
Assistons-nous à un retour calculé à une certaine ambiance politique ou à des convulsions spasmodiques d'une idéologie en mal de survie ? En tous cas, je m'inquiète comme beaucoup d'autres, de l'accumulation de gestes et de propos politiques qui rappellent plutôt les prémisses d'une époque de notre histoire qui hante encore bien des esprits. Cela commence par l'accueil de Oumar El Béchir. Puis par la rencontre entre l'UPR et le parti Baath syrien, pour aboutir aujourd'hui aux propos tant décriés du premier ministre Moulaye Ould Laghdaf. Quand on ajoute à cela que l'Etat n'inscrit même pas à l'ordre du jour le retour de la Mauritanie dans l'espace de la CEDEAO, ne serait-ce que pour envoyer un signe à sa partie africaine, il y a de quoi s'inquiéter.
Deux choses nous ont été rapportées ces derniers jours dans la posture du Premier ministre : un discours et une attitude. Le discours d'ouverture à la journée de la langue arabe, et l'attitude d'indifférence affichée, face au journaliste Kalilou DIAGANA qui posait juste la question pratique de la traduction en français de son propos face à une presse en majorité francophone. Dans les deux cas, le PM pose la langue arabe comme un horizon indépassable. Je me souviens avoir eu droit à la même réponse en 1997, de la part de Rachid Ould Saleh, à l'époque ministre de l'Information de Ould TAYA. Là aussi, il était juste question pour moi d'avoir une réponse en français à une question que j'avais posée en français. Sa réaction était sans appel : « Comment voulez informer les mauritaniens si vous ne parlez pas arabe ? » Bien sûr, tout ça est dit en français, pour que je reçoive la provocation en pleine figure.
Inutile de vous dire sa colère quand je lui rétorquai que comme lui, beaucoup de mauritaniens comprenaient la langue de Molière. Je lui faisais aussi remarquer que lui même prenait ses notes en français, puisque son stylo se déplaçait de la gauche vers la droite. Ce fut la dernière fois que je participais au nom de mon journal à ses conférences de presse hebdomadaires... Ces deux anecdotes dépassent les limites d'un simple échange désagréable entre deux compatriotes. Au-delà, c'est la négation subtile de l'un par l'autre qui est en jeu. J'avoue, avec le recul, que mon seul regret, c'est de n'avoir pas pu poser ma question en Pulaar pour voir ce qu'on m'aurait opposé. Car c'est ce que j'envisageais de faire la fois d'après, si on ne m'avait pas signifié que j'étais devenu indésirable à ces rendez-vous du mercredi. J'encourage vivement Kalilou Diagana à saisir la prochaine occasion pour poser sa question en Soninké…
Quant au récent discours du Premier ministre sur la place de la langue arabe en Mauritanie, il aurait pu apparaître banal à nos yeux dans un pays comme le nôtre, s'il n'était pas de nature à réchauffer l'éternelle question identitaire en Mauritanie. La radicalité du propos et son caractère péremptoire ne révèlent qu'une vérité : les composantes négro-africaines du pays ont baissé la garde sur la considération due à leurs différences culturelles et linguistiques. Quelque part, nous devons certainement donner l'impression à nos compatriotes arabes que nous avons définitivement admis l'idée d'être des mauritaniens entièrement à part, au lieu de mauritaniens à part entière. Comment comprendre autrement que là où la circulaire 02 de 1979 (qui n'envisageait que l'augmentation des coefficients des matières enseignées en arabe) pouvait faire bouger la rue nouakchottoise, une décision d'un PM de généraliser l'arabe dans l'enseignement comme dans l'administration, mettant en mal une vieille tradition du bilinguisme, ne provoque que quelques cybernétiques réactions ?
