
Après le constitutionalisme de ‘’gadgets’’ au nom duquel on était priés de s’extasier devant la ‘’motion de censure’’ présentée par une Assemblée qui n’a jamais proposé une loi ni contrôlé un acte gouvernemental, voici venu le temps du constitutionalisme de l’intimidation et du terrorisme intellectuel. Après l’épisode de la ‘’motion de censure’’, le même groupe de députés demande aujourd’hui la tenue d’une session parlementaire extraordinaire. Jusque-là, le gouvernement s’en est tenu à l’appréciation de la recevabilité formelle de la demande, la rejetant pour un vice de procédure. Cependant, quand bien même cette demande serait recevable dans la forme, rien n’oblige le Président de la République à y déférer. Le pouvoir de convoquer une session extraordinaire du Parlement est un pouvoir propre et totalement discrétionnaire du Président conformément à notre Constitution.
Anticipant cet argument, un document attribué aux députés et qualifié de « consultation contradictoire » a abordé cette question subsidiairement en invoquant la pratique française sous la cinquième République. Sa substance a été reprise par les députés lors de leur conférence de presse du jeudi dernier et dans leur lettre adressée au ministre chargé des relations avec le Parlement. Pourtant, et contrairement ces affirmations, la pratique constitutionnelle française constante, suivie et jamais démentie, démontre que le pouvoir de convoquer une session extraordinaire du Parlement relève de la seule compétence discrétionnaire du Président de la République (I). En Mauritanie, ce pouvoir est encore plus affirmé car il ne résulte pas seulement de la pratique constante des institutions, mais aussi de la lettre sans équivoque de l’article 53 de la Constitution (II).
I- La Pratique français : Malgré la rédaction quelque peu discutable de l’article 29 de la Constitution française (1), celui-ci fut interprété comme conférant un pouvoir discrétionnaire au Président de la République, et ce par une pratique constante (2). Cette interprétation est, par ailleurs, plus conforme à l’esprit et à la logique générale de la Constitution de 1958 (3) même si, en raison des réformes intervenues depuis, cette controverse n’a plus qu’un intérêt théorique et à la limite historique (4).
1- Alors que l’article 28 de la Constitution française relatif aux sessions ordinaires dispose que le parlement « se réunit de plein droit», l’article 29, lui, dispose qu’il « est réuni » pour les sessions extraordinaires, celles-ci étant « ouvertes et closes par décret du Président de la République » (art. 30). S’il est admis que ‘’l’usage de l’indicatif présent vaut impératif’’ dans les textes normatifs de langue française, la différence entre la forme pronominale de l’article 28 « le parlement se réunit » et la voix passive de l’article 29 « le parlement est réuni » semblait introduire une nuance dont la portée restait à déterminer. La pratique institutionnelle a apporté une réponse sans équivoque à cette question en faveur d’un pouvoir discrétionnaire du Président de la République.
2- En traitant de la pratique française dans leur « consultation contradictoire », les députés argumentent d’une manière quelque peu…étrange : D’entrée de jeu la mauvaise foi est frappante : « Si dans la plupart des cas cette demande est suivie d’effet en France, il a été trois occasions au cours desquelles le Président a fait savoir qu’il disposait (…) d’un minimum de pouvoir discrétionnaire. ». En fait de ‘’la plupart des cas’’, sur les 63 sessions extraordinaires tenues par le Parlement français depuis 1958, une seule a été convoquée suite à une demande parlementaire et ce fut en des termes qui ne laissaient aucun doute sur le pouvoir discrétionnaire du Président. Et en fait de ‘’pouvoir discrétionnaire minimum’’, dans les quatre cas cités par la « consultation contradictoire », le Président a fait savoir qu’il disposait d’un pouvoir discrétionnaire total et exclusif.
Puis, pour faire dire à la pratique française la seule chose qu’ils voulaient entendre, les auteurs de la « consultation contradictoire » procèdent d’une manière encore plus étonnante : ils établissent une chronologie des faits en vertu de laquelle M. Valéry Giscard d’Estaing serait le successeur de François Mitterrand et 1979 serait ultérieure à 1993! Soit. Mais ce bouleversement de la chronologie naturelle des faits étant opéré dans le seul but de conférer à une ‘’pratique’’ attribuée à M. D’Estaing, une force abrogative de celle de M. Mitterrand était inutile : cette pratique n’a tout simplement jamais existé ! La protestation de M. D’Estaing contre la pratique de M. Mitterrand se rapportait –nous le démontrerons- à un point qui n’a strictement rien à voir avec le pouvoir de déférer, ou non, à une demande de session extraordinaire. L’ensemble des précédents rencontrés sous la cinquième République convergent vers la confirmation d’un pouvoir présidentiel discrétionnaire en la matière. Ces précédents sont les suivants :
- Le 17 mars 1960, le Président de l’Assemblée Nationale transmet au Président de la République, une lettre de demande de convocation accompagnée de 287 signatures de députés et d’un ordre du jour détaillé en cinq propositions de lois toutes relatives au monde agricole. Par une lettre du 18 mars 1960, le Général De Gaulle rejetait la demande en invoquant plusieurs motifs : l’interdiction du mandat impératif, la demande étant formulée suite aux pressions des organisations paysannes; ne pas créer de précédent ; ne pas anticiper sur le programme gouvernemental ; ne pas prendre d’initiative contraire à l’article 40 et ; surtout, le Président fonda le pouvoir de rejeter cette demande sur son rôle de gardien de la Constitution et d’arbitre du fonctionnement réguliers des pouvoirs publics, attribué par l’article 5 de la Constitution.
Par ce précédent, De Gaulle a établi que le pouvoir présidentiel en la matière n’était pas lié mais discrétionnaire. Cette règle ne pouvait plus être écartée que par une révision de la Constitution. Les opposants les plus farouches au Général De Gaulle admettent cet argument d’où l’inscription, en 1972, dans le Programme commun de la Gauche, d’une promesse de révision constitutionnelle prévoyant que la convocation de session extraordinaire sera ‘’de plein droit’’ lorsqu’elle aura été demandée par la majorité des députés.
