
Le 25 mars dernier devant les populations du Gorgol, à Kaédi, le général Mohamed Ould Abdel Aziz, à propos du passif humanitaire, a dit : «Fidèles à ses traditions séculaires et grâce aussi à notre amour pour la patrie et à nos valeurs culturelles, nous avons décidé courageusement de panser nos blessure encore béantes et de tourner une page faite à la fois d'atrocité et de grandeur d'âme, une page où le pardon et la miséricorde l'ont emporté sur l'aveuglement et l'obstination.» Le discours du général a été suivi d’une prière collective à la mémoire des victimes du passif humanitaire.
Le 26 mars, les organisations membres du Collectif des victimes de la répression (COVIRE) et la commission chargée du dossier du passif humanitaire ont signé un document cadre au palais présidentiel.
Ce document porte règlement définitif de ce passif humanitaire avec «indemnisations définies et satisfaisantes» au profit des ayants droit ou de leurs représentants.
«La commission chargée de ce dossier et qui a regroupé des Uléma et des personnes ressources ayant travaillé des mois durant sur le terrain, a fixé le nombre de bénéficiaires des indemnisations, au terme de ce document, aux héritiers et représentants de 244 personnes qui peuvent en profiter immédiatement.»
Outre les indemnisations, que prévoit le document cadre échangé entre les représentants du COVIRE et la commission chargéé du passif humanitaire ? Le « règlement définitif » de ce passif humanitaire ira-t-il au-delà du discours du chef de l’Etat, de la prière et des indemnisations ?
Le préalable, avait dit le président du COVIRE, Sy Abou, avant le discours de Kaédi, est : «la Reconnaissance officielle des faits et présentation officielle d’excuses par le chef de l’Etat».
Passé, cette étape, le COVIRE avait proposé « une approche globale » qui concernera les réparation pour « les ayant droits des victimes civiles et militaires de 86 à 91. Le processus d’indemnisation proposé par COVIRE doit s’achever par un remise matérielle des indemnisations aux ayant droit par une commission suivie de présentation de condoléances.»
A Kaédi, le Général Ould Abdel Aziz, comme Sidi Ould Cheikh Abdellahi dans son discours du 29 juin, a compati à la douleur des victimes. Compatir à la douleur des victimes, peut valoir « reconnaissance officielle des faits.»
Ni Sidi (dans son discours du 29 juin) ni Aziz (dans son discours du 25 mars) n’ont franchi le pas de la reconnaissance officielle de la responsabilité de l’Etat mauritanien dans les exactions objet du passif humanitaire. Sidi avait dit : «Chers compatriotes, Je voudrais ici, au nom de la République, exprimer ma compassion à l’égard de toutes les victimes de ces années sombres. Je voudrais dire à chaque veuve, à chaque orphelin, à chaque réfugié, à chaque opprimé blessé dans sa dignité, que je partage l’intimité de leurs souffrances.»
A Kaédi, le Général a dit : « Je ne crois faire en aucune façon autre chose qu'un devoir en venant à Kaédi partager avec vous, chers citoyens, l'affliction causée à des dizaines de familles par l'ignorance et la barbarie de l'homme.» Dans son discours, Sidi a compati, au nom de la République mais il n’a pas désigné le responsable. Ce responsable, pour Aziz, « c’est l’ignorance et la barbarie humaine.»
En 1989/1991, ce n’est pas « une folie meurtrière collective » qui s’est emparée d’une partie de la population et qui l’a poussée à charcuter à coup de machettes une autre.
C’est l’Etat Mauritanien, la puissance publique, qui, à travers ses différents instruments, s’est rendu coupable d’exécutions extrajudiciaires, de tortures et de déportations. Il est du devoir de ceux qui incarnent cet Etat, cette puissance publique, de reconnaître sa responsabilité avant la « compassion » et la «commisération».
Quoi après les indemnisations ?
Pour le devoir de mémoire, COVIRE avait proposé, entre autres, « de baptiser certaines rues et d’organiser des cérémonies publiques en hommage aux victimes en plus de la localisation de leurs lieux d’enterrement». Le document cadre contient-il des dispositions traitant de ces propositions ?
Le processus de règlement du passif humanitaire et le discours du général à Kaédi sont différemment appréciés au sein de la classe politique et de la société civile.
Pour la majorité parlementaire, c’est un acte de courage à saluer « d’autant plus qu’il avait été reproché au CMJD d’avoir fait impasse sur la question.»
Les partis membres du FNDD (front opposé au coup d’Etat du 06 août qui ne reconnaît pas la légitimité de la junte militaire) mettent cette tentative de règlement et ce discours sous la rubrique « acte illégitime d’un pouvoir en mal de reconnaissance.»
