Se poser cette question, c’est tenter de comprendre, au-delà de l’immédiat, ce qui fonde le mode de fonctionnement de ce pays, marqué par des troubles politiques chroniques.
Pour bien saisir ce qui se passe en Mauritanie, il nous faudrait une analyse qui tienne compte de l’histoire et des éléments culturels qui nourrissent sa population.
A partir de 1920, la Mauritanie est considérée comme l’une des colonies de l'Afrique Occidentale Française (l'AOF). En 1936, après des années de résistance des Maures, elle est soumise militairement
Comme la plupart des Etats africains, la naissance de ce pays ne répond à aucune dynamique interne. Il résulte d’une volonté extérieure aux populations. On trouve là les premières causes de sa fragilité.
Territoire français d'outre-mer à partir de 1946, la Mauritanie est intégrée à la communauté française en 1958 sous le nom de la République Islamique de Mauritanie. Elle acquiert son indépendance en 1960.
Sous l’occupation française, la discrimination est la base du mode de fonctionnement des Etats colonisés. Les autorités coloniales vont composer avec les privilégiés ou ceux qui leur résistent. C’est ainsi qu’en 1946, les premières élections sous domination coloniale ne concernaient qu’une catégorie de la population : les détenteurs de fusils, de champs ou de palmeraies enregistrés, les salariés, les alphabétisés en français, les syndicalistes les membres d’associations locales. On y rajoutera, à partir de 1947, les personnes alphabétisées en Arabe et à partir de 1951, les chefs de famille et les mères de deux enfants. Le suffrage universel n’entrera en vigueur qu’en 1956.
Les élections législatives de 1946 permettront d’élire Ahmedou Ould Horma Ould Babana. Ce nationalmiste va se heurter à partir de 1947 à l’administration coloniale et aux grands chefs de tribus, des Emirs. En 1948, l’Union Progressiste Mauritanienne de Ould Daddah est créée au congrès de Kiffa. Elle est le rival de Horma. L’UPM obtient le soutien de la grande majorité des grands chefs. De Gaulle en est le président d’honneur. On voit ainsi se dessiner l’avenir de la Mauritanie.1
La Mauritanie, pure création de la France a donc toujours fonctionné en s’appuyant sur une Féodalité. L’administration coloniale a composé avec les dominants, manipulant Hassan arabes contre Marabouts berbères, la culture belliqueuse des Hassan ayant conduit les colonisateurs à soutenir les tribus Maraboutiques maures, plus dociles. Ces dernières profiteront ainsi d’une opportunité pour se ‘‘venger’’ de la domination hassan.
C’est ainsi, qu’en 1960, Moktar Ould Daddah, un fils de cette Féodalité, se verra confier la direction du pays. Celui-ci gérera la Mauritanie en fonction des intérêts de la classe et de l’ethnie dont il est issu. Tous les chefs d’Etat mauritaniens qui se sont succédés à partir de l’indépendance sont issus de la Féodalité, ils gouverneront le pays comme une République féodale, privilégiant les dominants maures et noirs.
Leurs actions politiques s’enracinent dans un curieux mélange de ‘‘traditionalisme’’ et de ‘‘modernité’’. Ainsi, l’espace public est dominé par la subjectivité. Rien n’a été fait depuis l’indépendance pour que la règle la plus avancée soit au cœur de l’Etat et de son mode de fonctionnement.
Le pouvoir politique mauritanien n’a pas été le garant de l’égalité des citoyens. On comprend ainsi pourquoi le droit musulman a trouvé sa place dans le système juridique mauritanien. Le droit musulman n’est pas un droit égalitaire, car il reconnaît l’esclavage et l’inégalité entre hommes et femmes.
L’autre conséquence de cette gestion de la chose publique est qu’elle n’a pas permis l’émergence d’une société civile consciente de ses droits. Le Mauritanien, d’une manière générale, accepte l’idée d’un Etat fondé sur des privilèges. Ce n’est donc pas par rapport à l’idée du mérite, de ce qui pourrait faire avancer la société, de l’égalité, de la justice que se positionne la plupart des Mauritaniens, mais par rapport à une idéologie inégalitaire, à un attachement tribale, ethnique, etc.
A partir de ce constat, on peut comprendre pourquoi il y a autant de coup d’Etat en Mauritanie.
La Mauritanie est devenue célèbre du fait de son instabilité politique. Elle est entrée dans le Guinness car elle possède le record de présidents qui se sont succédés à sa tête grâce à des coups d’Etat.