- Le précédent gaullien sera entériné par M. Valéry Giscard D’Estaing. Par une lettre datée du 8 mars 1979, accompagnée de 315 de députés et d’un ordre du jour détaillé en deux propositions de résolutions relatives au chômage et aux conditions de l’information, le Président de l’Assemblée transmet au Président de la République une demande de convocation d’une session extraordinaire. Par une lettre du 12 mars, le Président D’Estaing accepte de convoquer cette session mais en des termes laissant à entendre qu’il y défère non pas parce qu’il y est obligé mais par ce qu’il y consent. Pour bien marquer son pouvoir discrétionnaire, il entoure son consentement de deux réserves : l’une relative au moment choisi pour la session (pendant la campagne des élections cantonales), l’autre, à l’appui de laquelle il cite le précédent gaullien et s’en réclame, est relative au processus de la demande « déclenché à l’initiative d’un parti politique ». Cet argument était d’ailleurs excessif : De Gaulle avait mis en cause le rôle du groupement paysan au motif que celui-ci était « dépourvu de toute qualification et de toute responsabilité politique », alors que les partis politiques ont, eux, un rôle prévu par l’article 4 de la Constitution. C’est en raison de cette différence que M. D’Estaing a donné son consentement tout en laissant entendre qu’une circonstance plus grave aurait justifié une décision contraire.
- A son tour, François Mitterrand a consolidé et élargi ce pouvoir. En décembre 1987, Jacques Chirac, Premier Ministre en cohabitation et donc véritable leader de la majorité parlementaire, déclara son intention de convoquer le Parlement pour une session extraordinaire. La réponse de M. Mitterrand fut immédiate. Il refuse la convocation du Parlement et indique que les pouvoirs de décider de la convocation d'une session extraordinaire et d'en fixer l'ordre du jour "relèvent de la seule responsabilité et de la seule appréciation du président de la République". Pour lui, le Gouvernement "ne peut (…) ni décider de la convocation d'une session extraordinaire, ni en fixer l'ordre du jour" (communiqué de l'Elysée du 17 décembre 1987).
- Durant la seconde cohabitation, le Président Mitterrand a démontré que s’il avait le pouvoir de refuser une demande de session extraordinaire, il avait, a fortiori, le pouvoir de ne l’accepter que sur un ordre du jour qui lui conviendrait. En juillet 1993, il refusa d’inscrire à l’ordre du jour d’une session extraordinaire demandée par le Premier Ministre une proposition de loi modifiant la loi Falloux concernant l’aide des collectivités locales à l’enseignement privé. Sa conception du pouvoir discrétionnaire du Président est claire : si le gouvernement demande une session extraordinaire « il se retourne vers le Président de la République ; il dit oui ou il dit non, ensuite on me soumet (l’ordre du jour), c’est moi qui signe, (…) alors je retire les projets qui me paraissent devoir être retirés de l’ordre du jour » (entretien radiotélévisé du 14 juillet 1993).
C’est ici qu’intervient le ‘’précédent Giscard D’Estaing’’ cité par la « consultation contradictoire » de nos députés. M. d’Estaing publia, alors, un article dans lequel il s’interroge sur la régularité de ce qui lui paraissait « constituer un glissement constitutionnel préoccupant : le refus du Président de la République d’accepter l’inscription à l’ordre du jour de la session extraordinaire, tel qu’il avait été proposé par le Premier Ministre de la proposition de loi modifiant la loi Falloux ». Son objection portait sur la maîtrise de l’ordre du jour parlementaire et, donc, sur la distribution des pouvoirs entre le gouvernement et le Président de la République. Il ne remet pas en question la compétence du Président pour refuser une session extraordinaire : « le Président de la République avait le droit de refuser d’ouvrir la session extraordinaire du Parlement (…) mais il n’avait pas celui d’intervenir dans son ordre du jour » (V.G. D’Estaing, ‘’Un glissement constitutionnel’’, Le Monde du 8 juillet 1993, p. 6). Du reste, même sur ce point, M. D’Estaing a été démenti par le Premier ministre Balladur qui, dès le lendemain, déclara à la presse que la modification l’ordre du jour de la session extraordinaire « (était) dans les pouvoirs du Président de la République ».
3- L’attribution d’un pouvoir discrétionnaire au Président de la République pour convoquer une session extraordinaire est conforme à l’esprit et à la logique générale de la Constitution de 1958. Il faut, rappeler que cette Constitution est intervenue en réaction à celle de 1946 qui reconnaissait, de facto, la session parlementaire permanente. Or, celle-ci avait donné dans le travers du gouvernement d’assemblée conduisant à l’instabilité politique (en 12 ans, le pays a connu 22 gouvernements !). Pour empêcher tout retour au gouvernement d’assemblée, la Constitution de 1958 a fait du Président de la République la pièce maîtresse de l’édifice constitutionnelle d’une part, et a diminué le rôle et les pouvoirs du Parlement d’autre part, notamment en limitant ses sessions. Elle instaura le système de deux sessions ordinaires (article 28, version initiale), l’une en octobre, consacrée au budget, l’autre en avril consacrée au vote des projets de lois que le gouvernement aura préparé. Les sessions extraordinaires introduites pour tempérer la rigidité du nouveau système, étaient destinées à être demandées essentiellement par le gouvernement. Même si constitutionnellement les députés pouvaient la demander, la condition de réunir les signatures d’une majorité d’entre eux était une condition prohibitive à un temps où l’absence de majorité était la principale caractéristique du Parlement. Aux sessions ordinaires et extraordinaires s’ajoutaient naturellement les sessions de plein droit (prévues par exemple au lendemain d’élections législatives consécutives à une dissolution, pendant le recours aux pouvoirs exceptionnels par le Président de l’article 16, pour permettre le respect des délais nécessaires à la mise en œuvre de la responsabilité du gouvernement etc.)
