
Biladi : Pour Kadhafi, la solution à notre crise est la présidentielle fixée au 6 juin. Pour le ministre de la communication, El Kory Ould Abdel Mawla, «la messe est dite». Est-ce-à dire que le FNDD a perdu son combat ?
Bâ Mamadou Alassane (BMA) : Kadhafi est hors-sujet. Il est loin de connaître les réalités mauritaniennes et il est loin de connaître la force du Front. Ce qui est le plus étonnant, c’est qu’il vient de prendre une position unilatérale contraire à celle des autres organisations internationales dont l’Union Africaine, l’Union européenne, l’OIF, l’OCI, etc. Ces organisations, pour ne citer que celles-ci, ne reconnaissent pas la junte putschiste ni les décisions qu’elle a prises relatives aux élections. Comment comprendre qu’un président de l’Union Africaine puisse-t-il prendre des décisions qui vont à l’encontre des décisions déjà prises par cette même Union. Pour qui se prend-t-il ? Et pour qui prend-t-il les mauritaniens que nous sommes ? Il est vrai qu’à travers ses discours, il a tenu des propos qui démontrent que pour lui les mauritaniens ne sont pas importants puisqu’ils les qualifient de «bédouins» qui est un terme péjoratif. Il est vrai qu’il n’a aucune considération pour notre constitution et pour la forme de démocratie qu’elle contient. Cela, il l’a dit et répété. Donc il a affiché un certain mépris à notre égard et à notre démocratie celle pour laquelle le peuple mauritanien a voté. L’on comprend dès lors qu’il prenne des décisions mégalomanes absurdes lorsqu’il affirme que la seule solution c’est les soi-disant élections du 6 juin 2009 et qu’après ces élections, tout est terminé.
C’est mal nous comprendre. C’est mal comprendre le Front qui continuera son combat jusqu’à la victoire, c’est-à-dire jusqu’à faire échouer le coup d’état du 6 aout 2008.
Les décisions que vient de prendre Kadhafi ne font qu’aggraver la crise qu’il était chargée de résoudre.
Le Front souhaite qu’il change rapidement d’avis. Quoi qu’il en soit nous ne baisserons jamais les bras. Nous sommes déterminés plus que jamais à mener le combat jusqu’à la victoire. Nous gagnerons et c’est lui qui a perdu son combat, le combat dont il était chargé par l’Union africaine et qui consistait à unir les mauritaniens, à les réconcilier. Or au lieu de cela, il a contribué à les diviser davantage. Son combat est donc raté. Il a échoué. Kadhafi n’a pas compris que ce recours précipité et prématuré aux élections ne peut résoudre durablement la crise mauritanienne actuelle qui est une crise profonde. C’est qu’il faut c’est d’abord chercher à réconcilier les mauritaniens. Il faut donc chercher à jouer la carte de la réconciliation nationale mauritanienne. C’est cette réconciliation qu’il fallait d’abord rechercher donc privilégier avant de parler d’élections. Kadhafi s’est donc gravement trompé de stratégie et de méthode. Il est fort souhaitable que ses amis le lui fassent comprendre. Son comportement trop autoritaire, abrupt, brutal et unilatéral a d’ores et déjà gravement nui à cette réconciliation. C’est lorsque les mauritaniens se réconcilieront que d’éventuelles élections anticipées ou non se dérouleront mieux, n’est-ce pas ?
Biladi : Dès le départ certaines personnalités issues du Front laissaient sous-entendre que la médiation de Kadhafi allait se solder par un échec. A l’arrivée elles ont eu raison : Kadhafi ne s’est même pas crevé les méninges pour rapprocher les différents protagonistes de la crise. Il s’est jeté sur les conclusions des Etats Généraux de la Démocratie comme solution de sortie de crise. Pourquoi le Front n’a pas pesé de tout son poids pour qu’un médiateur plus crédible soit désigné à sa place, dès le départ ?
BMA : Le Front National pour la Défense de la Démocratie n’est pour rien dans la désignation de Kadhafi comme président de l’Union Africaine et il n’est donc pour rien dans sa désignation comme médiateur pour trouver des solutions à la crise mauritanienne. Le Front ne pouvait donc empêcher que cette désignation ait lieu. Il est vrai que nous avions des craintes et des doutes sur sa réussite dans la mission qui lui a été confiée par l’Union Africaine compte tenu de ce que nous connaissions de lui. Mais si nous n’étions pas sûrs de lui-même, nous étions et nous sommes sûrs de nous-mêmes. Nous savions et savons que quoi qu’il advienne notre position restera ferme et nous venons de le lui démontrer après avoir compris sa position partisane. Nous le lui avons démontré au cours de notre rencontre avec lui à Syrte en Libye. Nous le lui avons démontré en sortant subitement de la salle du Palais des Congres et en publiant un communiqué que vous connaissez après notre conférence de presse. Nous étions aussi en droit de penser que lorsqu’on est président de la commission de l’Union Africaine et qu’on est médiateur pour résoudre une crise quelle qu’elle soit on allait adopter une attitude de neutralité pour réussir cette médiation et en la réussissant on s’en sort honoré, glorifié et l’Union africaine à son tour sortira grandie face aux autres organisations internationales que sont l’Union européenne, l’OCI, la Francophonie et la Ligue Arabe, etc. Voilà ce que nous étions en droit d’espérer et de penser. Kadhafi a piteusement échoué dans sa médiation. Ce qui ne l’honore guère ni à l’égard des mauritaniens ni à l’égard du monde islamique de l’Union européenne et des autres organisations internationales. Il est désormais disqualifié comme médiateur.
Nous au Front, nous récusons sa médiation. Elle est nulle et non avenue.
