, tout bonnement, être interprétée par « A Dieu appartient la puissance ». Mais, c’est à la situation historique de l’habitat peul, autrefois bâti sur une élévation qui lui donnait les allures d’une forteresse imprenable, que l’on doit, selon l’auteur, l’expression « doole ko dow » : l’adverbe de lieu « dow » (« en haut », qui pourrait faire penser au Ciel, à Dieu) ne renverrait donc pas ici à une localisation ponctuelle de Dieu, qui, d’ailleurs, du point de vue de l’islam (religion actuelle de la plupart des Peuls), est omniprésent.
Saïdou Kane fait une plongée dans la préhistoire (« jamaanu kaaYe kecce »), montre le rapport de cause à effet entre la technologie rudimentaire des ères lithiques (l’âge de la pierre taillée, « jamaanu kaaYe eeBaade » et l’âge de la pierre polie, « jamaanu kaaYe DaatnaaDe ») et l’emplacement géographique des hommes de ces époques reculées, qui avaient sans cesse à dompter un environnement violent ; d’où la prédilection constante, de la préhistoire aux époques historiques, pour les endroits stratégiques, situés, entre autres, sur une altitude. En témoignent les sites d’habitation, comme la « Dorsale des Mauritanides » au Tagant, à Adrar, à Assaba («Haayre Ngaal »), autrefois habitée par des populations « négro-africaines », avant l’arrivée des Beni Hassane ; en témoignent aussi les grottes situées dans les collines de Rindiaw , aux environs de Kaédi : « Do Rinnjaw Do, wimmbalooji gonDi rewo wuro ngo ko e dow kaaYe ngoni ».
En plus de la référence aux sites géographiques, Saïdou Kane fait intervenir aussi sa vaste culture d’historien pour élucider le sens de certains « pulareeje ». Ainsi, le dicton « ko diidol haayre », littéralement « c’est une gravure dans de la pierre », ferait partie de vestiges (« Barakke ») linguistiques qui témoignent d’un état historique où les Peuls faisaient des gravures rupestres pour traduire leur expérience du monde. Ces gravures sur des parois rocheuses étant impérissables et ayant survécu même aux âges préhistoriques, l’expression « ko diidol haayre » devient sentencieuse et en vient à signifier « dirataa », «momtotaako » « ko goonga », c’est-à-dire « c’est une vérité incontestable », aussi solide qu’une peinture rupestre.
Mais le véritable morceau de bravoure de Saïdou Kane est, sans conteste, l’élucidation des « pulareeje » qui se rapportent à la dynastie des Manna, laquelle, selon Saïdou kane, a régné sur le Fuuta de « 986 à 1300 » : « Bone Manna » ou « Bone mannaaji », « ko Manna jabbata hollalde », « Baalel Manna », « TaYa Manna » etc. Si tous les enfants Haal pulaar connaissent le personnage de Hammady Manna qui, dans les contes pulaar du Fuuta Tooro , joue le rôle du monarque absolu, ils ignorent, en revanche, que les « Manna » sont des rois qui ont réellement existé et dont le règne a suffisamment marqué le Fuuta pour que beaucoup d’expressions pulaar en gardent encore la trace aujourd’hui : à quelqu’un qui est en compagnie de gens très peu recommandables , ne dit- on pas qu’il est en compagnie de « bone mannaaji », en référence à la soldatesque des Manna, symbole de la force brutale ? Ce sont les Manna qui auraient également, selon Saïdou Kane, imposé l’excision au Fuuta ; d’où l’expression « TaYa Manna », qui nomme, de manière allusive et euphémique, l’organe sexuel coupé.
La dernière partie (« Daartol FulBe ») traite de l’origine des Peuls, « Iwdi FulBe », de leurs migrations et de leur dissémination en Afrique (« Fergooji e caragol FulBe »). De l’historiographie coloniale aux publications récentes, Saïdou Kane passe en revue toutes les thèses sur l’origine des Peuls et offre au lecteur des notes de lectures synthétiques et transversales, qui comparent les différentes positions des auteurs, ainsi que le soubassement idéologique de leurs thèses.