Il était donc dans l’esprit et la logique même de la Constitution de 1958 de diminuer le rôle du Parlement et de soumettre ses sessions extraordinaire à l’appréciation du Président auquel elle accorde un statut prédominant. Les excès de la limitation des sessions se sont traduits par la détérioration de la qualité du travail parlementaire. Et c’est pour cette raison que les parlementaires français n’ont eu de cesse, depuis 1958, d’exiger, en vain, un assouplissement du régime des sessions.
4- Ce n’est qu’en 1995 que cette revendication a été satisfaite avec l’instauration de la session ordinaire unique d’une durée de 9 mois (d’octobre à juin). Cette réforme n’a été acceptable pour l’exécutif qu’à al lumière du fait majoritaire garant de la stabilité politique dont l’absence avait justifié la diminution de l’institution parlementaire. En même temps, sans annihiler l’intérêt des sessions extraordinaires, cette réforme a évacué l’intérêt du débat sur la demande de leur convocation : D’une part, le gouvernement étant désormais systématiquement issu d’une majorité parlementaire, la concurrence entre législatif et exécutif n’est plus d’actualité. D’autre part, la présidentialisation continue du régime a vidé de son objet la controverse, surgie en 1993, sur la portée du pouvoir présidentiel en la matière.
II- En Mauritanie, la convocation d’une session extraordinaire du Parlement est un pouvoir discrétionnaire du Président de la République selon la lettre constitutionnelle et la pratique constante des institutions
Ce pouvoir résulte de la lettre sans équivoque de l’article 53 de notre Constitution (1) et est étayé par une pratique constante depuis 1992 (2). Cette pratique fut, paradoxalement, reprise et élargie par la législature actuelle (3) qui a, par ailleurs, rejeté toute réhabilitation de l’institution parlementaire (4). S’il appartient au Président de la République d’apprécier l’opportunité de la demande de session extraordinaire actuellement soumise, cette appréciation devrait tenir compte des enjeux institutionnels (5).
1- La rédaction de l’article 53 de la Constitution mauritanienne est radicalement différente de celle des articles 29 et 30 de la Constitution française et ce, aussi bien en ce qui concerne les acteurs de la procédure, qu’en ce qui concerne le caractère normatif de la règle énoncée. Alors que le texte français attribue l’initiative de la demande de session extraordinaire à la majorité des députés et au Premier Ministre, l’article 53 de notre Constitution l’attribue à la majorité des députés et au Président de la République, ce qui n’est pas sans conséquence. Ensuite, et c’est là la différence décisive, alors que l’article 29 de la Constitution française dispose « le Parlement est réuni en session extraordinaire (…) », l’article 53 de notre Constitution, lui, dispose : « le Parlement peut être réuni ». La différence est de taille et elle n’est pas fortuite. Le choix du verbe est primordial car « la souveraineté du législateur est dans le verbe » disait Gérard Cornu. Or, il ressort clairement de l’usage du verbe ‘’pouvoir’’ qu’il s’agit là d’une faculté, d’une option dont l’appréciation est laissée à l’autorité chargée d’accomplir l’acte nécessaire à sa réalisation. La règle en la matière est simple : Un texte normatif énonce deux catégories de dispositions, les unes impératives, les autres potestatives ou supplétives. Les règles impératives sont, seules, contraignantes ou obligatoires. Dans les textes juridiques de langue française, elles sont repérables à l’usage de l’indicatif présent. Les règles potestatives ou supplétives, elles, sont attributives de choix, de liberté ou de faculté. Elles sont repérables à l’usage du verbe…’’pouvoir’’. Leur finalité première est, justement, de conférer un pouvoir discrétionnaire à l’autorité concernée. Cette interprétation est corroborée par le fait que l’article 33 de notre Constitution ne soumet pas le décret de convocation au contreseing, contrairement à ce qui résulte de l’article 19 de la Constitution française. La lettre de l’article 53 confère, donc, au Président de la République un pouvoir discrétionnaire total pour convoquer, ou non, une session extraordinaire demandée par la majorité des députés.
2- Certes, il n’existe pas, en Mauritanie, de précédent d’une session extraordinaire demandée par les députés. Mais la pratique de nos institutions a tendu, depuis 1992, à attribuer au Président de la République un large pouvoir en matière de convocation des sessions parlementaires. En effet, l’article 52 de notre Constitution dispose « Le Parlement se réunit de plein droit en deux (2) sessions ordinaires (…) ». Cela devrait signifier, logiquement, que ces sessions ont lieu automatiquement aux dates précisées dans le texte sans qu’il y ait besoin d’une convocation quelconque. Or, depuis 1992, un ‘’usage’’ a voulu que toutes les sessions ordinaires du Parlement soient convoquées par un décret du Président de la République. Si l’on établit un parallèle avec ‘’la pratique française’’, on peut constater que, sur la base d’une rédaction similaire « le Parlement se réunit de plein droit en une session ordinaire (…) » (article 28), le Parlement français n’a jamais eu besoin d’une convocation quelconque pour ses sessions ordinaires. La pratique mauritanienne confère donc au résident de la République un pouvoir large en matière de convocation des sessions parlementaires même quand celles-ci devraient avoir lieu ‘’de plein droit’’.