Globalement,a chaque fois, le même scenario se répète. Après une certaine période d’indignation sur le plan national et international, les putschistes ont fini par être reconnus comme les représentants légaux du pays.
Un des plus sanguinaires d’entre eux, Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya qui a déporté des milliers de Négro-mauritaniens, a nié l’existence de l’esclavage dans le pays et emprisonné un grand nombre de personnes, est resté vingt et un ans au pouvoir et a été reçu par les plus hautes autorités françaises.
Moktar Ould Daddah, le premier président du pays, a su le gérer en jouant astucieusement sur la fibre féodale. Ainsi il a pu rester longtemps au pouvoir. En 1978, les militaires vont entrer en scène. A la suite d’un coup d’Etat, Ould Daddah est écarté du pouvoir. On assiste à une série de putschs, chaque militaire issu des familles supposées supérieures pouvant en être l’auteur. Une fois aux commandes de l’Etat, il se fait soutenir par sa tribu, sa famille et tous les opportunistes auxquels il fera bénéficier divers privilèges. Il est fréquent que les opportunistes supportent, sans scrupule, le nouveau maître du pays après avoir été les laudateurs de celui qui a été renversé.
C’est, en partie, par ce manque d’idéal que l’on retrouve chez de nombreux Mauritaniens et la mauvaise éducation des populations que s’explique l’instabilité de la Mauritanie.
Le faible niveau d’éducation est une des sources essentielles du retard de l’Afrique. Il explique aussi l’instabilité des pouvoirs sur le continent et la place occupée par les militaires sur la scène politique. Les populations africaines sont facilement manipulables. Elles se sentent aussi, très souvent, très éloignées des questions politiques. Les conditions de naissance des Etats n’ont pas favorisé l’émergence d’institutions fonctionnant sur la base d’un contrat, de principes garantissant leur bon fonctionnement.
D’abord exclus sous l’ère de la domination coloniale, puis abandonnés dans l’ignorance après les indépendances, les peuples africains ont du mal à s’approprier la souveraineté nationale. Voila donc une des clefs qui permet de comprendre la situation actuelle du continent.
En plus de cet élément, depuis que la Mauritanie est indépendante, elle fait l’objet d’une gestion politique discriminatoire. Celle-ci n’a pas permis le rapprochement des populations en vue de faire émerger et respecter des règles de gestion de la cité. Dans un tel climat chaque personne issue des classes dominantes maures peut prétendre accéder aux plus hautes fonctions du pays
En Mauritanie la masse, l’opposition comme les dirigeants au pouvoir sont issus d’une culture où l’idée d’égalité entre les êtres humains n’est pas assimilée. La notion d’un Etat fondé sur le droit n’est pas ancrée.
Dans l’univers maure comme chez leurs Anciens esclaves et leurs Esclaves actuels noirs, les hommes ne sont pas égaux. La société négro-africaine, quant à elle, est traversée par des clivages fondés sur l’appartenance à des castes. Elle n’est guère une société égalitaire.
Toute la société mauritanienne fonctionne sur la base de la domination de certaines familles. Depuis l’indépendance du pays, tous ses dirigeants sont issus des familles dominantes maures, appuyés par les classes privilégiées noires. Les anciens esclaves et esclaves maures s’allient majoritairement aux familles dominantes maures. Ainsi, de nombreux Harratine ou esclaves suivent leurs anciens maîtres maures ou maîtres actuels ou se dressent en termes de communauté contre les autres composantes de la ‘‘société mauritanienne’’. Les familles négro-africaines dominantes sont aussi complices. Celles qui sont dominées en leur sein participent à la perpétuation du système. Elles suivent l’aristocratie.
Tout cela nous pousse à dire que le coup d’Etat orchestré par le général Mohamed Ould Abdel Aziz n’est que la manifestation d’une logique qui traverse la société mauritanienne. Dans un pays marqué par un système féodal tribal et de castes, la course entre dominants pour le pouvoir s’explique aisément.
Tant que la société mauritanienne, dans sa majorité, ne sera pas suffisamment instruite et cultivée, ouverte à la modernité, le système politique mauritanien sera fragile. Ely Ould Mohamed Vall a eu le mérite de quitter le pouvoir après un coup d’Etat mais l’œuvre d’un homme ne suffit pas à construire l’avenir d’un pays. Une démocratie ne peut être garantie que par un peuple.
Ainsi, les forces qui luttent pour faire échouer le coup d’Etat en Mauritanie et pour un retour à la démocratie participent à l’émergence d’une volonté populaire attachée aux valeurs démocratiques. Leur combat est encore long mais il a le mérite d’exister.
