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Ces rescapés des geôles de ould Taya, et de l'arbitraire, décidèrent, pour ne jamais oublier ce qui leur est arrivé, pour garder aussi la mémoire des centaines de martyrs, de venir en aide aux veuves, aux orphelins mais aussi d'engager le combat contre l'impunité décrétée par le pouvoir de Mauritanie."
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Conseillers:
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AVOMM

YESSAR, de l’esclavage à la citoyenneté.

Note de lecture de Mohamadou Saidou TOURE (Thierno) :
Paris, 26 octobre 2008.
Auteur : YEDALY, Ahmed :
Titre : YESSAR, de l’esclavage à la citoyenneté.
Editions : Cultures Croisées, novembre 2007, 218 pages.


YESSAR, de l’esclavage à la citoyenneté.
Un jeune « abd » (esclave) voit le jour dans une contrée « bidhane » (maure) de Mauritanie, à l’époque coloniale. Le petit esclave noir n’a encore aucune idée précise des enjeux sociaux du milieu où il a vu le jour. Esprit vif, le petit Yessar constate, amer, qu’il est astreint continuellement à faire paître des dromadaires, alors que les occupations des jeunes « bidhanes » de son âge sont vouées noblement aux  « choses de l’esprit ».

Entre deux corvées domestiques, il prend l’habitude de s’introduire furtivement dans un groupe d’élèves de l’enseignement coranique pour recevoir, en cachette, la parole d’Allah, plutôt destinée aux enfants de « bonne naissance ». Bientôt, le petit serf fait des progrès suffisamment remarquables pour que ses maîtres, à qui sa politesse et son obéissance ont toujours manifesté le plus grand dévouement, condescendent à l’inscrire officiellement à l’école coranique, à temps partiel, dans les limites étroites de ses occupations domestiques de ménage et de pacage des animaux.

Adolescent, il a une conscience aiguë de l’inégalité sociale, mais son instruction religieuse bride, en-lui, toute velléité de révolte. Il a appris, en effet, dans ses cours de charia, que le « statut de l’esclave » existe en islam et qu’il était lié à la capture, par des musulmans – lors de « guerres saintes » - de prisonniers, que l’on réduisait en esclavage, s’ils refusaient d’embrasser la foi islamique. Or il croit savoir que les siens ont été, plutôt, capturés lors de rezzous et que leur abêtissement ne peut avoir qu’un rapport douteux avec l’islam. Il émet ouvertement des doutes sur la validité juridique de la servilité des siens, mais ses velléités de révolte sont vite étouffées dans l’œuf par une voix « plus autorisée », celle d’un religieux appartenant à une famille seigneuriale, farouchement attachée au statu quo.

Néanmoins, Yessar a, désormais, une priorité, qu’il croit être à portée de main : libérer du carcan de l’esclavage ceux qui l’ont mis au monde; d’autant que le capital culturel islamique, qu’il n’a cessé d’accumuler, fait de lui un maître potentiel de l’enseignement coranique. Il sollicite et obtient un « congé d’un an », qui le dégage ponctuellement des corvées de ses maîtres, en contrepartie d’une indemnisation en espèces sonnantes et trébuchants. Au bout d’un an, il a sillonné beaucoup de terroirs, où son enseignement lui a rapporté de revenus substantiels. A son retour, il en reverse la totalité à ses maîtres pour que ceux-ci soient acquis à la cause de sa famille, qu’il a pris le parti de défendre pacifiquement, sans heurts. Il sait que libérer ses parents de l’esclavage exige de lui un dédommagement de ses maîtres, pour qui la libération d’un esclave -force de travail et instrument de production- est synonyme de privation de dividendes. Grâce aux revenus réguliers qu’il assure à ses maîtres, il réussit progressivement à affranchir ses parents : d’abord son père, dont la santé commençait à être
«entamée par de nombreuses années de corvées et de privations » (page 23), puis sa mère ; quant à sa sœur « Oum Hani », il n’aura pas le temps de l’affranchir. « Concubine » de Chikh Errajala (« un des fils de ses maîtres », page 33), qui avait une relation sécrète avec elle, Oum Hani décédera dans des circonstances douloureuses, où l’honneur d’un père nouvellement affranchi voulait soustraire au regard des autres le déshonneur de sa fille, qu’un maître tout puissant avait réduite en bétail sexuel :