3- Paradoxalement, il a fallu attendre la législature actuelle pour voir cet usage hissé au rang de la supra-constitutionalité ! En effet, l’article 29 de notre Constitution dispose que le Président nouvellement élu doit prêter serment « en présence du bureau du Sénat ». Les sénateurs actuels, bien qu’élus plusieurs mois avant le Président, se sont bien abstenus de se réunir ne serait-ce que pour élire ce bureau dont la présence est nécessaire à l’investiture du Président. Ils s’en sont abstenus avec le raisonnement suivant : pour élire son bureau, le Sénat doit tenir une session mais pour que celle-ci ait lieu elle doit être nécessairement convoquée par le Président de la République. Or, l’on a considéré que le Président du CMJD n’était pas compétent pour convoquer les nouvelles institutions et que le Président élu n’étant pas encore entré en fonction, ne pouvait y procéder et l’on a conclu que le bureau du Sénat ne pouvait donc être élu ! Pourtant, une simple lecture de la Constitution aurait justifié la tenue d’une session parlementaire de plein droit pour la bonne et simple raison que son inexistence était incompatible avec un fonctionnement normal et démocratique des institutions. Et il n’était pas besoin d’en chercher la base constitutionnelle ailleurs que dans l’article 29 qui se suffit à lui-même. Quant à l’Assemblée Nationale, élue six mois avant le nouveau Président, elle a attendu sagement l’investiture de ce dernier pour tenir une session convoquée par lui. Pourtant, l’article 31 est explicite : « L'Assemblée Nationale se réunit de plein droit quinze (15) jours après son élection » ! Les parlementaires actuels ont donc conforté le pouvoir de convocation du Président de la République et l’ont élargi en une mesure, par ailleurs, contestable.
4- Ces parlementaires n’ont pas entériné la dévalorisation du rôle et des pouvoirs parlementaires par leurs seuls agissements passifs, en s’empêchant de réunir quand cela était ‘’exigée’’ par la Constitution. Ils l’ont fait, également d’une manière active : Alors que les parlementaires français ont dû lutter pendant quarante ans pour obtenir la suppression du régime des deux sessions ordinaires et l’instauration d’une session unique, cette réforme, véritable réhabilitation du Parlement, a été servie sur un plateau d’or à nos parlementaires et ils l’ont…rejetée ! En effet, constatant que les deux sessions ordinaires ne permettaient au Parlement de siéger que quatre mois durant toute l’année, période très courte, le Président de la République avait pris l’initiative d’un projet de loi constitutionnelle mettant en place une session unique d’une durée de 8 mois (Communiqué du Conseil des Ministres du 16 janvier 2008). Le 24 Janvier, il promulgua un décret présidentiel convoquant le Parlement à une session extraordinaire pour examiner cette réforme. Les parlementaires ont refusé et ce fut, non pas pour des raisons ‘’institutionnelles’’, mais pour des considérations liées à leurs carrières personnelles. Ainsi ont-il exigé que cette réforme supprima la règle du renouvellement partiel du Sénat et augmenta la durée de son mandat ! Ce faisant, ils ont fait perpétuer la dévalorisation de l’institution parlementaire en s’opposant aux réformes qui tendaient à la réhabiliter.
5- Le pouvoir de convocation de session extraordinaire étant à la discrétion du Président selon la lettre de notre Constitution et la pratique de nos institutions, il lui appartient d’apprécier l’opportunité d’une session extraordinaire du Parlement dans le contexte actuel. L’ordre du jour proposé par les députés ne relève pas de l’urgence et ne nécessite, donc, pas la convocation d’une telle session. Ainsi l’élection des membres de la Haute Cour de Justice n’est pas un acte important de la vie parlementaire et n’a rien à voir avec « la mise en place des institutions constitutionnelles » au sens utilisé par les députés. Il s’agit d’une simple formalité prévue « après chaque renouvellement général ou partiel » du Parlement selon l’article 92 de la Constitution. Cette élection n’est pas urgente par cela même que les parlementaires n’y ont pas procédé lors de leur dernière session. Quand ils se plaignent d’avoir siégé pendant 60 jours sans qu’aucun projet de loi ne leur soit soumis, ils sont malvenus de découvrir, maintenant, qu’ils n’ont pas accompli cette formalité élémentaire. La même chose s’applique à l’adoption du Règlement de l’Assemblée qui n’a aucun caractère d’urgence. Les autres points de l’ordre du jour relevant de la fonction de contrôle ne sont pas urgents non plus et soulèvent deux remarques : D’une part, puisque durant l’intersession, la seule forme du travail parlementaire qui est suspendue est la séance plénière, le contrôle parlementaire peut continuer à s’exercer par le moyen des questions écrites ainsi que par les missions et commissions permanentes qui peuvent toujours se réunir. Ces organes ont là l’occasion de préparer la création des missions spéciales d’enquêtes lors de la session prochaine, si ils y tiennent. D’autre part, les actes de contrôle proposés actuellement -la création d’une commission d’enquête sur la fondation de l’épouse du Président, une autre sur la gestion du Sénat etc.- visent à déstabiliser le Président et s’inscrivent dans le cadre de règlements de comptes politiciens qui ne doivent pas déborder sur le fonctionnement régulier des institutions constitutionnelles.
Aussi, fort de son pouvoir exclusif et discrétionnaire, le Président de la République a toute latitude de refuser la demande de cette session s’il la juge inopportune. Ce faisant il ne ferait qu’assumer son rôle de gardien de la Constitution et d’arbitre du fonctionnement continu et régulier des pouvoirs publics. Il peut naturellement déférer à cette demande en tout ou en partie, en exigeant par exemple la modification de l’ordre du jour proposé. Mais cette dernière attitude comporte deux risques : d’une part, il exposera le gouvernement à une motion de censure certaine dans le contexte actuel. La motion de censure n’a pas besoin de figurer sur l’ordre du jour d’une session extraordinaire pour y être votée. C’est ce qui ressort de l’article 76 de la Constitution: « La clôture des sessions ordinaires ou extraordinaires est de droit retardée pour permettre, le cas échéant, l'application des dispositions de l'article 75 » relatif à…la motion de censure. D’autre part, si celle-ci conduit à la nomination d’un Premier Ministre hostile au Président, rien ne garantit que ce Premier Ministre n’utilisera pas le pouvoir que lui confère l’article 41 de la Constitution, à savoir, demander au Conseil Constitutionnel de constater la vacance du pouvoir ou l’empêchement du Président de la République. Ce pouvoir de saisine appartient à trois autorités : le Président de la République, le Président de l’Assemblée Nationale dont on peut penser qu’il ne l’utilisera pas, et enfin, le Premier Ministre.