Le problème, c'est qu'on a tellement culpabilisé les négro-mauritaniens sur leur propension à défendre le français présenté comme une langue étrangère, qu'aujourd'hui ils n'osent même plus réagir quand celui-ci est menacée d'une disparition programmée en Mauritanie. La seule réaction qui nous est autorisée, c'est l'officialisation de nos langues nationales et leur introduction dans l'enseignement. Et cela, parce qu'on sait que même dans l'hypothèse où cette officialisation serait actée, les délais raisonnables d'une telle programmation laisseront suffisamment de temps au système discriminatoire pour achever son irréversible implantation. Cette opération contre le français et l'imposition de l'arabe comme langue obligatoire et exclusive de l'administration, n'est qu'une des multiples facettes de l'hégémonie qu'exercent sur nous les tenants du système.
Il y a probablement quelque chose à éclaircir sur la place du français en Mauritanie. Qu'on arrête une bonne fois pour toute de nous bassiner avec le caractère étranger de cette langue. Oui le français est la langue de l'ancien colonisateur ! Et alors ? Cela l'empêche-t-il d'être aujourd'hui une partie intégrante de la culture mauritanienne ? Les tribus berbères de l'espace géographique nord mauritanien, n'ont-elles pas du ressentir la même chose vis-à-vis de l'Arabe quand elles virent débarquer des populations venues répandre ce qui est devenue aujourd'hui notre sainte religion? Je considère le français comme faisant partie du paysage linguistique mauritanien, au même titre que la Mauritanie est incontestablement un pays francophone. Nous n'avons pas à choisir entre la défense de nos langues nationales et celle du français. Nous avons à nous dresser vaillamment contre toute forme de négation de l'autre et sa discrimination. Que cette discrimination passe par le peu de place fait à nos langues nationales dans les média ou dans l'enseignement, ou qu'elle passe par la remise en cause du bilinguisme comme tradition de compromis dans notre administration, nous devons la combattre avec la même énergie. En cela, les propos de M. Moulaye Ould Laghdaf, si tant est qu'ils traduisent, comme lui-même le prétend, le point de vue présidentiel, ne sont pas, comme semblent le dire certains, « un dérapage », mais une menace ! Celle de la réactivation d'une certaine forme d'idéologie de construction nationale dont le paroxysme fut atteint durant les années de braises (89, 90,91). Et ce n'est pas au moment où le Président de la République cherche à se positionner comme celui qui veut régler la question dite du « passif humanitaire », qu'il me paraît intelligent de se laisser bercer par le préchi précha de nos charmeurs de serpent, qui ne cherchent en définitive qu'à en emprunter le venin, en vue de leur ignominieux dessein de déconstruction nationale. On les a vus se gargariser, et dire tout le bien qu'ils pensent de l'accueil fait par notre pays au sanguinaire et génocidaire Omar El Béchir. On les voit aujourd'hui se précipiter autour du Président de la République et reprendre les rênes de l'UPR par la diagonale. On les voit encore s'affairer pour recréer l'antique débat sur l'arabité de la Mauritanie, comme s'ils en doutaient eux-mêmes… Je parle bien sûr, sans équivoque, de nos Baathistes couleur locale, adeptes du panarabisme exclusif, réducteur et par-dessus tout, afrophobe et « négrophage » !