Sa désignation comme médiateur a malheureusement porté une grave atteinte à l’image de l’Afrique qui par le comportement de ce médiateur n’a pas réglé l’un des graves problèmes de l’Afrique. Il faut le regretter et nous le regrettons. Kadhafi ne peut plus être un médiateur pour régler une crise en Afrique.
Biladi : Le guide libyen va bientôt se présenter devant la communauté internationale pour défendre sa solution de sortie de crise, avez-vous mis en place une stratégie pour le contrer ?
BMA : Il faut noter que face à chaque situation nouvelle qui se présente, le Front a su concevoir une stratégie adaptée pour mieux y faire face. Ce fut le cas hier. Et c’est le cas pour la situation actuelle comme pour d’autres situations futures .Vous comprendrez facilement que nous ne pouvons révéler au grand jour cette stratégie. Vous saurez en quoi elle consiste lorsqu’elle sera exécutée. Rappelons au passage que notre force ne réside pas seulement dans la valeur de nos différentes stratégies, elle réside aussi et surtout dans l’unité de notre Front dans la détermination de ce Front, dans sa patience, dans son esprit de sacrifice et dans sa capacité de réflexion. Une telle force n’est-elle pas la meilleure pour vaincre les obstacles qui se dresseront devant le Front ?
Biladi : D’aucuns pensent que les positions entre les différents protagonistes de la crise mauritanienne sont si divergentes que les sanctions sont désormais inévitables. Partagez – vous ce point de vue ?
BMA : Si la junte putschiste s’acharne à défier la communauté internationale si elle continue à violer les accords de Cotonou dont la Mauritanie est signataire alors, s’il y a sanctions c’est que la junte l’a bien voulu. Elle en porterait la responsabilité. Pour le Front comme pour la communauté internationale, il faut le retour à la légalité constitutionnelle c’est-à-dire le retour du président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdellahi dans ses fonctions constitutionnelles donc le retrait des militaires de la politique et la restauration des institutions de légitimes qui ont été bafouées : parlement légitime, gouvernement légitime, sénat légitime, commission économique et sociale légitime, etc. Donc retour à la légitimité constitutionnelle. Il n’est pas question du retour à l’ordre illégitime voulu par la junte non élue par le peuple. Il est question du retour à la légitimité déjà voulue par le peuple mauritanien sinon la Mauritanie ira de coup d’état en coup d’état, d’instabilité en instabilité, d’échec en échec. Trente ans (30) ans de régime militaire : c’est à la fois l’illégalité et le fiasco. Les régimes militaires, à l’expérience chez nous, ce sont des échecs. Et l’on veut que la Mauritanie continue à subir des échecs : non et non. Halte aux échecs ! Oui à la légalité pour le Droit qui, seul peut unir les mauritaniens. C’est bien dommage que le colonel Kadhafi ne l’ait pas compris. Tout médiateur qui ne le comprendra pas ira à l’échec comme lui.
Biladi : Le Front est-il prêt à faire des nouvelles concessions ?
BMA : Réfléchissons bien. Le président de la république a déjà fait des concessions sans qu’on puisse aller au delà. Si l’on va au-delà, on trahit le peuple mauritanien. Il faut bien noter que l’on ne peut céder que ce qui nous appartient. La constitution ce n’est pas la propriété du Front, c’est celle du peuple mauritanien. Le Front ne peut donc faire des concessions qui vont à l’encontre de la constitution qui ne lui appartient pas. Le président Sidi ne doit non plus faire des concessions qui vont à l’encontre de la constitution qui ne lui appartient pas. Le président ne peut pas faire n’importe quoi avec la constitution comme si c’est un objet qui lui appartient et qu’il peut manipuler à sa guise.
Selon cette constitution le peuple lui a confié un mandat pour une durée déterminée. Et il doit rendre compte de ce qu’il a fait de ce mandat qui ne lui a été que prêté. Et le président s’est engagé devant le peuple à faire quelque chose de ce mandat. Il est donc lié au peuple mauritanien par une promesse par un engagement. Cela on a trop tendance à l’oublier quand on parle de concessions.
Le président Sidi qui est lié au peuple par une promesse et un engagement de respecter cette promesse n’est donc pas entièrement libre de faire ce qu’il veut avec le mandat qui lui a été prêté. J’insiste sur le mot «prêté». Il a un compte à rendre à ce peuple. Il doit dire à ce peuple ce qu’il a fait de ce mandat et s’il a respecté ou non sa promesse. S’il dit au peuple : vous m’avez confié un mandat, je démissionne », ce serait une sorte de trahison envers le peuple qui l’a élu. Ce n’est pas parce que les armes sont braquées sur lui et elles sont braquées sur lui, qu’il doit dire, par peur : « je démissionne ». Et sa dignité. C’est du reste le peuple qui l’a élu qui devait le défendre. C’est ce que fait actuellement le Front qui représente le peuple.
Les concessions, retour à la légalité puis élections anticipées s’il y a consensus de la classe politique autour de cette solution et avant tout dialogue. Faudrait-il encore créer le meilleur climat pour ce dialogue, c’est à dire la libération des prisonniers politiques dont le premier ministre Ould El Waghf, l’arrêt du processus électoral illégal qui ne fera qu’accentuer davantage la crise mauritanienne. La priorité pour le moment c’est le retour à la légalité et après le dialogue pourra avoir lieu. En conclusion, on doit reprocher à Kadhafi d’avoir mal compris cette crise et de n’avoir pas pu connaitre la meilleure approche pour la résoudre. C’est ce qui explique son échec et c’est dommage !
Propos recueillis par Samba Camara
via flamnet.net