
«Seigneur, mon Dieu, qui suis-je pour que vous me rejetiez? L'enfant de Votre amour - et maintenant devenue comme la plus haïe - celle que Vous avez rejetée telle une indésirable. J'appelle, je m'accroche, je veux - et il n'y a personne pour me répondre - personne à qui me raccrocher. Je suis seule - indésirable, abandonnée. La solitude du coeur qui veut de l'amour est insoutenable. Cela fait mal sans cesse. Je n'ai pas la foi.»
L'automne dernier, la publication de lettres de mère Teresa en avait surpris plusieurs. La religieuse albanaise s'y montrait sous un jour sombre. Rarement sentait-elle la présence de Dieu, même à l'eucharistie. La traduction française des lettres, maintenant en librairie, permet de constater le désespoir qui l'enveloppait fréquemment.
«Les mystiques vivent très souvent avec le doute», explique le père Brian Kolodiejchuk, d'origine canadienne, qui a édité les lettres et coordonné le processus de béatification de mère Teresa. «Saint Jean de la Croix, Thérèse d'Avila, et même Jésus au jardin de Gethsémanie se sont sentis abandonnés. Les ténèbres forment une part nécessaire de la vie mystique, du processus menant à l'union avec Dieu. La nouveauté avec mère Teresa, c'est qu'elle a approfondi le sens de ces ténèbres. Elle a fini par comprendre que par ses propres souffrances, elle permettait à l'agonie de Jésus sur la croix de se reproduire. C'était sa manière de s'unir avec les plus grands pauvres de la Terre, ceux que personne n'aime, dont personne ne s'occupe. Elle voulait vivre le rejet comme eux le vivent.»
Née en 1910 à Skopje, où sa famille s'était réfugiée à cause d'une affaire de vendetta, mère Teresa a décidé dès l'adolescence, peu après la mort de son père, de devenir religieuse. Elle a commencé par faire partie de l'ordre de Notre-Dame-de-Lorette, quittant la Macédoine pour l'Irlande à 18 ans, puis arrivant en Inde un an plus tard, où elle dirige une école. Elle a choisi son nom de religieuse à cause de Thérèse de Lisieux, très populaire durant les années 20 parce qu'elle a été canonisée en 1925. En 1946, mère Teresa décide de fonder son propre ordre, les missionnaires de la Charité, pour s'occuper des malades démunis; c'est chose faite en 1948. Détail intéressant qu'on découvre dans le livre, elle n'a pas voulu décrire son projet dans sa correspondance avec sa famille et son confesseur, de peur que ses supérieures, qui avaient le droit d'ouvrir son courrier, ne lui mettent des bâtons dans les roues.
Mère Teresa, qui est décédée en 1997 et a été béatifiée en 2003, a demandé maintes fois à ses confesseurs de détruire ses lettres. «Elle ne voulait pas avoir l'air vertueuse en décrivant ces ténèbres», explique le père Kolodiejchuk, en entrevue depuis un hospice des missionnaires de la Charité au Mexique, où il s'est installé parce qu'il y était plus facile de trouver des réviseurs anglophones. «Mais ses confesseurs ont jugé que son expérience appartenait à l'Église.»
Quelles sont les leçons que le monde moderne peut retirer des lettres? «Tout d'abord, la nécessité d'être fidèle à ses engagements et à ses valeurs même si on éprouve des montagnes russes émotionnelles, dit le père Kolodiejchuk. Et aussi qu'il peut être bon d'avoir une certaine retenue dans l'expression de ses sentiments les plus intimes: au lieu de les raconter à la première personne venue, comme c'est souvent la mode aujourd'hui, on devrait les conserver pour nos confidents.»
Au fil des pages touffues, où les commentaires très humains et éclairants du père Kolodiejchuk permettent de mieux comprendre la vie affective de mère Teresa, on ne peut s'empêcher de penser aux artistes qui sombrent dans une profonde dépression après avoir terminé une oeuvre importante; ou tout simplement, aux grands déprimés qui cachent à leurs collègues et à leur famille l'ampleur de leur sentiment d'abandon. On découvre des expressions quasi enfantines - qui font sourire - mère Teresa se voyait comme «un petit crayon dans les mains de Dieu», elle mettait des majuscules partout quand il s'agissait de choses d'Église, et utilisait des tirets en guise de ponctuation. On a parfois l'impression de se trouver devant un journal intime de jeune amoureuse.
