
La Mauritanie, dans l'histoire des Nations, est un jeune Etat. Bientôt soixante ans qui correspondent, si je ne me trompe, à un peu moins de l'espérance de vie du Mauritanien, fixée par les statistiques de l'OMS (organisation mondiale de la santé à 53 ans).
Les particularités particulières de ce petit pays d'à peine trois millions d'habitants (désert, hospitalité légendaire des habitants, train le plus long du monde, côtes les plus poissonneuses, pays du "million de poètes") sont en train d'être dépassées par le label, infamant, par les temps qui courent, de pays qui enregistre le nombre le plus élevé de coups d'Etat.
Le premier qui a mis fin aux 18 ans de pouvoir de feu Moctar Ould Daddah, Père de la Nation mauritanienne, le 10 juillet 1978, a ouvert la porte à une course vers le pouvoir par la voie des armes, même si les révolutions de palais, chez nous, se sont souvent effectuées sans effusion de sang :
Moustapha Ould Mohamed Salek, Mohamed Mahmoud Ould Louly, feu Ahmed Ould Bousseif, Mohamed Khouna Ould Haïdalla, Maaouiya Ould Sid'Ahmed Taya. Tous des colonels qui ont goûté à la saveur du pouvoir et l'ont quitté, sans vraiment le désirer, si l'on excepte le cas de Mohamed Mahmoud Ould Louly. Tous s'étaient présentés en sauveur de la Mauritanie. A l'époque, la démocratie n'était pas encore à l'ordre du jour. Tout relevait d'un rééquilibrage tribalo-régional et d'un rapport de force au sein de l'Armée qui ne pouvait alors plus être appelée la "grande muette", elle qui avait décidé de s'immiscer, ostensiblement, dans les affaires politique de l'Etat.
A l'école de Ould Taya
Mais, incontestablement, c'est le colonel Maaouiya Ould Sid'Ahmed Taya, l'homme du 12/12 (il a renversé le colonel Haïdalla le 12 décembre 2004) qui a trouvé le bon angle d'attaque, la bonne parade, pour conserver durablement un pouvoir que les militaires ne voulaient apparemment plus rendre aux civils.Lentement, ce grand stratège militaro-politique – est-ce vraiment un compliment ? - a su tisser sa toile pour contrôler tous les rouages du pouvoir.
Après avoir voulu donner d'abord une orientation progressiste à son régime, Ould Taya a fini par être happé par l'incontournable pouvoir de la tribu et de l'argent. Otage de son système, il a placé sa tribu, sa région et son parti (PRDS) au centre du pouvoir qui devait le maintenir au sommet de l'Etat durant 20 ans, mais également le perdre, un certain 3 août 2005. Ce jour-là, le danger est venu de la propre sécurité du président, le BASEP, que commandait le colonel Mohamed Ould Abdel Aziz, un homme du sérail, cousin du directeur général de la sûreté nationale, le colonel Ely Ould Mohamed Vall.
Disons que la chose était prévisible. Avant le «coup» du commandant du BASEP, Maaouiya avait eu plusieurs chaudes alertes dont la plus importante a été la tentative de putsch du commandant Saleh Ould Hannena, le 8 juin 2003. Un coup d'éclat qui a laissé Nouakchott sans maître durant 48 heures. Ould Taya avait pourtant réussi à rester au pouvoir grâce à une conjugaison de circonstances dont certains éléments restent encore à éclaircir. Le règne de Ould Taya, le plus long de l'histoire politique de la Mauritanie, allait façonner notre manière de voir et de penser.
Je ne suis pas sûr que l'on puisse aujourd'hui dire qu'on est complètement sorti de ce système, quand on sait que la Transition militaire de 2005-2007, le mandat écourté du président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi et même les quatre premiers mois de la «transition» du général Aziz ont fonctionné avec le «personnel technique» de l'ancien colonel-président qui vit aujourd'hui en exil au Qatar.
Ould Taya a appris à l'armée à se confondre avec le pouvoir. Plutôt que de se soumettre à lui, dans un ordre qui se veut républicain, elle le soumet à ses propres exigences, mettant en avant les préalables, certes nécessaires à la pérennité de tout système, de paix et de sécurité. Il n'y a plus de rapport de l'Armée au pouvoir mais le pouvoir de l'Armée. Une donne essentielle avec laquelle on n'est pas prêt encore de rompre et qui commande aux Mauritaniens, dans les Etats généraux sur la démocratie, du retour de Sidi au pouvoir, ou de tout autre cadre de concertation, de revoir ce rapport pour définir les rôles et mettre un terme aux ambiguïtés du Pouvoir en Mauritanie.