Omar Ould Dedde Ould Hamady
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Ce texte devait être publié le matin du 6 août. L’intervention du coup d’état en a retardé la parution. Au moment où certains députés tiennent une ‘’session extraordinaire’’ convoquée par un pouvoir de fait, l’argumentaire développé dans cet article est maintenu sans réserve et sans modification. Nous reviendrons plus tard sur le statut légal de l’instance militaire et de la valeur de ses actes. O.D.H.
Anticipant cet argument, un document attribué aux députés et qualifié de « consultation contradictoire » a abordé cette question subsidiairement en invoquant la pratique française sous la cinquième République. Sa substance a été reprise par les députés lors de leur conférence de presse du jeudi dernier et dans leur lettre adressée au ministre chargé des relations avec le Parlement. Pourtant, et contrairement ces affirmations, la pratique constitutionnelle française constante, suivie et jamais démentie, démontre que le pouvoir de convoquer une session extraordinaire du Parlement relève de la seule compétence discrétionnaire du Président de la République (I). En Mauritanie, ce pouvoir est encore plus affirmé car il ne résulte pas seulement de la pratique constante des institutions, mais aussi de la lettre sans équivoque de l’article 53 de la Constitution (II).
I- La Pratique français : Malgré la rédaction quelque peu discutable de l’article 29 de la Constitution française (1), celui-ci fut interprété comme conférant un pouvoir discrétionnaire au Président de la République, et ce par une pratique constante (2). Cette interprétation est, par ailleurs, plus conforme à l’esprit et à la logique générale de la Constitution de 1958 (3) même si, en raison des réformes intervenues depuis, cette controverse n’a plus qu’un intérêt théorique et à la limite historique (4).
1- Alors que l’article 28 de la Constitution française relatif aux sessions ordinaires dispose que le parlement « se réunit de plein droit», l’article 29, lui, dispose qu’il « est réuni » pour les sessions extraordinaires, celles-ci étant « ouvertes et closes par décret du Président de la République » (art. 30). S’il est admis que ‘’l’usage de l’indicatif présent vaut impératif’’ dans les textes normatifs de langue française, la différence entre la forme pronominale de l’article 28 « le parlement se réunit » et la voix passive de l’article 29 « le parlement est réuni » semblait introduire une nuance dont la portée restait à déterminer. La pratique institutionnelle a apporté une réponse sans équivoque à cette question en faveur d’un pouvoir discrétionnaire du Président de la République.
2- En traitant de la pratique française dans leur « consultation contradictoire », les députés argumentent d’une manière quelque peu…étrange : D’entrée de jeu la mauvaise foi est frappante : « Si dans la plupart des cas cette demande est suivie d’effet en France, il a été trois occasions au cours desquelles le Président a fait savoir qu’il disposait (…) d’un minimum de pouvoir discrétionnaire. ». En fait de ‘’la plupart des cas’’, sur les 63 sessions extraordinaires tenues par le Parlement français depuis 1958, une seule a été convoquée suite à une demande parlementaire et ce fut en des termes qui ne laissaient aucun doute sur le pouvoir discrétionnaire du Président. Et en fait de ‘’pouvoir discrétionnaire minimum’’, dans les quatre cas cités par la « consultation contradictoire », le Président a fait savoir qu’il disposait d’un pouvoir discrétionnaire total et exclusif.
Puis, pour faire dire à la pratique française la seule chose qu’ils voulaient entendre, les auteurs de la « consultation contradictoire » procèdent d’une manière encore plus étonnante : ils établissent une chronologie des faits en vertu de laquelle M. Valéry Giscard d’Estaing serait le successeur de François Mitterrand et 1979 serait ultérieure à 1993! Soit. Mais ce bouleversement de la chronologie naturelle des faits étant opéré dans le seul but de conférer à une ‘’pratique’’ attribuée à M. D’Estaing, une force abrogative de celle de M. Mitterrand était inutile : cette pratique n’a tout simplement jamais existé ! La protestation de M. D’Estaing contre la pratique de M. Mitterrand se rapportait –nous le démontrerons- à un point qui n’a strictement rien à voir avec le pouvoir de déférer, ou non, à une demande de session extraordinaire. L’ensemble des précédents rencontrés sous la cinquième République convergent vers la confirmation d’un pouvoir présidentiel discrétionnaire en la matière. Ces précédents sont les suivants :
- Le 17 mars 1960, le Président de l’Assemblée Nationale transmet au Président de la République, une lettre de demande de convocation accompagnée de 287 signatures de députés et d’un ordre du jour détaillé en cinq propositions de lois toutes relatives au monde agricole. Par une lettre du 18 mars 1960, le Général De Gaulle rejetait la demande en invoquant plusieurs motifs : l’interdiction du mandat impératif, la demande étant formulée suite aux pressions des organisations paysannes; ne pas créer de précédent ; ne pas anticiper sur le programme gouvernemental ; ne pas prendre d’initiative contraire à l’article 40 et ; surtout, le Président fonda le pouvoir de rejeter cette demande sur son rôle de gardien de la Constitution et d’arbitre du fonctionnement réguliers des pouvoirs publics, attribué par l’article 5 de la Constitution.
Par ce précédent, De Gaulle a établi que le pouvoir présidentiel en la matière n’était pas lié mais discrétionnaire. Cette règle ne pouvait plus être écartée que par une révision de la Constitution. Les opposants les plus farouches au Général De Gaulle admettent cet argument d’où l’inscription, en 1972, dans le Programme commun de la Gauche, d’une promesse de révision constitutionnelle prévoyant que la convocation de session extraordinaire sera ‘’de plein droit’’ lorsqu’elle aura été demandée par la majorité des députés.
