![Interview de Kaaw Touré -Porte-parole des Forces de Libération Africaines de Mauritanie (FLAM) à SOS Abbere. Interview de Kaaw Touré -Porte-parole des Forces de Libération Africaines de Mauritanie (FLAM) à SOS Abbere.](https://www.avomm.com/photo/art/default/1307162-1719203.jpg?v=1289453100)
SOS Abbere : FLAM existe depuis 1983, à travers quels pays êtes vous représentés et comment vous êtes vous organisés tout au long de ses années ?
Kaaw Touré: Les Flam existent, effectivement, depuis le 14 mars 1983 et nous venons de célébrer justement notre 26ème anniversaire dans nos différentes répresentations qui sont éparpillées sur 4 coins continents : en Europe de l´Ouest et du Nord, aux Etats-unis d´Amérique et Canada, en Afrique de l'Ouest, du Centre et du Sud et aussi en Asie. Nos structures épousent les réalités du terrain et s'activent dans la sensibilisation et la mobilisation de nos compatriotes et des opinions internationales sous la supervision et le contrôle d'une direction nationale. Il nous a fallu beaucoup de détermination et une foi inébranlable en la justesse de notre combat pour parvenir à résister pendant si longtemps aux défis de l'exil et aux assauts et manoeuvres du pouvoir.
SOS Abbere : Au regard du « Manifeste du négro-africain opprimé » rédigé en 1986, comment qualifieriez vous les rapports entre population Arabo-Berbère et population négro-mauritanienne, de nos jours en Mauritanie ?
K.T : Il s´agit bien du « Manifeste du négro-mauritanien opprimé » et non "du manifeste du négro-africain" opprimé et qui affirmait essentiellement trois choses :
1- Il y a un problème de coexistence entre les communautés Arabe et négro-mauritanienne. Ce problème, disions-nous, ne résultait pas d´un antagonisme naturel latent ou spontané, mais plutôt d´un système politique visant à diviser le peuple en exacerbant les préjugés inter-ethniques. Une politique volontairement et exclusivement panarabiste, privilégiant la communauté beydane à tous les points de vue au détriment de la communauté négro-mauritanienne.
2- Nous attirions l´attention du régime sur l´urgence qu´il y avait à reconnaitre et à prendre en charge ce problème pour juguler tout risque de confrontation que pourrait entrainer sa persistance.
3- Enfin, nous préconisions dans la 3ème partie du « Manifeste » un vaste débat national où tous les Mauritaniens s´asseyeraient autour d´une table afin de résoudre par eux-mêmes, par le dialogue et la concertation, l´ensemble de ces problèmes.
Ceci pour expliquer que le « Manifeste » stigmatisait, non pas les populations arabo-berbères, contrairement à l'amalgame créé et entretenu par le régime de O/ Taya et sa base arabiste et ouvertement raciste à dessein de nous diaboliser, mais plutôt des politiques d'un système exclusiviste. Il dénonçait donc le caractère nocif, et impropre à construire une nation unie dans sa diversité. A cause de ces désastreuses politiques justement, on constate pour repondre précisement à votre question, qu’aujourd’hui les rapports entre ces populations restent marqués par la méfiance, la suspicion et le ressentiment au lieu de la solidarité et de la fraternité qui auraient dû fonder notre coexistence. Je ne vous apprends rien en vous disant que ces apports ont été davantage altérés par les purges éthniques des années 86-91.
SOS Abbere : A l’époque des événements de 1989, on vous a qualifiés de mouvement chauviniste et extrémiste, qu’en est-il aujourd’hui ?
K.T: Mais qui nous qualifiait de chauvins ou d´extrémistes ? C´est le régime de Taya et ses affidés et alliés. Par stratégie, pour éloigner les populations de notre Organisation. Les populations qui vivent la réalité de l'exclusion, de la déportation et de l'esclavage que nous dénonçons, elles, savent ce que nous sommes réellement. D'ailleurs, ceux qui nous accusaient, hier, d´extrémisme reprennent allègrement aujourd'hui notre discours et nos propositions de solutions sur la question nationale et sur le passif humanitaire.
