
Thème : Le parcours et la vision politique de Saïdou KANE
Il s’appelait « JOLI CŒUR »
Je voudrais d’abord remercier très chaleureusement les organisateurs de cette rencontre dédiée à rendre un hommage, Ô combien mérité au Pr SaÏdou KANE !
La salle comble que nous avons ici en face de nous est la preuve, s’il en était besoin, de la passion pour l’illustre disparu, à chaque fois qu’on évoque son nom. J’ai noté la présence parmi nous de compatriotes venus des Etats-Unis, de la Hollande, de l’Espagne et de la France. J’en profite donc pour remercier, en mon nom, comme au nom de la Fondation Saïdou Kane, en particulier de son Président, le Pr Cheikh Saad Bouh Kamara, empêché, pour vous rendre un hommage tout aussi mérité, en vous encourageant à aller de l’avant. Mes félicitations vont également au Pr LÔ Gourmo Abdoul qui vient de nous gratifier d’un brillant exposé sur la vision politique de Saïdou Kane.
Je pense qu’il est difficile de cerner le parcours et la vision politique de Saïdou Kane, tant l’homme a vécu plus que son âge, plus que son époque et il fut multidimensionnel. Parce qu’il a fait, parce qu’il a recherché dans sa vie, parce qu’il a trouvé, on peut dire qu’il a vécu plus que son âge. Plus que son époque aussi, car ce grand historien a traversé plusieurs époques !
Enfin, on peut juste tenter de lever un coin de son parcours et de dégager le sens de son combat politique. Depuis sa disparition (Paix à son âme !) je n’ai jamais fait de témoignage public sur son auguste personne. Pour deux raisons : la première est que Saïdou est un patrimoine commun. Il le fut durant toute sa vie et personne ne doit se l’approprier, surtout lorsqu’on est de sa famille. La seconde raison tient au fait que - je n’ai pas honte de le dire – je n’ai pas séché mes larmes (Sounaaré). Car, il laisse derrière lui un trou béant et je m’interroge encore : Par quel miracle Allah, pourra le combler !
Je m’en vais aujourd’hui déroger à ce silence que je m’étais imposé pour donner un aperçu sur cet illustre disparu : Il s’appelait « Joli cœur » et avec lequel j’ai partagé 40 années d’existence, 40 années faites de complicités, parfois de désaccords, mais toujours de débats, de vérité, d’amitié et de respect.
Acte I : Le poète
J’ai dit tantôt, il s’appelait joli cœur.
C’est ce petit nom que j’avais découvert au bas de poèmes qu’il signait, lorsqu’en 1966, nous nous sommes retrouvés à St-Louis. Et depuis cette année-là, jusqu’en 2006, date de son rappel à Dieu, nous sommes devenus des inséparables. Moi, élève au Lycée Faidherbe, lui élève, un brillant élève à l’Ecole des Assistants d’Elevage. J’avais à peine 12 ans et lui 19 ans. Il avait les qualités d’un leader naturel. Il était dès cette période pour moi et pour beaucoup de jeunes un guide et une référence.
C’est lui qui m’a pris par la main pour me faire connaître beaucoup de familles saint-louisiennes, ainsi que la maison coloniale où vécue mon grand père que je n’ai pas connu, qui était « otage, puis collaborateur » du système français. Et, un jour, Saïdou m’emmena voir une grande personnalité à l’IFAN de St-Louis. Lorsqu’on entra dans le bâtiment, il y avait un petit bureau au fond d’une cour, dans la pénombre, éclairé de jour par une veilleuse. Tout autour du petit bureau, j’étais impressionné par le nombre de livres, la table elle-même était jonchée de bouquins. Assis sur une chaise, je trouvais un petit bonhomme, portant des lunettes de myopie, les yeux pétillants, qui nous a longuement toisé du regard, prenant le soin de se moquer des KANE et des DIALLO, c’était l’érudit Bâ Oumar, Paix à son âme !
Au cours des discussions, à ma grande surprise, j’ai vite compris que Saïdou avait autant, sinon plus de choses à apporter à l’érudit Bâ Oumar, qu’il n’était venu apprendre auprès de l’illustre homme. « Tchikan noomi, ko seydou arno djigadi gandal, mi tawi ko kanko rokkanno gandal ! Haloobé pulaar m’bi : thioukoulel soko laam’bi djoun’di, gnaamodé mawbé ». Saïdou n’avait que 20 ans !
