L’ex-chef du gouvernement a été inculpé d’« atteinte aux biens publics, faux et usage de faux ». Son incarcération s’inscrit dans un climat de répression orchestrée par les militaires au pouvoir depuis cinq ans.
Choguel Kokalla Maïga, autrefois allié clé de la junte malienne, est désormais derrière les barreaux. Le 19 août, l’ancien premier ministre (juin 2021- novembre 2024) a été placé sous mandat de dépôt devant la chambre d’instruction de la Cour suprême après une semaine de garde à vue. Il est inculpé pour « atteinte aux biens publics, faux et usage de faux », sur la base d’un rapport publié le 30 décembre 2024 par le Bureau du vérificateur général, institution chargée de contrôler les dépenses publiques.
Les charges portées contre lui visent sa gestion de la primature, de l’Agence de gestion du fonds d’accès universel – chargée de développer l’accès aux technologies de l’information et de la communication – et de l’Autorité malienne de régulation des télécommunications et des postes. L’enquête s’étend à neuf de ses anciens collaborateurs, dont Issiaka Ahmadou Singaré, son ex-directeur de cabinet. Agé de 80 ans, celui-ci est poursuivi mais non détenu.
Les proches de l’ancien premier ministre dénoncent une décision qui s’inscrit dans un climat de répression tous azimuts orchestrée par les militaires, au pouvoir au Mali depuis 5 ans. « Ils veulent faire taire Choguel [Maïga]. S’il s’était tu après avoir quitté la primature, il n’y aurait pas eu d’inculpation. Nous savons que la justice est au service des militaires », déplore un proche qui a souhaité rester anonyme, pour des raisons de sécurité.
« Plus personne n’est à l’abri de la répression »
Quelques semaines plus tôt, le 1er août, Moussa Mara, chef du gouvernement entre 2014 et 2015, a été écroué pour avoir soutenu des détenus d’opinion. « Ces deux cas montrent que plus personne n’est à l’abri de la répression, de la prison ou d’un enlèvement. Toutes les voix critiques sont désormais en exil, et personne ne peut s’exprimer librement de l’intérieur », explique un ancien ministre et camarade politique de Choguel Maïga.
Ce dernier risque de rester incarcéré quelque temps. « La loi malienne permet à un procureur de maintenir une personne en détention pendant trois ans sans jugement. Ils peuvent donc garder Choguel [Maïga] aussi longtemps qu’ils le souhaitent. (…) Et plusieurs cas ont dépassé les trois ans, sous le régime de la junte, sans que leurs dossiers soient jugés », précise une source judiciaire proche du dossier.
En mars 2022, Soumeylou Boubèye Maïga, qui avait occupé le poste de premier ministre entre 2017 et 2019, est mort en détention, faute de soins, selon ses proches. Maître Cheick Oumar Konaré, l’avocat de Choguel Maïga, a d’ailleurs demandé le transfert de son client à la prison de Koulikoro, située à une cinquantaine de kilomètres de la capitale. « Celle de Bamako est surpeuplée et manque de commodités », a-t-il expliqué.
Du triomphe à la disgrâce
Tout avait pourtant bien commencé entre les militaires au pouvoir et Choguel Maïga. Ancien leader du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques – coalition hétéroclite à l’origine de la chute de l’ancien président, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) –, le responsable politique avait été nommé premier ministre en juin 2021 après le second coup d’Etat d’Assimi Goïta.
Peu après, il s’était fait remarquer par un discours critique vis-à-vis de la France – l’ancienne puissance coloniale au Mali – qui avait annoncé sa décision de mettre un terme à l’opération militaire « Barkhane ». A la tribune des Nations unies, le responsable malien a accusé Paris d’avoir « abandonné le Mali en plein vol ». Un discours qui avait fini de ruiner la confiance entre les deux pays et conféré à son auteur un statut de héros national. « A son retour de New York, Choguel Maïga a été accueilli en triomphe à l’aéroport de Bamako par la foule », rappelle un universitaire malien.
Par la suite, le chef du gouvernement a contribué à diversifier les alliances du Mali dans la lutte contre le terrorisme. « Sous sa primature, les relations ont été consolidées avec plusieurs partenaires, notamment par l’acquisition de drones turcs, d’avions et de matériels militaires russes, ainsi que par la formation des forces armées maliennes par des instructeurs russes », précise l’universitaire précédemment cité. Russophone, Choguel Maïga a passé onze ans en Union soviétaique où il a effectué ses études supérieures en télécommunications.
Opposé à l’allongement de la transition
L’influence du premier ministre a commencé à décliner après son AVC en août 2022, à l’issue duquel il avait été mis au repos forcé par la junte. Cette dernière en a profité pour vider le poste de premier ministre de sa substance. La rupture a été consommée quand les militaires ont signifié qu’ils ne rendraient pas le pouvoir aux civils en mars 2024 comme ils l’avaient initialement promis.
« J’ai appris dans les médias que la transition avait été reportée, alors que j’avais moi-même signé le décret mettant fin à la transition », avait réagi Choguel Maïga, encore premier ministre, lors d’un meeting en novembre 2024, au cours duquel il avait également déploré l’opacité dans la gestion du pays et la création de nombreux partis politiques sous la transition. Il s’en était notamment pris au ministère de l’administration territoriale et de la décentralisation, alors dirigé par Abdoulaye Maïga, actuel premier ministre.
Après ces déclarations, des manifestations projunte avaient exigé son éviction, ce qui est advenu le 20 novembre 2024. Choguel Maïga est limogé par un décret du général Assimi Goïta et remplacé par Abdoulaye Maïga. Depuis, et jusqu’à son incarcération le 19 août, il faisait régulièrement entendre une voix critique sur sa chaîne YouTube. Il est dorénavant réduit au silence.