Quant au RFD (principal parti de l’opposition), il juge que « le moment et le contexte de la grave crise politique et institutionnelle que traverse la Mauritanie risquent d’imprimer un caractère opportuniste et électoraliste à l’initiative d’un pouvoir en quête de légitimité politique et de légalité constitutionnelle.»
Seulement au sein de ce parti, il n’y a pas unanimité quant à la position à prendre. Le 25 mars, jour du discours, Kane Hamidou Baba, vice président du RFD et de l’Assemblée nationale, a fait le voyage de Kaédi pour écouter le général.
Bien mais peut mieux faire
L’Alliance pour la Justice et la Démocratie / Mouvement pour la Rénovation (AJD/MR) a «salué le courage des mesures annoncées par le Général et noté leur caractère historique.» Des mesures qui «constituent un jalon important sur la voie de la réconciliation nationale et de la restauration de l’unité nationale qui a été largement compromise par le régime de Taya. »
.
Passé ces encouragements, l’AJD/MR note que « la volonté de régler définitivement ce problème, puisqu’il s’agit de cela, exige l’extradition de Taya, principal responsable de ce drame, et sa traduction lui et ses proches collaborateurs en justice afin que les familles éplorées puissent faire leur deuil.»
Le parti de Ibrahima Moctar Sarr «exhorte le Haut Conseil d’Etat à aller plus loin en associant les organisations des victimes – militaires et civiles - et tous les partis politiques ayant milité depuis longue date pour la résolution de cet épineux problème afin qu’on puisse léguer aux générations futures un art du mieux vivre ensemble dans le respect et la tolérance.»
Les organisations des victimes n’adhèrent justement pas toutes à l’initiative du HCE. Certaines d’entre elle la désapprouvent d’ailleurs.
«Comment peut- on imaginer régler ce dossier très délicat sans la contribution de tous les acteurs, notamment le FONADH qui suit ce dossier depuis plusieurs années, qui a encadré les victimes et qui a été de tous les combats autour de cette question délicate ?
Aujourd’hui la junte veut régler cette question en catimini, en excluant certains acteurs pour des raisons inavouées.», s’était interrogé Sarr Mamadou, président du FONADH.
Pour le FONADH « L’établissement de la vérité suppose la création d’une Commission Nationale Indépendante et représentative de toute la société mauritanienne, dotée de pouvoirs d’investigations et d’enquêtes suffisants afin de faire la lumière sur tout ce qui s’est passé pendant ces années de braise. »
C’est pourquoi il plaide d’abord «l’abrogation pure et simple de toute amnistie susceptible de soustraire les commanditaires à l’action publique de l’Etat.»
Seulement, le FONADH, membre d’une coalition déniant toute légitimité aux autorités issues du coup d’Etat du 06 août, aura du mal à faire valoir ses propositions.
Khalilou Diagana
source : Le Quotidien de Nouakchott
Le 26 mars, les organisations membres du Collectif des victimes de la répression (COVIRE) et la commission chargée du dossier du passif humanitaire ont signé un document cadre au palais présidentiel.
Ce document porte règlement définitif de ce passif humanitaire avec «indemnisations définies et satisfaisantes» au profit des ayants droit ou de leurs représentants.
«La commission chargée de ce dossier et qui a regroupé des Uléma et des personnes ressources ayant travaillé des mois durant sur le terrain, a fixé le nombre de bénéficiaires des indemnisations, au terme de ce document, aux héritiers et représentants de 244 personnes qui peuvent en profiter immédiatement.»
Outre les indemnisations, que prévoit le document cadre échangé entre les représentants du COVIRE et la commission chargéé du passif humanitaire ? Le « règlement définitif » de ce passif humanitaire ira-t-il au-delà du discours du chef de l’Etat, de la prière et des indemnisations ?
Le préalable, avait dit le président du COVIRE, Sy Abou, avant le discours de Kaédi, est : «la Reconnaissance officielle des faits et présentation officielle d’excuses par le chef de l’Etat».
Passé, cette étape, le COVIRE avait proposé « une approche globale » qui concernera les réparation pour « les ayant droits des victimes civiles et militaires de 86 à 91. Le processus d’indemnisation proposé par COVIRE doit s’achever par un remise matérielle des indemnisations aux ayant droit par une commission suivie de présentation de condoléances.»
A Kaédi, le Général Ould Abdel Aziz, comme Sidi Ould Cheikh Abdellahi dans son discours du 29 juin, a compati à la douleur des victimes. Compatir à la douleur des victimes, peut valoir « reconnaissance officielle des faits.»
Ni Sidi (dans son discours du 29 juin) ni Aziz (dans son discours du 25 mars) n’ont franchi le pas de la reconnaissance officielle de la responsabilité de l’Etat mauritanien dans les exactions objet du passif humanitaire. Sidi avait dit : «Chers compatriotes, Je voudrais ici, au nom de la République, exprimer ma compassion à l’égard de toutes les victimes de ces années sombres. Je voudrais dire à chaque veuve, à chaque orphelin, à chaque réfugié, à chaque opprimé blessé dans sa dignité, que je partage l’intimité de leurs souffrances.»