C’est durant cette période que Saîdou avait écrit son célèbre poème épique : DIALO WALI et qui deviendra l’hymne de la célèbre émission de Radio-Sénégal connue sous le nom de « Visage du Fouta », animée par Amadou Tamimou Wane.
Ceux qui ont connu cette célèbre émission se souviennent de cette déclamation : « DIALO WALI, DIALO WALI, DIALO WALI, Champ terrible ! Sous ton ciel faux fluorescent survolent les vautours venus des horizons perdus. Maître Gawlo fait entendre ta voix, pince les cordes de ta guitare et rappelle aux gens ce que furent ces braves guerriers ! DIALO WALI, DIALO WALI, Champ terrible ! » Fin de citation. Il s’appelait « joli cœur ».
Acte II : La prise de conscience
(i) Nous sommes en 1967, Saïdou prend l’initiative d’organiser les élèves ressortissants de la Vallée. Il crée et dirige avec quelques personnes dont le Pr Hamidou Dia, Yéro Deh, etc ; une structure dénommée OCLAV (Organisation Culturelle Littéraire et Artistique des ressortissants de la Vallée). Le principal objectif de cette organisation était de promouvoir nos arts locaux et cultures traditionnelles (poèmes, chansons, musiques, etc.). l’OCLAV était ouverte à tous les ressortissants de la Vallée (Soninkés, Oulofs, maure, pulaar), même si ce sont plutôt les halpulaaren qui ont animé l’organisation en organisant à St-Louis, plusieurs manifestations culturelles. C’est au sein de cette organisation que Baaba Maal s’est révélé pour devenir le porte-drapeau de la renaissance de la musique pulaar.
Ce qui est remarquable, c’est que dès cette période, Saïdou a une claire conscience de l’importance des langues et cultures nationales dans le devenir de nos peuples !
Lui qui écrivait ses premiers poèmes en langue française, les a-t-il abandonnés à cette période ?
Lui qui alignait de jolis alexandrins dans la langue de Molière, avait-il opéré une rupture précoce pour se ressourcer dans ses valeurs, sa langue et sa culture ?
Je ne saurai vous le dire ! En tout cas, après cet épisode St-Louisien, Seydou, à ma connaissance, n’a plus refait de poèmes en français, bien qu’il continua de faire ses recherches et à écrire en français.
Acte III : Le tournant
On voit bien sûr à travers les actes qu’il a posés, à travers même ses poèmes, l’intérêt précoce que Saïdou portait à l’Histoire ; l’histoire avec un grand « H », qu’il a aimée, qu’il a pratiquée, jusque dans ses insuffisances ! Je dis bien jusque dans ses insuffisances ; car Saïdou a découvert très tôt que c’était une certaine histoire qui était enseignée, par le colon ou qui était écrite par les lettrés musulmans. C’est certainement de cette période que date son engagement politique. Nous sommes en 1968-69.
Il écrira plus tard, une grande contribution intitulé : « les conséquences sur l’Histoire de l’invalidation de nos traditions orales ».
Juste une petite anecdote : En 1983, je soutenais ma thèse de doctorat. Sur les 500 pages que j’avais rédigées, il y avait une dizaine de pages portant sur les modes opératoires de la communication politique dans les sociétés dites traditionnelles (empires et royaumes). C’est ce passage que le jury de ma soutenance avait trouvé, le plus intéressant, le plus original, car confessait-il, « nous avons beaucoup appris sur vos sociétés dites traditionnelles et leurs modes d’organisation ». Je dois entièrement cette dizaine de pages au Pr Saïdou Kane et c’est, sans doute, cela qui m’a valu la mention !
Je reviens donc sur l’année 1969, cette année là, Saïdou entame une vie professionnelle, en voyageant beaucoup à travers le Fouta et dans la sous-région sahélienne. Il fréquente le monde rural avec lequel il entretient des contacts réguliers. Il en profite surtout pour faire des recherches. Il recueille beaucoup de traditions orales, beaucoup de témoignages, sur les deux rives et dépense tout ce qu’il gagne pour se rendre auprès d’un sage pouvant l’éclairer.