Eminemment didactique, cette présentation panoramique, qui couvre une amplitude temporelle très étendue, est accompagnée de questions qui s’adressent à l’élève ou à l’étudiant pour vérifier sa compréhension:
- « Hol no foti fergooji pattamlamiije FulBe mbaDi gila 8000 hade annabi Iisaaa e caggal nde NulaaDo Muhammadu feenyi ? »
« Holi leyDeele FulBe ngoni hannde ? »
« Holi nokkuuji e nder Muritani kollooji ko Doon FulBe koDnoo hade mum’en saraade e Fuutaaji Dii ? »
Malgré son ambition restreinte de s’adresser aux Peuls nés en France (où le pulaar fait partie des langues optionnelles du baccalauréat) et aux étudiants qui y sont inscrits (est-ce ceux de l’INALCO, où il y a, en effet, une section peule?), ce livre dépasse largement le projet de son auteur. L’historien ou le géographe « pulaarophone », formé dans des langues étrangères, y trouvera, tant soit peu, un vocabulaire technique propre à sa discipline, qu’il ne possède pas souvent. Tous ceux qui, « pulaarophones » natifs ou non, lisent le pulaar seront enchantés de lire le beau livre de Saïdou Kane, qui allie à la rigueur argumentative du chercheur (qui convoque, dans une approche pluridisciplinaire, mythes cosmogoniques, toponymes, sites géographiques, régimes politiques…) l’art et l’agrément du conteur.
Mohamadou Saidou TOURE : Paris, 16 mai 2005
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A feu Saïdou KANE :
« Donnant de sa personne sans jamais demander de retour, la vie de Saïdou est le symbole de la générosité. C’est une grande âme qui nous quitte. Aujourd’hui, elle est là-bas, loin des haines tenaces et atroces des hommes, loin de la fureur du monde et de ses tourments. Son âme est en paix dans le royaume céleste, là où l’instant est riche de l’unité de tous les équinoxes, là où l’instant est déjà toute l’éternité en soi, là où l’âme est elle-même et toutes les âmes réunies. Ce monde dont Spinoza disait qu’il réunit l’essence et l’existence dans une expression unique du sens. C’est ce monde qui est l’absolu, il est l’UN, sans division ni mouvement. Nous nous y rendrons tous et nous y retrouverons cet homme qui fut tout le temps debout et qui observe nos manèges et nos tricheries, la perte de sens où nous nous engouffrons chaque jour. Un grand homme, un immense talent nous quitte et nous avons du mal à nous passer de lui. C’est le deuil impossible ».
BA Kassoum Sidiki : 01 février 2007.
Cher Kassoum !
L’hommage que tu rends à feu Saïdou Kane est très touchant. Je ne trouve, pour ma part, de mots pour exprimer le deuil que porte mon cœur. En se dérobant à jamais à notre vue et en partant sans crier gare, Saïdou KANE a ravi à nos cœurs fraternels l’objet de culte de leur affection.
On dira un jour qu’un homme juste - juste parmi les justes-, qui témoignait pour tout le genre humain un respect égal, a prêché dans le désert, dans le tumulte des querelles byzantines mauritaniennes, où la clameur de la foule n’a pas su séparer le bon grain de l’ivraie !
C’est plus tard, Saïdou, lorsque le temps aura eu raison du dernier clapotis des vagues, que ta voix juste deviendra audible, dans une Mauritanie adoucie, apaisée, qui aura accepté d’être riche de toute sa diversité !
Repose en paix, seydi KANE ! Notre reconnaissance saura garder pour ta mémoire le noble attachement que ta générosité a toujours témoigné pour les Hommes !
Mohamadou Saïdou TOURE : 01 février 2007.
