Depuis 2021, plusieurs rapports des Nations unies et de la Fédération internationale pour les droits humains ont observé une recrudescence des violences sexuelles liées au conflit, perpétrées par les forces de défense et de sécurité maliennes et leurs supplétifs russes.
Depuis que des « hommes blancs de Wagner » ont fait irruption, un matin de février, dans la localité de Nampala au Mali, Fatoumata voudrait « perdre la mémoire ». « Ce que j’ai vu, c’est sans doute pire que l’enfer », lâche-t-elle, la moitié du visage dissimulé derrière un voile multicolore qu’elle maintient avec ses mains pour « garder l’anonymat ». « Les Blancs ont violé plusieurs femmes, dont deux sous mes yeux et ceux de leurs enfants, juste à l’entrée de leur case. Je ne sais pas pourquoi j’ai été épargnée », débite-t-elle, peinant à retenir ses larmes.
Ce jour-là, les supplétifs russes de l’armée malienne, présents dans le pays depuis 2021, auraient débarqué pour la énième fois en convoi de plusieurs véhicules – « au moins quatre », selon Fatoumata – à la recherche de djihadistes ou de complices présumés. Les hommes peuls du village, souvent ciblés par les arrestations et les exécutions sommaires car assimilés aux djihadistes, s’enfuient alors dans la brousse.
Lire aussi | Article réservé à nos abonnés « On a quitté l’enfer » : le camp de réfugiés de Mbera, un Mali en miniature dans les confins mauritaniens
« C’est le rituel qu’on avait instauré, confie cette mère de famille toujours en état de choc. Dès qu’on entendait que les Wagner arrivaient, les hommes partaient se cacher. Mais cette fois-ci, ils n’ont pas épargné les femmes », poursuit-elle, assistée par une coordinatrice de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) au camp de Mbera, en Mauritanie.
Des violences « instrumentalisées »
Le regard dans le vide, Fatoumata se souvient aussi de cadavres ensanglantés au sol, de l’enlèvement de 20 personnes, « dont on n’a toujours pas de nouvelles pour certaines », et de pillages. « Wagner, tout ce qui peut faire mal, ils le font. Tout ce qui est inhumain, ils osent le faire », ajoute son frère assis à côté d’elle.
Dès le lendemain de la descente de l’armée et de Wagner dans son village, Fatoumata dit avoir rejoint le camp de réfugiés de Mbera avec ses deux enfants et plusieurs autres membres de sa famille. D’abord à dos d’âne, puis en voiture. Administré par l’UNHCR, le camp se situe dans la région frontalière du Hodh Ech-Chargui où près de 245 000 Maliens, selon Nouakchott, ont trouvé refuge depuis 2012, dont plus de 160 000 ces deux dernières années d’après l’UNHCR.
Selon l’Agence des Nations unies pour les réfugiés, près de 80 % des réfugiés arrivés en Mauritanie sont des femmes et des enfants. Sur le camp de Mbera et ses alentours, une dizaine de femmes interrogées par Le Monde rapportent ces faits récurrents de viols et de violences perpétrés par les Forces armées maliennes et leurs alliés russes de Wagner, renommés Africa Corps en juin.
« Nous constatons qu’une majorité de femmes, notamment de l’ethnie peule, arrivées en Mauritanie depuis le début de 2024, disent avoir été victimes de viols et/ou de violences au Mali », indique Akram Tarfaoui, chef de la sous-délégation du UNHCR dans la région du Hodh Ech-Chargui. « Il semblerait que ces violences soient instrumentalisées comme pour exercer une forme de violence, mais il est difficile de dire s’il s’agit de crimes prémédités et institutionnalisés », selon Akram Tarfaoui.
« Parler malgré la honte »
Selon plusieurs ONG de défense des droits humains, dont Human Rights Watch, en 2024, la situation des droits humains au Mali s’est détériorée alors que des attaques contre des civils perpétrées par des groupes armés islamistes et des « opérations abusives de lutte contre le terrorisme par les forces armées maliennes et leurs alliés étrangers » se sont amplifiées.
