Ohé, «la Mauritanie profonde»!!

Feu Habid Ould Mahfoudh (qu’Allah l’agrée dans son vaste paradis, amin), panthéon, s’il en est, de la littérature mauritanienne, aimait dire qu’ «Il vaut mieux se citer que de citer un caporal».

Sans doute ne manifestait-il pas son aversion pour les porteurs de l’uniforme mais il s’étonnait de la propension des Mauritaniens à «suivre le mouvement», à bêler à l’unisson et acclamer toutes les idées qu’ils pensaient bien reçues. Et quand on «voit» tout ce qui s’est passé chez nous la semaine de la Saint-Sylvestre, on se dit qu’il n’avait pas tort.

Ah oui, mon z’ami!

Quand on écoute tout ce beau monde (certains avaient quand même une vraie tête de chèvre), toutes ces personnalités, tous ces représentants de ceci, de cela, de ceux-ci et de ceux-là, tous ces notables répéter à l’envi que les Etats Généraux de la Démocratie ont été «l’expression de la volonté du peuple», on se dit que quelque part on nous joue le remake des «à gauche-gauche» et des «ilal amaam, sirr!!».

Ahhan kay! Quand ont voit tous ces individus parler de la prise en compte de l’avis de «la Mauritanie profonde», on a qu’une envie : arborer nos plus beaux sourires en coin et exhiber le plus étincelant de nos râteliers crocodiliens, tant la caporalisation de la masse vociférante fait point sécant avec l’obséquiosité faite homme.

Par Bouddha!

Sommes-nous revenus au temps du «Papa National» (d’autres disent «Le père de la Nation») pour qu’on nous ramène encore le très éculé concept du «pays profond»? D’ailleurs, qu’est-ce que cette «Mauritanie profonde» (ou «la Mauritanie des profondeurs») que les nouveaux théoriciens du bout du gras veulent nous faire avaler comme étant la seule «dépositaire de la volonté populaire» pour ne pas dire le peuple lui-même?

Existerait-il un nouveau F.I.T. (Front Inter Tropical) qui diviserait la Mauritanie en deux entités? Et comment, dans ce cas, un novice comme moi ferait-il la distinction entre «le monsieur des profondeurs» et «le mec de la périphérie»? Moi qui pensait que la langue de baobab (si, si!) avait reculé au même titre que les idéologies couscoussières, je dois réviser mon opinion. Taratata! S’écrierait Nagui, le très vociférant animateur de Canal France International.

Voyons voir la chose.

En d’autres temps – et d’autres mœurs aussi, bien sûr – on aurait parlé du «pays intérieur»; mais maintenant, les choses ont tellement évolué – et évolué tellement vite – que «l’intérieur» et «l’extérieur» (ennemi de la nation, sous Ould Taya) sont presque voisins. Remarquez qu’on ne fait plus quatre jours pour se déplacer de Néma à Nouakchott. «La Mauritanie profonde» (ou «la Mauritanie des profondeurs») n’étant donc pas tout à fait «la Mauritanie de l’intérieur», cherchons une autre explication.

Mais avant de parler de «profond», voyons d’abord le «fond». Le fond renvoie à quelque chose de «bas et de plutôt peu visible». C’est pourquoi on parle de fond de la marmite, de fond de teint (pour les femmes), de fond de séroual, de fond du… euh… trou, etc. Le fond, c’est ce qui est en dessous du haut et du milieu. En définitive, quand on est au fond, c’est qu’on ne peut plus descendre plus bas, oui Madame!

Tout ceci nous semble compliqué, c’est vrai, mais seuls les idiots se perdent dans un escalier, n’est-ce pas? Quoique, y a pas longtemps, on a tous été surpris ici par nos amis du M.D.I. (Mouvement des Démocrates Indépendants) quand ils se sont mis à se perdre – et à qui mieux mieux – qui dans les dédales du Hizboul Joumhour et qui d’autres dans les profondeurs de la Moua’arada (Béchir, Daha, Abdallahi, Jemal, entoum vem?!). Ho! Ho! Ho! Mon ami Abdallahi Ould Kebd, qui avait bien le sens de la formule, avait estimé, non sans humour, qu’ «aller au PRDS était un recul de conscience». En arrière tous, waay!...

L’existence d’une «Mauritanie profonde» suppose donc celle d’une «Mauritanie de la périphérie»; à ne pas confondre quand même avec la notion de la «Mauritanie du haut» (Tevragh Zeina, par exemple) et la «Mauritanie d’en bas ou du bas» (Mellah, Hay Saakin et autres quartiers des massaakiin).

A mon modeste avis – malheureusement on ne se rallie à mon avis que rarement – «la Mauritanie des profondeurs» signifie, dans l’entendement de Nous Z’autres (bonne année Mariem Dervich du Calame), «la badiya, les adwaaba, la campagne»; la Mauritanie restante étant celle des cités et autres grandes villes.

Mais alors, que peut représenter «la Mauritanie profonde» en termes d’habitants (je ne parle pas de «représentativité») si on soustrait les citoyens de Nouakchott, de Nouadhibou, de Rosso, Kaédi, Zouerate...? Pas grand-chose.

Eurêka!!!

Ce «pas grand-chose» serait «le reste, le résidu, le fond» d’où «le fond de la Mauritanie», «la Mauritanie profonde» ou «la Mauritanie des profondeurs». Eyyyoooh!! Il ne faut donc pas mesurer l’importance de «la Mauritanie profonde» par le nombre de ses habitants mais par son intérêt, en ce qu’elle est la source, le fief, l’origine, «le un du un» comme le disent si bien les chanteurs de Coupé-Décalé et les danseurs de Mapuka : les gens de Nouakchott, par exemple, étant avant tout, les ressortissants de Tintane, de Tektaaké, de Voum Gâboûne, de Woullou Moutaa ou de Reg-Reg-Boudian… Il n’y aurait donc pas de «Nouakchottois» mais de «gens habitants à Nouakchott». C’est tout.