Source: Mohamadou Saïdou Toure
Titre : 1 -pulaareeje daartiyankeeje. - 2 –Daartol fulBeb Editeur : Goomu jaNde, 1997. (Préface der Mamadou Abdoul Seck, auteur de romans en pulaar)
Le livre de Saïdou Kane est à la fois un manuel d’histoire et d’« archéologie linguistique.», dans la mesure où, contre un certain type d’approche synchronique restreignant et appauvrissant, il prend le parti d’explorer le matériau linguistique « pulaar » dans une perspective temporelle qui embrasse même des époques reculées. L’auteur avance des explications, fort éclairantes, sur des « pulareeje » (dictons, adages etc..), expressions idiomatiques, dont la compréhension engage le locuteur à chercher leur sens ailleurs que dans leur signification littérale et apparente. Même lorsque leur sens semble être sans équivoque, il faudrait se méfier, en l’occurrence, prévient Saïdou Kane, de ce qui s’offre comme une évidence :
Dans le contexte islamique pulaar, l’expression « doole ko dow » pourrait, tout bonnement, être interprétée par « A Dieu appartient la puissance ». Mais, c’est à la situation historique de l’habitat peul, autrefois bâti sur une élévation qui lui donnait les allures d’une forteresse imprenable, que l’on doit, selon l’auteur, l’expression « doole ko dow » : l’adverbe de lieu « dow » (« en haut », qui pourrait faire penser au Ciel, à Dieu) ne renverrait donc pas ici à une localisation ponctuelle de Dieu, qui, d’ailleurs, du point de vue de l’islam (religion actuelle de la plupart des Peuls), est omniprésent.
Saïdou Kane fait une plongée dans la préhistoire (« jamaanu kaaYe kecce »), montre le rapport de cause à effet entre la technologie rudimentaire des ères lithiques (l’âge de la pierre taillée, « jamaanu kaaYe eeBaade » et l’âge de la pierre polie, « jamaanu kaaYe DaatnaaDe ») et l’emplacement géographique des hommes de ces époques reculées, qui avaient sans cesse à dompter un environnement violent ; d’où la prédilection constante, de la préhistoire aux époques historiques, pour les endroits stratégiques, situés, entre autres, sur une altitude. En témoignent les sites d’habitation, comme la « Dorsale des Mauritanides » au Tagant, à Adrar, à Assaba («Haayre Ngaal »), autrefois habitée par des populations « négro-africaines », avant l’arrivée des Beni Hassane ; en témoignent aussi les grottes situées dans les collines de Rindiaw , aux environs de Kaédi : « Do Rinnjaw Do, wimmbalooji gonDi rewo wuro ngo ko e dow kaaYe ngoni ».
En plus de la référence aux sites géographiques, Saïdou Kane fait intervenir aussi sa vaste culture d’historien pour élucider le sens de certains « pulareeje ». Ainsi, le dicton « ko diidol haayre », littéralement « c’est une gravure dans de la pierre », ferait partie de vestiges (« Barakke ») linguistiques qui témoignent d’un état historique où les Peuls faisaient des gravures rupestres pour traduire leur expérience du monde. Ces gravures sur des parois rocheuses étant impérissables et ayant survécu même aux âges préhistoriques, l’expression « ko diidol haayre » devient sentencieuse et en vient à signifier « dirataa », «momtotaako » « ko goonga », c’est-à-dire « c’est une vérité incontestable », aussi solide qu’une peinture rupestre.
Mais le véritable morceau de bravoure de Saïdou Kane est, sans conteste, l’élucidation des « pulareeje » qui se rapportent à la dynastie des Manna, laquelle, selon Saïdou kane, a régné sur le Fuuta de « 986 à 1300 » : « Bone Manna » ou « Bone mannaaji », « ko Manna jabbata hollalde », « Baalel Manna », « TaYa Manna » etc. Si tous les enfants Haal pulaar connaissent le personnage de Hammady Manna qui, dans les contes pulaar du Fuuta Tooro , joue le rôle du monarque absolu, ils ignorent, en revanche, que les « Manna » sont des rois qui ont réellement existé et dont le règne a suffisamment marqué le Fuuta pour que beaucoup d’expressions pulaar en gardent encore la trace aujourd’hui : à quelqu’un qui est en compagnie de gens très peu recommandables , ne dit- on pas qu’il est en compagnie de « bone mannaaji », en référence à la soldatesque des Manna, symbole de la force brutale ? Ce sont les Manna qui auraient également, selon Saïdou Kane, imposé l’excision au Fuuta ; d’où l’expression « TaYa Manna », qui nomme, de manière allusive et euphémique, l’organe sexuel coupé.