Des forces progressistes commencent à mieux nous comprendre, à mieux nous juger pour avoir compris le sens de notre discours et de notre combat qui est celui pour l’égalité et la justice, dans une autre Mauritanie multiculturelle, démocratique, reconstruite sur les valeurs de fraternité, de respect et de tolérance. Saviez-vous que le Président Nelson Mandela prix nobel de la paix, était considéré par le régime d´apartheid de terroriste et d´extrémiste ? C´est pour vous dire que cette accusation nous laisse de marbre quand elle vient des tenants du système de répression et d´oppression. Nous sommes des patriotes et des combattants de la liberté et seul l´interêt national nous préoccupe.
SOS Abbere : Pensez-vous que la loi contre l’esclavage ratifiée sous la présidence de Sidi Ould Cheikh Abdallahi a eu des effets positifs sur ce problème sévissant en Mauritanie ?
K. T: Cette nouvelle loi qui criminalise l´esclavage en Mauritanie est une révolution qui a été saluée par tous les militants abolitionnistes mais il ne suffit pas de décreter une loi pour faire disparaitre cette pratique et une certaine culture fondée sur le complexe de supériorité. Des mesures concrètes d´épanouissement et une campagne d´explication doivent accompagner cette nouvelle politique pour combattre à jamais l´esclavage et ses séquelles dans notre société et dans nos mentalités féodales.
Cette loi, n’a pas encore supprimé l’esclavage, mais elle a eu le mérite de créer une sorte de déclic psychologique chez les principaux concernés eux-mêmes, c´est à dire la frange haratine.
SOS Abbere : Qu’en est il actuellement du retour des réfugiés au Mali et au Sénégal en Mauritanie ?
K.T : Le retour organisé des réfugiés a été entamé après le discours historique des 29 juins 2007 du Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi qui, pour la première fois, reconnaissait la responsabilité de l´Etat dans le passif humanitaire et s´engageait à résoudre cet épineux problème comme celui des déportés. Vous avez suivi avec nous cette levée de boucliers et la résistance de certains cercles politiques hostiles au retour des déportés et du réglement du passif humanitaire. C´est ce qui explique d´ailleurs les limites et les insuffisances des premiers retours organisés des déportés. Il y a eu certes des retours même après le putsch mais les rapatriés végétent toujours dans les mêmes problèmes d´insertion et de rétablissement dans leurs droits : terres de culture, indemnisations, écoles, santé, eau, pièces d´état civil...etc.. C´est cette situation précaire des rapatriés qui explique en grande partie la réticence actuelle des déportés restés dans les camps à reprendre le chemin du retour parce qu´un homme averti en vaut deux ; ensuite les sanctions internationales qui se profilent à l´horizon n´incitent pas à l´aventure.
SOS Abbere : Il ya peu de temps, les FLAM se sont scindées en deux parties, FLAM rénovées et FLAM radicales, cette division est-elle une stratégie d’un côté, pour garder les avantages tirés par les accords passés avec l’ex gouvernement, et de l’autre rester en accord avec vous-même et conserver un caractère avant tout radical ?
K.T : Cette question n´est plus d´actualité parce qu´on a fermé cette paranthèse et ouvert une nouvelle page, d´ailleurs les « ex-rénovés » n´existent plus et se sont sabordés dans un nouveau parti. Il n´existe que les FLAM. Notre organisation reste plus que jamais revigorée et combattive, plus soudée, plus disciplinée et plus homogéne. C´est le plus grand acquis de l'épisode auquel vous faites allusion.
SOS Abbere : Le discours du chef de la junte sur « le passé humanitaire » à Kaédi a suscité de vives réactions chez les FLAM, pouvez-vous nous expliquer votre prise de position radicale au regard de ce discours ?