- Le précédent gaullien sera entériné par M. Valéry Giscard D’Estaing. Par une lettre datée du 8 mars 1979, accompagnée de 315 de députés et d’un ordre du jour détaillé en deux propositions de résolutions relatives au chômage et aux conditions de l’information, le Président de l’Assemblée transmet au Président de la République une demande de convocation d’une session extraordinaire. Par une lettre du 12 mars, le Président D’Estaing accepte de convoquer cette session mais en des termes laissant à entendre qu’il y défère non pas parce qu’il y est obligé mais par ce qu’il y consent. Pour bien marquer son pouvoir discrétionnaire, il entoure son consentement de deux réserves : l’une relative au moment choisi pour la session (pendant la campagne des élections cantonales), l’autre, à l’appui de laquelle il cite le précédent gaullien et s’en réclame, est relative au processus de la demande « déclenché à l’initiative d’un parti politique ». Cet argument était d’ailleurs excessif : De Gaulle avait mis en cause le rôle du groupement paysan au motif que celui-ci était « dépourvu de toute qualification et de toute responsabilité politique », alors que les partis politiques ont, eux, un rôle prévu par l’article 4 de la Constitution. C’est en raison de cette différence que M. D’Estaing a donné son consentement tout en laissant entendre qu’une circonstance plus grave aurait justifié une décision contraire.
- A son tour, François Mitterrand a consolidé et élargi ce pouvoir. En décembre 1987, Jacques Chirac, Premier Ministre en cohabitation et donc véritable leader de la majorité parlementaire, déclara son intention de convoquer le Parlement pour une session extraordinaire. La réponse de M. Mitterrand fut immédiate. Il refuse la convocation du Parlement et indique que les pouvoirs de décider de la convocation d'une session extraordinaire et d'en fixer l'ordre du jour "relèvent de la seule responsabilité et de la seule appréciation du président de la République". Pour lui, le Gouvernement "ne peut (…) ni décider de la convocation d'une session extraordinaire, ni en fixer l'ordre du jour" (communiqué de l'Elysée du 17 décembre 1987).
- Durant la seconde cohabitation, le Président Mitterrand a démontré que s’il avait le pouvoir de refuser une demande de session extraordinaire, il avait, a fortiori, le pouvoir de ne l’accepter que sur un ordre du jour qui lui conviendrait. En juillet 1993, il refusa d’inscrire à l’ordre du jour d’une session extraordinaire demandée par le Premier Ministre une proposition de loi modifiant la loi Falloux concernant l’aide des collectivités locales à l’enseignement privé. Sa conception du pouvoir discrétionnaire du Président est claire : si le gouvernement demande une session extraordinaire « il se retourne vers le Président de la République ; il dit oui ou il dit non, ensuite on me soumet (l’ordre du jour), c’est moi qui signe, (…) alors je retire les projets qui me paraissent devoir être retirés de l’ordre du jour » (entretien radiotélévisé du 14 juillet 1993).
C’est ici qu’intervient le ‘’précédent Giscard D’Estaing’’ cité par la « consultation contradictoire » de nos députés. M. d’Estaing publia, alors, un article dans lequel il s’interroge sur la régularité de ce qui lui paraissait « constituer un glissement constitutionnel préoccupant : le refus du Président de la République d’accepter l’inscription à l’ordre du jour de la session extraordinaire, tel qu’il avait été proposé par le Premier Ministre de la proposition de loi modifiant la loi Falloux ». Son objection portait sur la maîtrise de l’ordre du jour parlementaire et, donc, sur la distribution des pouvoirs entre le gouvernement et le Président de la République. Il ne remet pas en question la compétence du Président pour refuser une session extraordinaire : « le Président de la République avait le droit de refuser d’ouvrir la session extraordinaire du Parlement (…) mais il n’avait pas celui d’intervenir dans son ordre du jour » (V.G. D’Estaing, ‘’Un glissement constitutionnel’’, Le Monde du 8 juillet 1993, p. 6). Du reste, même sur ce point, M. D’Estaing a été démenti par le Premier ministre Balladur qui, dès le lendemain, déclara à la presse que la modification l’ordre du jour de la session extraordinaire « (était) dans les pouvoirs du Président de la République ».
3- L’attribution d’un pouvoir discrétionnaire au Président de la République pour convoquer une session extraordinaire est conforme à l’esprit et à la logique générale de la Constitution de 1958. Il faut, rappeler que cette Constitution est intervenue en réaction à celle de 1946 qui reconnaissait, de facto, la session parlementaire permanente. Or, celle-ci avait donné dans le travers du gouvernement d’assemblée conduisant à l’instabilité politique (en 12 ans, le pays a connu 22 gouvernements !). Pour empêcher tout retour au gouvernement d’assemblée, la Constitution de 1958 a fait du Président de la République la pièce maîtresse de l’édifice constitutionnelle d’une part, et a diminué le rôle et les pouvoirs du Parlement d’autre part, notamment en limitant ses sessions. Elle instaura le système de deux sessions ordinaires (article 28, version initiale), l’une en octobre, consacrée au budget, l’autre en avril consacrée au vote des projets de lois que le gouvernement aura préparé. Les sessions extraordinaires introduites pour tempérer la rigidité du nouveau système, étaient destinées à être demandées essentiellement par le gouvernement. Même si constitutionnellement les députés pouvaient la demander, la condition de réunir les signatures d’une majorité d’entre eux était une condition prohibitive à un temps où l’absence de majorité était la principale caractéristique du Parlement. Aux sessions ordinaires et extraordinaires s’ajoutaient naturellement les sessions de plein droit (prévues par exemple au lendemain d’élections législatives consécutives à une dissolution, pendant le recours aux pouvoirs exceptionnels par le Président de l’article 16, pour permettre le respect des délais nécessaires à la mise en œuvre de la responsabilité du gouvernement etc.)
Il était donc dans l’esprit et la logique même de la Constitution de 1958 de diminuer le rôle du Parlement et de soumettre ses sessions extraordinaire à l’appréciation du Président auquel elle accorde un statut prédominant. Les excès de la limitation des sessions se sont traduits par la détérioration de la qualité du travail parlementaire. Et c’est pour cette raison que les parlementaires français n’ont eu de cesse, depuis 1958, d’exiger, en vain, un assouplissement du régime des sessions.