Il se lie aussi avec la gauche sénégalaise (Mahjmout Diop), s’implique dans les grèves de 1968-69 et appuie le mouvement des élèves, notamment ceux de l’Ecole des Assistants d’Elevage où il comptait de solides admirateurs.
Saïdou Kane est accusé d’organiser des soulèvements et il est recherché par la police sénégalaise. Il quitte le Sénégal et rentre en Mauritanie. Le Sénégal ayant été pour lui un pays d’adoption, la Mauritanie, son pays d’origine, m’expliquant son odyssée, il me dira quelques années plus tard : « Réwo ronki hindi Worgou hoda – mbayri worgo ronkama, mi hoti rewo ».
Acte IV : Le militant des grandes causes
De retour en Mauritanie, Saïdou milite au sein du Mouvement Démocratique National et s’oppose donc au régime de Moktar O/ Daddah. Il dérange une partie de sa famille, qui n’apprécie guère ce retour du fils prodigue, fort en thème, mais qui refuse de s’aligner derrière un régime qu’elle soutenait.
Evidemment, pour Saïdou, qui venait de perdre un combat, mais pas la guerre, le retour au pays, n’était que la poursuite de la résistance par d’autres moyens. Lui qui était un panafricaniste, homme de gauche et de progrès, anti-colonialiste, par ce qu’il a appris de l’histoire, ne pouvait qu’épouser les idées révolutionnaires de l’époque et qui étaient incarnées par le MND des années 70. C’est plus tard qu’il opérera sa rupture avec ce Mouvement.
A-t-il passé un compromis avec la famille pour aller très tôt après son retour, reprendre le chemin des études en Union Soviétique, mais surtout ici même en Belgique ?
A-t-il été déçu, à cette période déjà, par l’orientation de certains dirigeants du MND qui prônaient le compromis avec le pouvoir à travers la « Nouvelle Orientation (N.O)» ?
Ou a-t-il simplement éprouvé le besoin, comme il me le dira un jour, d’aller légitimer ses connaissances acquises sur le terrain par des diplômes ?
Quoiqu’il en soit, son séjour européen ne manque pas d’intérêt ! Outre ses études qui le mènent jusqu’à l’agrégation en sciences sociales, il participe pleinement à la vie politique et culturelle qui agite les élites africaines en Europe. Il défend les grandes causes d’une Afrique qui a encore du mal à assumer son indépendance et son destin. Ainsi, en est-il du soutien qu’il apporte aux militants des pays lusophones sous domination coloniale portugaise. Ainsi, en est-il des relations étroites qu’il noues avec les enfants de Patrice Lumumba. Ainsi, fut-il aussi du soutien qu’il apporta au Polisario, bien qu’il se soit ravisé plus tard !
Acte V : La nation en question
Lorsque Saïdou Kane rentre au pays, à la fin de ses études (1977), il n’a rien perdu de son énergie militante. « Souko mberdi wandi tiatté, ani ko jom mberdi kono pellindou anani » !
Mais la réalité qu’il découvre ne lui plaît guère. Quoi : un pays empêtré dans une guerre qu’il ne soutient pas, mieux qu’il dénonce. Des étudiants aplatis, en raison de la « trahison » de leurs aînés, bref ! un MND (Mouvement auquel il avait adhéré) doublement torpillé : (i) de l’intérieur d’abord, par l’idéologie maoïste (l’impérialisme est la contradiction principale, la question nationale est une contradiction secondaire) ; (ii) de l’extérieur ensuite, par la récupération par le pouvoir de certains leaders gagnés par l’entrisme.
Son recrutement, la même année par l’Institut mauritanien de recherche scientifique (IMRS) lui permet de renouer avec ses premières amours : la recherche. Il s’y consacre à fond, mais rencontre plusieurs obstacles. Ses idées, difficilement réfutables, dérangent. Il est atypique, dans ce milieu convenu de chercheurs institutionnels ou organiques.