K.T : Nous avons réitéré là une position de principe constante chez nous. Il n’y a rien de radical dans cette prise de position, ni dans aucune autre de nos positions en général. Cette position se trouve exprimée dans le Mémorandum que nous avons publié en mars 2000 alors que Taya était encore au pouvoir. Rien de nouveau dans le discours du général sauf qu´en bon militaire il a voulu "clore" le contentieux sans les principaux concernés et surtout ceux qui ont été les principales victimes de cette répression qui a commencé en septembre 1986 après la publication du Manifeste des FLAM. Nous avons subi dans notre chair et dans notre âme ces moments de douleur et certains d´entre nous continuent de souffrir de cette répression, des familles se sont trouvées eclatées, des coeurs et corps meurtris, des blessures profondes et des handicaps que rien ne guérira, surtout pas quelques promesses de subsides dédaigneusement consentis par un putschiste en mal de reconnaissance! Personne ne peut décreter la réconciliation sans que les protagonistes ne se soient parler, sans que la vérité ait été révélée. Où étaient ces fameux oulémas lorsqu´on nous tuait à petit feu et torturait dans les geôles de Taya ? Où étaient-ils lorsqu´on nous déportait à nu ? Où étaient-ils lorsqu´on massacrait des musulmans en plein mois béni du ramadan ? Où étaient-ils quand on manifestait dans les colloques internationaux pour dénoncer cette barbarie ? Comment prier sur les morts sans leurs corps? Qui les a tués, pourquoi ils l'ont été ? Pourquoi pardonner et qui pardonner ? Ce sont des questions qui méritent de réponses et non une fuite en avant. Il y a certaines images frappantes et qui contrastent avec une cérémonie d´hommage aux martyrs. Comment nous faire croire qu´ils ont du respect pour nos morts en mettant en avant ce maire ancien soutien et applaudisseur de Taya ? Quid de ce garde des sceaux de la junte qui hier seulement était le porteur de valises et avocat du despote mal éclairé et qui niait avec arrogance les déportations et les massacres de sa propre communauté ? Pour nous, c´est une insulte parce que ce sont les mêmes nègres de service qui cherchaient à blanchir Taya à Banjul, Dakar, Durban, Alger, Bruxelles, Paris et Généve. Je trouve certains propos des soutiens de la junte cyniques et inacceptables. Quand certains nous accusent de faire du fond de commerce avec le dossier du passif humanitaire parce que refusons d’embarquer dans ce train militaire à destination inconnue. Nous ne faisons pas de la politique politicienne et nous ne parlons au nom de personne mais en nos noms, nous défendons nos droits parce que nous sommes les premières victimes de cette répression, avons subi des tortures, des viols, toutes formes d´exactions. On n´a rien oublié. Pour cette question du passif, pour le régler, nous le disons encore une fois qu'il faut trouver un équilibre entre le refus de l'impunité, les exigences de vérité et de réparations et au bout, la nécessité du pardon. C'est le bon sens qui le veut et c'est la garantie de paix durable.
SOS Abbere : Aujourd’hui, dans les rues de Nouakchott, nous avons une réelle impression que les populations Arabo-berbères et les populations négro-africaines cohabitent en toute simplicité et en parfaite harmonie. Pensez-vous que c’est une illusion ou que la Mauritanie est désormais prête pour la réconciliation ?
K.T : Vous parlez bien d´impression et vous savez que les apparences sont parfois trompeuses. C’est une image trompeuse qui égare bien des observateurs; la Mauritanie est un pays complexe, secret, un volcan endormi, qui couve une crise interne découlant des relations d’équilibre intercommunautaire, aujourd’hui rompues.Vous savez plus que nous que malgré cette impression de bonne cohabitation, il y a une forte méfiance entre nos composantes nationales depuis ces déportations et massacres pendant les années de braise. Les Mauritaniens peuvent toujours se réconcilier s´il y a une volonté réelle de nos pouvoirs publics. Parce que nous avons beaucoup en commun, un Beydane ou arabo-mauritanien n´est pas comme l´arabe du Maghreb ou du Moyen –Orient comme le Négro-mauritanien est différent de l´africain de l´Afrique centrale ou australe. Nous sommes un peuple metissé avec une réligion commune résultant de brassages multiformes. Nous disions dans notre Manifeste de 1986 il faut que nous traduisons dans la réalité nos appels à l´unité nationale. C´est tout le sens de notre combat et de notre appel.
SOS Abbere : Pensez vous qu’un partage du pouvoir entre les communautés mauritaniennes puisse fournir une solution afin de régler définitivement les problèmes de racisme et de discrimination ?
K.T : Tout à fait. Aujourd’hui le passif humanitaire défraie la chronique. On parle du réglement de ce dossier comme étant « la » solution pour la réconciliation nationale. Mais en fait ce passif ne fut pas la source des problèmes; il ne fut pas la cause mais l’effet !
La vraie cause des problèmes, recurrents depuis 1960, réside dans l’accaparement de la réalité du pouvoir politique par une seule communauté, la communauté arabo -berbère, qui se traduit par le déni total de citoyenneté du Négro -mauritanien.
