Un homme qui crie

Au moment où l’on apprend que le taux de croissance de l’Afrique a été de 6% ces dix dernières années nous parvient ce beau film, prix du jury du dernier Festival de Cannes, réalisé par Mahamat- Saleh Haroun, l’un des meilleurs cinéastes africains actuellement en activité (et malheureusement l’un des rares, avec Abderrahmane Sissako ou le toujours vert Souleymane Cissé). Un homme qui crie explore justement tous les paradoxes de l’Afrique contemporaine, entre tradition et modernité, pauvreté et développement, guerres tribales ou civiles et mondialisation.

Adam travaille comme responsable de la piscine d’un palace de N’Djamena. Le consortium chinois qui a racheté le complexe hôtelier décide de licencier Adam et de le remplacer par son fils, Abdel. Ce licenciement particulièrement pervers (qui symbolise la présence à la fois bénéfique et prédatrice de la soft colonisation asiatique) plonge Adam dans la déprime, sans toutefois briser la relation fusionnelle entre père et fils. Mais des péripéties plus graves encore se profilent : Abdel est approché par l’armée afin d’aller combattre les milices rebelles.

En cinéaste qu’il est avant tout, Haroun met en scène ce scénario très politique par de longs et amples plans, faisant la part belle à des silences plus parlants que de grands discours. L’humiliation d’un homme réduit au rôle de garde-barrière filtrant les voitures de luxe se passe de dialogues et de commentaires. L’inscription de corps chinois impeccablement vêtus dans le paysage tchadien synthétise les processus à l’oeuvre dans la globalisation actuelle.

Le contraste entre le luxe d’un grand hôtel international et le dénuement des quartiers environnants est saisissant. A la violence muette des rapports économiques et sociaux, Haroun oppose des scènes nues qui disent toute la simplicité, la douceur et les désirs modestes du peuple africain : un repas familial avec le rapport sensuel et tactile à la nourriture, un cuisinier qui partage un peu de sa pitance avec un chien, le chant douloureux d’une jeune femme à qui les guerres des hommes ont arraché son fiancé.

Sous le style calme et serein de ce film mijotent une douleur, une colère, une rage que l’on sent palpiter au fond des plans. Après les très beaux Abouna et Daratt, Un homme qui crie confirme que l’Afrique est dans le mouvement de l’histoire (contrairement à ce que suggérait un certain discours d’un certain bouffon de notre politique nationale), que les bons taux de croissance sont réels, mais ne profitent pas à l’ensemble des populations et qu’Haroun est un cinéaste important, par son talent d’abord, mais aussi en ce qu’il permet aux Africains (ici, les Tchadiens) de s’approprier leur histoire et leur image.

Un homme qui crie de Mahamat-Saleh Haroun, avec Youssouf Djaoro, Diouc Koma, Emile Abossolo M’bo (Fr., Belg., Tch., 2010, 1h32)


Source: inrocks