Les députés algériens ont adopté, mercredi 24 décembre, une loi pour « criminaliser la colonisation française », dans un contexte de tensions diplomatiques entre Alger et Paris.
L’antagonisme diplomatique entre l’Algérie et la France vient de franchir un cap supplémentaire. Mercredi 24 décembre, l’Assemblée populaire nationale, à Alger, a adopté une proposition de loi exigeant de la France des « réparations intégrales » et des « excuses formelles » pour « les crimes » de son passé colonial en Algérie. Visant à « criminaliser la colonisation française en Algérie » – tel est son intitulé –, le texte d’initiative parlementaire a été validé par le gouvernement, qui avait pourtant, par le passé, enterré à plusieurs reprises des projets d’inspiration analogue.
Le « feu vert » donné par la présidence d’Abdelmadjid Tebboune en dit long sur l’animosité persistante — et même grandissante — entre les deux capitales. La crise qui a éclaté en juillet 2024 à propos du Sahara occidental – dont Emmanuel Macron avait reconnu la « marocanité » – avant de s’enflammer autour de divers contentieux (notamment migratoires) n’en finit pas de durer. Elle est la plus grave depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962.
Jamais les autorités d’Alger n’avaient en effet réclamé de la sorte des « excuses » ou des « réparations » sous le sceau d’une requête officielle. Dans un entretien accordé en juillet 2020 à France 24, le président Tebboune, pressé par un journaliste insistant, avait certes fini par concéder qu’il « souhait[ait] » de telles excuses, mais la formule avait été lâchée du bout des lèvres sans prendre la forme d’une quelconque injonction.
Du reste, il ne la confirma pas quelques jours plus tard devant l’ambassadeur de France alors en poste à Alger, un certain Xavier Driencourt, devenu depuis un féroce critique du régime algérien. Le message que le chef d’Etat algérien entendait à l’époque adresser à Paris sur les attentes d’Alger dans le domaine mémoriel se résumait ainsi : « Ni excuse ni repentance, mais la “reconnaissance des faits” de la colonisation et de la guerre. » Une époque révolue où le dialogue mémoriel semblait s’esquisser sous de bons auspices.
Inventaire des « crimes coloniaux »
C’est dire la détérioration du climat bilatéral survenue depuis lors. Le texte adopté le 24 décembre par l’Assemblée qualifie le système colonial de « crime d’Etat imprescriptible », engageant la responsabilité pleine et entière de la France. Ses initiateurs estiment que le colonialisme ne saurait être réduit à une blessure historique ou à une simple tension mémorielle : il doit être appréhendé comme un fait juridique appelant réparation. Là est sa grande nouveauté.
Avant l’ouverture du vote, les députés, drapés des écharpes aux couleurs nationales, ont entonné l’hymne national, incluant le couplet consacré à la France coloniale. Invité à prendre la parole, l’historien Mohamed Lahcen Zeghidi a qualifié le moment d’« historique ». Rappelant que décembre est le mois des victoires – marqué notamment par les manifestations du 11 décembre 1960 –, il a évoqué la « présence des martyrs planant au-dessus de la coupole de l’Assemblée populaire nationale », sous les applaudissements nourris, les youyous, et le déploiement de grands drapeaux.
A rebours des discours affirmant que l’Algérie serait une « création de la France », la nouvelle loi rappelle qu’avant 1830 l’Algérie n’était pas un territoire vacant, mais une entité politique organisée, signataire de nombreux traités internationaux. En conséquence, l’invasion française du 14 juin 1830 – suivie de cent trente-deux ans de domination coloniale – est qualifiée de « violation flagrante et continue du droit international » ayant instauré un système méthodique de « dépossession », d’« oppression » et d’« exclusion », jusqu’aux accords d’Evian signés le 18 mars 1962.
Le texte dresse un inventaire des « crimes coloniaux » : massacres collectifs – notamment ceux du 8 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata, ayant causé plus de 45 000 morts selon des historiens algériens –, « extermination » de tribus par enfumades, incendies de villages, « tortures systématiques et violences sexuelles institutionnalisées ».