Si donc on procedait à la redistribution ou au partage équitable de ce pouvoir politique il est certains que les tensions cycliques vécues par le pays disparaitraient, définitivement. La réconciliation nationale tant souhaitée par tous ne peut être obtenue de manière durable et viable que par le partage équitable du pouvoir politique. Nous en sommes convaincus.
La Mauritanie est un pays multiculturel et bi-racial et nous devons tenir compte de cette diversité dans l'exercice du pouvoir pour que chaque mauritanien puisse se reconnaitre dans l´Etat mauritanien.
SOS Abbere : Pouvez-vous établir un bilan sommaire concernant vos actions tout au long de ces années portant sur la situation des déportés, des exilés, des refugiés politiques et des persécutés ?
K.T : Il est peut être un peu tôt de se livrer à un bilan alors que l’histoire de notre mouvement est encore entrain de s’écrire. Mais d’ores et déjâ nous pouvons, sans prétention aucune, mettre à l’actif des Flam et des organisations de l’extérieur, entre autres, la médiatisation, voire l’internationalisation de la question négro- africaine et de l’esclavage en Mauritanie.
Nous pouvons nous targuer d’avoir secoué la diaspora de sa torpeur, reveillé son intérêt face à la problématique interne. Nous pouvons également affirmer, sans risque d’être démentis, avoir contribué à créer, à tout le moins developpé et renforcé la conscience politique chez les Négro- africains, les Haratines, et les Déportés chez lesquels nous avons, par ailleurs, réussi à maintenir intacte la tension du retour qui aujourd’hui se réalise. Si la question des déportés est restée vivante au devant de l'actualité, 22 ans durant, c'est encore grâce à nous. Par ailleurs, on oublie souvent que c'est parce que acculé par notre détermination et par la mobilisation de l'opinion internationale acquise à notre combat que O/ Taya renonça à sa campagne d'extermination des Négro-mauritaniens et concéda "l'ouverture politique " de 1992.
Mais par-dessus tout, nous sommes parvenus à relever un défi majeur: survivre dans la dispersion et dans des conditions d’exil impitoyables où tout était contre nous et réussir à demeurer cette conscience incorruptible qui trouble la quiètude des racistes et des tyrans et par là même gène la mise en oeuvre de leurs basses oeuvres. Et la lutte continue.
Merci à Monsieur, Kaaw Touré
Kaaw Touré: Les Flam existent, effectivement, depuis le 14 mars 1983 et nous venons de célébrer justement notre 26ème anniversaire dans nos différentes répresentations qui sont éparpillées sur 4 coins continents : en Europe de l´Ouest et du Nord, aux Etats-unis d´Amérique et Canada, en Afrique de l'Ouest, du Centre et du Sud et aussi en Asie. Nos structures épousent les réalités du terrain et s'activent dans la sensibilisation et la mobilisation de nos compatriotes et des opinions internationales sous la supervision et le contrôle d'une direction nationale. Il nous a fallu beaucoup de détermination et une foi inébranlable en la justesse de notre combat pour parvenir à résister pendant si longtemps aux défis de l'exil et aux assauts et manoeuvres du pouvoir.
SOS Abbere : Au regard du « Manifeste du négro-africain opprimé » rédigé en 1986, comment qualifieriez vous les rapports entre population Arabo-Berbère et population négro-mauritanienne, de nos jours en Mauritanie ?
K.T : Il s´agit bien du « Manifeste du négro-mauritanien opprimé » et non "du manifeste du négro-africain" opprimé et qui affirmait essentiellement trois choses :
1- Il y a un problème de coexistence entre les communautés Arabe et négro-mauritanienne. Ce problème, disions-nous, ne résultait pas d´un antagonisme naturel latent ou spontané, mais plutôt d´un système politique visant à diviser le peuple en exacerbant les préjugés inter-ethniques. Une politique volontairement et exclusivement panarabiste, privilégiant la communauté beydane à tous les points de vue au détriment de la communauté négro-mauritanienne.
2- Nous attirions l´attention du régime sur l´urgence qu´il y avait à reconnaitre et à prendre en charge ce problème pour juguler tout risque de confrontation que pourrait entrainer sa persistance.