Historien, Anthropologue, Sociologue, Saïdou observe la société, sa structuration, les jeux de pouvoir, les inégalités sociales ; et change de paradigme ! Il boude l’IMRS et la Mauritanie, pendant près d’un an, s’installe au Maroc et travaille avec un groupe d’africains sur de Nouvelles éditions pour le continent. Il profitera de ce séjour pour compléter la connaissance qu’il avait de l’histoire des peuples du Maghreb. Et, c’est tout naturellement que l’UNESCO se tournera vers lui, quelques années plus tard, pour choisir un chercheur maghrébin, lorsque cette institution entreprit de rédiger son encyclopédie sur l’Histoire du Continent africain.
Quoiqu’il en soit, c’est un homme amer que je retrouve, en juillet 1978, au Maroc où j’étais venu effectuer un stage à la Télévision marocaine.
Dès cette date, pour lui, le MND s’était fourvoyé : la fameuse contradiction principale ce n’était pas à ses yeux l’impérialisme, mais la question nationale. Il estimait aussi que la direction du MND avait confondu – non sans humour – lutte des classes et lutte des places.
Etait-il devenu un nationaliste négro-africain ? Par défaut ou par nécessité, peut-être, mais un patriote, incontestablement !
Au lendemain du coup d’Etat, de juillet 1978, il décide de revenir au pays, non sans appréhensions ! Il engage son combat politique sur la base de ses convictions et crée l’Union Démocratique Mauritanienne (UDM).
On connaît la suite : plusieurs arrestations, Saïdou a souvent frôlé la mort, sans jamais renoncer à son combat. Il était donc écrit que c’est un banal accident de la circulation qui aura raison de lui, en le rappelant à Dieu, un certain 28 septembre 2006.
Dans une interview accordée à l’OCVIDH, le 5 novembre 2003, Saïdou disait :
« Notre lutte vient à peine d'être comprise. Il faut absolument la continuer. Nous serons là, pour toujours y participer, jusqu'au moment où Dieu décidera de nous rappeler à lui ».
A DIEU NOUS APPARTENONS, A LUI NOUS RETOURNONS,
PAIX A SON AME !
Hamidou Baba KANE
Bruxelles, le 30 Octobre 2010
Source: Hamidou Baba Kane pour avomm.com
Il s’appelait « JOLI CŒUR »
Je voudrais d’abord remercier très chaleureusement les organisateurs de cette rencontre dédiée à rendre un hommage, Ô combien mérité au Pr SaÏdou KANE !
La salle comble que nous avons ici en face de nous est la preuve, s’il en était besoin, de la passion pour l’illustre disparu, à chaque fois qu’on évoque son nom. J’ai noté la présence parmi nous de compatriotes venus des Etats-Unis, de la Hollande, de l’Espagne et de la France. J’en profite donc pour remercier, en mon nom, comme au nom de la Fondation Saïdou Kane, en particulier de son Président, le Pr Cheikh Saad Bouh Kamara, empêché, pour vous rendre un hommage tout aussi mérité, en vous encourageant à aller de l’avant. Mes félicitations vont également au Pr LÔ Gourmo Abdoul qui vient de nous gratifier d’un brillant exposé sur la vision politique de Saïdou Kane.
Je pense qu’il est difficile de cerner le parcours et la vision politique de Saïdou Kane, tant l’homme a vécu plus que son âge, plus que son époque et il fut multidimensionnel. Parce qu’il a fait, parce qu’il a recherché dans sa vie, parce qu’il a trouvé, on peut dire qu’il a vécu plus que son âge. Plus que son époque aussi, car ce grand historien a traversé plusieurs époques !
Enfin, on peut juste tenter de lever un coin de son parcours et de dégager le sens de son combat politique. Depuis sa disparition (Paix à son âme !) je n’ai jamais fait de témoignage public sur son auguste personne. Pour deux raisons : la première est que Saïdou est un patrimoine commun. Il le fut durant toute sa vie et personne ne doit se l’approprier, surtout lorsqu’on est de sa famille. La seconde raison tient au fait que - je n’ai pas honte de le dire – je n’ai pas séché mes larmes (Sounaaré). Car, il laisse derrière lui un trou béant et je m’interroge encore : Par quel miracle Allah, pourra le combler !