A Fassala, dans l’intimité de son abri fait de bois tressé, Sira, une mère de famille peule au visage orné de bijoux, raconte avoir été tenue captive pendant une semaine fin 2024 par les forces armées maliennes et Wagner. Accusée de détenir un talkie-walkie (preuve, selon les forces armées, d’une connivence avec les djihadistes ou des groupes rebelles), qu’elle jure n’avoir jamais eu, elle est arrêtée et détenue dans ce qu’elle décrit comme un camp de base de l’armée et des mercenaires à Nampala ville.
« Ils m’ont ligoté nue dans une cave et je n’ai plus vu la lumière du jour pendant longtemps, affirme-t-elle en fulfuldé, le langage peul. Ils m’ont violenté à tour de rôle au rythme de va-et-vient incessants. A la fin, j’en ai perdu mon bébé », poursuit-elle alors qu’elle était enceinte de cinq mois. « Je suis terrifiée par ce souvenir. »
Avant que Sira n’ait terminé de livrer son témoignage, une voisine touareg, elle aussi réfugiée malienne, s’invite à l’ombre du baraquement. Elle tient à raconter son histoire. « Ce qui est arrivé, les violences et les viols, c’est arrivé à nous toutes », s’engage la femme au teint clair, dans un dialecte dérivé de l’arabe, soulignant l’importance de « parler malgré la honte ».
Accumulation de témoignages
Plusieurs jours après, Le Monde, contacté par d’autres femmes, a recueilli davantage de témoignages par téléphone, qui de façon claire et précise accusent également les mercenaires de Wagner et de l’armée régulière de viols au Mali.
Début 2023, des experts indépendants de l’ONU avaient déjà appelé à une enquête indépendante sur des violations flagrantes des droits humains et « d’éventuels crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis depuis 2021 au Mali par les forces gouvernementales et la société paramilitaire russe Wagner ». Les mêmes experts ont dit recevoir depuis 2021 des « récits persistants et alarmants d’exécutions horribles, de charniers, d’actes de torture, de viols et de violences sexuelles ». Pour l’heure, aucune enquête n’a été ouverte malgré l’accumulation des témoignages.
Dans un rapport publié en 2022 sur la base d’une centaine de témoignages, la Fédération internationale pour les droits humains rapportait les mêmes atrocités, principalement dans les régions centre de Ségou et de Mopti, d’où sont originaires plus de la moitié des réfugiés arrivés en Mauritanie ces deux dernières années.
Célia Cuordifede (région du Hodh El Chargui (Mauritanie) envoyée spéciale)
Source : Le Monde
Depuis que des « hommes blancs de Wagner » ont fait irruption, un matin de février, dans la localité de Nampala au Mali, Fatoumata voudrait « perdre la mémoire ». « Ce que j’ai vu, c’est sans doute pire que l’enfer », lâche-t-elle, la moitié du visage dissimulé derrière un voile multicolore qu’elle maintient avec ses mains pour « garder l’anonymat ». « Les Blancs ont violé plusieurs femmes, dont deux sous mes yeux et ceux de leurs enfants, juste à l’entrée de leur case. Je ne sais pas pourquoi j’ai été épargnée », débite-t-elle, peinant à retenir ses larmes.
Ce jour-là, les supplétifs russes de l’armée malienne, présents dans le pays depuis 2021, auraient débarqué pour la énième fois en convoi de plusieurs véhicules – « au moins quatre », selon Fatoumata – à la recherche de djihadistes ou de complices présumés. Les hommes peuls du village, souvent ciblés par les arrestations et les exécutions sommaires car assimilés aux djihadistes, s’enfuient alors dans la brousse.
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« C’est le rituel qu’on avait instauré, confie cette mère de famille toujours en état de choc. Dès qu’on entendait que les Wagner arrivaient, les hommes partaient se cacher. Mais cette fois-ci, ils n’ont pas épargné les femmes », poursuit-elle, assistée par une coordinatrice de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) au camp de Mbera, en Mauritanie.
Des violences « instrumentalisées »
Le regard dans le vide, Fatoumata se souvient aussi de cadavres ensanglantés au sol, de l’enlèvement de 20 personnes, « dont on n’a toujours pas de nouvelles pour certaines », et de pillages. « Wagner, tout ce qui peut faire mal, ils le font. Tout ce qui est inhumain, ils osent le faire », ajoute son frère assis à côté d’elle.