3- Enfin, nous préconisions dans la 3ème partie du « Manifeste » un vaste débat national où tous les Mauritaniens s´asseyeraient autour d´une table afin de résoudre par eux-mêmes, par le dialogue et la concertation, l´ensemble de ces problèmes.
Ceci pour expliquer que le « Manifeste » stigmatisait, non pas les populations arabo-berbères, contrairement à l'amalgame créé et entretenu par le régime de O/ Taya et sa base arabiste et ouvertement raciste à dessein de nous diaboliser, mais plutôt des politiques d'un système exclusiviste. Il dénonçait donc le caractère nocif, et impropre à construire une nation unie dans sa diversité. A cause de ces désastreuses politiques justement, on constate pour repondre précisement à votre question, qu’aujourd’hui les rapports entre ces populations restent marqués par la méfiance, la suspicion et le ressentiment au lieu de la solidarité et de la fraternité qui auraient dû fonder notre coexistence. Je ne vous apprends rien en vous disant que ces apports ont été davantage altérés par les purges éthniques des années 86-91.
SOS Abbere : A l’époque des événements de 1989, on vous a qualifiés de mouvement chauviniste et extrémiste, qu’en est-il aujourd’hui ?
K.T: Mais qui nous qualifiait de chauvins ou d´extrémistes ? C´est le régime de Taya et ses affidés et alliés. Par stratégie, pour éloigner les populations de notre Organisation. Les populations qui vivent la réalité de l'exclusion, de la déportation et de l'esclavage que nous dénonçons, elles, savent ce que nous sommes réellement. D'ailleurs, ceux qui nous accusaient, hier, d´extrémisme reprennent allègrement aujourd'hui notre discours et nos propositions de solutions sur la question nationale et sur le passif humanitaire.
Des forces progressistes commencent à mieux nous comprendre, à mieux nous juger pour avoir compris le sens de notre discours et de notre combat qui est celui pour l’égalité et la justice, dans une autre Mauritanie multiculturelle, démocratique, reconstruite sur les valeurs de fraternité, de respect et de tolérance. Saviez-vous que le Président Nelson Mandela prix nobel de la paix, était considéré par le régime d´apartheid de terroriste et d´extrémiste ? C´est pour vous dire que cette accusation nous laisse de marbre quand elle vient des tenants du système de répression et d´oppression. Nous sommes des patriotes et des combattants de la liberté et seul l´interêt national nous préoccupe.
SOS Abbere : Pensez-vous que la loi contre l’esclavage ratifiée sous la présidence de Sidi Ould Cheikh Abdallahi a eu des effets positifs sur ce problème sévissant en Mauritanie ?
K. T: Cette nouvelle loi qui criminalise l´esclavage en Mauritanie est une révolution qui a été saluée par tous les militants abolitionnistes mais il ne suffit pas de décreter une loi pour faire disparaitre cette pratique et une certaine culture fondée sur le complexe de supériorité. Des mesures concrètes d´épanouissement et une campagne d´explication doivent accompagner cette nouvelle politique pour combattre à jamais l´esclavage et ses séquelles dans notre société et dans nos mentalités féodales.
Cette loi, n’a pas encore supprimé l’esclavage, mais elle a eu le mérite de créer une sorte de déclic psychologique chez les principaux concernés eux-mêmes, c´est à dire la frange haratine.
SOS Abbere : Qu’en est il actuellement du retour des réfugiés au Mali et au Sénégal en Mauritanie ?
K.T : Le retour organisé des réfugiés a été entamé après le discours historique des 29 juins 2007 du Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi qui, pour la première fois, reconnaissait la responsabilité de l´Etat dans le passif humanitaire et s´engageait à résoudre cet épineux problème comme celui des déportés. Vous avez suivi avec nous cette levée de boucliers et la résistance de certains cercles politiques hostiles au retour des déportés et du réglement du passif humanitaire. C´est ce qui explique d´ailleurs les limites et les insuffisances des premiers retours organisés des déportés. Il y a eu certes des retours même après le putsch mais les rapatriés végétent toujours dans les mêmes problèmes d´insertion et de rétablissement dans leurs droits : terres de culture, indemnisations, écoles, santé, eau, pièces d´état civil...etc.. C´est cette situation précaire des rapatriés qui explique en grande partie la réticence actuelle des déportés restés dans les camps à reprendre le chemin du retour parce qu´un homme averti en vaut deux ; ensuite les sanctions internationales qui se profilent à l´horizon n´incitent pas à l´aventure.