Je m’en vais aujourd’hui déroger à ce silence que je m’étais imposé pour donner un aperçu sur cet illustre disparu : Il s’appelait « Joli cœur » et avec lequel j’ai partagé 40 années d’existence, 40 années faites de complicités, parfois de désaccords, mais toujours de débats, de vérité, d’amitié et de respect.
Acte I : Le poète
J’ai dit tantôt, il s’appelait joli cœur.
C’est ce petit nom que j’avais découvert au bas de poèmes qu’il signait, lorsqu’en 1966, nous nous sommes retrouvés à St-Louis. Et depuis cette année-là, jusqu’en 2006, date de son rappel à Dieu, nous sommes devenus des inséparables. Moi, élève au Lycée Faidherbe, lui élève, un brillant élève à l’Ecole des Assistants d’Elevage. J’avais à peine 12 ans et lui 19 ans. Il avait les qualités d’un leader naturel. Il était dès cette période pour moi et pour beaucoup de jeunes un guide et une référence.
C’est lui qui m’a pris par la main pour me faire connaître beaucoup de familles saint-louisiennes, ainsi que la maison coloniale où vécue mon grand père que je n’ai pas connu, qui était « otage, puis collaborateur » du système français. Et, un jour, Saïdou m’emmena voir une grande personnalité à l’IFAN de St-Louis. Lorsqu’on entra dans le bâtiment, il y avait un petit bureau au fond d’une cour, dans la pénombre, éclairé de jour par une veilleuse. Tout autour du petit bureau, j’étais impressionné par le nombre de livres, la table elle-même était jonchée de bouquins. Assis sur une chaise, je trouvais un petit bonhomme, portant des lunettes de myopie, les yeux pétillants, qui nous a longuement toisé du regard, prenant le soin de se moquer des KANE et des DIALLO, c’était l’érudit Bâ Oumar, Paix à son âme !
Au cours des discussions, à ma grande surprise, j’ai vite compris que Saïdou avait autant, sinon plus de choses à apporter à l’érudit Bâ Oumar, qu’il n’était venu apprendre auprès de l’illustre homme. « Tchikan noomi, ko seydou arno djigadi gandal, mi tawi ko kanko rokkanno gandal ! Haloobé pulaar m’bi : thioukoulel soko laam’bi djoun’di, gnaamodé mawbé ». Saïdou n’avait que 20 ans !
C’est durant cette période que Saîdou avait écrit son célèbre poème épique : DIALO WALI et qui deviendra l’hymne de la célèbre émission de Radio-Sénégal connue sous le nom de « Visage du Fouta », animée par Amadou Tamimou Wane.
Ceux qui ont connu cette célèbre émission se souviennent de cette déclamation : « DIALO WALI, DIALO WALI, DIALO WALI, Champ terrible ! Sous ton ciel faux fluorescent survolent les vautours venus des horizons perdus. Maître Gawlo fait entendre ta voix, pince les cordes de ta guitare et rappelle aux gens ce que furent ces braves guerriers ! DIALO WALI, DIALO WALI, Champ terrible ! » Fin de citation. Il s’appelait « joli cœur ».
Acte II : La prise de conscience
(i) Nous sommes en 1967, Saïdou prend l’initiative d’organiser les élèves ressortissants de la Vallée. Il crée et dirige avec quelques personnes dont le Pr Hamidou Dia, Yéro Deh, etc ; une structure dénommée OCLAV (Organisation Culturelle Littéraire et Artistique des ressortissants de la Vallée). Le principal objectif de cette organisation était de promouvoir nos arts locaux et cultures traditionnelles (poèmes, chansons, musiques, etc.). l’OCLAV était ouverte à tous les ressortissants de la Vallée (Soninkés, Oulofs, maure, pulaar), même si ce sont plutôt les halpulaaren qui ont animé l’organisation en organisant à St-Louis, plusieurs manifestations culturelles. C’est au sein de cette organisation que Baaba Maal s’est révélé pour devenir le porte-drapeau de la renaissance de la musique pulaar.
Ce qui est remarquable, c’est que dès cette période, Saïdou a une claire conscience de l’importance des langues et cultures nationales dans le devenir de nos peuples !
Lui qui écrivait ses premiers poèmes en langue française, les a-t-il abandonnés à cette période ?