Bravo, Watson!!

Pour vous convaincre qu’il n’y a pas de Nouakchottois, attendez que le Président se déplace dans n’importe quelle partie du territoire national : tout le monde se déplace avec lui, ramenant le pays au temps de la «hasra» (convoi de l’émir). «Tout le monde», «Tout Nouakchott» signifiant bien sûr les bien pansus, les très fessus, ceux de la lippe pendante et des traits mous, «les yeux globuleux», les adeptes de «les bras le long du corps et le petit doigt à la hauteur de la couture du pantalon», les larbins, les zonards civils du garde-à-vous…

Ndeysaaan! «Nos leaders politiques, Messieurs Bourhaan Ben Boudboudah et Bouzbaadi Ben Boukerch ont dit… bbbzzz….. bbzz… bz… Zééé… zéé…zé…zaazou…zèbre… zazwaayeu…».

Je vous le dis : cette affaire de «Mauritanie profonde» est une très belle arnaque comme les cars «voteurs» de l’époque Maaouya ou les «voteurs» à sept têtes de Kobenni qui, comme les historiens le savent, n’était pas bien éloignée de Koumbi Saleh la capitale du Ghana. Je vous assure, vous pouvez demander à Moussa Diagana et Dany Kouyaté (cf. «Sia, le rêve du python»).

Ho! Ho! Ho! Les sept têtes du serpent n’étaient, paraît-il, que les sept … euh… queues des sept sages de l’empire. Thiey Alla!! On trompe le peuple comme on peut et ça ne date pas d’aujourd’hui. S’il y a un (Haut??!!) conseil que je peux donner au Général Mohamed Ould Abdel Aziz, Président du Haut Conseil d’Etat, Chef de l’Etat (il ne faut pas qu’il y ait des jaloux, n’est-ce pas?), c’est de se méfier; se méfier triplement de ces laudateurs, de ces zélateurs, de cette secte honnie du désordre rampant, de tous ces margouillats à courte queue qui veulent, coûte que coûte, faire de lui le prochain Ubu de ce pays.

L’adage ne dit-il pas qu’il vaut mieux écouter ceux qui vous font pleurer que ceux qui vous font rire? Et pour ne pas s’arrêter à si bon chemin, le sage Omar Khayyam aimait répéter que «Le pouvoir et les honneurs sont ennemis du bon jugement».

Oui, dis-je, toutes ces notions de «Mauritanie profonde», de «Mauritanie des profondeurs», de «Mauritanie d’ici» ou de «Mauritanie de là-bas» ne sont que des arnaques, des pièges à cons, des trappes grossières que nos politiciens, passés maîtres dans l’art de noyer le poisson, ont inventés pour mieux aplatir le peuple et se pérenniser à ses dépens. On se justifie comme on peut et ça ne doit pas être coton puisqu’on justifie même le salaire des Sénateurs.

Abdel Aziz connaît sans doute bien tout ce sérail mais on n’est jamais assez méfiant avec les politiciens, en général, et les politiciens de chez nous, en particulier, une espèce qui a proliféré sous tous les pouvoirs, qui a fait ses «preuves» sous tous les régimes et a été bien blanchie sous le harnais de celui que certains appelaient ici «le frère Maaouya».

Si on me permet une digression, je vais raconter cette anecdote :

Des politiciens devant se rendre quelque part avaient pris une voiture. Celui qui était au volant, impatient d’arriver – on avait prévu un banquet de Nabuchodonosor et des agapes à la hauteur de l’évènement – conduisait pied au plancher. Pressé donc, il prit un raccourci et voulut traverser un champ.

Hélas, le véhicule fut pris de cahots; il tangua, zigzagua et finit sa course dans un tronc d’arbre. Le choc fut terrible et le lieu couvert de sang… Le propriétaire du champ, sans doute un habitant du «pays profond», se précipita sur les lieux et, sans avertir l’autorité, creusa un grand et profond trou dans lequel il enterra tous les politiciens. A peine avait-il fini son travail que la gendarmerie se présente et l’interroge :

- Dites donc mon brave! N’y avait-il pas des survivants?

- Non, aucun! Répond, catégorique, le paysan.

- Vous êtes sûr qu’ils étaient tous morts? Insiste le chef de la maréchaussée.

Le paysan hésite, se gratte le sommet du crâne, cogite et :

- Mais… Comment voulez-vous que je sache? N’oubliez pas que c’était des politiciens… Bon, d’accord, il y en avait un – un gros poussah – qui me suppliait de ne pas les enterrer mais il n’avait que sa parole. Et vous savez, hein, la parole d’un politicien?... Oui, tous les Mauritaniens ont le droit de s’exprimer; surtout quand il s’agit de l’avenir du pays mais un peu moins d’hypocrisie nous ferait du bien. Un grand bien.

Autrement, il ne servirait à rien de chanter :

«Haazaa akhiirou nawminaa,
bilaadounaa laa tachtakii
chabaabounaa, Noufoussouna
arwaahounaa, koulloun lak»

Aujourd’hui est la dernière de nos nuits (notre sommeil)
Notre pays, ne te plains pas
Notre jeunesse, notre corps
Notre âme sont dévoués à toi.
… M’seykiin, Mauritanie!!

Rachid LY
LNE n°79


P.S. : Bonne et heureuse année à Mohamadou Saidou Touré