SOS Abbere : Il ya peu de temps, les FLAM se sont scindées en deux parties, FLAM rénovées et FLAM radicales, cette division est-elle une stratégie d’un côté, pour garder les avantages tirés par les accords passés avec l’ex gouvernement, et de l’autre rester en accord avec vous-même et conserver un caractère avant tout radical ?
K.T : Cette question n´est plus d´actualité parce qu´on a fermé cette paranthèse et ouvert une nouvelle page, d´ailleurs les « ex-rénovés » n´existent plus et se sont sabordés dans un nouveau parti. Il n´existe que les FLAM. Notre organisation reste plus que jamais revigorée et combattive, plus soudée, plus disciplinée et plus homogéne. C´est le plus grand acquis de l'épisode auquel vous faites allusion.
SOS Abbere : Le discours du chef de la junte sur « le passé humanitaire » à Kaédi a suscité de vives réactions chez les FLAM, pouvez-vous nous expliquer votre prise de position radicale au regard de ce discours ?
K.T : Nous avons réitéré là une position de principe constante chez nous. Il n’y a rien de radical dans cette prise de position, ni dans aucune autre de nos positions en général. Cette position se trouve exprimée dans le Mémorandum que nous avons publié en mars 2000 alors que Taya était encore au pouvoir. Rien de nouveau dans le discours du général sauf qu´en bon militaire il a voulu "clore" le contentieux sans les principaux concernés et surtout ceux qui ont été les principales victimes de cette répression qui a commencé en septembre 1986 après la publication du Manifeste des FLAM. Nous avons subi dans notre chair et dans notre âme ces moments de douleur et certains d´entre nous continuent de souffrir de cette répression, des familles se sont trouvées eclatées, des coeurs et corps meurtris, des blessures profondes et des handicaps que rien ne guérira, surtout pas quelques promesses de subsides dédaigneusement consentis par un putschiste en mal de reconnaissance! Personne ne peut décreter la réconciliation sans que les protagonistes ne se soient parler, sans que la vérité ait été révélée. Où étaient ces fameux oulémas lorsqu´on nous tuait à petit feu et torturait dans les geôles de Taya ? Où étaient-ils lorsqu´on nous déportait à nu ? Où étaient-ils lorsqu´on massacrait des musulmans en plein mois béni du ramadan ? Où étaient-ils quand on manifestait dans les colloques internationaux pour dénoncer cette barbarie ? Comment prier sur les morts sans leurs corps? Qui les a tués, pourquoi ils l'ont été ? Pourquoi pardonner et qui pardonner ? Ce sont des questions qui méritent de réponses et non une fuite en avant. Il y a certaines images frappantes et qui contrastent avec une cérémonie d´hommage aux martyrs. Comment nous faire croire qu´ils ont du respect pour nos morts en mettant en avant ce maire ancien soutien et applaudisseur de Taya ? Quid de ce garde des sceaux de la junte qui hier seulement était le porteur de valises et avocat du despote mal éclairé et qui niait avec arrogance les déportations et les massacres de sa propre communauté ? Pour nous, c´est une insulte parce que ce sont les mêmes nègres de service qui cherchaient à blanchir Taya à Banjul, Dakar, Durban, Alger, Bruxelles, Paris et Généve. Je trouve certains propos des soutiens de la junte cyniques et inacceptables. Quand certains nous accusent de faire du fond de commerce avec le dossier du passif humanitaire parce que refusons d’embarquer dans ce train militaire à destination inconnue. Nous ne faisons pas de la politique politicienne et nous ne parlons au nom de personne mais en nos noms, nous défendons nos droits parce que nous sommes les premières victimes de cette répression, avons subi des tortures, des viols, toutes formes d´exactions. On n´a rien oublié. Pour cette question du passif, pour le régler, nous le disons encore une fois qu'il faut trouver un équilibre entre le refus de l'impunité, les exigences de vérité et de réparations et au bout, la nécessité du pardon. C'est le bon sens qui le veut et c'est la garantie de paix durable.
SOS Abbere : Aujourd’hui, dans les rues de Nouakchott, nous avons une réelle impression que les populations Arabo-berbères et les populations négro-africaines cohabitent en toute simplicité et en parfaite harmonie. Pensez-vous que c’est une illusion ou que la Mauritanie est désormais prête pour la réconciliation ?