Nos compatriotes arabes, majoritairement de bonne fois, et amoureux à juste titre de leur belle langue, doivent comprendre que ceux que j'ai décrits plus haut sont les premiers ennemis l'arabe. Ils n'en usent que comme moyen d'oppression, et à ce titre ils en déprécient la beauté et l'attractivité ; tout comme ils créent le dégoût et le rejet à son égard. Combien de négro-mauritaniens ont rejeté l'arabe par acte de résistance à son imposition, alors que leurs propres parents, du fait de leur formation coranique, étaient parfaitement arabophones ? La promotion de la langue arabe, comme du reste celle de nos autres langues nationales (Pulaar, soninke et Wolof), n'est pas antinomique du respect du bilinguisme traditionnel de notre administration et du maintien du français comme langue de travail et d'enseignement. Car pour l'heure, et en attendant que nos langues maternelles soient officialisées, conformément aux engagements pris lors des Etats Généraux, et en attendant qu'elles irriguent abondamment et de façon fluide nos pratiques administratives et notre système éducatif, le bilinguisme arabe/français demeure le seul garant de l'égalité des chances face à l'emploi et face à l'usage du service publique de l'administration par les citoyens. Et encore…
Bocar Oumar BA
Strasbourg - France
SOURCE: AJD/MR
Deux choses nous ont été rapportées ces derniers jours dans la posture du Premier ministre : un discours et une attitude. Le discours d'ouverture à la journée de la langue arabe, et l'attitude d'indifférence affichée, face au journaliste Kalilou DIAGANA qui posait juste la question pratique de la traduction en français de son propos face à une presse en majorité francophone. Dans les deux cas, le PM pose la langue arabe comme un horizon indépassable. Je me souviens avoir eu droit à la même réponse en 1997, de la part de Rachid Ould Saleh, à l'époque ministre de l'Information de Ould TAYA. Là aussi, il était juste question pour moi d'avoir une réponse en français à une question que j'avais posée en français. Sa réaction était sans appel : « Comment voulez informer les mauritaniens si vous ne parlez pas arabe ? » Bien sûr, tout ça est dit en français, pour que je reçoive la provocation en pleine figure.
Inutile de vous dire sa colère quand je lui rétorquai que comme lui, beaucoup de mauritaniens comprenaient la langue de Molière. Je lui faisais aussi remarquer que lui même prenait ses notes en français, puisque son stylo se déplaçait de la gauche vers la droite. Ce fut la dernière fois que je participais au nom de mon journal à ses conférences de presse hebdomadaires... Ces deux anecdotes dépassent les limites d'un simple échange désagréable entre deux compatriotes. Au-delà, c'est la négation subtile de l'un par l'autre qui est en jeu. J'avoue, avec le recul, que mon seul regret, c'est de n'avoir pas pu poser ma question en Pulaar pour voir ce qu'on m'aurait opposé. Car c'est ce que j'envisageais de faire la fois d'après, si on ne m'avait pas signifié que j'étais devenu indésirable à ces rendez-vous du mercredi. J'encourage vivement Kalilou Diagana à saisir la prochaine occasion pour poser sa question en Soninké…
Quant au récent discours du Premier ministre sur la place de la langue arabe en Mauritanie, il aurait pu apparaître banal à nos yeux dans un pays comme le nôtre, s'il n'était pas de nature à réchauffer l'éternelle question identitaire en Mauritanie. La radicalité du propos et son caractère péremptoire ne révèlent qu'une vérité : les composantes négro-africaines du pays ont baissé la garde sur la considération due à leurs différences culturelles et linguistiques. Quelque part, nous devons certainement donner l'impression à nos compatriotes arabes que nous avons définitivement admis l'idée d'être des mauritaniens entièrement à part, au lieu de mauritaniens à part entière. Comment comprendre autrement que là où la circulaire 02 de 1979 (qui n'envisageait que l'augmentation des coefficients des matières enseignées en arabe) pouvait faire bouger la rue nouakchottoise, une décision d'un PM de généraliser l'arabe dans l'enseignement comme dans l'administration, mettant en mal une vieille tradition du bilinguisme, ne provoque que quelques cybernétiques réactions ?
Le problème, c'est qu'on a tellement culpabilisé les négro-mauritaniens sur leur propension à défendre le français présenté comme une langue étrangère, qu'aujourd'hui ils n'osent même plus réagir quand celui-ci est menacée d'une disparition programmée en Mauritanie. La seule réaction qui nous est autorisée, c'est l'officialisation de nos langues nationales et leur introduction dans l'enseignement. Et cela, parce qu'on sait que même dans l'hypothèse où cette officialisation serait actée, les délais raisonnables d'une telle programmation laisseront suffisamment de temps au système discriminatoire pour achever son irréversible implantation. Cette opération contre le français et l'imposition de l'arabe comme langue obligatoire et exclusive de l'administration, n'est qu'une des multiples facettes de l'hégémonie qu'exercent sur nous les tenants du système.