Car il n'est pas évident que, à l'issue de la crise politique actuelle, TOUT puisse être réglé d'un coup. Les problèmes du pays, à l'origine du malaise politique et social permanent, dépassent la simple contingence de la crise actuelle due, essentiellement, à un «malentendu», comme l'écrirait Camus, entre les différents protagonistes d'une aventure qui a mal tournée. Que l'on cherche à réduire la destitution de Sidi à une simple déviation politique de son pouvoir me parait trop léger comme argument fondant, à lui seul, la légitimité d'un putsch.
Mais disons, pour être honnête, que les fondements de l'ère véritablement démocratiques dont a accouché la Transition ne pouvaient garantir d'aller plus loin. La «rectification» était donc nécessaire, si et seulement si, l'on parvenait à convaincre le président légalement consacré par les urnes, qu'il fallait passer à l'autocritique du nouveau système. Un système hybride qui prêtait à confusion parce que les généraux (l'Armée) qui avaient fortement contribué à la victoire de Sidioca sur Ahmed Ould Daddah, étaient restés dans les coulisses du pouvoir et donnaient l'impression de le régenter.
Un régime à la turque en Mauritanie ?
La gestion de la crise actuelle doit transcender le simple cadre de la légalité du «président destitué» ou de la légitimité du «général limogé». Il ne s'agit plus – seulement – de trancher entre deux hommes, hier alliés du pouvoir et aujourd'hui ennemis politiques, mais de trouver une solution qui sauve la Mauritanie. Une solution durable qui évite au pays de retomber dans les travers de la «cuisine démocratique» adopté de l'Occident mais non adapté au contexte local arabo-africain de la Mauritanie.
Pour cela, il faut bien comprendre une chose : la «rectification», si elle doit être acceptée, ne doit pas s'arrêter à l'organisation d'une simple élection présidentielle ou à l'élargissement du pouvoir législatif. Il faut bien qu'on arrive à régler cette question : qu'est-ce qui garantit le respect de l'alternance politique en Mauritanie ? Posons cette question autrement : Comment faire que l'Armée reste en dehors du jeu politique qui, par essence, ne relève pas de son domaine propre ?
Je suis d'accord que si la paix et la sécurité du pays sont sérieusement menacées par les agissements de la politique, l'Armée peut (doit ?) intervenir, mais qui déterminera la gravité de la situation ? Répondre à cette question, c'est régler tout le problème. Certes, comme dans n'importe quel pays, l'Armée doit avoir un rapport avec le pouvoir, mais si elle est au pouvoir, elle entre en conflit avec le politique. Un dilemme qui, dans le cas d'un jeune Etat encore à l'école de la démocratie, oriente, forcément, pour le moment, vers un l'instauration d'un système à la turque.
Sneiba Mohamed
source :medsnib via cridem
Les particularités particulières de ce petit pays d'à peine trois millions d'habitants (désert, hospitalité légendaire des habitants, train le plus long du monde, côtes les plus poissonneuses, pays du "million de poètes") sont en train d'être dépassées par le label, infamant, par les temps qui courent, de pays qui enregistre le nombre le plus élevé de coups d'Etat.
Le premier qui a mis fin aux 18 ans de pouvoir de feu Moctar Ould Daddah, Père de la Nation mauritanienne, le 10 juillet 1978, a ouvert la porte à une course vers le pouvoir par la voie des armes, même si les révolutions de palais, chez nous, se sont souvent effectuées sans effusion de sang :
Moustapha Ould Mohamed Salek, Mohamed Mahmoud Ould Louly, feu Ahmed Ould Bousseif, Mohamed Khouna Ould Haïdalla, Maaouiya Ould Sid'Ahmed Taya. Tous des colonels qui ont goûté à la saveur du pouvoir et l'ont quitté, sans vraiment le désirer, si l'on excepte le cas de Mohamed Mahmoud Ould Louly. Tous s'étaient présentés en sauveur de la Mauritanie. A l'époque, la démocratie n'était pas encore à l'ordre du jour. Tout relevait d'un rééquilibrage tribalo-régional et d'un rapport de force au sein de l'Armée qui ne pouvait alors plus être appelée la "grande muette", elle qui avait décidé de s'immiscer, ostensiblement, dans les affaires politique de l'Etat.
A l'école de Ould Taya
Mais, incontestablement, c'est le colonel Maaouiya Ould Sid'Ahmed Taya, l'homme du 12/12 (il a renversé le colonel Haïdalla le 12 décembre 2004) qui a trouvé le bon angle d'attaque, la bonne parade, pour conserver durablement un pouvoir que les militaires ne voulaient apparemment plus rendre aux civils.Lentement, ce grand stratège militaro-politique – est-ce vraiment un compliment ? - a su tisser sa toile pour contrôler tous les rouages du pouvoir.