4- Ce n’est qu’en 1995 que cette revendication a été satisfaite avec l’instauration de la session ordinaire unique d’une durée de 9 mois (d’octobre à juin). Cette réforme n’a été acceptable pour l’exécutif qu’à al lumière du fait majoritaire garant de la stabilité politique dont l’absence avait justifié la diminution de l’institution parlementaire. En même temps, sans annihiler l’intérêt des sessions extraordinaires, cette réforme a évacué l’intérêt du débat sur la demande de leur convocation : D’une part, le gouvernement étant désormais systématiquement issu d’une majorité parlementaire, la concurrence entre législatif et exécutif n’est plus d’actualité. D’autre part, la présidentialisation continue du régime a vidé de son objet la controverse, surgie en 1993, sur la portée du pouvoir présidentiel en la matière.
II- En Mauritanie, la convocation d’une session extraordinaire du Parlement est un pouvoir discrétionnaire du Président de la République selon la lettre constitutionnelle et la pratique constante des institutions
Ce pouvoir résulte de la lettre sans équivoque de l’article 53 de notre Constitution (1) et est étayé par une pratique constante depuis 1992 (2). Cette pratique fut, paradoxalement, reprise et élargie par la législature actuelle (3) qui a, par ailleurs, rejeté toute réhabilitation de l’institution parlementaire (4). S’il appartient au Président de la République d’apprécier l’opportunité de la demande de session extraordinaire actuellement soumise, cette appréciation devrait tenir compte des enjeux institutionnels (5).
1- La rédaction de l’article 53 de la Constitution mauritanienne est radicalement différente de celle des articles 29 et 30 de la Constitution française et ce, aussi bien en ce qui concerne les acteurs de la procédure, qu’en ce qui concerne le caractère normatif de la règle énoncée. Alors que le texte français attribue l’initiative de la demande de session extraordinaire à la majorité des députés et au Premier Ministre, l’article 53 de notre Constitution l’attribue à la majorité des députés et au Président de la République, ce qui n’est pas sans conséquence. Ensuite, et c’est là la différence décisive, alors que l’article 29 de la Constitution française dispose « le Parlement est réuni en session extraordinaire (…) », l’article 53 de notre Constitution, lui, dispose : « le Parlement peut être réuni ». La différence est de taille et elle n’est pas fortuite. Le choix du verbe est primordial car « la souveraineté du législateur est dans le verbe » disait Gérard Cornu. Or, il ressort clairement de l’usage du verbe ‘’pouvoir’’ qu’il s’agit là d’une faculté, d’une option dont l’appréciation est laissée à l’autorité chargée d’accomplir l’acte nécessaire à sa réalisation. La règle en la matière est simple : Un texte normatif énonce deux catégories de dispositions, les unes impératives, les autres potestatives ou supplétives. Les règles impératives sont, seules, contraignantes ou obligatoires. Dans les textes juridiques de langue française, elles sont repérables à l’usage de l’indicatif présent. Les règles potestatives ou supplétives, elles, sont attributives de choix, de liberté ou de faculté. Elles sont repérables à l’usage du verbe…’’pouvoir’’. Leur finalité première est, justement, de conférer un pouvoir discrétionnaire à l’autorité concernée. Cette interprétation est corroborée par le fait que l’article 33 de notre Constitution ne soumet pas le décret de convocation au contreseing, contrairement à ce qui résulte de l’article 19 de la Constitution française. La lettre de l’article 53 confère, donc, au Président de la République un pouvoir discrétionnaire total pour convoquer, ou non, une session extraordinaire demandée par la majorité des députés.
2- Certes, il n’existe pas, en Mauritanie, de précédent d’une session extraordinaire demandée par les députés. Mais la pratique de nos institutions a tendu, depuis 1992, à attribuer au Président de la République un large pouvoir en matière de convocation des sessions parlementaires. En effet, l’article 52 de notre Constitution dispose « Le Parlement se réunit de plein droit en deux (2) sessions ordinaires (…) ». Cela devrait signifier, logiquement, que ces sessions ont lieu automatiquement aux dates précisées dans le texte sans qu’il y ait besoin d’une convocation quelconque. Or, depuis 1992, un ‘’usage’’ a voulu que toutes les sessions ordinaires du Parlement soient convoquées par un décret du Président de la République. Si l’on établit un parallèle avec ‘’la pratique française’’, on peut constater que, sur la base d’une rédaction similaire « le Parlement se réunit de plein droit en une session ordinaire (…) » (article 28), le Parlement français n’a jamais eu besoin d’une convocation quelconque pour ses sessions ordinaires. La pratique mauritanienne confère donc au résident de la République un pouvoir large en matière de convocation des sessions parlementaires même quand celles-ci devraient avoir lieu ‘’de plein droit’’.
3- Paradoxalement, il a fallu attendre la législature actuelle pour voir cet usage hissé au rang de la supra-constitutionalité ! En effet, l’article 29 de notre Constitution dispose que le Président nouvellement élu doit prêter serment « en présence du bureau du Sénat ». Les sénateurs actuels, bien qu’élus plusieurs mois avant le Président, se sont bien abstenus de se réunir ne serait-ce que pour élire ce bureau dont la présence est nécessaire à l’investiture du Président. Ils s’en sont abstenus avec le raisonnement suivant : pour élire son bureau, le Sénat doit tenir une session mais pour que celle-ci ait lieu elle doit être nécessairement convoquée par le Président de la République. Or, l’on a considéré que le Président du CMJD n’était pas compétent pour convoquer les nouvelles institutions et que le Président élu n’étant pas encore entré en fonction, ne pouvait y procéder et l’on a conclu que le bureau du Sénat ne pouvait donc être élu ! Pourtant, une simple lecture de la Constitution aurait justifié la tenue d’une session parlementaire de plein droit pour la bonne et simple raison que son inexistence était incompatible avec un fonctionnement normal et démocratique des institutions. Et il n’était pas besoin d’en chercher la base constitutionnelle ailleurs que dans l’article 29 qui se suffit à lui-même. Quant à l’Assemblée Nationale, élue six mois avant le nouveau Président, elle a attendu sagement l’investiture de ce dernier pour tenir une session convoquée par lui. Pourtant, l’article 31 est explicite : « L'Assemblée Nationale se réunit de plein droit quinze (15) jours après son élection » ! Les parlementaires actuels ont donc conforté le pouvoir de convocation du Président de la République et l’ont élargi en une mesure, par ailleurs, contestable.