Source : Seydou Nomoko
Choguel Kokalla Maïga, autrefois allié clé de la junte malienne, est désormais derrière les barreaux. Le 19 août, l’ancien premier ministre (juin 2021- novembre 2024) a été placé sous mandat de dépôt devant la chambre d’instruction de la Cour suprême après une semaine de garde à vue. Il est inculpé pour « atteinte aux biens publics, faux et usage de faux », sur la base d’un rapport publié le 30 décembre 2024 par le Bureau du vérificateur général, institution chargée de contrôler les dépenses publiques.
Les charges portées contre lui visent sa gestion de la primature, de l’Agence de gestion du fonds d’accès universel – chargée de développer l’accès aux technologies de l’information et de la communication – et de l’Autorité malienne de régulation des télécommunications et des postes. L’enquête s’étend à neuf de ses anciens collaborateurs, dont Issiaka Ahmadou Singaré, son ex-directeur de cabinet. Agé de 80 ans, celui-ci est poursuivi mais non détenu.
Les proches de l’ancien premier ministre dénoncent une décision qui s’inscrit dans un climat de répression tous azimuts orchestrée par les militaires, au pouvoir au Mali depuis 5 ans. « Ils veulent faire taire Choguel [Maïga]. S’il s’était tu après avoir quitté la primature, il n’y aurait pas eu d’inculpation. Nous savons que la justice est au service des militaires », déplore un proche qui a souhaité rester anonyme, pour des raisons de sécurité.
« Plus personne n’est à l’abri de la répression »
Quelques semaines plus tôt, le 1er août, Moussa Mara, chef du gouvernement entre 2014 et 2015, a été écroué pour avoir soutenu des détenus d’opinion. « Ces deux cas montrent que plus personne n’est à l’abri de la répression, de la prison ou d’un enlèvement. Toutes les voix critiques sont désormais en exil, et personne ne peut s’exprimer librement de l’intérieur », explique un ancien ministre et camarade politique de Choguel Maïga.
Ce dernier risque de rester incarcéré quelque temps. « La loi malienne permet à un procureur de maintenir une personne en détention pendant trois ans sans jugement. Ils peuvent donc garder Choguel [Maïga] aussi longtemps qu’ils le souhaitent. (…) Et plusieurs cas ont dépassé les trois ans, sous le régime de la junte, sans que leurs dossiers soient jugés », précise une source judiciaire proche du dossier.
En mars 2022, Soumeylou Boubèye Maïga, qui avait occupé le poste de premier ministre entre 2017 et 2019, est mort en détention, faute de soins, selon ses proches. Maître Cheick Oumar Konaré, l’avocat de Choguel Maïga, a d’ailleurs demandé le transfert de son client à la prison de Koulikoro, située à une cinquantaine de kilomètres de la capitale. « Celle de Bamako est surpeuplée et manque de commodités », a-t-il expliqué.
Du triomphe à la disgrâce
Tout avait pourtant bien commencé entre les militaires au pouvoir et Choguel Maïga. Ancien leader du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques – coalition hétéroclite à l’origine de la chute de l’ancien président, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) –, le responsable politique avait été nommé premier ministre en juin 2021 après le second coup d’Etat d’Assimi Goïta.
Peu après, il s’était fait remarquer par un discours critique vis-à-vis de la France – l’ancienne puissance coloniale au Mali – qui avait annoncé sa décision de mettre un terme à l’opération militaire « Barkhane ». A la tribune des Nations unies, le responsable malien a accusé Paris d’avoir « abandonné le Mali en plein vol ». Un discours qui avait fini de ruiner la confiance entre les deux pays et conféré à son auteur un statut de héros national. « A son retour de New York, Choguel Maïga a été accueilli en triomphe à l’aéroport de Bamako par la foule », rappelle un universitaire malien.
Par la suite, le chef du gouvernement a contribué à diversifier les alliances du Mali dans la lutte contre le terrorisme. « Sous sa primature, les relations ont été consolidées avec plusieurs partenaires, notamment par l’acquisition de drones turcs, d’avions et de matériels militaires russes, ainsi que par la formation des forces armées maliennes par des instructeurs russes », précise l’universitaire précédemment cité. Russophone, Choguel Maïga a passé onze ans en Union soviétaique où il a effectué ses études supérieures en télécommunications.
Opposé à l’allongement de la transition
L’influence du premier ministre a commencé à décliner après son AVC en août 2022, à l’issue duquel il avait été mis au repos forcé par la junte. Cette dernière en a profité pour vider le poste de premier ministre de sa substance. La rupture a été consommée quand les militaires ont signifié qu’ils ne rendraient pas le pouvoir aux civils en mars 2024 comme ils l’avaient initialement promis.
« J’ai appris dans les médias que la transition avait été reportée, alors que j’avais moi-même signé le décret mettant fin à la transition », avait réagi Choguel Maïga, encore premier ministre, lors d’un meeting en novembre 2024, au cours duquel il avait également déploré l’opacité dans la gestion du pays et la création de nombreux partis politiques sous la transition. Il s’en était notamment pris au ministère de l’administration territoriale et de la décentralisation, alors dirigé par Abdoulaye Maïga, actuel premier ministre.
Après ces déclarations, des manifestations projunte avaient exigé son éviction, ce qui est advenu le 20 novembre 2024. Choguel Maïga est limogé par un décret du général Assimi Goïta et remplacé par Abdoulaye Maïga. Depuis, et jusqu’à son incarcération le 19 août, il faisait régulièrement entendre une voix critique sur sa chaîne YouTube. Il est dorénavant réduit au silence.
Source : Seydou Nomoko