K.T : Vous parlez bien d´impression et vous savez que les apparences sont parfois trompeuses. C’est une image trompeuse qui égare bien des observateurs; la Mauritanie est un pays complexe, secret, un volcan endormi, qui couve une crise interne découlant des relations d’équilibre intercommunautaire, aujourd’hui rompues.Vous savez plus que nous que malgré cette impression de bonne cohabitation, il y a une forte méfiance entre nos composantes nationales depuis ces déportations et massacres pendant les années de braise. Les Mauritaniens peuvent toujours se réconcilier s´il y a une volonté réelle de nos pouvoirs publics. Parce que nous avons beaucoup en commun, un Beydane ou arabo-mauritanien n´est pas comme l´arabe du Maghreb ou du Moyen –Orient comme le Négro-mauritanien est différent de l´africain de l´Afrique centrale ou australe. Nous sommes un peuple metissé avec une réligion commune résultant de brassages multiformes. Nous disions dans notre Manifeste de 1986 il faut que nous traduisons dans la réalité nos appels à l´unité nationale. C´est tout le sens de notre combat et de notre appel.
SOS Abbere : Pensez vous qu’un partage du pouvoir entre les communautés mauritaniennes puisse fournir une solution afin de régler définitivement les problèmes de racisme et de discrimination ?
K.T : Tout à fait. Aujourd’hui le passif humanitaire défraie la chronique. On parle du réglement de ce dossier comme étant « la » solution pour la réconciliation nationale. Mais en fait ce passif ne fut pas la source des problèmes; il ne fut pas la cause mais l’effet !
La vraie cause des problèmes, recurrents depuis 1960, réside dans l’accaparement de la réalité du pouvoir politique par une seule communauté, la communauté arabo -berbère, qui se traduit par le déni total de citoyenneté du Négro -mauritanien.
Si donc on procedait à la redistribution ou au partage équitable de ce pouvoir politique il est certains que les tensions cycliques vécues par le pays disparaitraient, définitivement. La réconciliation nationale tant souhaitée par tous ne peut être obtenue de manière durable et viable que par le partage équitable du pouvoir politique. Nous en sommes convaincus.
La Mauritanie est un pays multiculturel et bi-racial et nous devons tenir compte de cette diversité dans l'exercice du pouvoir pour que chaque mauritanien puisse se reconnaitre dans l´Etat mauritanien.
SOS Abbere : Pouvez-vous établir un bilan sommaire concernant vos actions tout au long de ces années portant sur la situation des déportés, des exilés, des refugiés politiques et des persécutés ?
K.T : Il est peut être un peu tôt de se livrer à un bilan alors que l’histoire de notre mouvement est encore entrain de s’écrire. Mais d’ores et déjâ nous pouvons, sans prétention aucune, mettre à l’actif des Flam et des organisations de l’extérieur, entre autres, la médiatisation, voire l’internationalisation de la question négro- africaine et de l’esclavage en Mauritanie.
Nous pouvons nous targuer d’avoir secoué la diaspora de sa torpeur, reveillé son intérêt face à la problématique interne. Nous pouvons également affirmer, sans risque d’être démentis, avoir contribué à créer, à tout le moins developpé et renforcé la conscience politique chez les Négro- africains, les Haratines, et les Déportés chez lesquels nous avons, par ailleurs, réussi à maintenir intacte la tension du retour qui aujourd’hui se réalise. Si la question des déportés est restée vivante au devant de l'actualité, 22 ans durant, c'est encore grâce à nous. Par ailleurs, on oublie souvent que c'est parce que acculé par notre détermination et par la mobilisation de l'opinion internationale acquise à notre combat que O/ Taya renonça à sa campagne d'extermination des Négro-mauritaniens et concéda "l'ouverture politique " de 1992.
Mais par-dessus tout, nous sommes parvenus à relever un défi majeur: survivre dans la dispersion et dans des conditions d’exil impitoyables où tout était contre nous et réussir à demeurer cette conscience incorruptible qui trouble la quiètude des racistes et des tyrans et par là même gène la mise en oeuvre de leurs basses oeuvres. Et la lutte continue.
Merci à Monsieur, Kaaw Touré