Lui qui alignait de jolis alexandrins dans la langue de Molière, avait-il opéré une rupture précoce pour se ressourcer dans ses valeurs, sa langue et sa culture ?
Je ne saurai vous le dire ! En tout cas, après cet épisode St-Louisien, Seydou, à ma connaissance, n’a plus refait de poèmes en français, bien qu’il continua de faire ses recherches et à écrire en français.
Acte III : Le tournant
On voit bien sûr à travers les actes qu’il a posés, à travers même ses poèmes, l’intérêt précoce que Saïdou portait à l’Histoire ; l’histoire avec un grand « H », qu’il a aimée, qu’il a pratiquée, jusque dans ses insuffisances ! Je dis bien jusque dans ses insuffisances ; car Saïdou a découvert très tôt que c’était une certaine histoire qui était enseignée, par le colon ou qui était écrite par les lettrés musulmans. C’est certainement de cette période que date son engagement politique. Nous sommes en 1968-69.
Il écrira plus tard, une grande contribution intitulé : « les conséquences sur l’Histoire de l’invalidation de nos traditions orales ».
Juste une petite anecdote : En 1983, je soutenais ma thèse de doctorat. Sur les 500 pages que j’avais rédigées, il y avait une dizaine de pages portant sur les modes opératoires de la communication politique dans les sociétés dites traditionnelles (empires et royaumes). C’est ce passage que le jury de ma soutenance avait trouvé, le plus intéressant, le plus original, car confessait-il, « nous avons beaucoup appris sur vos sociétés dites traditionnelles et leurs modes d’organisation ». Je dois entièrement cette dizaine de pages au Pr Saïdou Kane et c’est, sans doute, cela qui m’a valu la mention !
Je reviens donc sur l’année 1969, cette année là, Saïdou entame une vie professionnelle, en voyageant beaucoup à travers le Fouta et dans la sous-région sahélienne. Il fréquente le monde rural avec lequel il entretient des contacts réguliers. Il en profite surtout pour faire des recherches. Il recueille beaucoup de traditions orales, beaucoup de témoignages, sur les deux rives et dépense tout ce qu’il gagne pour se rendre auprès d’un sage pouvant l’éclairer.
Il se lie aussi avec la gauche sénégalaise (Mahjmout Diop), s’implique dans les grèves de 1968-69 et appuie le mouvement des élèves, notamment ceux de l’Ecole des Assistants d’Elevage où il comptait de solides admirateurs.
Saïdou Kane est accusé d’organiser des soulèvements et il est recherché par la police sénégalaise. Il quitte le Sénégal et rentre en Mauritanie. Le Sénégal ayant été pour lui un pays d’adoption, la Mauritanie, son pays d’origine, m’expliquant son odyssée, il me dira quelques années plus tard : « Réwo ronki hindi Worgou hoda – mbayri worgo ronkama, mi hoti rewo ».
Acte IV : Le militant des grandes causes
De retour en Mauritanie, Saïdou milite au sein du Mouvement Démocratique National et s’oppose donc au régime de Moktar O/ Daddah. Il dérange une partie de sa famille, qui n’apprécie guère ce retour du fils prodigue, fort en thème, mais qui refuse de s’aligner derrière un régime qu’elle soutenait.
Evidemment, pour Saïdou, qui venait de perdre un combat, mais pas la guerre, le retour au pays, n’était que la poursuite de la résistance par d’autres moyens. Lui qui était un panafricaniste, homme de gauche et de progrès, anti-colonialiste, par ce qu’il a appris de l’histoire, ne pouvait qu’épouser les idées révolutionnaires de l’époque et qui étaient incarnées par le MND des années 70. C’est plus tard qu’il opérera sa rupture avec ce Mouvement.
A-t-il passé un compromis avec la famille pour aller très tôt après son retour, reprendre le chemin des études en Union Soviétique, mais surtout ici même en Belgique ?
A-t-il été déçu, à cette période déjà, par l’orientation de certains dirigeants du MND qui prônaient le compromis avec le pouvoir à travers la « Nouvelle Orientation (N.O)» ?
Ou a-t-il simplement éprouvé le besoin, comme il me le dira un jour, d’aller légitimer ses connaissances acquises sur le terrain par des diplômes ?