« Alors, Bilal [le père de Yessar], dans le sursaut d’honneur d’un père déjà éprouvé, décida de s’entretenir avec Chikh Errajala, en lui demandant de rendre officielle sa relation avec Oum Hani afin que celle-ci ne soit pas accusée publiquement de mettre au monde un vrekh (bâtard), notoirement H’ram dans la religion musulmane :
« Il n’est pas question de déshonorer ma cousine, mère de mes enfants, pour sauver le soi disant honneur d’une servante (…) » page 36
A dos d’âne, accompagnée de sa mère et de Yessar, Oum Hani entreprend un court voyage qui d’habitude ne prend que quelques heures. Mais très tôt Mériem se rend compte que sa fille perd du sang, beaucoup de sang. Faut-il continuer le voyage ou retourner au point de départ ? Yessar suggère de continuer, car c’est la seule chance de trouver un guérisseur. Peu de temps après, Oum Hani meurt sans avoir accouché. On se dépêche de la ramener au campement avant qu’il ne fasse grand jour. La nouvelle du décès fait le tour du campement aux premières heures de la journée. « Inna lillahi we inna ileyhi raji oun » Rêve de tant de jours en en jour…brisé. Rêve de dignité, rêve de liberté. Réalité amère. » (pages 38-39)

L’ignorance des « abîd » (esclaves) était, cependant, un gage sûr de la pérennité de l’esclavage pour que ce monde esclavagiste dorme douillettement sur ses deux oreilles…sans remords, ni culpabilité.

Lorsque l’administration coloniale française organise un concours de recrutement des enseignants d’arabe, le nom d’un « Soudani », noir », figure sur la liste des admis : c’est celui de Yessar. Du jour au lendemain, l’ancien petit chamelier servile, fraîchement affranchi, est élevé à la dignité du  « fonctionnaire de la République », avec des revenus conséquents.

Il est envoyé à Ndar (Saint-Louis du Sénégal) pour recevoir une formation accélérée en français, langue officielle de la puissance coloniale française, que tous ses serviteurs se doivent d’apprendre.

Dans ce rapport avec l’altérité linguistique, l’expérience est doublement probante : Yessar acquiert le français et, par l’entremise de rencontres décisives, s’imprègne de valeurs universelles de « Liberté » et de « Justice ».

La première rencontre est celle de M Mouftah El Kheïr,  un « Bidhane », directeur d’école, « fils de grands savants musulmans », qui lui confirme que les « abîd », « esclaves, en milieu maure », « n’ont pas été capturés au cours d’un jihad [« guerre sainte »], mais au cours de diverses razzias menées par les Bidhanes en terre noire » (page 76). Le rapport du « fils de grande tente,  grande famille » est d’autant plus fusionnel avec l’esclavage, qu’une expérience traumatique remontant à son enfance l’y engage indissolublement :

« A sa naissance, on avait affecté à son service une hakkama (nurse) bien gentille, qui l’a allaité et chouchouté comme son propre fils, à tel point que lui aussi la considérait comme sa seconde maman. Elle a disparu, un jour, alors qu’il avait six ans, sans qu’il sache pourquoi. Ses parents n’ont jamais voulu lui donner la moindre explication. Il apprendra plus tard, qu’en tant qu’esclave, elle a été prêtée », à jamais, à d’autres maîtres. C’est ainsi qu’est née chez lui l’idée de se battre pour que jamais un tel acte ne puisse se reproduire. » (pages 85-86)

La seconde rencontre est celle de M Kane, un aristocrate de la Mauritanie du sud (« fils de maîtres d’esclaves », page 85), qui, en décrivant les inégalités sociales de son Fouta natal, sur lesquelles il n’est pas question de faire l’impasse dans la future Mauritanie indépendante, avive sa «conscience de classe », du reste éveillée de bonne heure.