S’y ajoutent les spoliations foncières massives, les déplacements forcés de populations, ainsi que les essais nucléaires et chimiques dans le Sahara – dont les conséquences sanitaires et environnementales perdurent. Le texte introduit par ailleurs la notion de « haute trahison » pour toute « collaboration passée » avec l’administration coloniale, consacrant la figure du moudjahid comme pilier de l’identité nationale.
Restitutions et réhabilitation
Au cœur de la loi figure la notion de « responsabilité d’Etat » « globale » et « continue ». Il en résulte que la France, héritière juridique de la puissance coloniale, doit assumer l’ensemble des dommages matériels, humains et environnementaux.
Cette responsabilité ne se limite pas à des compensations symboliques : elle inclut des mesures concrètes de restitution et de réhabilitation. Alger exige ainsi la rétrocession des archives nationales emportées après l’indépendance, des biens culturels spoliés et des restes mortuaires des résistants algériens. Le texte prévoit, si nécessaire, le recours aux instances internationales.
Un volet majeur concerne les expériences nucléaires dans le Sahara, où ont été réalisés dix-sept essais français : quatre atmosphériques à Reggane (février 1960-avril 1961), puis treize souterrains à In Ekker (novembre 1961-février 1966). Onze d’entre eux ont été effectués après l’indépendance de 1962, avec l’assentiment des autorités du nouvel Etat en vertu d’une clause des accords d’Evian.
La nouvelle loi impose à la France l’obligation de dépolluer totalement les sites contaminés et de fournir les cartes précises des zones d’enfouissement des déchets toxiques. Les victimes – y compris les générations actuelles souffrant de pathologies induites – sont reconnues comme créancières de plein droit. Le projet envisage la création d’un fonds spécial destiné à financer les soins de longue durée et la restauration des écosystèmes sahariens.
Des peines de cinq à dix ans de prison
Le texte instaure également un régime pénal strict. Il criminalise toute « glorification », « justification » ou « apologie du colonialisme », y compris dans les médias, les supports visuels ou les publications académiques. Les peines prévues vont de cinq à dix ans de réclusion, assorties d’amendes substantielles. Cette pénalisation s’étend aux plateformes numériques, auxquelles est imposée une responsabilité éditoriale renforcée.
Le projet revendique une souveraineté mémorielle assumée : il déplace le débat du terrain commémoratif vers celui du droit pénal international, plaçant la France face à ses responsabilités historiques. Le texte insiste sur le fait qu’il ne vise pas le peuple français, mais l’Etat colonial. Il s’inscrit dans les dynamiques décoloniales mondiales et renforce l’unité nationale autour de l’héritage du 1er novembre 1954.
« Au-delà de sa dimension mémorielle, l’initiative [de la loi] revêt des enjeux stratégiques et géopolitiques majeurs, écrit, le 24 décembre, le quotidien francophone L’Expression. Elle s’inscrit dans une volonté de rééquilibrer le rapport mémoriel et politique avec l’ancienne puissance coloniale. En portant le débat sur le terrain juridique, l’Algérie cherche à internationaliser la question des crimes coloniaux et à les inscrire dans les normes relatives aux crimes contre l’humanité ».
Si beaucoup d’Algériens estiment que l’Algérie « a gagné » son combat, et n’a nul besoin d’« excuses », la montée en France des discours du déni dans un contexte d’hostilité croissante à l’Algérie rend de plus en plus de gens réceptifs aux démarches du type de celle initiée par la loi du 24 décembre.