A Kaédi, le Général a dit : « Je ne crois faire en aucune façon autre chose qu'un devoir en venant à Kaédi partager avec vous, chers citoyens, l'affliction causée à des dizaines de familles par l'ignorance et la barbarie de l'homme.» Dans son discours, Sidi a compati, au nom de la République mais il n’a pas désigné le responsable. Ce responsable, pour Aziz, « c’est l’ignorance et la barbarie humaine.»
En 1989/1991, ce n’est pas « une folie meurtrière collective » qui s’est emparée d’une partie de la population et qui l’a poussée à charcuter à coup de machettes une autre.
C’est l’Etat Mauritanien, la puissance publique, qui, à travers ses différents instruments, s’est rendu coupable d’exécutions extrajudiciaires, de tortures et de déportations. Il est du devoir de ceux qui incarnent cet Etat, cette puissance publique, de reconnaître sa responsabilité avant la « compassion » et la «commisération».
Quoi après les indemnisations ?
Pour le devoir de mémoire, COVIRE avait proposé, entre autres, « de baptiser certaines rues et d’organiser des cérémonies publiques en hommage aux victimes en plus de la localisation de leurs lieux d’enterrement». Le document cadre contient-il des dispositions traitant de ces propositions ?
Le processus de règlement du passif humanitaire et le discours du général à Kaédi sont différemment appréciés au sein de la classe politique et de la société civile.
Pour la majorité parlementaire, c’est un acte de courage à saluer « d’autant plus qu’il avait été reproché au CMJD d’avoir fait impasse sur la question.»
Les partis membres du FNDD (front opposé au coup d’Etat du 06 août qui ne reconnaît pas la légitimité de la junte militaire) mettent cette tentative de règlement et ce discours sous la rubrique « acte illégitime d’un pouvoir en mal de reconnaissance.»
Quant au RFD (principal parti de l’opposition), il juge que « le moment et le contexte de la grave crise politique et institutionnelle que traverse la Mauritanie risquent d’imprimer un caractère opportuniste et électoraliste à l’initiative d’un pouvoir en quête de légitimité politique et de légalité constitutionnelle.»
Seulement au sein de ce parti, il n’y a pas unanimité quant à la position à prendre. Le 25 mars, jour du discours, Kane Hamidou Baba, vice président du RFD et de l’Assemblée nationale, a fait le voyage de Kaédi pour écouter le général.
Bien mais peut mieux faire
L’Alliance pour la Justice et la Démocratie / Mouvement pour la Rénovation (AJD/MR) a «salué le courage des mesures annoncées par le Général et noté leur caractère historique.» Des mesures qui «constituent un jalon important sur la voie de la réconciliation nationale et de la restauration de l’unité nationale qui a été largement compromise par le régime de Taya. »
.
Passé ces encouragements, l’AJD/MR note que « la volonté de régler définitivement ce problème, puisqu’il s’agit de cela, exige l’extradition de Taya, principal responsable de ce drame, et sa traduction lui et ses proches collaborateurs en justice afin que les familles éplorées puissent faire leur deuil.»
Le parti de Ibrahima Moctar Sarr «exhorte le Haut Conseil d’Etat à aller plus loin en associant les organisations des victimes – militaires et civiles - et tous les partis politiques ayant milité depuis longue date pour la résolution de cet épineux problème afin qu’on puisse léguer aux générations futures un art du mieux vivre ensemble dans le respect et la tolérance.»
Les organisations des victimes n’adhèrent justement pas toutes à l’initiative du HCE. Certaines d’entre elle la désapprouvent d’ailleurs.
«Comment peut- on imaginer régler ce dossier très délicat sans la contribution de tous les acteurs, notamment le FONADH qui suit ce dossier depuis plusieurs années, qui a encadré les victimes et qui a été de tous les combats autour de cette question délicate ?
Aujourd’hui la junte veut régler cette question en catimini, en excluant certains acteurs pour des raisons inavouées.», s’était interrogé Sarr Mamadou, président du FONADH.
Pour le FONADH « L’établissement de la vérité suppose la création d’une Commission Nationale Indépendante et représentative de toute la société mauritanienne, dotée de pouvoirs d’investigations et d’enquêtes suffisants afin de faire la lumière sur tout ce qui s’est passé pendant ces années de braise. »
C’est pourquoi il plaide d’abord «l’abrogation pure et simple de toute amnistie susceptible de soustraire les commanditaires à l’action publique de l’Etat.»
Seulement, le FONADH, membre d’une coalition déniant toute légitimité aux autorités issues du coup d’Etat du 06 août, aura du mal à faire valoir ses propositions.
Khalilou Diagana
source : Le Quotidien de Nouakchott