Quoiqu’il en soit, son séjour européen ne manque pas d’intérêt ! Outre ses études qui le mènent jusqu’à l’agrégation en sciences sociales, il participe pleinement à la vie politique et culturelle qui agite les élites africaines en Europe. Il défend les grandes causes d’une Afrique qui a encore du mal à assumer son indépendance et son destin. Ainsi, en est-il du soutien qu’il apporte aux militants des pays lusophones sous domination coloniale portugaise. Ainsi, en est-il des relations étroites qu’il noues avec les enfants de Patrice Lumumba. Ainsi, fut-il aussi du soutien qu’il apporta au Polisario, bien qu’il se soit ravisé plus tard !
Acte V : La nation en question
Lorsque Saïdou Kane rentre au pays, à la fin de ses études (1977), il n’a rien perdu de son énergie militante. « Souko mberdi wandi tiatté, ani ko jom mberdi kono pellindou anani » !
Mais la réalité qu’il découvre ne lui plaît guère. Quoi : un pays empêtré dans une guerre qu’il ne soutient pas, mieux qu’il dénonce. Des étudiants aplatis, en raison de la « trahison » de leurs aînés, bref ! un MND (Mouvement auquel il avait adhéré) doublement torpillé : (i) de l’intérieur d’abord, par l’idéologie maoïste (l’impérialisme est la contradiction principale, la question nationale est une contradiction secondaire) ; (ii) de l’extérieur ensuite, par la récupération par le pouvoir de certains leaders gagnés par l’entrisme.
Son recrutement, la même année par l’Institut mauritanien de recherche scientifique (IMRS) lui permet de renouer avec ses premières amours : la recherche. Il s’y consacre à fond, mais rencontre plusieurs obstacles. Ses idées, difficilement réfutables, dérangent. Il est atypique, dans ce milieu convenu de chercheurs institutionnels ou organiques.
Historien, Anthropologue, Sociologue, Saïdou observe la société, sa structuration, les jeux de pouvoir, les inégalités sociales ; et change de paradigme ! Il boude l’IMRS et la Mauritanie, pendant près d’un an, s’installe au Maroc et travaille avec un groupe d’africains sur de Nouvelles éditions pour le continent. Il profitera de ce séjour pour compléter la connaissance qu’il avait de l’histoire des peuples du Maghreb. Et, c’est tout naturellement que l’UNESCO se tournera vers lui, quelques années plus tard, pour choisir un chercheur maghrébin, lorsque cette institution entreprit de rédiger son encyclopédie sur l’Histoire du Continent africain.
Quoiqu’il en soit, c’est un homme amer que je retrouve, en juillet 1978, au Maroc où j’étais venu effectuer un stage à la Télévision marocaine.
Dès cette date, pour lui, le MND s’était fourvoyé : la fameuse contradiction principale ce n’était pas à ses yeux l’impérialisme, mais la question nationale. Il estimait aussi que la direction du MND avait confondu – non sans humour – lutte des classes et lutte des places.
Etait-il devenu un nationaliste négro-africain ? Par défaut ou par nécessité, peut-être, mais un patriote, incontestablement !
Au lendemain du coup d’Etat, de juillet 1978, il décide de revenir au pays, non sans appréhensions ! Il engage son combat politique sur la base de ses convictions et crée l’Union Démocratique Mauritanienne (UDM).
On connaît la suite : plusieurs arrestations, Saïdou a souvent frôlé la mort, sans jamais renoncer à son combat. Il était donc écrit que c’est un banal accident de la circulation qui aura raison de lui, en le rappelant à Dieu, un certain 28 septembre 2006.
Dans une interview accordée à l’OCVIDH, le 5 novembre 2003, Saïdou disait :
« Notre lutte vient à peine d'être comprise. Il faut absolument la continuer. Nous serons là, pour toujours y participer, jusqu'au moment où Dieu décidera de nous rappeler à lui ».
A DIEU NOUS APPARTENONS, A LUI NOUS RETOURNONS,
PAIX A SON AME !
Hamidou Baba KANE
Bruxelles, le 30 Octobre 2010
Source: Hamidou Baba Kane pour avomm.com