Mathieu Perreault
Source: cyberpresse
(M)
______________________
Viens, sois ma lumière
Éditions Lethielleux
446 pages
34,95$
L'automne dernier, la publication de lettres de mère Teresa en avait surpris plusieurs. La religieuse albanaise s'y montrait sous un jour sombre. Rarement sentait-elle la présence de Dieu, même à l'eucharistie. La traduction française des lettres, maintenant en librairie, permet de constater le désespoir qui l'enveloppait fréquemment.
«Les mystiques vivent très souvent avec le doute», explique le père Brian Kolodiejchuk, d'origine canadienne, qui a édité les lettres et coordonné le processus de béatification de mère Teresa. «Saint Jean de la Croix, Thérèse d'Avila, et même Jésus au jardin de Gethsémanie se sont sentis abandonnés. Les ténèbres forment une part nécessaire de la vie mystique, du processus menant à l'union avec Dieu. La nouveauté avec mère Teresa, c'est qu'elle a approfondi le sens de ces ténèbres. Elle a fini par comprendre que par ses propres souffrances, elle permettait à l'agonie de Jésus sur la croix de se reproduire. C'était sa manière de s'unir avec les plus grands pauvres de la Terre, ceux que personne n'aime, dont personne ne s'occupe. Elle voulait vivre le rejet comme eux le vivent.»
Née en 1910 à Skopje, où sa famille s'était réfugiée à cause d'une affaire de vendetta, mère Teresa a décidé dès l'adolescence, peu après la mort de son père, de devenir religieuse. Elle a commencé par faire partie de l'ordre de Notre-Dame-de-Lorette, quittant la Macédoine pour l'Irlande à 18 ans, puis arrivant en Inde un an plus tard, où elle dirige une école. Elle a choisi son nom de religieuse à cause de Thérèse de Lisieux, très populaire durant les années 20 parce qu'elle a été canonisée en 1925. En 1946, mère Teresa décide de fonder son propre ordre, les missionnaires de la Charité, pour s'occuper des malades démunis; c'est chose faite en 1948. Détail intéressant qu'on découvre dans le livre, elle n'a pas voulu décrire son projet dans sa correspondance avec sa famille et son confesseur, de peur que ses supérieures, qui avaient le droit d'ouvrir son courrier, ne lui mettent des bâtons dans les roues.
Mère Teresa, qui est décédée en 1997 et a été béatifiée en 2003, a demandé maintes fois à ses confesseurs de détruire ses lettres. «Elle ne voulait pas avoir l'air vertueuse en décrivant ces ténèbres», explique le père Kolodiejchuk, en entrevue depuis un hospice des missionnaires de la Charité au Mexique, où il s'est installé parce qu'il y était plus facile de trouver des réviseurs anglophones. «Mais ses confesseurs ont jugé que son expérience appartenait à l'Église.»
Quelles sont les leçons que le monde moderne peut retirer des lettres? «Tout d'abord, la nécessité d'être fidèle à ses engagements et à ses valeurs même si on éprouve des montagnes russes émotionnelles, dit le père Kolodiejchuk. Et aussi qu'il peut être bon d'avoir une certaine retenue dans l'expression de ses sentiments les plus intimes: au lieu de les raconter à la première personne venue, comme c'est souvent la mode aujourd'hui, on devrait les conserver pour nos confidents.»
Au fil des pages touffues, où les commentaires très humains et éclairants du père Kolodiejchuk permettent de mieux comprendre la vie affective de mère Teresa, on ne peut s'empêcher de penser aux artistes qui sombrent dans une profonde dépression après avoir terminé une oeuvre importante; ou tout simplement, aux grands déprimés qui cachent à leurs collègues et à leur famille l'ampleur de leur sentiment d'abandon. On découvre des expressions quasi enfantines - qui font sourire - mère Teresa se voyait comme «un petit crayon dans les mains de Dieu», elle mettait des majuscules partout quand il s'agissait de choses d'Église, et utilisait des tirets en guise de ponctuation. On a parfois l'impression de se trouver devant un journal intime de jeune amoureuse.
Mathieu Perreault
Source: cyberpresse
(M)
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Viens, sois ma lumière
Éditions Lethielleux
446 pages
34,95$