Lire pour plus de détails http://www.infomauritania.com/site/2-1945-1960.html.
Oumar Diagne
Pour bien saisir ce qui se passe en Mauritanie, il nous faudrait une analyse qui tienne compte de l’histoire et des éléments culturels qui nourrissent sa population.
A partir de 1920, la Mauritanie est considérée comme l’une des colonies de l'Afrique Occidentale Française (l'AOF). En 1936, après des années de résistance des Maures, elle est soumise militairement
Comme la plupart des Etats africains, la naissance de ce pays ne répond à aucune dynamique interne. Il résulte d’une volonté extérieure aux populations. On trouve là les premières causes de sa fragilité.
Territoire français d'outre-mer à partir de 1946, la Mauritanie est intégrée à la communauté française en 1958 sous le nom de la République Islamique de Mauritanie. Elle acquiert son indépendance en 1960.
Sous l’occupation française, la discrimination est la base du mode de fonctionnement des Etats colonisés. Les autorités coloniales vont composer avec les privilégiés ou ceux qui leur résistent. C’est ainsi qu’en 1946, les premières élections sous domination coloniale ne concernaient qu’une catégorie de la population : les détenteurs de fusils, de champs ou de palmeraies enregistrés, les salariés, les alphabétisés en français, les syndicalistes les membres d’associations locales. On y rajoutera, à partir de 1947, les personnes alphabétisées en Arabe et à partir de 1951, les chefs de famille et les mères de deux enfants. Le suffrage universel n’entrera en vigueur qu’en 1956.
Les élections législatives de 1946 permettront d’élire Ahmedou Ould Horma Ould Babana. Ce nationalmiste va se heurter à partir de 1947 à l’administration coloniale et aux grands chefs de tribus, des Emirs. En 1948, l’Union Progressiste Mauritanienne de Ould Daddah est créée au congrès de Kiffa. Elle est le rival de Horma. L’UPM obtient le soutien de la grande majorité des grands chefs. De Gaulle en est le président d’honneur. On voit ainsi se dessiner l’avenir de la Mauritanie.1
La Mauritanie, pure création de la France a donc toujours fonctionné en s’appuyant sur une Féodalité. L’administration coloniale a composé avec les dominants, manipulant Hassan arabes contre Marabouts berbères, la culture belliqueuse des Hassan ayant conduit les colonisateurs à soutenir les tribus Maraboutiques maures, plus dociles. Ces dernières profiteront ainsi d’une opportunité pour se ‘‘venger’’ de la domination hassan.
C’est ainsi, qu’en 1960, Moktar Ould Daddah, un fils de cette Féodalité, se verra confier la direction du pays. Celui-ci gérera la Mauritanie en fonction des intérêts de la classe et de l’ethnie dont il est issu. Tous les chefs d’Etat mauritaniens qui se sont succédés à partir de l’indépendance sont issus de la Féodalité, ils gouverneront le pays comme une République féodale, privilégiant les dominants maures et noirs.
Leurs actions politiques s’enracinent dans un curieux mélange de ‘‘traditionalisme’’ et de ‘‘modernité’’. Ainsi, l’espace public est dominé par la subjectivité. Rien n’a été fait depuis l’indépendance pour que la règle la plus avancée soit au cœur de l’Etat et de son mode de fonctionnement.
Le pouvoir politique mauritanien n’a pas été le garant de l’égalité des citoyens. On comprend ainsi pourquoi le droit musulman a trouvé sa place dans le système juridique mauritanien. Le droit musulman n’est pas un droit égalitaire, car il reconnaît l’esclavage et l’inégalité entre hommes et femmes.
L’autre conséquence de cette gestion de la chose publique est qu’elle n’a pas permis l’émergence d’une société civile consciente de ses droits. Le Mauritanien, d’une manière générale, accepte l’idée d’un Etat fondé sur des privilèges. Ce n’est donc pas par rapport à l’idée du mérite, de ce qui pourrait faire avancer la société, de l’égalité, de la justice que se positionne la plupart des Mauritaniens, mais par rapport à une idéologie inégalitaire, à un attachement tribale, ethnique, etc.
A partir de ce constat, on peut comprendre pourquoi il y a autant de coup d’Etat en Mauritanie.
La Mauritanie est devenue célèbre du fait de son instabilité politique. Elle est entrée dans le Guinness car elle possède le record de présidents qui se sont succédés à sa tête grâce à des coups d’Etat.
Globalement,a chaque fois, le même scenario se répète. Après une certaine période d’indignation sur le plan national et international, les putschistes ont fini par être reconnus comme les représentants légaux du pays.