Dès le lendemain de la descente de l’armée et de Wagner dans son village, Fatoumata dit avoir rejoint le camp de réfugiés de Mbera avec ses deux enfants et plusieurs autres membres de sa famille. D’abord à dos d’âne, puis en voiture. Administré par l’UNHCR, le camp se situe dans la région frontalière du Hodh Ech-Chargui où près de 245 000 Maliens, selon Nouakchott, ont trouvé refuge depuis 2012, dont plus de 160 000 ces deux dernières années d’après l’UNHCR.
Selon l’Agence des Nations unies pour les réfugiés, près de 80 % des réfugiés arrivés en Mauritanie sont des femmes et des enfants. Sur le camp de Mbera et ses alentours, une dizaine de femmes interrogées par Le Monde rapportent ces faits récurrents de viols et de violences perpétrés par les Forces armées maliennes et leurs alliés russes de Wagner, renommés Africa Corps en juin.
« Nous constatons qu’une majorité de femmes, notamment de l’ethnie peule, arrivées en Mauritanie depuis le début de 2024, disent avoir été victimes de viols et/ou de violences au Mali », indique Akram Tarfaoui, chef de la sous-délégation du UNHCR dans la région du Hodh Ech-Chargui. « Il semblerait que ces violences soient instrumentalisées comme pour exercer une forme de violence, mais il est difficile de dire s’il s’agit de crimes prémédités et institutionnalisés », selon Akram Tarfaoui.
« Parler malgré la honte »
Selon plusieurs ONG de défense des droits humains, dont Human Rights Watch, en 2024, la situation des droits humains au Mali s’est détériorée alors que des attaques contre des civils perpétrées par des groupes armés islamistes et des « opérations abusives de lutte contre le terrorisme par les forces armées maliennes et leurs alliés étrangers » se sont amplifiées.
A Fassala, dans l’intimité de son abri fait de bois tressé, Sira, une mère de famille peule au visage orné de bijoux, raconte avoir été tenue captive pendant une semaine fin 2024 par les forces armées maliennes et Wagner. Accusée de détenir un talkie-walkie (preuve, selon les forces armées, d’une connivence avec les djihadistes ou des groupes rebelles), qu’elle jure n’avoir jamais eu, elle est arrêtée et détenue dans ce qu’elle décrit comme un camp de base de l’armée et des mercenaires à Nampala ville.
« Ils m’ont ligoté nue dans une cave et je n’ai plus vu la lumière du jour pendant longtemps, affirme-t-elle en fulfuldé, le langage peul. Ils m’ont violenté à tour de rôle au rythme de va-et-vient incessants. A la fin, j’en ai perdu mon bébé », poursuit-elle alors qu’elle était enceinte de cinq mois. « Je suis terrifiée par ce souvenir. »
Avant que Sira n’ait terminé de livrer son témoignage, une voisine touareg, elle aussi réfugiée malienne, s’invite à l’ombre du baraquement. Elle tient à raconter son histoire. « Ce qui est arrivé, les violences et les viols, c’est arrivé à nous toutes », s’engage la femme au teint clair, dans un dialecte dérivé de l’arabe, soulignant l’importance de « parler malgré la honte ».
Accumulation de témoignages
Plusieurs jours après, Le Monde, contacté par d’autres femmes, a recueilli davantage de témoignages par téléphone, qui de façon claire et précise accusent également les mercenaires de Wagner et de l’armée régulière de viols au Mali.
Début 2023, des experts indépendants de l’ONU avaient déjà appelé à une enquête indépendante sur des violations flagrantes des droits humains et « d’éventuels crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis depuis 2021 au Mali par les forces gouvernementales et la société paramilitaire russe Wagner ». Les mêmes experts ont dit recevoir depuis 2021 des « récits persistants et alarmants d’exécutions horribles, de charniers, d’actes de torture, de viols et de violences sexuelles ». Pour l’heure, aucune enquête n’a été ouverte malgré l’accumulation des témoignages.
Dans un rapport publié en 2022 sur la base d’une centaine de témoignages, la Fédération internationale pour les droits humains rapportait les mêmes atrocités, principalement dans les régions centre de Ségou et de Mopti, d’où sont originaires plus de la moitié des réfugiés arrivés en Mauritanie ces deux dernières années.
Célia Cuordifede (région du Hodh El Chargui (Mauritanie) envoyée spéciale)
Source : Le Monde