Il y a probablement quelque chose à éclaircir sur la place du français en Mauritanie. Qu'on arrête une bonne fois pour toute de nous bassiner avec le caractère étranger de cette langue. Oui le français est la langue de l'ancien colonisateur ! Et alors ? Cela l'empêche-t-il d'être aujourd'hui une partie intégrante de la culture mauritanienne ? Les tribus berbères de l'espace géographique nord mauritanien, n'ont-elles pas du ressentir la même chose vis-à-vis de l'Arabe quand elles virent débarquer des populations venues répandre ce qui est devenue aujourd'hui notre sainte religion? Je considère le français comme faisant partie du paysage linguistique mauritanien, au même titre que la Mauritanie est incontestablement un pays francophone. Nous n'avons pas à choisir entre la défense de nos langues nationales et celle du français. Nous avons à nous dresser vaillamment contre toute forme de négation de l'autre et sa discrimination. Que cette discrimination passe par le peu de place fait à nos langues nationales dans les média ou dans l'enseignement, ou qu'elle passe par la remise en cause du bilinguisme comme tradition de compromis dans notre administration, nous devons la combattre avec la même énergie. En cela, les propos de M. Moulaye Ould Laghdaf, si tant est qu'ils traduisent, comme lui-même le prétend, le point de vue présidentiel, ne sont pas, comme semblent le dire certains, « un dérapage », mais une menace ! Celle de la réactivation d'une certaine forme d'idéologie de construction nationale dont le paroxysme fut atteint durant les années de braises (89, 90,91). Et ce n'est pas au moment où le Président de la République cherche à se positionner comme celui qui veut régler la question dite du « passif humanitaire », qu'il me paraît intelligent de se laisser bercer par le préchi précha de nos charmeurs de serpent, qui ne cherchent en définitive qu'à en emprunter le venin, en vue de leur ignominieux dessein de déconstruction nationale. On les a vus se gargariser, et dire tout le bien qu'ils pensent de l'accueil fait par notre pays au sanguinaire et génocidaire Omar El Béchir. On les voit aujourd'hui se précipiter autour du Président de la République et reprendre les rênes de l'UPR par la diagonale. On les voit encore s'affairer pour recréer l'antique débat sur l'arabité de la Mauritanie, comme s'ils en doutaient eux-mêmes… Je parle bien sûr, sans équivoque, de nos Baathistes couleur locale, adeptes du panarabisme exclusif, réducteur et par-dessus tout, afrophobe et « négrophage » !
Nos compatriotes arabes, majoritairement de bonne fois, et amoureux à juste titre de leur belle langue, doivent comprendre que ceux que j'ai décrits plus haut sont les premiers ennemis l'arabe. Ils n'en usent que comme moyen d'oppression, et à ce titre ils en déprécient la beauté et l'attractivité ; tout comme ils créent le dégoût et le rejet à son égard. Combien de négro-mauritaniens ont rejeté l'arabe par acte de résistance à son imposition, alors que leurs propres parents, du fait de leur formation coranique, étaient parfaitement arabophones ? La promotion de la langue arabe, comme du reste celle de nos autres langues nationales (Pulaar, soninke et Wolof), n'est pas antinomique du respect du bilinguisme traditionnel de notre administration et du maintien du français comme langue de travail et d'enseignement. Car pour l'heure, et en attendant que nos langues maternelles soient officialisées, conformément aux engagements pris lors des Etats Généraux, et en attendant qu'elles irriguent abondamment et de façon fluide nos pratiques administratives et notre système éducatif, le bilinguisme arabe/français demeure le seul garant de l'égalité des chances face à l'emploi et face à l'usage du service publique de l'administration par les citoyens. Et encore…
Bocar Oumar BA
Strasbourg - France
SOURCE: AJD/MR