4- Ces parlementaires n’ont pas entériné la dévalorisation du rôle et des pouvoirs parlementaires par leurs seuls agissements passifs, en s’empêchant de réunir quand cela était ‘’exigée’’ par la Constitution. Ils l’ont fait, également d’une manière active : Alors que les parlementaires français ont dû lutter pendant quarante ans pour obtenir la suppression du régime des deux sessions ordinaires et l’instauration d’une session unique, cette réforme, véritable réhabilitation du Parlement, a été servie sur un plateau d’or à nos parlementaires et ils l’ont…rejetée ! En effet, constatant que les deux sessions ordinaires ne permettaient au Parlement de siéger que quatre mois durant toute l’année, période très courte, le Président de la République avait pris l’initiative d’un projet de loi constitutionnelle mettant en place une session unique d’une durée de 8 mois (Communiqué du Conseil des Ministres du 16 janvier 2008). Le 24 Janvier, il promulgua un décret présidentiel convoquant le Parlement à une session extraordinaire pour examiner cette réforme. Les parlementaires ont refusé et ce fut, non pas pour des raisons ‘’institutionnelles’’, mais pour des considérations liées à leurs carrières personnelles. Ainsi ont-il exigé que cette réforme supprima la règle du renouvellement partiel du Sénat et augmenta la durée de son mandat ! Ce faisant, ils ont fait perpétuer la dévalorisation de l’institution parlementaire en s’opposant aux réformes qui tendaient à la réhabiliter.
5- Le pouvoir de convocation de session extraordinaire étant à la discrétion du Président selon la lettre de notre Constitution et la pratique de nos institutions, il lui appartient d’apprécier l’opportunité d’une session extraordinaire du Parlement dans le contexte actuel. L’ordre du jour proposé par les députés ne relève pas de l’urgence et ne nécessite, donc, pas la convocation d’une telle session. Ainsi l’élection des membres de la Haute Cour de Justice n’est pas un acte important de la vie parlementaire et n’a rien à voir avec « la mise en place des institutions constitutionnelles » au sens utilisé par les députés. Il s’agit d’une simple formalité prévue « après chaque renouvellement général ou partiel » du Parlement selon l’article 92 de la Constitution. Cette élection n’est pas urgente par cela même que les parlementaires n’y ont pas procédé lors de leur dernière session. Quand ils se plaignent d’avoir siégé pendant 60 jours sans qu’aucun projet de loi ne leur soit soumis, ils sont malvenus de découvrir, maintenant, qu’ils n’ont pas accompli cette formalité élémentaire. La même chose s’applique à l’adoption du Règlement de l’Assemblée qui n’a aucun caractère d’urgence. Les autres points de l’ordre du jour relevant de la fonction de contrôle ne sont pas urgents non plus et soulèvent deux remarques : D’une part, puisque durant l’intersession, la seule forme du travail parlementaire qui est suspendue est la séance plénière, le contrôle parlementaire peut continuer à s’exercer par le moyen des questions écrites ainsi que par les missions et commissions permanentes qui peuvent toujours se réunir. Ces organes ont là l’occasion de préparer la création des missions spéciales d’enquêtes lors de la session prochaine, si ils y tiennent. D’autre part, les actes de contrôle proposés actuellement -la création d’une commission d’enquête sur la fondation de l’épouse du Président, une autre sur la gestion du Sénat etc.- visent à déstabiliser le Président et s’inscrivent dans le cadre de règlements de comptes politiciens qui ne doivent pas déborder sur le fonctionnement régulier des institutions constitutionnelles.
Aussi, fort de son pouvoir exclusif et discrétionnaire, le Président de la République a toute latitude de refuser la demande de cette session s’il la juge inopportune. Ce faisant il ne ferait qu’assumer son rôle de gardien de la Constitution et d’arbitre du fonctionnement continu et régulier des pouvoirs publics. Il peut naturellement déférer à cette demande en tout ou en partie, en exigeant par exemple la modification de l’ordre du jour proposé. Mais cette dernière attitude comporte deux risques : d’une part, il exposera le gouvernement à une motion de censure certaine dans le contexte actuel. La motion de censure n’a pas besoin de figurer sur l’ordre du jour d’une session extraordinaire pour y être votée. C’est ce qui ressort de l’article 76 de la Constitution: « La clôture des sessions ordinaires ou extraordinaires est de droit retardée pour permettre, le cas échéant, l'application des dispositions de l'article 75 » relatif à…la motion de censure. D’autre part, si celle-ci conduit à la nomination d’un Premier Ministre hostile au Président, rien ne garantit que ce Premier Ministre n’utilisera pas le pouvoir que lui confère l’article 41 de la Constitution, à savoir, demander au Conseil Constitutionnel de constater la vacance du pouvoir ou l’empêchement du Président de la République. Ce pouvoir de saisine appartient à trois autorités : le Président de la République, le Président de l’Assemblée Nationale dont on peut penser qu’il ne l’utilisera pas, et enfin, le Premier Ministre.
Omar Ould Dedde Ould Hamady
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Ce texte devait être publié le matin du 6 août. L’intervention du coup d’état en a retardé la parution. Au moment où certains députés tiennent une ‘’session extraordinaire’’ convoquée par un pouvoir de fait, l’argumentaire développé dans cet article est maintenu sans réserve et sans modification. Nous reviendrons plus tard sur le statut légal de l’instance militaire et de la valeur de ses actes. O.D.H.