La vidéo d’un échange entre le journaliste Jean-Michel Aphatie et le président d’Horizons, Edouard Philippe, sur LCI, le 8 décembre, a été très partagée sur les réseaux sociaux algériens. On y voit M. Aphatie demander à l’ancien premier ministre d’Emmanuel Macron si la colonisation était un crime. La réponse a été laconique, et surtout choquante vue d’Algérie : « Non. »
Frédéric Bobin et Hamid Nasri (Alger, correspondance)
Source : Le Monde
L’antagonisme diplomatique entre l’Algérie et la France vient de franchir un cap supplémentaire. Mercredi 24 décembre, l’Assemblée populaire nationale, à Alger, a adopté une proposition de loi exigeant de la France des « réparations intégrales » et des « excuses formelles » pour « les crimes » de son passé colonial en Algérie. Visant à « criminaliser la colonisation française en Algérie » – tel est son intitulé –, le texte d’initiative parlementaire a été validé par le gouvernement, qui avait pourtant, par le passé, enterré à plusieurs reprises des projets d’inspiration analogue.
Le « feu vert » donné par la présidence d’Abdelmadjid Tebboune en dit long sur l’animosité persistante — et même grandissante — entre les deux capitales. La crise qui a éclaté en juillet 2024 à propos du Sahara occidental – dont Emmanuel Macron avait reconnu la « marocanité » – avant de s’enflammer autour de divers contentieux (notamment migratoires) n’en finit pas de durer. Elle est la plus grave depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962.
Jamais les autorités d’Alger n’avaient en effet réclamé de la sorte des « excuses » ou des « réparations » sous le sceau d’une requête officielle. Dans un entretien accordé en juillet 2020 à France 24, le président Tebboune, pressé par un journaliste insistant, avait certes fini par concéder qu’il « souhait[ait] » de telles excuses, mais la formule avait été lâchée du bout des lèvres sans prendre la forme d’une quelconque injonction.
Du reste, il ne la confirma pas quelques jours plus tard devant l’ambassadeur de France alors en poste à Alger, un certain Xavier Driencourt, devenu depuis un féroce critique du régime algérien. Le message que le chef d’Etat algérien entendait à l’époque adresser à Paris sur les attentes d’Alger dans le domaine mémoriel se résumait ainsi : « Ni excuse ni repentance, mais la “reconnaissance des faits” de la colonisation et de la guerre. » Une époque révolue où le dialogue mémoriel semblait s’esquisser sous de bons auspices.
Inventaire des « crimes coloniaux »
C’est dire la détérioration du climat bilatéral survenue depuis lors. Le texte adopté le 24 décembre par l’Assemblée qualifie le système colonial de « crime d’Etat imprescriptible », engageant la responsabilité pleine et entière de la France. Ses initiateurs estiment que le colonialisme ne saurait être réduit à une blessure historique ou à une simple tension mémorielle : il doit être appréhendé comme un fait juridique appelant réparation. Là est sa grande nouveauté.
Avant l’ouverture du vote, les députés, drapés des écharpes aux couleurs nationales, ont entonné l’hymne national, incluant le couplet consacré à la France coloniale. Invité à prendre la parole, l’historien Mohamed Lahcen Zeghidi a qualifié le moment d’« historique ». Rappelant que décembre est le mois des victoires – marqué notamment par les manifestations du 11 décembre 1960 –, il a évoqué la « présence des martyrs planant au-dessus de la coupole de l’Assemblée populaire nationale », sous les applaudissements nourris, les youyous, et le déploiement de grands drapeaux.
A rebours des discours affirmant que l’Algérie serait une « création de la France », la nouvelle loi rappelle qu’avant 1830 l’Algérie n’était pas un territoire vacant, mais une entité politique organisée, signataire de nombreux traités internationaux. En conséquence, l’invasion française du 14 juin 1830 – suivie de cent trente-deux ans de domination coloniale – est qualifiée de « violation flagrante et continue du droit international » ayant instauré un système méthodique de « dépossession », d’« oppression » et d’« exclusion », jusqu’aux accords d’Evian signés le 18 mars 1962.
Le texte dresse un inventaire des « crimes coloniaux » : massacres collectifs – notamment ceux du 8 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata, ayant causé plus de 45 000 morts selon des historiens algériens –, « extermination » de tribus par enfumades, incendies de villages, « tortures systématiques et violences sexuelles institutionnalisées ».