Après avoir voulu donner d'abord une orientation progressiste à son régime, Ould Taya a fini par être happé par l'incontournable pouvoir de la tribu et de l'argent. Otage de son système, il a placé sa tribu, sa région et son parti (PRDS) au centre du pouvoir qui devait le maintenir au sommet de l'Etat durant 20 ans, mais également le perdre, un certain 3 août 2005. Ce jour-là, le danger est venu de la propre sécurité du président, le BASEP, que commandait le colonel Mohamed Ould Abdel Aziz, un homme du sérail, cousin du directeur général de la sûreté nationale, le colonel Ely Ould Mohamed Vall.
Disons que la chose était prévisible. Avant le «coup» du commandant du BASEP, Maaouiya avait eu plusieurs chaudes alertes dont la plus importante a été la tentative de putsch du commandant Saleh Ould Hannena, le 8 juin 2003. Un coup d'éclat qui a laissé Nouakchott sans maître durant 48 heures. Ould Taya avait pourtant réussi à rester au pouvoir grâce à une conjugaison de circonstances dont certains éléments restent encore à éclaircir. Le règne de Ould Taya, le plus long de l'histoire politique de la Mauritanie, allait façonner notre manière de voir et de penser.
Je ne suis pas sûr que l'on puisse aujourd'hui dire qu'on est complètement sorti de ce système, quand on sait que la Transition militaire de 2005-2007, le mandat écourté du président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi et même les quatre premiers mois de la «transition» du général Aziz ont fonctionné avec le «personnel technique» de l'ancien colonel-président qui vit aujourd'hui en exil au Qatar.
Ould Taya a appris à l'armée à se confondre avec le pouvoir. Plutôt que de se soumettre à lui, dans un ordre qui se veut républicain, elle le soumet à ses propres exigences, mettant en avant les préalables, certes nécessaires à la pérennité de tout système, de paix et de sécurité. Il n'y a plus de rapport de l'Armée au pouvoir mais le pouvoir de l'Armée. Une donne essentielle avec laquelle on n'est pas prêt encore de rompre et qui commande aux Mauritaniens, dans les Etats généraux sur la démocratie, du retour de Sidi au pouvoir, ou de tout autre cadre de concertation, de revoir ce rapport pour définir les rôles et mettre un terme aux ambiguïtés du Pouvoir en Mauritanie.
Car il n'est pas évident que, à l'issue de la crise politique actuelle, TOUT puisse être réglé d'un coup. Les problèmes du pays, à l'origine du malaise politique et social permanent, dépassent la simple contingence de la crise actuelle due, essentiellement, à un «malentendu», comme l'écrirait Camus, entre les différents protagonistes d'une aventure qui a mal tournée. Que l'on cherche à réduire la destitution de Sidi à une simple déviation politique de son pouvoir me parait trop léger comme argument fondant, à lui seul, la légitimité d'un putsch.
Mais disons, pour être honnête, que les fondements de l'ère véritablement démocratiques dont a accouché la Transition ne pouvaient garantir d'aller plus loin. La «rectification» était donc nécessaire, si et seulement si, l'on parvenait à convaincre le président légalement consacré par les urnes, qu'il fallait passer à l'autocritique du nouveau système. Un système hybride qui prêtait à confusion parce que les généraux (l'Armée) qui avaient fortement contribué à la victoire de Sidioca sur Ahmed Ould Daddah, étaient restés dans les coulisses du pouvoir et donnaient l'impression de le régenter.
Un régime à la turque en Mauritanie ?
La gestion de la crise actuelle doit transcender le simple cadre de la légalité du «président destitué» ou de la légitimité du «général limogé». Il ne s'agit plus – seulement – de trancher entre deux hommes, hier alliés du pouvoir et aujourd'hui ennemis politiques, mais de trouver une solution qui sauve la Mauritanie. Une solution durable qui évite au pays de retomber dans les travers de la «cuisine démocratique» adopté de l'Occident mais non adapté au contexte local arabo-africain de la Mauritanie.
Pour cela, il faut bien comprendre une chose : la «rectification», si elle doit être acceptée, ne doit pas s'arrêter à l'organisation d'une simple élection présidentielle ou à l'élargissement du pouvoir législatif. Il faut bien qu'on arrive à régler cette question : qu'est-ce qui garantit le respect de l'alternance politique en Mauritanie ? Posons cette question autrement : Comment faire que l'Armée reste en dehors du jeu politique qui, par essence, ne relève pas de son domaine propre ?
Je suis d'accord que si la paix et la sécurité du pays sont sérieusement menacées par les agissements de la politique, l'Armée peut (doit ?) intervenir, mais qui déterminera la gravité de la situation ? Répondre à cette question, c'est régler tout le problème. Certes, comme dans n'importe quel pays, l'Armée doit avoir un rapport avec le pouvoir, mais si elle est au pouvoir, elle entre en conflit avec le politique. Un dilemme qui, dans le cas d'un jeune Etat encore à l'école de la démocratie, oriente, forcément, pour le moment, vers un l'instauration d'un système à la turque.
Sneiba Mohamed
source :medsnib via cridem