Un des plus sanguinaires d’entre eux, Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya qui a déporté des milliers de Négro-mauritaniens, a nié l’existence de l’esclavage dans le pays et emprisonné un grand nombre de personnes, est resté vingt et un ans au pouvoir et a été reçu par les plus hautes autorités françaises.
Moktar Ould Daddah, le premier président du pays, a su le gérer en jouant astucieusement sur la fibre féodale. Ainsi il a pu rester longtemps au pouvoir. En 1978, les militaires vont entrer en scène. A la suite d’un coup d’Etat, Ould Daddah est écarté du pouvoir. On assiste à une série de putschs, chaque militaire issu des familles supposées supérieures pouvant en être l’auteur. Une fois aux commandes de l’Etat, il se fait soutenir par sa tribu, sa famille et tous les opportunistes auxquels il fera bénéficier divers privilèges. Il est fréquent que les opportunistes supportent, sans scrupule, le nouveau maître du pays après avoir été les laudateurs de celui qui a été renversé.
C’est, en partie, par ce manque d’idéal que l’on retrouve chez de nombreux Mauritaniens et la mauvaise éducation des populations que s’explique l’instabilité de la Mauritanie.
Le faible niveau d’éducation est une des sources essentielles du retard de l’Afrique. Il explique aussi l’instabilité des pouvoirs sur le continent et la place occupée par les militaires sur la scène politique. Les populations africaines sont facilement manipulables. Elles se sentent aussi, très souvent, très éloignées des questions politiques. Les conditions de naissance des Etats n’ont pas favorisé l’émergence d’institutions fonctionnant sur la base d’un contrat, de principes garantissant leur bon fonctionnement.
D’abord exclus sous l’ère de la domination coloniale, puis abandonnés dans l’ignorance après les indépendances, les peuples africains ont du mal à s’approprier la souveraineté nationale. Voila donc une des clefs qui permet de comprendre la situation actuelle du continent.
En plus de cet élément, depuis que la Mauritanie est indépendante, elle fait l’objet d’une gestion politique discriminatoire. Celle-ci n’a pas permis le rapprochement des populations en vue de faire émerger et respecter des règles de gestion de la cité. Dans un tel climat chaque personne issue des classes dominantes maures peut prétendre accéder aux plus hautes fonctions du pays
En Mauritanie la masse, l’opposition comme les dirigeants au pouvoir sont issus d’une culture où l’idée d’égalité entre les êtres humains n’est pas assimilée. La notion d’un Etat fondé sur le droit n’est pas ancrée.
Dans l’univers maure comme chez leurs Anciens esclaves et leurs Esclaves actuels noirs, les hommes ne sont pas égaux. La société négro-africaine, quant à elle, est traversée par des clivages fondés sur l’appartenance à des castes. Elle n’est guère une société égalitaire.
Toute la société mauritanienne fonctionne sur la base de la domination de certaines familles. Depuis l’indépendance du pays, tous ses dirigeants sont issus des familles dominantes maures, appuyés par les classes privilégiées noires. Les anciens esclaves et esclaves maures s’allient majoritairement aux familles dominantes maures. Ainsi, de nombreux Harratine ou esclaves suivent leurs anciens maîtres maures ou maîtres actuels ou se dressent en termes de communauté contre les autres composantes de la ‘‘société mauritanienne’’. Les familles négro-africaines dominantes sont aussi complices. Celles qui sont dominées en leur sein participent à la perpétuation du système. Elles suivent l’aristocratie.
Tout cela nous pousse à dire que le coup d’Etat orchestré par le général Mohamed Ould Abdel Aziz n’est que la manifestation d’une logique qui traverse la société mauritanienne. Dans un pays marqué par un système féodal tribal et de castes, la course entre dominants pour le pouvoir s’explique aisément.
Tant que la société mauritanienne, dans sa majorité, ne sera pas suffisamment instruite et cultivée, ouverte à la modernité, le système politique mauritanien sera fragile. Ely Ould Mohamed Vall a eu le mérite de quitter le pouvoir après un coup d’Etat mais l’œuvre d’un homme ne suffit pas à construire l’avenir d’un pays. Une démocratie ne peut être garantie que par un peuple.
Ainsi, les forces qui luttent pour faire échouer le coup d’Etat en Mauritanie et pour un retour à la démocratie participent à l’émergence d’une volonté populaire attachée aux valeurs démocratiques. Leur combat est encore long mais il a le mérite d’exister.
Lire pour plus de détails http://www.infomauritania.com/site/2-1945-1960.html.
Oumar Diagne