Kane et Mouftah El Kheïr le mettent en contact avec d’autres Africains (Guinéens, Maliens, Sénégalais etc.) issus de pays où les « abîd » comptent de nombreux ascendants. Le sentiment de l’écartèlement des « abîd » entre les mondes « négro-africain » et « arabo-berbère », au gré d’une histoire tragique soigneusement dissimulée par leurs maîtres, inspire à Yessar de graves pensées, bannies par sa conscience religieuse réfractaire au doute et à la critique:

« En effet il prend davantage conscience du déchirement et des souffrances des familles de ce côté-là aussi, au moment où elles assistaient, impuissantes, à l’enlèvement des leurs. Alors Yessar fait un parallèle entre la situation de sa famille vivant en servilité totale et coupée de toutes ses racines et celle des familles qui regardent encore de l’autre côté, dans l’espoir de voir revenir un être cher. La situation est encore plus dramatique, quand il imagine que cet être cher et toujours attendu pourrait être son…son grand-père El Bambary [bambara]. Ces réflexions plongent Yessar dans un océan de questions auxquelles il préfère ne pas répondre, pour le moment, car il pense brusquement qu’il est, de nouveau, sous l’emprise d’Iblis [Lucifer, Satan]» (pages 98-99)

Ce sentiment de « double appartenance » n’effleure pas, en revanche, l’esprit de sa mère qui lui défend, d’ailleurs, d’épouser une « métisse hartaniya-wolof » :


«-Comment as-tu pu connaître une fille d’ailleurs, dit Meryem, toi le pieux (…) ? Il n’est pas possible que tu puisses penser à une fille de « ces gens-là » 
- Pourquoi les exclues-tu comme ça, maman ?
- Parce qu’ils ne sont pas de chez nous, ne parlent pas notre langue, ne pratiquent pas notre religion à laquelle tu es très attaché et on dit même qu’ils sont sorciers. »
(page 50)


Si l’effervescence politique dans laquelle baignent les élites africaines à la veille des indépendances élargit l’horizon culturel et idéologique de Yessar, qui vit dans la contiguïté d’un militantisme cosmopolite, la référence à l’islam demeure, chez-lui, cardinale : il a fallu les conseils rassurants de ses camarades pour venir à bout des réticences de Yessar, grand admirateur de Gandhi, dont il hésitait, cependant, à attribuer le nom à son nouveau-né :


« De retour à Ndar, il demande à Mouhtah El Kheïr s’il n’a pas un nom à lui proposer.
-J’en ai pas pour ton fils (…)
- Pourquoi ne pas donner à ton fils le nom de Gandhi, propose Kane, le collaborateur du chef.
- Mais c’est le nom d’une maladie très répandue chez nous, répondit Yessar.
Kane ne comprend pas et les deux consultent leur directeur qui éclate de rire et explique :
- La maladie en question, c’est « iguindi » et non Gandhi.
- Heureusement, rétorque Yessar, car j’ai une grande confiance en Kane et je n’aurais pas compris qu’il ait proposé pour mon premier fils le nom d’une maladie. Mais au fait qui est ce Gandhi ?
- C’est quelqu’un comme toi qui veut obtenir la liberté pour son peuple sans jamais recourir à la violence.
- Mais je n’ai jamais entendu son nom dans les Essira de notre prophète, s’étonna Yessar.
- Oui, c’est normal, puisque ce n’est pas un musulman.
Nouvel étonnement de Yessar :
- Monsieur Kane, vous pensez vraiment que je puisse donner à mon fils le nom de quelqu’un qui n’est pas musulman et qui n’est pas de chez nous ?
- Ecoute Yessar, si tu veux donner à ton combat un minimum de garantie d’aboutir, il faut que tu te sortes de tes frontières ethniques et religieuses propres. Aucun peuple ne pourra, désormais, se libérer, sans s’appuyer sur l’expérience et l’aide des autres peuples de la planète. C’est dans ce cadre qu’il faudra bien te résoudre à l’idée que nous sommes obligés de prendre en compte l’existence, les droits et l’expérience de gens différents de nous sur tous les plans, y compris sur le plan religieux. »
(pages 84-85)


Ensemble Yessar et ses camarades militent pour l’accession de la Mauritanie à l’indépendance et voient naître et grandir de nouvelles générations, dans un pays que leur courage politique militant a porté sur les font baptismaux. Dans la Mauritanie indépendante, Yessar observe, imperturbable, avec les yeux d’un vieux sage demeuré incorruptible, les boitillements et les balbutiements d’un jeune Etat, qui vit, sporadiquement, des évènements susceptibles même de mettre en péril son existence : guerre, conflits ethniques, clivages sociaux; mais, les chefs d’Etat successifs se passent des avis éclairés du pieux patriarche pacifiste pour inspirer la marche à suivre. Aucun reniement politique n’a encore écorné l’aura du vieux militant anti-esclavagiste (affublé maintenant du sobriquet ironique« marabout des Soudanes, Noirs »),  mais on prête sciemment une oreille distraite à ses suggestions, que l’on ne trouve pas toujours opportunes.