La dernière partie (« Daartol FulBe ») traite de l’origine des Peuls, « Iwdi FulBe », de leurs migrations et de leur dissémination en Afrique (« Fergooji e caragol FulBe »). De l’historiographie coloniale aux publications récentes, Saïdou Kane passe en revue toutes les thèses sur l’origine des Peuls et offre au lecteur des notes de lectures synthétiques et transversales, qui comparent les différentes positions des auteurs, ainsi que le soubassement idéologique de leurs thèses.
Eminemment didactique, cette présentation panoramique, qui couvre une amplitude temporelle très étendue, est accompagnée de questions qui s’adressent à l’élève ou à l’étudiant pour vérifier sa compréhension:
- « Hol no foti fergooji pattamlamiije FulBe mbaDi gila 8000 hade annabi Iisaaa e caggal nde NulaaDo Muhammadu feenyi ? »
« Holi leyDeele FulBe ngoni hannde ? »
« Holi nokkuuji e nder Muritani kollooji ko Doon FulBe koDnoo hade mum’en saraade e Fuutaaji Dii ? »
Malgré son ambition restreinte de s’adresser aux Peuls nés en France (où le pulaar fait partie des langues optionnelles du baccalauréat) et aux étudiants qui y sont inscrits (est-ce ceux de l’INALCO, où il y a, en effet, une section peule?), ce livre dépasse largement le projet de son auteur. L’historien ou le géographe « pulaarophone », formé dans des langues étrangères, y trouvera, tant soit peu, un vocabulaire technique propre à sa discipline, qu’il ne possède pas souvent. Tous ceux qui, « pulaarophones » natifs ou non, lisent le pulaar seront enchantés de lire le beau livre de Saïdou Kane, qui allie à la rigueur argumentative du chercheur (qui convoque, dans une approche pluridisciplinaire, mythes cosmogoniques, toponymes, sites géographiques, régimes politiques…) l’art et l’agrément du conteur.
Mohamadou Saidou TOURE : Paris, 16 mai 2005
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A feu Saïdou KANE :
« Donnant de sa personne sans jamais demander de retour, la vie de Saïdou est le symbole de la générosité. C’est une grande âme qui nous quitte. Aujourd’hui, elle est là-bas, loin des haines tenaces et atroces des hommes, loin de la fureur du monde et de ses tourments. Son âme est en paix dans le royaume céleste, là où l’instant est riche de l’unité de tous les équinoxes, là où l’instant est déjà toute l’éternité en soi, là où l’âme est elle-même et toutes les âmes réunies. Ce monde dont Spinoza disait qu’il réunit l’essence et l’existence dans une expression unique du sens. C’est ce monde qui est l’absolu, il est l’UN, sans division ni mouvement. Nous nous y rendrons tous et nous y retrouverons cet homme qui fut tout le temps debout et qui observe nos manèges et nos tricheries, la perte de sens où nous nous engouffrons chaque jour. Un grand homme, un immense talent nous quitte et nous avons du mal à nous passer de lui. C’est le deuil impossible ».
BA Kassoum Sidiki : 01 février 2007.
Cher Kassoum !
L’hommage que tu rends à feu Saïdou Kane est très touchant. Je ne trouve, pour ma part, de mots pour exprimer le deuil que porte mon cœur. En se dérobant à jamais à notre vue et en partant sans crier gare, Saïdou KANE a ravi à nos cœurs fraternels l’objet de culte de leur affection.
On dira un jour qu’un homme juste - juste parmi les justes-, qui témoignait pour tout le genre humain un respect égal, a prêché dans le désert, dans le tumulte des querelles byzantines mauritaniennes, où la clameur de la foule n’a pas su séparer le bon grain de l’ivraie !
C’est plus tard, Saïdou, lorsque le temps aura eu raison du dernier clapotis des vagues, que ta voix juste deviendra audible, dans une Mauritanie adoucie, apaisée, qui aura accepté d’être riche de toute sa diversité !
Repose en paix, seydi KANE ! Notre reconnaissance saura garder pour ta mémoire le noble attachement que ta générosité a toujours témoigné pour les Hommes !
Mohamadou Saïdou TOURE : 01 février 2007.
Source: Mohamadou Saïdou Toure