S’y ajoutent les spoliations foncières massives, les déplacements forcés de populations, ainsi que les essais nucléaires et chimiques dans le Sahara – dont les conséquences sanitaires et environnementales perdurent. Le texte introduit par ailleurs la notion de « haute trahison » pour toute « collaboration passée » avec l’administration coloniale, consacrant la figure du moudjahid comme pilier de l’identité nationale.
Restitutions et réhabilitation
Au cœur de la loi figure la notion de « responsabilité d’Etat » « globale » et « continue ». Il en résulte que la France, héritière juridique de la puissance coloniale, doit assumer l’ensemble des dommages matériels, humains et environnementaux.
Cette responsabilité ne se limite pas à des compensations symboliques : elle inclut des mesures concrètes de restitution et de réhabilitation. Alger exige ainsi la rétrocession des archives nationales emportées après l’indépendance, des biens culturels spoliés et des restes mortuaires des résistants algériens. Le texte prévoit, si nécessaire, le recours aux instances internationales.
Un volet majeur concerne les expériences nucléaires dans le Sahara, où ont été réalisés dix-sept essais français : quatre atmosphériques à Reggane (février 1960-avril 1961), puis treize souterrains à In Ekker (novembre 1961-février 1966). Onze d’entre eux ont été effectués après l’indépendance de 1962, avec l’assentiment des autorités du nouvel Etat en vertu d’une clause des accords d’Evian.
La nouvelle loi impose à la France l’obligation de dépolluer totalement les sites contaminés et de fournir les cartes précises des zones d’enfouissement des déchets toxiques. Les victimes – y compris les générations actuelles souffrant de pathologies induites – sont reconnues comme créancières de plein droit. Le projet envisage la création d’un fonds spécial destiné à financer les soins de longue durée et la restauration des écosystèmes sahariens.
Des peines de cinq à dix ans de prison
Le texte instaure également un régime pénal strict. Il criminalise toute « glorification », « justification » ou « apologie du colonialisme », y compris dans les médias, les supports visuels ou les publications académiques. Les peines prévues vont de cinq à dix ans de réclusion, assorties d’amendes substantielles. Cette pénalisation s’étend aux plateformes numériques, auxquelles est imposée une responsabilité éditoriale renforcée.
Le projet revendique une souveraineté mémorielle assumée : il déplace le débat du terrain commémoratif vers celui du droit pénal international, plaçant la France face à ses responsabilités historiques. Le texte insiste sur le fait qu’il ne vise pas le peuple français, mais l’Etat colonial. Il s’inscrit dans les dynamiques décoloniales mondiales et renforce l’unité nationale autour de l’héritage du 1er novembre 1954.
« Au-delà de sa dimension mémorielle, l’initiative [de la loi] revêt des enjeux stratégiques et géopolitiques majeurs, écrit, le 24 décembre, le quotidien francophone L’Expression. Elle s’inscrit dans une volonté de rééquilibrer le rapport mémoriel et politique avec l’ancienne puissance coloniale. En portant le débat sur le terrain juridique, l’Algérie cherche à internationaliser la question des crimes coloniaux et à les inscrire dans les normes relatives aux crimes contre l’humanité ».
Si beaucoup d’Algériens estiment que l’Algérie « a gagné » son combat, et n’a nul besoin d’« excuses », la montée en France des discours du déni dans un contexte d’hostilité croissante à l’Algérie rend de plus en plus de gens réceptifs aux démarches du type de celle initiée par la loi du 24 décembre.
La vidéo d’un échange entre le journaliste Jean-Michel Aphatie et le président d’Horizons, Edouard Philippe, sur LCI, le 8 décembre, a été très partagée sur les réseaux sociaux algériens. On y voit M. Aphatie demander à l’ancien premier ministre d’Emmanuel Macron si la colonisation était un crime. La réponse a été laconique, et surtout choquante vue d’Algérie : « Non. »
Frédéric Bobin et Hamid Nasri (Alger, correspondance)
Source : Le Monde

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