  Devenu un notable respecté, le vieux Yessar croit pouvoir, par un mimétisme de mauvais aloi, résoudre son drame existentiel d’ancien esclave en reproduisant l’idéologie de ses anciens maîtres. En effet, lorsque Baba Ghoura, jeune activiste d’extrême gauche, demande la main de sa fille Salma, la figure de proue mythique de la cause des esclaves exige une preuve matérielle que le jeune marxiste « hartani » s’est affranchi en bonne et due forme : présenter un certificat d’affranchissement délivré par ses anciens « maîtres ».

« - Bien sûr que je le connais et j’apprécie son éducation et sa valeur morale. Mais il y a une chose importante que je ne connais pas encore.
- laquelle, dit Mériem, qui prend la relève de sa petite fille ?
- Est-ce que tout simplement il est Horr[libre] ou Abd [esclave] ?
- Mais ne m’as-tu pas dit qu’à deux reprises les lois de notre pays ont libéré tous les esclaves ?
- Je te l’ai bien dit et c’est la vérité, mais je t’ai également dit, à toi et tes enfants, que pour moi toute libération qui n’a fait l’objet d’accord avec les anciens maîtres, laisse subsister un doute.
- De toute façon, déclare Mériem, les enfants de Salma seront Ahrar [libres] parce qu’elle-même est Hourra [libre], sans équivoque.
- C’est exact, mais moi je ne souhaite pas donner ma fille à un Abd [esclave], voilà tout. »
(Page 170)

Le vieux « marabout des Soudanes » apprécie et admire l’égalitarisme que prône Karl Marx ; mais un différend majeur - qui n’est pas soluble dans un accord complaisant où des adversaires peuvent volontiers arrondir leurs angles – l’oppose au penseur allemand et à ses épigones. Dans la conception de Yessar, le champ de la libération de l’esclave est investi, tout entier, par la figure tutélaire du Maître, qui contrôle, d’un bout à l’autre, le processus de l’affranchissement, lequel, pour être effectif, a besoin de l’onction de l’asservisseur, qui tiendrait de « Dieu » son droit de propriété.

Dans la perception matérialiste et athéiste du jeune marxiste, le procès de la libération ignore quelque référence que ce soit à la transcendance divine. La « dictature du prolétariat » est même un passage obligé, qui voit le prolétaire dominer transitoirement son ancien maître, avant l’établissement d’une « société sans classes ». Par principe, il ne saurait être question de courber l’échine devant son prétendu ancien « maître ». Baba Ghoura fait, tout de même, un compromis idéologique en présentant à son futur beau-père un certificat d’affranchissement dûment signé par ses anciens « maîtres ».

Cette forme de lutte anti-esclavagiste est, sans aucun doute, timide et anachronique. En Mauritanie, de mouvements anti-esclavagistes radicaux (de la fin des années soixante-dix jusqu’au cœur de l’actualité mauritanienne la plus récente) ont pavé la voie à d’autres types de combats plus exigeants

Il n’empêche que le roman psychologique de Ahmed Yedaly est réaliste à plus d’un titre : Yessar, militant anti-esclavagiste devant recueillir l’assentiment de ses « maîtres » pour s’affranchir, est, sans doute, représentatif du Mauritanien conformiste, souvent en « compromis » avec des structures sociales d’un autre âge : prétendant désavouer des différenciations sociales artificiellement maintenues par l’endogamie, mais sans jamais enfreindre ses règles de sélection qui consacrent naturellement la naissance.

Note de lecture de Mohamadou Saidou TOURE (Thierno) :
Paris, 26 octobre 2008.
Samedi 29 Août 2009 - 22:13
Samedi 29 Août 2009 - 22:15
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